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La stratégie de la FAO pour l'utilisation durable des ressources fourragères localement disponibles

R. Sansoucy

L'auteur est Fonctionnaire principal (ressources fourragères),
Service de la production animale, Division de la production et de la santé animales, FAO, Rome, Italie.


Le contexte
Priorités et objectifs
Les principes de l'alimentation des animaux dans les pays en développement
Les activités de la FAO pour l'utilisation durable des ressources localement disponibles
Un nouveau système d'information sur les aliments du bétail
Perspectives
Références

La population de toutes les catégories de bétail a considérablement augmenté durant les trois dernières décennies (FAO, 1993b). Cependant, cet accroissement a été beaucoup plus important pour les animaux monogastriques (porcs et volailles) que pour les ruminants (bovins, caprins et ovins), et leur nombre a crû 3 à 4 fois plus vite dans les pays en développement que dans les pays développés.

Le doublement de la population humaine est prévu dans les prochaines décennies et cette augmentation aura lieu surtout dans les pays en développement. Pour nourrir cette population supplémentaire, il y aura besoin de plus de terres consacrées aux cultures vivrières et de rente. Cela réduira la disponibilité des terres pour les pâturages et les fourrages. Mais d'un autre côté, cela fera davantage de résidus de récolte et de sous-produits agro-industriels disponibles, dont beaucoup représentent d'excellentes sources d'aliments pour les animaux.

Ces tendances auront une forte influence sur la disponibilité et la demande futures de ressources fourragères, et détermineront les systèmes d'alimentation à adopter.

Le contexte

Les petits paysans pauvres constituent le groupe cible de notre programme. Toutes les contraintes qu'ils subissent doivent être prises en compte. La situation de ces paysans peut se caractériser de la façon suivante:

· Quand il ne s'agit pas de paysans sans terre, ces paysans possèdent de la terre de mauvaise qualité ou bien des terrains en pente qui, même si le paysan en avait les moyens, ne pourraient pas être exploités par la mécanisation. Ces petits paysans doivent donc utiliser leur terre le mieux possible, souvent de façon intensive, compte tenu des moyens disponibles. De plus, ils vivent souvent dans des zones à forte densité de population, ce qui les oblige à privilégier la production vivrière au détriment de la production fourragère.

· L'absence de formation technique, associée au manque de capital, nécessite le développement de technologies appropriées et suffisamment simples, pour que le petit paysan soit en mesure de les appliquer. Cependant, sa capacité à comprendre les problèmes ne doit pas être sous-estimée. Il connaît très bien les conditions locales et ses contraintes. De plus, il possède un bagage impressionnant de connaissances traditionnelles développées au cours des générations, que le vulgarisateur et le scientifique auraient intérêt à examiner avant de lui dispenser leurs conseils.

· Les petits paysans ne peuvent pas beaucoup investir pour leurs animaux, d'autant plus qu'il existe très peu d'institutions disposées à leur accorder un prêt à cet effet. Une exception remarquable est cependant constituée par la Banque Grameen, au Bangladesh, qui a connu un très grand succès auprès des paysans sans terre en leur accordant presque la moitié des prêts pour l'achat d'animaux. Cet exemple devrait être suivi car, avec une très petite somme d'argent, le petit paysan peut acquérir des intrants qui peuvent améliorer sa production, son revenu ou ses conditions de vie (achats de compléments pour ses animaux, construction d'un biodigesteur pour le biogaz).

· Enfin, à l'échelle nationale, les difficultés croissantes pour disposer de devises étrangères et le coût élevé du service de la dette extérieure qui affligent de nombreux pays en développement ont amené ces pays à réduire leurs importations d'aliments du bétail spécialement pour les animaux monogastriques. Des pays exportateurs de pétrole qui, par contre, avaient établi une infrastructure industrielle à haute technologie pour la production d'aliments pour le bétail, basée principalement sur des ingrédients d'importation, ont connu de grandes difficultés: lorsque les prix du pétrole sont revenus à des niveaux moins favorables pour eux, ces pays ont dû compter de plus en plus sur leurs propres ressources. Il s'ensuit un besoin urgent de promouvoir des systèmes d'alimentation durables basés sur les ressources locales.

Priorités et objectifs

Développer des systèmes d'alimentation intégrés

Le petit paysan est rarement spécialisé en élevage. Au contraire, il pratique l'agriculture polyvalente. Il cultive différentes cultures vivrières pour satisfaire les besoins de la famille et, si possible, des cultures de rente. Il élève aussi plusieurs types d'animaux: grands et/ou petits ruminants (bovins, buffles, chèvres et moutons), petits herbivores (lapins, cochons d'Inde et rongeurs) et monogastriques (porcs et volailles).

Dans ce contexte, le rôle du bétail va bien au-delà de la production de nourriture. Parmi ses multiples fonctions, le bétail sert de traction animale pour l'agriculture et le transport; il fournit du cuir et des peaux, de l'engrais, du combustible, et constitue, entre autres, une sorte d'assurance ou de réserve bancaire. Si l'on tient compte du rendement total de ces produits, ces animaux sont hautement productifs. Dans ces conditions, le paysan ne cherche pas à obtenir la production optimale d'un produit particulier tel que le lait ou la viande. C'est pourquoi il n'a aucun intérêt à utiliser des races d'animaux hautement spécialisées (telles que les races européennes), dont le coût, même en termes nutritionnels, représenterait une charge trop lourde pour son budget.

Il est donc nécessaire de développer des systèmes agricoles intégrés, qui tiennent compte de la complémentarité des productions: agriculture, élevage et pêche. Par exemple, les animaux peuvent utiliser les résidus de récoltes (pailles de céréales, tiges de sorgho et de mais, têtes de canne à sucre, et tiges et feuilles d'arachide). Par contre, le bétail fournit la traction animale nécessaire pour le labour et également pour le transport des récoltes; il produit le fumier, utilisé comme engrais et conditionneur de sol ou encore comme source d'énergie directe - avec les bouses séchées - ou indirecte - à travers un biodigesteur pour produire du biogaz. L'effluent du biodigesteur peut également être utilisé comme engrais ou, éventuellement, comme aliment pour les poissons, s'il y a un étang adjacent à l'étable. Les plantes aquatiques (azolla et lemna) constituent, enfin, une excellente source de protéines pour le bétail. Certains résidus de récolte (bois des arbres fourragers, bagasse) peuvent aussi être employés tels quels comme combustible ou transformés en gaz pauvre pour la fourniture d'électricité au village.

Adapter les systèmes de production aux ressources localement (ou potentiellement) disponibles

L'expérience de plus de trois décennies de projets internationaux qui avaient pour but d'assister les pays en développement a démontré que le transfert direct de technologie à partir des pays développés avait échoué dans le secteur de la production animale comme dans les autres secteurs. Dans la meilleure des hypothèses, ce transfert de technologie a, dans certains cas, conduit à l'autosuffisance pour certains produits (viande de porc ou de volaille, œufs) mais jamais à l'autonomie. Ces systèmes ont généralement été basés sur des niveaux élevés d'importations de: capitaux, aliments, animaux à haut potentiel génétique, équipement et assistance technique. En particulier, les importations d'aliments pour le bétail ou des ingrédients qui entrent dans leur composition, ont considérablement augmenté durant les 30 dernières années (voir tableau). Ces transactions se situent actuellement entre 10 et 15 milliards de dollars, ce qui représente un enjeu considérable sur le marché international. De plus, ces importations ont souvent été hautement subventionnées, détournant ainsi des capitaux déjà très limités - qui auraient pu être mieux utilisés pour favoriser la production nationale. Cela a maintenu la dépendance des pays en développement vis-à-vis de l'extérieur.

L'utilisation des céréales et des protéines oléagineuses en alimentation animale dans les pays en développement - Utilization of cereals and oil-meal proteins in animal feed in developing countries - Utilización de cereales y proteínas oleaginosas en la alimentación animal de los países en desarrollo

Source: FAO. 1993a.

De plus, les systèmes intensifs qui ont contribué à développer le chômage et à accroître la pollution dans les pays développés ne constituent pas forcément un excellent modèle à suivre pour les pays en développement. Il; est donc nécessaire de développer des technologies appropriées qui utilisent autant que possible les ressources locales, y compris les connaissances traditionnelles des paysans. En ce qui concerne l'alimentation du bétail, de nombreuses ressources sont insuffisamment connues ou mal exploitées et mériteraient d'être plus étudiées.

Le principe fondamental consiste à développer des systèmes d'alimentation basés sur des aliments produits, traités et utilisés à la ferme. C'est le cas, par exemple, du jus extrait de la canne à sucre pour l'alimentation des porcs. Les dépenses en intrants et en produits d'importation sont a ors réduites au minimum. Des économies considérables sont effectuées en termes de traitement et de transport des ingrédients. La plus-value qui résulte de la transformation des différents produits accroît les revenus du paysan. L'activité de recyclage des nutriments favorise la création d'emplois et le maintien de la population rurale.

Augmenter le revenu et améliorer le bien-être des petits paysans, en particulier dans les zones marginales

Afin d'être acceptée par les bénéficiaires, l'application de nouvelles technologies doit assurer des résultats économiques solides. L'augmentation de la productivité animale n'a pas de sens si les efforts du paysan ne sont pas récompensés par un accroissement de son revenu et une amélioration de ses conditions de vie, Comme la situation varie d'une région à l'autre, il est nécessaire d'avoir toute une gamme de technologies parmi lesquelles le paysan peut choisir celle qui lui convient le mieux Selon ses conditions locales. L'approche intégrée qui associe sur la même ferme différentes espèces animales et végétales i pour l'obtention de différents produits, tels que: aliments pour l'homme et pour les animaux, engrais et énergie, est un outil essentiel pour améliorer le rendement économique des ressources locales au niveau des petits paysans. L'approche intégrée est donc, en général, beaucoup plus appropriée que l'approche par productions spécialisées.

Protéger l'environnement

Les petits paysans sont souvent situés dans des régions où l'environnement est précaire à cause du surpeuplement ou de la sécheresse. Souvent, ils pratiquent l'agriculture sur des terrains en pente, où les risques de provoquer l'érosion des sols sont fréquents. Cela mène à aborder un autre sujet fondamental qui est la préoccupation croissante pour les problèmes d'ordre écologique.

La forte pression sur la terre due à l'augmentation de la population rend nécessaire la protection de cet environnement. Plusieurs mesures liées à l'alimentation animale peuvent avoir un effet bénéfique. Cela comporte, entre autres, d'éviter le surpâturage et l'érosion des sols qui s'ensuit; d'établir des haies anti-érosives à base de plantes fourragères le long des lignes de pente; de limiter la pollution atmosphérique en évitant de brûler les résidus de récolte qui peuvent servir de fourrage pour les animaux; de recycler les sous-produits industriels au lieu de les laisser polluer l'environnement et, enfin, de développer l'exploitation des arbres fourragers, ce qui, d'une part, préserverait les sols contre l'érosion et, d'autre part, découragerait la déforestation.

Les principes de l'alimentation des animaux dans les pays en développement

Utilisation maximale de la biomasse disponible dans la ration de base

De nombreux pays en développement, et en particulier ceux situés dans les tropiques humides, ont l'avantage de produire des quantités élevées de biomasse. Les ruminants ont la capacité d'utiliser les produits fibreux qui, autrement, seraient perdus (parcours, résidus de récolte, feuilles d'arbres). De cette façon, ils ne sont pas en compétition avec l'homme ni avec les animaux monogastriques. Cette biomasse est généralement bon marché et représente la ressource fourragère la plus économique pour les ruminants. De plus, elle est facilement accessible aux petits paysans.

En ce qui concerne l'utilisation des parcours, il faut prendre soin d'adapter la charge animale à la capacité de production de ces parcours (en particulier pour les parcours communaux). D'autre part, l'établissement de pâtures sur des sols rendus fragiles par la déforestation a créé de sérieux problèmes dans plusieurs régions du monde. L'utilisation des arbres fourragers et de plantes pérennes qui assurent une bonne couverture du sol est un moyen de protéger ces sols tout en produisant des fourrages de bonne qualité.

Les résidus de culture représentent une part de plus en plus importante de la ration des ruminants dans les pays en développement (Chine) - Crop residues are used increasingly as ruminant feed in developing countries (China) - Los residuos de los cultivos representan une parte cada vez más importante de la ración de pienso de los rumiantes en los países en desarrollo (China)

Les arbres fourragers, bien exploités, représentent une source énorme de protéines pour le bétail (Colombie) - Carefully tended fodder trees represent an enormous source of protein for livestock (Colombie) - Los árboles forrajeros, bien explotados, constituyen une enorme fuente de proteínas para el ganado (Colombia)

Les feuilles des arbres fourragers sont également appréciées par les porcs (Colombie) - Fodder tree leaves are also palatable to pigs (Colombie) - Las hojas de los árboles forrajeros son igualmente apreciadas por los cerdos (Colombia)

Complémentation appropriée afin d'optimiser la ration de base

La plupart des ressources fourragères communément disponibles sous les tropiques sont déséquilibrées (riches en fibres, pauvres en azote, minéraux et vitamines). Elles nécessitent une complémentation appropriée, pour fournir, d'une part, suffisamment d'azote pour le développement de la microflore du rumen (l'urée est la source d'azote soluble la plus commune et est disponible dans la plupart des pays en développement, car c'est un engrais traditionnel pour le riz et la canne à sucre), et, d'autre part, des protéines «vraies» qui peuvent échapper à la dégradation ruminale pour alimenter l'animal hôte et assurer une production suffisante. Parmi les sources de protéines dégradées au niveau de l'intestin (PDI), on trouve les tourteaux d'oléagineux, tels que les tourteaux de coton ou de soja, mais aussi les feuilles de plusieurs arbres fourragers (de préférence, les plus pauvres en tannins - un excès de tannins peut rendre les feuilles peu appétissantes et la protéine totalement indigeste). Enfin, un apport modéré de fourrage vert de bonne qualité peut avoir également un effet significatif sur l'utilisation des fourrages pauvres et sur la production.

Le cas des animaux monogastriques

L'alimentation des animaux monogastriques a rarement été mise en question, car le système maïs-soja était adopté partout et, par conséquent, très peu d'efforts de recherche ont été faits pour trouver des systèmes alternatifs. On note aussi que le seul organisme international de recherche qui travaille exclusivement sur l'élevage n'a jamais inclus les animaux monogastriques dans ses programmes. Cependant, le développement du système industriel de production intensive basé sur le modèle des pays développés s'est fait au prix de l'importation de la plupart des intrants et a contribué à l'accroissement de la dette extérieure. Dans les années 1970-1972, les pays en développement étaient exportateurs nets de près de 4 millions de tonnes de grains, tandis qu'à la fin des années 80, ils étaient devenus importateurs nets de 34 millions de tonnes, sur une importation totale de grains de 45 millions de tonnes (FAO, 1993b). Les importations d'aliments pour animaux dans les pays en développement représentent actuellement plusieurs milliards de dollars, qui pourraient être économisés si l'on adoptait des systèmes d'alimentation appropriés.

Il est urgent de développer des systèmes alternatifs d'alimentation basés sur des plantes à hauts rendements, telles que la canne à sucre, les racines et tubercules (manioc, patate douce), le palmier à huile, etc., complémentées avec du soja, des plantes aquatiques et des feuilles d'arbres fourragers, qui peuvent aussi être produits à la ferme. L'ensilage de déchets de poisson avec de la mélasse peut également produire une excellente source de protéines.

Les activités de la FAO pour l'utilisation durable des ressources localement disponibles

Le développement et la dissémination des technologies appropriées

Le Groupe des ressources fourragères de la FAO a été particulièrement actif dans ce domaine ces dernières années. Avec l'aide des scientifiques, des enseignants, des vulgarisateurs et des paysans des pays en développement, de nouvelles technologies et des systèmes d'alimentation ont été développés et diffusés, notamment:

· Les blocs multinutritionnels: à l'origine à base de mélasse et d'urée, ils ont fait l'objet d'une nouvelle technologie de fabrication (Sansoucy, 1986). Cette technologie utilise un procédé «à froid», par opposition au système industriel «à chaud», ce qui réduit considérablement les frais d'investissement initial et les coûts d'opération. De nouveaux liants ont été utilisés: ciment, chaux vive ou éteinte, ou même argile (de la même qualité que celle que l'on utilise pour la fabrication des briques). De nouveaux blocs sont actuellement fabriqués sans mélasse, ce qui facilite leur fabrication dans les pays n'ayant pas d'industrie sucrière (Sansoucy, 1995). Ils peuvent être fabriqués manuellement à la ferme.

· Le traitement ammoniacal de la paille: développé d'abord au Bangladesh, dans le cadre de la coopération bilatérale avec le Danemark (Dolberg et al., 1982), ce système a été adapté aux conditions locales de nombreux pays et est actuellement largement répandu (Dolberg et Finlayson, 1995; Sourabié, Kayouli et Dalibard, 1995). Cette technologie utilisant l'urée comme générateur d'ammoniac est parfaitement adaptée aux conditions tropicales et de plus facile adoption par les petits paysans, par rapport au système utilisant l'ammoniac anhydre (Chenost et Kayouli, 1995).

· Le jus de canne à sucre: base de la ration des monogastriques, ce produit a été testé dans le cadre d'un projet du Programme de coopération technique de la FAO (PCT) en République dominicaine, puis dans plusieurs pays d'Amérique tropicale et des Caraïbes (Mena, 1987; Sansoucy, Aarts et Preston, 1988). Cette technique est à présent utilisée dans maints pays de cette région ainsi qu'en Asie (Preston, 1995).

· Les arbres fourragers: ils sont employés comme complément protéique pour les ruminants nourris sur pâturages naturels et/ou à base de résidus de récolte et également pour les monogastriques alimentés à base de jus de canne à sucre (Speedy et Puglièse, 1992). Le potentiel des arbres fourragers est considérable et encore très loin d'être exploité au niveau où il devrait l'être (Leny, 1995).

· L'allaitement restreint des jeunes veaux, méthode plus ou moins traditionnelle dans de nombreux systèmes d'élevage (Preston et Ugarte, 1972), a été étudié et amélioré dans plusieurs pays (Colombie, Cuba, Maurice, Pakistan et Seychelles). C'est un excellent moyen d'améliorer la production laitière des vaches à double fin, ainsi que la croissance et la santé des jeunes veaux.

Des études plus récentes ont porté sur:

· La fabrication d'ensilage de déchets de poisson et de mélasse, comme un moyen simple de préserver une source de protéines de qualité pour les monogastriques et les ruminants (Perez, 1995). Cette technologie a été testée dans des institutions aux Barbades, à la Trinité-et-Tobago et à Cuba et, ces dernières années au Maroc, aux Philippines et au Viet Nam.

· L'utilisation d'huile de palme comme aliment énergétique pour les porcs: initialement testée en Malaysie (revendra et Hew, 1978), puis en Colombie (Ocampó, 1992) elle est maintenant employée au Bénin et en Côte d'Ivoire Un symposium international d'experts a été organisée en Malaisie en mai 1995 sur ce sujet (Mahyuddin et al., 1995). Il a permis de mettre en évidence les différentes possibilités d'intégration de la production animale dans les plantations de palmiers à huile.

Il faut souligner que toutes ces technologies sont le produit d'une collaboration locale entre experts et paysans, et ont été développés dans les conditions où elles auront à être appliquées. Dans certains cas, nous nous sommes limités à identifier un travail original fait par des chercheurs locaux et avons d'abord essayé de les aider à l'améliorer en station, puis, dès que possible, de les tester dans les fermes. Quand ces technologies se sont révélées efficaces, elles ont été diffusées à grande échelle dans le pays et dans d'autres pays présentant des conditions similaires. Elles ont alors été incorporées dans un système de production intégré basé sur les ressources localement (ou potentiellement) disponibles, en tenant compte des différents facteurs de production.

Le programme de terrain (projets et réseaux)

Aucune technologie n'est valable si elle ne peut être appliquée. Après l'avoir testée suffisamment, il est nécessaire de l'appliquer à grande échelle et d'en faire bénéficier le plus grand nombre possible de paysans. A cette fin, la FAO dispose de différents moyens pour déployer des activités de recherche, de formation et de vulgarisation.

Le Groupe des ressources fourragères anime actuellement trois réseaux dans différentes parties du monde. Ces réseaux sont destinés à mettre en contact des chercheurs et agents de développement de différents pays travaillant sur les mêmes sujets, qui peuvent ainsi partager leurs expériences et résoudre plus facilement leurs problèmes ensemble. Ces échanges se font grâce à des réunions, ateliers de travail, séminaires, voyages d'études, expériences entreprises sur les mêmes sujets dans les différents pays, bulletins de liaison, courrier électronique. Ces trois réseaux sont ainsi constitués:

· un réseau pour une meilleure utilisation de la paille et autres résidus fibreux par le traitement ammoniacal et la supplémentation, établi dans six pays du bassin méditerranéen: Algérie, Egypte, Jordanie, Maroc, Syrie et Tunisie;

· un réseau d'informations sur l'utilisation de la canne à sucre et d'autres ressources fourragères localement disponibles pour l'alimentation animale qui couvre 24 pays d'Amérique tropicale et des Caraïbes;

· un réseau pour une meilleure utilisation des ressources fourragères locales et pour une agriculture durable basée sur la production animale en Asie qui couvre cinq pays: Cambodge, Chine, Laos, Philippines et Viet Nam.

Un réseau global est en préparation pour la collecte, le traitement et la diffusion de l'information sur les systèmes d'alimentation animale, utilisant des documents informatisés et le courrier électronique.

Les projets sont essentiels pour assister les pays en développement dans l'aide aux petits paysans. Ils constituent un moyen de fournir différents apports essentiels. L'assistance technique est capitale, mais la formation à l'intérieur comme à l'extérieur du pays est également importante, et il faut pouvoir disposer d'un équipement de base, si nécessaire. Toutefois, pour être efficace, un projet doit être soigneusement préparé avant sa mise en œuvre. La préparation d'un projet comprend les étapes suivantes:

· Avant tout, l'identification des contraintes locales s'effectue à travers une mission dans le pays demandeur par un spécialiste du Siège ou un consultant chargé de contacter les personnes responsables, les scientifiques, les vulgarisateurs et les paysans, afin d'analyser la situation et d'identifier les problèmes à résoudre et d'en envisager les solutions.

· Il peut alors être nécessaire de tester en station la technologie recommandée par la mission. Dans ce cas, un petit contrat (lettre d'accord) est signé avec une institution locale qui effectue les tests et les travaux de recherche préliminaires.

· Quand la technologie s'est révélée apte à résoudre le problème, un petit projet pilote peut être mis en œuvre. Son but est de vérifier l'impact de la technologie sur les conditions réelles des petits paysans, et de mesurer sa capacité d'adaptation aux systèmes de production et d'alimentation existants tout en limitant les risques. Le Programme de coopération technique (PCT) de la FAO s'est révélé particulièrement efficace dans la solution de cas ayant un certain caractère d'urgence.

· Après l'étape de la vérification, une fois effectués les ajustements nécessaires, on peut passer à la vulgarisation de la technologie et du système d'alimentation à plus grande échelle, tout en tenant compte des différents facteurs qui affectent le système de production global, y compris la commercialisation du produit final. Dans ce cadre, il a été possible de coopérer avec différents projets financés par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), souvent au niveau d'une ou plusieurs provinces.

· Finalement, une fois que les projets doivent se développer à l'échelle nationale, leur financement pourrait exiger la coopération d'institutions de développement, telles que la Banque mondiale, le Fonds international de développement agricole (FIDA), ou les Banques régionales de développement.

Ces différentes étapes ont été suivies dans le cas de deux projets FAO/PNUD particulièrement réussis, portant sur l'engraissement des bovins en Chine (Dolberg et Finlayson, 1995), et sur le traitement des résidus de récolte au Niger (Sourabié, Kayouli et Dalibard, 1995). Au Niger, la seconde étape d'étude en station n'a pas été nécessaire, car la technologie appliquée était déjà reconnue. En Chine, toutefois, des essais ont été conduits en station, afin d'établir des courbes de croissance des bovins alimentés à base de paille traitée à l'urée selon des niveaux croissants de tourteau de coton. Ces essais ont fourni des informations très utiles aux services de vulgarisation, en ce qui concerne les aspects économiques de la complémentation.

Le jus de canne à sucre, extrait à l'aide d'une presse mue par la traction animale, peut remplacer les céréales pour nourrir les porcs (Colombie) - Sugar-cane juice extracted using an animal-driver press can replace cereals as pig feed (Colombia) - El jugo de la caña de azúcar, extraído con ayuda de une prensa accionada por tracción animal, puede reemplazar a los cereales en el pienso de los cerdos (Colombia)

Les plantes aquatiques (lentille d'eau) sont volontiers consommées par les monogastriques (volailles) - Aquatic plants (duckweed) are very palatable to monogastrics (poultry) - Las plantas acuáticas (lenteja de agua) son consumidas con gusto por los animales monogástricos (aves de corral)

Les plantes aquatiques (lentille d'eau) sont volontiers consommées par les monogastriques (porcs) - Aquatic plants (duckweed) are very palatable to monogastrics (pigs) - Las plantas acuáticas (lenteja de agua) son consumidas con gusto por los animales monogástricos (cerdos)

(Photos/fotos: R. Sansoucy, FAO)

Un nouveau système d'information sur les aliments du bétail

Le principal problème des pays en développement est le manque d'information sur la disponibilité de technologies appropriées et sur l'opportunité de communiquer leurs connaissances. La FAO a toujours considéré la solution de ces problèmes comme l'une de ses fonctions principales. Par exemple, le Système international d'information pour les sciences et la technologie agricoles (AGRIS) constitue un instrument de communication reconnu et une précieuse source d'information pour les pays en développement.

Depuis 1991, le Groupe des ressources fourragères, avec l'aide d'un consultant, a produit une version informatisée des «Aliments du bétail sous les tropiques» (Speedy, 1994). Ce livre - actuellement épuisé et dont la réimpression serait très coûteuse - comptait 530 pages dans sa version originale (Gohl, 1981). Il est maintenant distribué sous forme de disquette, ce qui présente beaucoup d'avantages: à part la réduction du poids (de 1 090 g à 25 g seulement) qui facilite son transport et réduit les coûts de distribution, son coût de production est réduit considérablement. Il peut être aisément consulté sur un ordinateur, grâce à un programme d'utilisation très simple. Il peut être facilement mis à jour, dès qu'une nouvelle information se révèle d'une certaine importance.

Une revue informatisée, Livestock Research for Rural Development (Recherche sur l'élevage pour le développement rural) - utilisant un logiciel similaire programmé par le même expert - est actuellement publiée, avec l'assistance de la FAO, par le Centre de recherche sur les systèmes de production durables (CIPAV), ONG basée à Cali, en Colombie. Elle est distribuée sous forme de disquette et est directement accessible sur le réseau INTERNET. Elle est composée d'articles écrits par des scientifiques travaillant dans les pays en développement, où elle a une grande diffusion (environ 1 500 abonnés). Elle constitue un instrument précieux pour la diffusion des résultats de travaux concernant l'alimentation animale sous les tropiques.

Un autre moyen de communication très important est le courrier électronique. Il est de plus en plus répandu, même dans les pays en développement. Grâce à sa flexibilité, à sa rapidité et au coût assez contenu de son installation et de son utilisation, il constitue un instrument particulièrement performant pour les échanges d'information entre scientifiques et agents de développement à l'échelle mondiale. Il est possible de consulter des groupes d'experts (panels) pour discuter de différents sujets et obtenir les informations les plus récentes sur des arguments précis. Le Groupe des ressources fourragères a constitué, depuis plusieurs années, un groupe d'experts qui le conseille régulièrement sur la préparation et la mise en œuvre de ses programmes.

Une récente initiative est représentée par la première Conférence électronique de la FAO sur les aliments et les systèmes d'alimentation animale sous les tropiques. Elle est conduite en coopération avec l'Université d'Oxford et a débuté en février 1995 pour une durée de cinq mois. Quelque 200 spécialistes d'une cinquantaine de pays, dont les trois quarts sont des pays en développement, participent à cette conférence; son succès a dépassé les prévisions les plus optimistes. La Conférence a abordé différents sujets, en particulier les méthodes d'évaluation de la valeur nutritive des fourrages et l'utilisation de différentes ressources fourragères: canne à sucre, résidus de récolte et sous-produits agro-industriels, arbres fourragers et plantes aquatiques.

Perspectives

· L'étude sur l'utilisation des ressources locales sera bien entendu poursuivie et consentira l'introduction de nouvelles ressources ou l'exploitation, selon de nouvelles techniques, de ressources déjà connues, mais insuffisamment exploitées. A titre d'exemple, le jus de palmier à sucre (Borassus flabellifer) ou le jus de cocotier qui peuvent servir pour l'alimentation des porcs.

· Les systèmes d'alimentation seront de plus en plus orientés vers une intégration des productions végétale et animale, y compris, dans certaines régions, la production aquacole. Une attention spéciale sera réservée aux aspects économiques et organisationnels (en coopérant, par exemple, avec les associations d'éleveurs et les groupements de femmes).

· L'association entre la production animale et les cultures vivrières ou de rente recevra une attention particulière et notamment l'intégration de l'élevage dans les cultures de plantation. Le recyclage des éléments nutritifs dans le processus de production pour une économie d'énergie et de fertilisants sera envisagé autant que possible.

· On envisage d'établir bientôt un réseau global d'information sur les aliments et les systèmes d'alimentation du bétail. Au départ, ce réseau couvrira les tropiques mais on prévoit de l'étendre, par la suite, à l'ensemble des régions du monde. Ce réseau permettra de relier les scientifiques du monde entier travaillant dans ce domaine. Tout particulièrement, il aura la fonction permanente de maintenir la base de données actuellement constituée à partir du livre «Les aliments du bétail sous les tropiques» (Gohl, 1981), remise à jour récemment.

· Compte tenu des restrictions budgétaires actuelles, on prévoit de réduire le coût des publications grâce au recours plus fréquent aux documents informatisés. Outre le livre susmentionné, un numéro de la série Production et santé animales (nº 102, consacré aux arbres fourragers) est déjà disponible sur disquette. On envisage d'éditer d'autres revues informatisées, en suivant l'exemple de Production et Santé Animales.

· Pour les mêmes raisons budgétaires, au lieu des habituelles Consultations d'experts, de nouvelles conférences électroniques se rapportant à l'alimentation animale se tiendront, en principe, chaque année, sur des thèmes proposés par les participants eux-mêmes.

Références

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