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Systèmes d'aménagement des forêts communautaires dans la cinquième région du Mali: résistance et vitalité face aux contraintes

J.T. Thomson et C. Coulibaly

James T. Thomson est cadre supérieur de Associates in Rural Development (ARD), société de Conseil en développement à Burlington. Vermont et Silver Spring. Maryland (Etats-Unis).

Cheibane Coulibaly est président de l'Institut malien de recherches appliquées au développement (IMRAD) et éditeur de Cauris, publication malienne semi-mensuelle.

Le présent article illustre des initiative es locales en matière de gestion des forêts communautaires dans la Cinquième région du Mali, basées sur quelques évaluations rurales rapides. Il repose sur une série d'études approfondies menées depuis cinq ans par plusieurs organisations non gouvernementales (en partitculier Near East Foundation, CARE/Mali et SOS Sahel).

Depuis des siècles, de nombreuses forêts du sud de la Cinquième région du Mali (voir carte) sont administrées et gérées par les collectivités locales comme des ressources communautaires. Mais dès l'indépendance, en 1960, et jusqu'à la fin de la deuxième République malienne, en mars 1991, les agents des services forestiers nationaux ont continuellement tenté d'imposer le contrôle de l'Etat sur ces systèmes locaux. Depuis mars 1991, les initiatives locales ont refleuri de plus belle. Certaines, telles les institutions alamodiou dans le cercle (district) de Bankass reviennent après plus de 30 ans de «clandestinité». Les chefs de ces institutions espèrent que désormais leurs activités retrouveront toute leur légitimité et seront reconnues officiellement. D'autres initiatives locales font revivre sous une forme modifiée des traditions et des organisations passées régissant l'administration et la gestion des forêts.

Jusqu'à présent, la troisième République autorise la résurgence de ces institutions d'aménagement forestier communautaire, mais leur avenir reste incertain. Le débat politique sur le contrôle et la gestion des ressources forestières du Mali reste ouvert et la réglementation forestière demeure indissoluble des efforts actuels d'élaboration d'une politique nationale de décentralisation. Malgré tout, on peut en tirer plusieurs enseignements.

Le présent article retrace les traditions de foresterie communautaire dans les plaines et les collines entourant le plateau de Bandiagara (à l'exclusion du plateau lui-même) dans le sud de la Cinquième région, sous le delta intérieur du fleuve Niger. Cette zone comprend trois cercles ou districts (unité administrative intermédiaire entre l'arrondissement et la région) - Douentza, Bankass et Koro. Dans les trois districts, on s'efforce de relancer les systèmes de gestion et d'administration communautaires des ressources forestières sur une base communautaire. La première partie de cet article passe en revue les objectifs et les arrangements institutionnels, de niveau communautaire et supérieur, qui caractérisaient l'administration et la gestion des forêts communautaires avant la colonisation, en 1890. La deuxième partie explique les différends qui ont opposé ces communautés et systèmes locaux à l'autorité gouvernementale centrale, durant la période coloniale d'abord (1890-1960), puis après l'indépendance, quand les services forestiers nationaux s'efforçaient d'étendre leur autorité sur les ressources de cette région. La troisième partie décrit la résurgence actuelle des systèmes d'aménagement local communautaire ainsi que le conflit qui persiste, mais elle évoque aussi le nouvel effort de collaboration entre les collectivités utilisatrices des ressources et les autorités forestières. En conclusion, ('article évoque le problème des conflits politiques qui opposent actuellement les Maliens dans cette région.

Vue des plaines et collines dans les environs du district de Douentza

Traditions forestières autour du plateau de Bandiagara

Dans le sud de la Cinquième région, les précipitations varient entre 400 et 600 mm par an. Sur ce sol aride, quasi désertique, les arbres dépassent rarement quelques mètres de hauteur. Les broussailles constituent l'essentiel des ressources forestières. Des buissons locaux - Combretum spp. et Guiera senegalensis - voisinent avec des arbres plus grands - Acacia albida, Borassus aethiopum, Pterocarpus erinaceus, Grewia bicolor, Scelorocarya birrea Balanites aegyptiaca et Anogeissus leiocarpus (Dennison, Miller et Thomson, 1992).

Emplacement des trois districts étudiés dans la Cinquième région (Mopti)

Ces buissons et ces arbres constituent parfois des forêts caractérisées par de grandes étendues boisées, percées de clairières et d'étendues dénudées. Ces régions offrent de nombreuses ressources, notamment du bois. Mais le bois provient généralement d'arbres poussant irrégulièrement sur des terres agricoles et dans d'étroites vallées créées par les cours d'eau saisonniers qui traversent les villages.

Avant la colonisation, les arrangements régissant les droits de propriété sur les arbres émanaient des autorités locales, sans contrainte extérieure. En gros, chaque village pouvait, s'il le désirait, créer des institutions chargées d'administrer et de gérer ses ressources en bois. Certains l'ont fait, d'autres n'en ont pas vu la nécessité et s'en sont abstenus (Dembele, 1993; Dennison, Miller et Thomson, 1992; Diallo, 1993; Thomson et Sylla, 1985).

Il semblerait que le niveau d'engagement collectif dans la mise en place d'arrangements institutionnels de gestion des ressources forestières soit proportionnel à la précarité de ces ressources. Cette relation n'est pas automatique, mais en général, c'est dans les environnements les plus pauvres que l'on trouve les systèmes de gestion les plus élaborés, et ces systèmes sont parfois importés vers des régions plus riches par des populations immigrées venant de zones dégradées.

Outre les variations écologiques pouvant entraîner une pénurie relative de ressources forestières (voir plus haut), le caractère ethnique joue aussi un rôle. Les Dogon, par exemple, ont une forte tradition de gestion et d'aménagement des ressources, tant dans le plateau de Bandiagara que dans les plaines environnantes:

«... les Dogon ont une façon remarquable d'organiser la régénération naturelle, de protéger l'environnement et de traiter les phénomènes de destruction de l'environnement par l'application stricte des règles d'aménagement.» (Thomson et Sylla, 1985)

En effet, ce groupe partage un héritage commun de vie sur le plateau aride et relativement pauvre de Bandiagara, où il a trouvé refuge au moment des troubles civils et dynastiques, du XVe au XIXe siècle. S'ils avaient mal géré les ressources du plateau, ils auraient dû descendre vers les plaines plus riches mais aussi plus exposées aux attaques. Au XXe siècle, à l'époque coloniale, certains groupes de Dogon sont descendus s'installer dans les plaines. Ils ont conservé, en les assouplissant, leurs traditions de gestion des ressources forestières et autres.

D'autres groupes - les Fulbe, leurs serfs, les Rimaïbe, les Kel Tamasheq, les Touareg et les Bambara - ont appliqué des systèmes de gestion des ressources forestières moins élaborés jusqu'à une époque récente, sans doute parce que leurs ressources étaient plus abondantes. La plupart de ces groupes exerçaient néanmoins un certain contrôle sur l'accès et l'utilisation des ressources forestières communes (McLain, 1990).

Un des arrangements institutionnels les plus répandus pour la gestion des ressources forestières communautaires dans cette région, était une organisation villageoise qui réglementait l'accès et l'exploitation des produits forestiers. Parmi les principales ressources figuraient: les piquets et perches de construction, le bois de feu et le charbon, le bois pour les manches à outils, les fruits à coque et autres, les jeunes pousses consommées par le bétail local et transhumant. L'accès à ces ressources était généralement réservé aux membres des communautés. Les restrictions variaient selon la communauté et le type de ressources. Par exemple, le ramassage du bois mort pour la consommation domestique était généralement libre pour les résidents, tandis que la coupe de bois vert nécessitait une autorisation spéciale des autorités villageoises, généralement du chef de village (Dennison, Miller et Thomson, 1992).

Les institutions locales distinguent propriété du sol et propriété des arbres, ce qui est assez fréquent en Afrique (Fortmann et Riddell, 1985). Dans la Cinquième région, les forêts sont souvent administrées et gérées comme des ressources communautaires. Par contre, les arbres peuvent appartenir au propriétaire du terrain où ils se trouvent, ou à quelqu'un d'autre. Ils peuvent aussi être considérés comme une ressource commune ou comme une ressource détenue ou administrée par une autorité locale informelle (un chef, par exemple) (Diallo, 1994; Dennison, Miller et Thomson, 1992). Ces arrangements sont généralement assez simples et faciles à comprendre tant pour la population locale que pour les bergers transhumants et les bûcherons qui traversent fréquemment ces forêts ou y travaillent. Cependant, le mode de possession des arbres varie d'une communauté à l'autre et, pour des raisons historiques, ne se prête guère à une standardisation.

Système de culture du mn avec des acacias (Acacia albida) typique de la Cinquième région

Le passage des bovins par des propriétés privées et communautaires était régi par un système de gestion couvrant tout le delta intérieur du Niger

La plupart des systèmes de propriété communautaire sont établis au niveau des villages, à l'exception de celui qui inclut des pistes de transhumance, datant de Sékou Amadou, le conquérant Fulbe qui a géré l'utilisation des terres dans le delta intérieur du Niger et les zones environnantes au début du XIXe siècle. Des couloirs pour le bétail étaient percés pour ouvrir un passage aux troupeaux Fulbe entrant et sortant du delta du Niger aux changements de saisons, et leur permettre de se nourrir. Beaucoup de ces itinéraires de transhumance existent encore et sont respectés par les agriculteurs.

Dispositifs de surveillance et d'application

Toutes les communautés ayant une tradition de gestion des ressources forestières ont également des dispositifs locaux de surveillance et de mise en application. En général, des hommes jeunes, sous la direction de villageois plus âgés, patrouillaient les terres du village. Les infractions étaient sanctionnées en fonction de leur gravité et de la reconnaissance par l'accusé de ses torts et de l'acceptation de la punition. Par exemple, les éleveurs coupables d'avoir arraché des branches pour nourrir leurs animaux étaient souvent condamnés à sacrifier le plus bel animal de leur troupeau. L'animal était abattu et la viande partagée entre les membres de la communauté, ou vendue pour grossir les économies du village. Il semble que ce système ait été introduit par les Dogon, mais on le retrouve à présent dans certaines communautés Fulbe et Rimaïbe, (Thomson et Sylla, 1985; Dennison, Miller et Thomson, 1992).

Il était généralement possible de faire appel à une décision de l'autorité locale. Jusqu'à la fin de l'ère coloniale, dans l'actuel district de Douentza, les appels contre des décisions du village étaient soumis aux chefs de canton dont le verdict avait force obligatoire. Dans la région de Bankass, les associations Dogon multivillageoises (alamodiou), chargées d'assurer la paix et la sécurité sociale, et de gérer les ressources renouvelables, permettaient de faire appel des décisions des chefs communautaires alamodiou (soraman) auprès du chef suprême (sari) (Diallo, 1993). Dans la zone de Koro, les unités Dogon ogokaana s'occupaient à la fois des questions sociales et des ressources naturelles renouvelables et les chefs de village avaient, semble-t-il, l'autorité suprême.

Bois de feu ramassé dans la zone communautaire, en vente au bord de la route

La plupart de ces structures communautaires et intercommunautaires de gestion des ressources étaient soigneusement organisées pour protéger leurs responsables de toute tentation et pression durant l'élaboration des réglementations et le règlement des différends (Coulibaly, Magassa et Thomson, 1994; Thomson, 1994; Diallo, 1993). Pour devenir chef (sari) d'une association alamodiou, par exemple, le candidat devait se présenter nu dans sept marchés de la région, successivement (Diallo, 1993). Cette épreuve était considérée comme un signe d'altruisme et de haute qualité morale; le chef était nommé à vie et ses décisions considérées comme justes. De plus, les affaires étaient traitées et les décisions prises publiquement, en toute transparence.

Conflits opposant les organismes locaux de gestion des forêts et les services forestiers

Durant l'époque coloniale, les terres et les forêts sont devenues officiellement propriété de l'Etat Le décret colonial du 4 juillet 1935 affirmait le contrôle de l'Etat sur la plupart des ressources renouvelables. Mais un peu partout, notamment dans la Cinquième région, le pouvoir de l'Etat restait limité et les institutions locales conservaient le contrôle de la gestion des ressources en bois. Cependant, après l'indépendance en 1960, les autorités forestières des première et deuxième Républiques du Mali ont étendu progressivement leur emprise sur les ressources naturelles renouvelables dans la majeure partie de la Cinquième région. Ce processus a pris quelques années, s'implantant vers 1970, et le dernier Code forestier malien du 30 janvier 1986 (loi 8643) a réaffirmé le contrôle de l'Etat Les réglementations nationales ont imposé des restrictions à l'abattage des arbres dans les forêts domaniales et les zones protégées. D'autres dispositions du Code autorisaient les forestiers à réglementer de nombreuses espèces poussant sur les terrains des agriculteurs (Elbow et Rochegude, 1990).

Pour être autorisés à couper du bois, les gens devaient obtenir l'accord des forestiers, ce qui était long et coûteux. Au lieu de se rendre à pied chez le chef du village pour obtenir oralement sa permission, les utilisateurs qui voulaient respecter la réglementation en matière de coupe devaient entreprendre un voyage jusqu'au bureau des forestiers. Les forestiers, peu nombreux et souvent partis sur le terrain, étaient difficiles à contacter pour obtenir les permis. Certains forestiers exigeaient que ceux qui demandaient un permis fournissent le combustible nécessaire pour que les agents puissent aller, avec les véhicules de service, vérifier sur place les arbres qui devaient être coupés (Thomson et Sylla, 1985). Ce système rendait la coupe légale des arbres excessivement chère et accessible uniquement aux exploitations commerciales. Lorsque ces réglementations s'appliquaient à des arbres que la population avait elle-même protégés, par régénération naturelle, voire plantés, les gens ne voyaient aucune raison de soutenir le système officiel s'ils pouvaient l'éviter (McLain, 1990).

En revanche, les exploitants qui respectaient la réglementation officielle pouvaient en pratique, si ce n'est en principe, couper du bois là où ils l'entendaient. Les exploitations commerciales ont donc coupé, sans autorisation locale, des arbres situés sur des forêts communautaires (Dennison, Miller et Thomson, 1992). Ils ont même coupé des arbres poussant sur des terres agricoles qui appartenaient soit à des particuliers soit à la collectivité (Diallo, 1993).

Plantations modèles expérimentales dans une pépinière communautaire près de Mopti

Les contrevenants étaient passibles d'amendes ou même d'emprisonnement, et, selon les dispositions du coda, 25 pour cent du montant de l'amende était consacré à démontrer et poursuivre la violation de la loi (Code forestier malien - loi 86-43 du 30 janvier 1986; Thomson et Sylla, 1985). Ce système de prélèvement d'une commission sur les amendes, destiné à encourager les forestiers à faire respecter le code (mal accepté et contesté par la population locale), est en fait à l'origine de tous les abus: pots-de-vin et pire encore, chaque élagage était automatiquement assimilé à une «exploitation abusive» des ressources passible d'amende (Thomson et Sylla, 1985). Plusieurs observateurs ont comptabilisé les contraventions au code forestier durant la deuxième République (Dennison, Miller et Thomson, 1992) et évalué l'application de cette pratique (McLain, 1990). La plus détaillée de ces études analyse la mise en application du code dans le district de Koro vers le milieu des années 80 (Campbell, 1990).

L'affirmation du contrôle de l'Etat ouvre la voie à un long affrontement entre utilisateurs locaux et fonctionnaires forestiers. Les forestiers, responsables de l'application des dispositions du code aux ressources forestières nationalisées, ont passé outre aux réglementations locales souvent très nettement communautaires, qui avaient fait leurs preuves dans la pratique. Parfois, des fonctionnaires forestiers trop zélés obligeaient à infirmer des décisions du village contre des individus accusés de coupes illicites (Dennison, Miller et Thomson, 1992), et les responsables locaux qui tentaient de résoudre des différends concernant les ressources forestières par l'application d'une réglementation locale, se voyaient infliger des amendes. Mais ces fonctionnaires n'avaient ni l'effectif ni les moyens d'instituer un système de contrôle crédible. Les ressources forestières communautaires autrefois bien administrées sont devenues accessibles à tous. Quand leur valeur a augmenté, la «ruée vers l'or» a commencé. Lorsque le bois mort n'a plus été suffisant, les entreprises commerciales ont coupé les arbres sur pied. Pendant l'intervalle entre la deuxième et la troisième République, les forestiers - qui s'étaient attiré les foudres de la population après la chute du régime de Traoré - n'ont plus osé s'aventurer sur le terrain. Les pasteurs transhumants, voyant l'effondrement du système public de surveillance et de mise en application des réglementations, ont commencé à couper des branches et de petits arbres pour nourrir leurs animaux.

Résurgence du système de gestion forestière communautaire, persistance des conflits politiques et incertitude quant à l'avenir

Depuis la fin de la deuxième République en mars 1991, les initiatives locales d'aménagement des forêts ont refleuri, stimulées par quelques mesures d'encouragement officiel. Un observateur dénombre cinq raisons expliquant l'intérêt officiel pour ces initiatives: inefficacité de l'Etat et de ses lois; dégradation des ressources; différends entre les utilisateurs; disponibilité et capacité des utilisateurs locaux et sécurité des ressources et des producteurs (Diallo, 1993).

Les systèmes administratifs locaux susmentionnés étaient plus à même d'exercer des vérifications qui empêchaient, ou tout au moins limitaient, les abus de pouvoir. De plus, les collectivités sont mieux placées pour surveiller les ressources forestières locales que les services forestiers. Souvent, cinq à six forestiers sont chargés de patrouiller tout un district. Les villageois, qui ne sont responsables que de leurs propres terres, voire de quelques zones forestières «partagées» adjacentes, peuvent envoyer plus de personnes sur le terrain, plus souvent, surtout si la structure administrative locale est solide (Thomson, 1994).

Dès l'instant où les utilisateurs des ressources sont autorisés à les gérer de concert, décidant du moment et de la manière dont elles seront exploitées ainsi que de la personne responsable, les collectivités locales participent alors très activement au contrôle de l'accès et de l'exploitation de ces ressources. Dans les trois districts (Douentza, Bankass et Koro), les communautés s'efforcent, avec le soutien d'ONG, de mettre en place des plans d'aménagement forestiers qui délèguent l'autorité aux organes locaux chargés de gérer et d'aménager les forêts et les produits dérivés comme des ressources communautaires locales (Touré, Kanouté et Sangaré, 1993).

Un test très intéressant a été organisé par les représentants de CAKE International à Koro, en étroite collaboration avec le chef des services forestiers du district de l'époque. Un contrat a été rédigé en 1992 entre le chef local du service forestier et le commandant de district, représentants de l'administration, d'une part et les représentants de deux villages et de CAKE International, d'autre part (Mounkoro, 1993). Ce contrat très controversé confère l'autorité juridique aux villages signataires qui sont chargés de surveiller leurs propres ressources forestières, ce qui va à l'encontre de la législation nationale existante. On s'efforce de même d'obtenir la reconnaissance officielle de l'alamodiou du district de Bankass et de Walde Kelka, association de villages dans le district de Douentza.

Ces efforts se sont toutefois heurtés à de nombreuses difficultés dues au carcan des réglementations officielles, en particulier le Code forestier et les textes juridiques. Ces lois stipulent, par exemple, que seuls des fonctionnaires dûment assermentés peuvent juger les violations au code et imposer des amendes. Il n'est pas permis non plus de sanctionner les violations aux réglementations communautaires. En d'autres termes, les collectivités peuvent identifier les contrevenants mais sont tenues de s'en remettre aux fonctionnaires pour le jugement et les sanctions. Cette pratique va à l'encontre de l'état d'esprit qui règne dans la plupart des villages, où la sanction vise à ramener la paix et à réintégrer le coupable dans la collectivité locale (Diallo, 1993).

On ne résoudrait pas le problème en confiant aux villages le contrôle de leurs propres ressources, dans le cadre de la législation malienne actuelle (Touré, Kanouté et Sangaré, 1993). Les villages n'auraient qu'un statut d'association privée sans autorité pour sanctionner ceux qui n'en font pas partie; les étrangers, les exploitants commerciaux, les pasteurs transhumants, etc., refusant de respecter les lois communautaires régissant l'utilisation des ressources forestières, ne seraient pas passibles de sanctions locales.

La politique de décentralisation générale de la troisième République, qui n'est pas achevée, aura également une incidence importante à long terme sur le potentiel de gestion communautaire des ressources forestières. La décentralisation peut offrir certains avantages, mais il n'est pas certain que les villages accéderont au statut d'unités politiques autonomes quand la politique de décentralisation sera achevée. On propose actuellement de créer des «communes rurales» d'environ 15 à 30 communautés. Mais le problème de l'inaptitude juridique à faire appliquer les réglementations communautaires persisterait.

La réapparition récente des systèmes de propriété forestière communautaire, en dépit des difficultés et des incertitudes, démontre le vif intérêt et l'engagement des collectivités locales vis-à-vis de cette forme de gestion des ressources et donne au gouvernement une bonne occasion de promouvoir l'aménagement et l'utilisation durables des ressources forestières par l'application de mécanismes administratifs et juridiques de soutien. En revanche, les politiques et les lois qui déstabilisent l'aménagement des ressources locales ne peuvent avoir, à court et long termes, que des effets négatifs sur l'état des forêts et des terres boisées au Mali.

Bibliographie

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