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Expériences de systèmes de propriété commune des forêts en Chine

J.W. Bruce, S. Rudrappa et L. Zongmin

John W. Bruce est Chargé de recherche principal et maître de conférences, Centre des régimes fonciers et Département des forêts, Université du Wisconsin-Madison.

Sharmila Rudrappa et Li Zongmin sont assistants de recherche, Centre des régimes fonciers, Université du Wisconsin-Madison, Etats-Unis.

En Chine, tandis que le processus de passage à l'économie mixte se poursuit, la gestion locale des terres forestières a fait l'objet d'approches variées, notamment de formules de propriété commune.

En Chine, les réformes tendant à passer graduellement à l'économie mixte ont commencé en 1978. Elles se sont déroulées sous la direction du parti communiste, mais celui-ci a autorisé de nombreuses expériences locales en ce qui concerne l'organisation et les droits de propriété pour la gestion des ressources. Ainsi s'est constitué un ensemble considérable d'expériences qui doit être replacé dans le contexte d'une relation insolite entre la loi et le changement social: la loi est considérée comme le couronnement du processus de changement, une mesure par laquelle l'Etat approuve et regroupe des expériences sociales et économiques réussies.

Les réformes des structures de la production rurale en Chine à la fin des années 70 et dans les années 80 ont concerné principalement le secteur agricole. Les grandes communes ont été divisées en petites unités, qui correspondaient souvent aux petites coopératives réunies antérieurement pour constituer ces grandes communes. Ces coopératives avaient elles-mêmes été formées auparavant à partir des unités villageoises antérieures à la révolution.

Les réformes ont maintenu le statut de bien public de la terre, mais elles ont précisé la nature et la situation de la propriété et de l'autorité publique concernant la gestion des terres et des ressources associées. La Constitution de 1982 (art. 10) et la Loi sur l'administration des terres nationales qui est entrée en vigueur en 1987 (art. 8 et 12) ont confirmé que les nouveaux «villages administratifs» étaient propriétaires des terres, et que la gestion de celles-ci pourrait être attribuée à des unités plus petites ou à des ménages. Etaient inclus tous les terrains bâtis, les parcelles privées de terres cultivées et les terres en friche et de montagne associées.

De multiples expériences ont été faites au niveau du village pour déterminer l'échelle et le cadre institutionnel de l'aménagement des ressources. Dans un premier stade, les réformes axées sur la «responsabilité de la production» ont parfois assigné les terres agricoles à des groupes d'agriculteurs plus petits, en théorie plus faciles à diriger, qui étaient souvent d'anciennes équipes ou brigades de travail de l'ex-commune. La terre était assignée de manière administrative, souvent sur une base annuelle, mais les groupes jouissaient d'une grande autonomie de gestion en ayant, en contrepartie, l'obligation de produire une quantité contingentée d'un produit spécifié à un prix fixé. Mais tandis que le processus de réforme se poursuivait, la plupart des communautés ont ensuite opté pour le «système de responsabilité du ménage», selon lequel la terre est assignée aux ménages, toujours avec des contingents de production obligatoires. Exception faite des grandes fermes d'Etat du nord de la Chine, l'exploitation agricole familiale est aujourd'hui la forme dominante d'organisation de la production, adoptée par 95 pour cent des ménages ruraux.

Modifications des bases juridiques de la gestion des terres forestières

La production familiale devient donc évidemment le régime le plus répandu dans l'agriculture irriguée en Chine, mais de multiples expériences se poursuivent pour déterminer l'échelle de l'aménagement et l'organisation de la production sur les terres de montagne. Il existe de nombreuses zones montagneuses qui conviennent aux forêts commerciales ou aux vergers. Elles sont situées sur le territoire des villages, qui a été délimité au moment de la suppression des communes, qui en étaient auparavant responsables. Sous le régime des communes, ces zones étaient souvent plutôt négligées et, comme cela se produit fréquemment en l'absence de contrôles sociaux adéquats sur les ressources naturelles, dénudées. Plus de 60 pour cent des terres rurales forestières relèvent des coopératives économiques villageoises, et non de l'Etat (Lei et Sheng, 1993).

En Chine, le reboisement est d'ordinaire considéré plutôt comme une mise en valeur des coteaux et des montagnes, et les modèles d'utilisation des sols vont de la production exclusive de bois d'œuvre à l'agroforesterie familiale intégrée dans un système d'exploitation mixte. La préparation de ces terres nécessite une main-d'œuvre importante, et elle est souvent organisée par les villages sous forme de «campagne», avec un appui important des organismes gouvernementaux de la province. Mais la responsabilité de la gestion, fondée sur les droits d'occupation de la terre, est souvent dévolue à des unités plus petites et aux ménages; ainsi, villages et projets ont fait à la fois des expériences de propriété individuelle et de propriété commune des forêts.

Ces expériences ont exigé une modification profonde du cadre juridique de gestion des forêts. Aux termes de la Loi sur les forêts de 1979, toute forme de foresterie autre que collective ou d'Etat, était pratiquement interdite. Après les réformes des régimes fonciers de la fin des années 70 et du début des années 80, et la constitution de 1982, une nouvelle loi sur les forêts est entrée en vigueur en 1984. L'article 23 prévoit que les arbres plantés par la coopérative appartiennent à la coopérative, et que les «arbres plantés par les habitants ruraux autour de leurs maisons et sur les parcelles privées et les collines qu'ils exploitent leur appartiennent»; en outre: «Dans le cas de collines dénudées et de terres en friche adaptées au reboisement appartenant au peuple et au collectif, qui font l'objet d'un contrat passé par le collectif ou par un individu pour la plantation d'arbres, les arbres ainsi plantés par le collectif ou l'individu contractant lui appartiennent, sauf disposition contraire du contrat.»

Répartition des droits fonciers relatifs aux forêts à l'intérieur de la communauté

Au plan politique, un des grands problèmes de la transition était celui de la répartition des droits relatifs aux terres forestières à l'intérieur de la communauté. Dans le cas des terres agricoles, la répartition initiale des terres entre les ménages s'est faite de manière rigoureusement égalitaire et a abouti à la création de fonds petits et fragmentés. La même chose s'est produite pour les terres forestières dans certaines communautés et certains projets, mais trois types au moins d'unités de gestion plus importantes ont été expérimentés pour remplacer la gestion familiale simple. Tous trois comportent une gestion commune. Le premier type est la gestion directe par la coopérative économique elle-même. La coopérative, organisme public, fait office de propriétaire/exploitant, instaure un système unifié de gestion des ressources, et peut tout à fait être considérée comme une institution publique de propriété commune. Elle peut gérer une forêt en une seule unité, ou en plusieurs opérations décentralisées, selon des critères d'efficacité, comme une société commerciale gérerait une exploitation forestière. Certaines forêts de village sont encore gérées ainsi, et c'est une approche qui est encore utilisée pour le reboisement.

Le deuxième type est l'exploitation forestière privée, qui a souvent comme point de départ un ou plusieurs «ménages spécialisés», qui ont obtenu de la coopérative économique des contrats de gestion à long terme. L'«entreprise» peut être une seule famille, ou peut dissocier propriété et gestion, mais il peut également s'agir d'un groupe de ménages qui ont mis leurs ressources en commun et les gèrent en coordination. C'est aujourd'hui la forme dominante de foresterie communautaire en Chine, et elle concernait plus de 150 000 exploitations en 1991 (Lei et Sheng, 1993).

Le troisième type est l'association d'actionnaires, qui peut être de nature publique ou privée, mais est en général organisée pal le village. Les associations privées de ce genre sont plus grandes que la plupart des autres organisations de foresterie privée, et les associations publiques se distinguent de la gestion collective par le caractère volontaire de la participation et la grande autonomie de gestion dont elles jouissent. Le caractère public ou privé de ces associations n'est pas toujours clairement défini.

Dans une localité donnée, on peut trouver une grande variété de formes institutionnelles, de modèles expérimentaux et de changements survenus avec le temps. Par exemple, à partir de 1981, les ménages de la préfecture de Huaihua (province du Hunan) ont reçu de petites parcelles de «terres de montagne sous le régime de responsabilité» selon un schéma semblable à celui des régions céréalières régies par le système de responsabilité des ménages. Jusqu'en 1984, seuls les ménages disposant d'une importante main-d'œuvre excédentaire étaient en mesure de mettre en valeur leurs parcelles forestières et seuls des contrats à court terme pouvaient être conclus. La sécurité d'occupation des terres limitée a conduit certains ménages à couper le bois sur pied et entraîné un déboisement considérable. Les planificateurs ont envisagé de supprimer toutes les petites exploitations pour réattribuer les terres à des spécialistes, mais ils ont craint les réactions populaires.

L'évolution spontanée a rendu cette solution éventuelle inutile. Une réforme de 1984 a fixé à 15 ans la durée minimale des baux accordés par la coopérative économique de village aux utilisateurs agricoles (Document sur le travail rural de 1984, Document n° 1 de 1984), et la durée maximale a été régulièrement allongée. Le même document reconnaissait la nécessité de contrats plus longs pour «les projets à cycle de production long, comme les arbres fruitiers, les bois et les forêts, les collines dénudées et les terres incultes...». Souvent, des contrats ont été signés dans des cas de ce genre pour une durée de 30 à 50 ans (Bruce et Harrell, 1989; Prosterman et Hanstad, 1993). D'après un amendement de l'article 10 de la Constitution adopté le 12 avril 1988 par le Congrès populaire national, les baux peuvent être négociés, ordinairement mais pas uniquement à l'intérieur des communautés. Dans certaines communautés, par exemple dans le canton de Meitan (province de Guizhou), le développement d'un marché foncier des terres boisées a été activement encouragé, avec des aides financières pour faciliter les transferts (Bruce et Harell, 1989).

Un processus de remembrement volontaire de ces fonds se poursuit depuis 1985. Près de la moitié des terres ont fait l'objet de transactions. Entre autres, les baux de terres de montagne ont été regroupés dans les mains d'un nombre limité de ménages ayant des exploitations plus vastes qui se spécialisaient dans la foresterie et la gestion de vergers. L'autre solution, qui a touché une superficie presque équivalente, a consisté à ce que les ménages mettent leurs terres en commun dans des unités par actions. Aujourd'hui, le gouvernement poursuit une politique d'uniformisation des clauses des contrats (Liu Shouying, 1992).

Pour donner un autre exemple, le Projet des sols rouges, action de mise en valeur des terres intéressant plusieurs provinces de la Chine du Sud, a fait des expériences de reboisement fondées d'une part sur la propriété commune et d'autre part sur l'organisation familiale. Il s'agissait de promouvoir la plantation de vergers et d'arbres fruitiers sur des terres de collines abandonnées depuis des générations car elles étaient épuisées et devenues stériles. Les approches adoptées dans les provinces de Jiangsu et de Fujian illustrent les différentes stratégies de gestion possibles. Dans le Jiangsu, les villages locaux se sont mobilisés pour préparer la terre et planter les arbres sur les collines leur appartenant. Les gérants des forêts communautaires ont été recrutés par concours, avec des contrats définissant le niveau des revenus pour le village et un système d'incitations pour le gérant. De grands vergers ont ainsi été créés avec succès (Zeng Hu, 1994).

Dans le Fujian, au contraire, le reboisement des pentes des collines s'est effectué dans le cadre d'un grand programme de repeuplement, comportant le transfert d'habitants d'autres régions dans de petites exploitations avec des baux de 15 ans.

Toutefois, les cultivateurs locaux de riz ont été mécontents d'avoir été exclus du programme, et les terres ont dû être redistribuées, priorité étant accordée aux habitants locaux. La durée des nouveaux baux a été portée à 30 et même à 50 ans. Les transactions sur les baux ont été autorisées, mais sont restées peu nombreuses à ce jour. Le modèle de Fujian a abouti à un reboisement plus modeste et plus fragmenté car il est intégré dans un système d'exploitation mixte, où les exploitants doivent à la fois couvrir leurs besoins alimentaires et pratiquer l'arboriculture (Zeng Hu, 1994).

Création de syndicats d'actionnaires

Certains villages ont opté pour l'exploitation à grande échelle de leurs ressources forestières, mais au lieu d'une gestion collective selon l'ancien modèle des brigades et équipes de travail, ils ont choisi une nouvelle forme d'institution, le syndicat d'actionnaires. Un tel syndicat regroupe l'ensemble ou une partie seulement des ménages d'un village. La participation est en principe volontaire. La gestion de la ressource forestière est confiée par la coopérative économique du village au syndicat d'actionnaires, entité juridique analogue à une société par actions. Le syndicat établit un mode unifié de production forestière, mais chaque ménage a sa propre exploitation forestière et agit en tant qu'unité de production sous contrat avec le syndicat d'actionnaires forestier du village. Les villages gèrent leurs fonds forestiers sur la base d'un contrat d'exploitation avec leur propre syndicat.

Lorsque les syndicats d'actionnaires forestiers ont été institués, par exemple à Sanming (province de Fujian), deux sortes d'actions ont ordinairement été émises: actions de base et actions d'investisseurs. Les deux tiers des actions de base étaient distribués aux exploitants forestiers, et le tiers restant revenait à la coopérative économique du village pour être versé au fonds de réserve du village. Comme les profits du fonds de réserve n'étaient pas partagés, ce système a fini par être abandonné. Aujourd'hui, les actions de base sont divisées en actions de terre de montagne, destinées à ceux qui ont des terrains en montagne, et en actions ordinaires, pour tous les membres de la communauté. Les actions d'investisseurs sont émises contre investissements en liquide, innovations technologiques, travail et plantation d'arbres (Sun, 1990; Lei et Sheng, 1993).

Le modèle albanais - un cas bien différent

L'Albanie représente la version «radicale» de la réforme. Le gouvernement non communiste arrivé au pouvoir en 1992, a lancé une réforme foncière spectaculaire. D'abord, le secteur des fermes collectives et maintenant celui des fermes d'Etat sont divisés en petites exploitations avec pleine propriété privée: cette réforme s'inscrit dans un programme officiel d'enregistrement des terres et d'attribution de titres pour créer un marché foncier (Stanfield et Raco, 1994),

Le secteur forestier, tout en étant concerné par ces changements. Est demeuré sous le strict contrôle de l'Etat, tout au moins en théorie et en droit. La loi sur les forêts, de 1968 (loi n° 4470, 25 juin 1968) a réglementé l'exploitation forestière, jusqu'en 1994. L'ensemble des forêts, était du ressort d'un Office des forêts d Etat: pour l'essentiel, il s'agissait de forêts, de production organisées sous forme d'«entreprises forestières» locales gérées directement par l'Etat La foresterie collective était en théorie possible: un collectif pouvait avoir une forêt allant jusqu'à I 000 ha et la gérer sans obligations financières envers l'Office des forêts d'Etat, mais en respectant sa réglementation. Ces forets collectives étaient, en fait, très rares, parce que les collectifs avaient été constitués à partir d'exploitations agricoles et que les terres forestières en a, aient été exclues. Même avant le régime communiste, les forêts appartenaient en grande partie à l'Etat et à la noblesse (FAO. 1993).

Devant la quasi-absence de l'Etat à la chute du gouvernement communiste, les ruraux ont attaqué les forêts domaniales dont l'accès leur avait toujours été interdit. Faute de disposer d'autres combustibles, les villageois ont du utiliser le bois pour se chauffer en hiver, et de v estes terres ont été déboisées. Le gouvernement a réagi en rétablissant la surveillance des forets.

Une nouvelle loi sur les forêts et la police de surveillance des forêts vient d'être préparée, et un projet a été diffusé, sous le titre de loi n° 7623 du 13 octobre 1992. La nouvelle loi dispose que les arbres plantés sur un terrain de propriété privée appartiennent au propriétaire du terrain, et apporte ainsi des bases juridiques à la foresterie et à l'agroforesterie privées. La loi donne également une base à la foresterie de propriété commune. L'article 4 prévoit le cas des «forêts qui appartiennent à l'Etat mais font l'objet d'un don pour un usage communal là des villages ou à des ensembles de villages ).» L'«ensemble de villages» - en albanais commua - comprend environ quatre OU cinq villages, et est quelquefois dénommé aujourd'hui «comté», mais il est fondé sur les anciennes limites des communes. L'article de la loi poursuit: «Par accord entre les autorités locales et le service des forêts, la forêt communale peut être partagée entre les

villageois en fonds de 0.4 à 1 ha, comme prévu par les règlements du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation.»

Un rapport de la FAO a proposé en 1993 une autre rédaction qui faciliterait la gestion des forêts de propriété commune par les communautés locales: «L'administration des forêts, peut identifier des zones du domaine forestier propres à l'exploitation au profit des habitants d'une ou plusieurs communautés villageoises déterminées. De telles zones sont gérées sur la base d'un accord de gestion communale conclu entre l'administration des forêts, le OU les conseils locaux qui ont la juridiction des zones concernées, et les résidents locaux souhaitant participer à titre individuel ou familial.»

Le rapport de la FAO et un mémorandum récent du Centre des régimes fonciers dégagent une lacune plus fondamentale de la nouvelle loi. Le concept de «jouissance» et ses effets incitatifs pour les communautés n'existent pratiquement pas dans la nouvelle loi. En outre, la 10; amalgame toutes les forets privées et communales avec les forêts d'Etat, dans un «domaine forestier» sur lequel l'Office des forêts reçoit des pouvoirs très étendus.

Au cours d entretiens, les forestiers évoquent toute la gamme des possibilités mais en général ils sont fa, arables au maintien de la gestion des forêts par l'Etat ou par des entreprises commerciales, des forestiers qui ont quitté l'administration créent des entreprises de ce genre et cherchent du travail auprès de leurs anciens collègues. Certains soutiennent que la gestion communale des forêts est difficile, en partie à cause de l'absence de lois définissant convenablement la structure et les pour airs de la comuna et des autorités villageoises.

La foresterie de propriété commune en Albanie semble donc offrir actuellement un potentiel restreint en raison des limites institutionnelles et de l'attitude générale des services publics. Cependant, c'est un concept qui mérite d'être étudié et mis à l'épreuve e pour que les villages de montagne arrivent un jour à la viabilité économique. Les autorités affirment aux visiteurs dans ces zones de pauvreté que ces communautés sans ressources ont besoin de subventions alimentaires depuis de nombreuses années. Or, le visiteur, contemplant les montagnes environnantes riches en ressources forestières et minérales, a l'impression que ces communautés sont démunies au milieu des richesses, en ce sens que l'accès et le contrôle des ressources qui les entourent leur ont toujours été refusés.

Des syndicats d'actionnaires ont également été créés à la suite de l'échec d'essais de petite exploitation forestière. Dans le Huaihua, une grande partie du redimensionnement d'unités économiques non viables se fait par transfert à des ménages spécialisés, mais Liu Shouying (1992) relève aussi la création de syndicats d'actionnaires: «Fréquemment, un collectif, une entreprise ou une institution gouvernementale fait fonction d'organisateur; les agriculteurs deviennent actionnaires en apportant leurs propres terres montagneuses, et le financement de la mise en valeur est assuré par le fonds de reboisement de l'Etat Ainsi, les actions d'une exploitation forestière peuvent être classées en actions de terre, de travail, de capital et d'accumulation, les actions de terre et de travail représentant les pourcentages les plus élevés.» Cette citation donne une idée de l'extraordinaire mélange d'initiatives publiques et privées mis en jeu dans ces efforts de développement.

De tels mécanismes peuvent se mettre en place à partir de fermes d'Etat, suivant un processus de décentralisation de la gestion qui ne touche pas les droits de propriété de l'Etat Dans le Bureau des forêts de l'Etat de Weihe (province de Heilongjiang), les réformes ont maintenu la propriété de l'Etat mais ont alloué des parcelles de terres forestières à des ménages travaillant à l'exploitation. Les ménages exploitent ces parcelles à des fins multiples, y compris la production d'une grande variété de produits forestiers non ligneux (par exemple, les herbes médicinales), et leurs revenus ont fortement augmenté. Les entreprises d'achat et de transformation du bois d'œuvre et de divers autres produits sont progressivement organisées en centres financièrement autonomes (Bureau des forêts de Weihe, 1987).

Entre l'agroforesterie familiale et les syndicats d'actionnaires, il existe toutefois toute une gamme d'options institutionnelles pour les entreprises privées spécialisées en foresterie. Certaines activités sont lancées par des ménages qui ont reçu à bail de leur collectivité des superficies importantes de terre forestière, et/ou qui accumulent des terres forestières par acquisition en acquérant des baux. Lorsqu'elle augmente son volume d'opérations, l'entreprise peut engager de la main-d'œuvre, ou bien regrouper plusieurs ménages, ce qui est le cas le plus fréquent. Les ménages peuvent s'organiser de façon peu structurée et collaborer aux activités en fonction des besoins, ou bien ils peuvent mettre leurs ressources en commun et assigner à chaque ménage des tâches précises. L'organisation sous forme de partenariat existe également (Howard 1987). Ce type d'organisation et ses modes de fonctionnement sont un domaine important qui mérite d'être étudié plus longuement.

La grande diversité des formes institutionnelles possibles selon la loi chinoise aujourd'hui découle de la promulgation par le Conseil de l'Etat de réglementations sur l'inscription des entreprises industrielles et commerciales (7 juillet 1982) (Rui Mu, 1983). Des formes d'organisation sont créées par «charte», accord entre les parties concernées qui est officiellement enregistré. Ces entreprises sont créées par voie d'inscription. L'inscription doit indiquer au minimum, le ou les noms des fondateurs de l'entreprise, son champ d'activité, sa capitalisation et le nombre de ses employés. Des efforts sont en cours au niveau provincial pour dégager des modèles de l'expérience pratique de ces chartes, et des cadres juridiques plus généraux applicables aux différents types d'entreprise rurale sont élaborés sur la base de cette expérience (Banque mondiale, 1988).

Conclusions

Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience chinoise de gestion de propriété commune? Dans le secteur public, le cadre juridique bien défini de la coopérative économique de village et sa propriété clairement établie de la terre ont permis la mise en exploitation forestière rapide des terrains montagneux. En ce qui concerté les organismes privés, la situation juridique est loin d'être aussi nette. Toutefois, selon la culture juridique chinoise l'«absence de loi» n'empêche pas mais plutôt facilite l'expérimentation, et celle-ci semble avoir été très riche pendant cette période de profond changement. Ainsi, les expériences locales de syndicats d'actionnaires contrastent favorablement avec les expériences de systèmes juridiques plus formels dans lesquels l'Etat ne reconnaît la valeur de l'action locale que si elle s'insère facilement dans une gamme restreinte de formes, générales et peut-être inadaptées, d'organisation reconnues par la loi. Les contrats ont joué un rôle majeur en comblant les lacunes à la fois de la loi sur la propriété et de la loi sur les associations, et les chartes et accords ont été utilisés pour définir des institutions et les baux utilisés pour établir des accords fonciers «sur mesure».

En revanche, les participants à ces expériences ont souvent vu leurs espérances compromises par les hésitations et la confusion politiques sur les limites admissibles de l'expérimentation (Zeng Hu, 1994). Les directeurs de projets ont dû travailler dans un contexte incertain où les changements politiques à l'intérieur du parti peuvent soudain freiner, puis encourager les expériences. Une telle atmosphère tend, en fin de compte, à décourager l'action collective et les régimes de propriété commune, qui sont plus complexes à gérer qu'une exploitation familiale et comportent des activités agroforestières. Il est nécessaire aujourd'hui d'établir un cadre juridique plus formel, à la fois pour unifier les formes d'organisation et les droits de propriété, et pour les protéger des fluctuations politiques et des tentatives de réglementation excessive du gouvernement qui minent l'autonomie et les incitations nouvelles.

De plus, malgré l'apparition de nouvelles formes d'organisation et de régimes fonciers plus variés, le gouvernement toujours la volonté de réglementer de manière précise les entreprises économiques. Les activités forestières sont souvent très sévèrement réglementées à la fois par la loi nationale et par les décisions locales. La Loi sur les forêts de 1982 n'impose pas de permis pour la coupe d'arbres dispersés sur une exploitation mais, s'il s'agit de terre sous contrat de foresterie, un permis de coupe est nécessaire (art. 28). Cette obligation s'applique à la fois aux ménages et aux communautés. Des dispositions détaillées concernant ces permis sont énoncées dans les règlements d'application de la Loi sur les forêts de la République populaire de Chine de 1986. Les activités forestières doivent être approuvées au niveau du canton ou à un niveau supérieur, et les exploitations d'une superficie de plus de 2 000 mu (13,4 ha) doivent obtenir l'approbation du Conseil de l'Etat (art. 1). L'abattage des arbres est également assujetti à autorisation, sauf dans le cas de coupe de bois de feu sur les «montagnes gérées par le paysan lui-même» (art 8, par. 17-18). Ces dispositions concernant les permis et d'autres mesures réglementaires ont été considérées comme risquant de compromettre l'autonomie de gestion théorique acquise grâce à la création de nouvelles formes d'entreprise et de nouveaux droits de propriété (Menzies et Peluso 1991).

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