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Utilisations du bois et des produits forestiers non ligneux par les habitants de la forêt amazonienne

J.C.L. Dubois

Quelques observations sur l'utilisation du bois et des produits forestiers non ligneux par les Indiens et les populations riveraines de la région amazonienne.

Jean C.L. Dubois est Président du Réseau d'agroforesterie du Brésil, organisation non gouvernementale à but non lucratif basée à Rio de Janeiro (Brésil).

Depuis des siècles les Indiens d'Amazonie vivent de cultures itinérantes, de la pêche, de la chasse et de la cueillette des produits de la forêt. Dans la région de transition entre la forêt amazonienne et la Cerrado (savane), les Indiens Kayapó ont effectué quelques boisements au moyen d'essences locales, notamment dans le but d'accroître leurs sources de bois et de produits non ligneux (Anderson et Posey 1987; Posey, 1985).

L'occupation portugaise du Brésil a commencé aux environs de 1500. Longtemps après l'arrivée des Européens, le caoutchouc et la noix du Brésil ont été les premiers produits non ligneux de la forêt amazonienne à être exploités sur une grande échelle comme cultures de rapport. La main-d'œuvre employée pour l'extraction du caoutchouc de Hevea brasiliensis dans les forêts naturelles provenait surtout du nord-est brésilien. A partir de 1840, plus de 500 000 personnes ont immigré en Amazonie pour travailler à l'extraction du caoutchouc. Le métissage de ces colons et de leurs descendants avec les Indiens et leur adaptation aux conditions locales ont abouti à la création de nouvelles communautés distinctes en Amazonie, principalement des caboclos ou populations riveraines (Franco, 1995). Malgré les combats fréquents qui les ont opposées aux Indiens dans le passé, ces communautés ont assimilé diverses techniques et connaissances des Indiens sur certains aspects de la forêt: plantes, cultures, faune, poisson, agriculture itinérante et plantes médicinales.

Principaux produits ligneux et non ligneux utilisés en Amazonie

Aujourd'hui encore, la population rurale amazonienne (caboclos et Indiens surtout) est largement tributaire des ressources forestières, et en particulier des produits non ligneux, pour se nourrir, s'habiller, s'abriter, etc. A l'époque précolombienne, les Indiens disposaient d'outils primitifs, ce qui limitait les possibilités de couper les arbres. Pour construire leurs habitations, ils utilisaient un minimum de bois dur et de grandes quantités de poteaux, troncs de palmier fendus (et non pas sciés), feuilles et fibres de palmier et fines lianes (Parodi, 1988). Dès l'arrivée des premiers Portugais, les Indiens ont pu disposer de meilleurs outils tels que des machettes et des haches et, plus récemment, quelques scies à moteur. Cela a permis aux Indiens et aux caboclos d'exploiter un bien plus grand nombre d'essences pour leur subsistance et pour les vendre.

En ce qui concerne les ressources non ligneuses, l'encadré de la page 9 énumère un nombre restreint d'utilisations de certaines des plantes forestières les plus importantes. Il est intéressant de constater que nombre de ces espèces sont encore plus importantes aujourd'hui qu'autrefois, surtout pour les populations riveraines, souvent trop pauvres pour acheter les produits du marché.

De nombreuses populations aquatiques dépendent des forêts riveraines pour leur alimentation (fruits, feuilles, etc.) ainsi que pour le maintien de l'environnement (FAO, 1986, Ribeiro, 1995).

Dans les forêts de basse et haute altitudes, les animaux sauvages et les oiseaux se nourrissent en partie de fruits et de semences comestibles ou de noix (Bagassa guianensis, Lecythis pisonis, Bertholletia excelsa et de nombreuses espèces de palmes), de fleurs (diverses Lecythidaceae) et d'insectes. Beaucoup de communautés amazoniennes - en particulier celles qui maintiennent les traditions ancestrales vivent essentiellement de la chasse et de la pêche en respectant les principes qui assurent la continuité de la base de ressources. Quand ces traditions se perdent ou sont délaissées, la chasse et la pêche sont de plus en plus déprédatrices et la base de ressources est détruite (Dubois, 1989).

Quelques produits végétaux non ligneux d'Amazonie recueillis par les populations forestières traditionnelles

Espèces et familles végétales

Caractéristiques

Principales utilisations non ligneuses

Acrocomia spp. Palmae (Arecaceae)

Palmes de taille moyenne à grande

Huile extraite des graines: fruits mûrs consommés par la population et par le bétail

Aniba duckei A. rosaeo-dora Lauraceae

Arbres de taille moyenne

Bois et feuilles riches en linalol (huile essentielle) utilisé dans les parfums

Astrocaryum spp. Palmae (Arecaceae)

Palmes

Nourriture pour les êtres humains, les animaux sauvages et domestiques (fruits); toitures en chaume; huile; fibre pour hamacs, filets de pêche et autres produits d'artisanat

Attalea speciosa (syn. Orbignya phalerata) Palmae (Arecaceae)

Grande palme

Exploitation massive des fruits (huile, savon, charbon): nourriture pour les êtres humains, composante dominante locale des jachères arborées; artisanat (fabrication de paniers), toitures en chaume; fourrage

Bactris gasipaes Palmae (Arecaceae)

Grande palme, très rarement à l'état naturel; généralement plantée par l'homme

Nourriture pour les êtres humains (fruits, cœurs de palmier): huile; nourriture pour les animaux domestiques et sauvages (fruits, jeunes feuilles)

Bertholletia excelsa Lecythidaceae

Grand arbre émergent

Noix pour les êtres humains, les animaux domestiques et sauvages

Carapa guianensis Meliaceae

Arbre moyen à grand

Huile extraite des graines utilisée essentiellement comme onguent médicinal mais aussi pour la fabrication de savon

Caryocar villosum Caryocaraceae

Grand arbre

Noix comestibles cueillies sur les arbres sauvages; mésocarpe utilisé localement pour remplacer le beurre

Caryodendron spp. Euphorbiaceae

Grands arbres forestiers

Nourriture pour les êtres humains (noix, huile); fourrage pour les animaux domestiques et sauvages

Copaifera spp. Leguminosae

Grand arbre

La résine huileuse extraite de l'arbre sans l'abattre a un marché constant au Brésil comme produit médicinal

Couma spp. Apocynaceae

Grands/petits arbres

Fruits pour les êtres humains et les animaux sauvages; latex laiteux pour la fabrication de chewing-gum et le calfatage des canots

Derris spp Lonchocarpus spp Tephrosia toxicaria Clathrotopis spp. Leguminosae

Buissons, arbustes grimpants, plantes grimpantes

Racines transformées produisant des substances ichtyotexiques utilisées dans la pêche; quelques plantes grimpantes produisent la roténone (insecticide)

Desmoncus spp. Palmae (Are caceae)

Palme grimpante

Utilisée pour attacher la pointe des flèches; artisanat; peut éventuellement remplacer le rotin

Dipteryx odorata Leguminosae

Grand arbre

Coumarine extraite des graines (fèves de tonka), utilisée dans les parfums

Erisma japura Vochysiaceae

Grand arbre

Nourriture pour les habitants des forêts (fruits; matière grasse extraite des graines)

Euterpe oleracea Palmae (Arecacese)

Grande palme élancée

22 usages différents pour toutes les parties de la plante

Euterpe precatoria Palmae (Arecacea)

Grand palmier élancé (terres arides)

Toitures en chaume; nourriture et boissons pour les êtres humains (fruits, cœurs de palmier)

Heteropsis spp Philodendron imbe (Araceae)

Plantes grimpantes

Utilisées par les habitants des forêts pour l'artisanat; peut remplacer le rotin

Ischnosiphon spp., Thalia spp. Maranthaceae

Plantes grimpantes

Utilisées par les habitants des forêts pour l'artisanat

Jessenia bataua Palmae ( Arecaceae)

Grande palme

Boissons; huile similaire à l'huile d'olive; matériel de chasse; artisanat (paniers)

Lecythis pisonis Lecythidaceae

Grande arbre

Noix comestibles; mangées surtout par les chauves-souris, les perroquets et les singes

Mauritia flexuosa Palmae (Arecaceae)

Grande palme

Nourriture et boisson pour les êtres humains (fruits; jeunes fleurs), cœurs de palmier; amidon de la tige, toitures en chaume; sucre (sève cristallisée); artisanat

Oenacarpus spp. Palmae (Arecaceae)

Palmiers grands et petits

Boissons sucrées riches en vitamines extraites des fruits; huile

Paullinia cupana var. sorbilis Sapindaceae

Arbuste grimpant

Graines transformées utilisées comme stimulant

Protium spp. Burseraceae

Arbres moyens à grands

Résine extraite de l'écorce et utilisée pour calfater les canots; fruits appréciés des oiseaux sauvages et des singes

Theobroma cacao Sterculiaceae

Petit arbre

Fruits (pulpe) pour les êtres humains et les animaux sauvages; graines utilisées par les habitants des forêts pour préparer du chocolat, liqueurs et sucreries

Theobroma grandiflorum Sterculiaceae

Arbre moyen à grand

Mêmes utilisations traditionnelles que Theabroma cacao

La maison d'une famille riveraine avec des palmiers Euterpe (Euterpe oleracea) dans une forêt secondaire de plaine inondable de l'estuaire de l'Amazone

De la cueillette à la gestion plus intensive des principales cultures forestières

Les communautés amazoniennes traditionnelles pratiquent les cultures itinérantes. Quelques exemples illustrent la façon dont la période de jachère entre les cycles de cultures peut être exploitée pour obtenir les produits désirés.

Les communautés indiennes qui vivent dans la partie intermédiaire du fleuve Putumayo dans l'Amazonie péruvienne et du fleuve Caqueta dans l'Amazonie colombienne, possèdent une vaste gamme de pratiques culturales. Parmi eux, les Matsé sont des nomades qui exploitent les jachères forestières spontanées, pratiquement sans aucune manipulation. Ils ne cultivent que quelques arbres fruitiers qui produisent la première ou la deuxième années, comme le pagayer (Carica papaya) et des variétés précoces de palmiers pêchers (Bactris gasipaes) inconnues des tribus plus sédentaires (Gasche, 1980).

Dans la même région, les Secoya changent de village moins fréquemment. Dans leurs cultures itinérantes sur brûlis, ils plantent des arbres fruitiers et des palmiers qui produisent après trois ou quatre années. Ces arbres continuent à pousser sur la jachère et les Secoya reviennent périodiquement pour chasser et cueillir des fruits. Cette pratique est une première étape vers l'aménagement des jachères arborées (Casanova, 1975; Casanova, 1980; Gasche, 1975; Gasche, 1980).

Pour certaines tribus, planter des arbres (par exemple, des palmiers pêchers) sur des brûlis ou de jeunes jachères est une façon d'obtenir des droits d'usufruit qui donnent la préférence à ceux qui plantent les arbres pour couper, brûler et utiliser les vieilles jachères pendant un nouveau cycle agricole.

Les Indiens Bora de l'Amazonie péruvienne (Dubois, 1990; Treacy, 1982) enrichissent certains brûlis d'arbres fruitiers à cycle long et d'essences polyvalentes (Bactris gasipaes, Pourouma cecropiifolia, Poraqueiba sericea, Chrysophyllum cainito, Inga spp.). Les Bora pratiquent aussi occasionnellement des sarclages sélectifs et des éclaircies pour favoriser la croissance des espèces utilisées pour le bois d'œuvre ayant le plus de valeur sur ces jachères, pour assurer par exemple la régénération naturelle de l'acajou (Swietenia macrophylla) et du cèdre acajou (Cedrela odorata). Ils se rendent de temps en temps sur les jachères pour recueillir des produits servant à la consommation locale. Le bois d'œuvre commercial et l'excédent de fruits sont vendus comme cultures de rapport.

Non loin d'Iquitos dans l'Amazonie péruvienne, les populations riveraines de Tanshiyacu exploitent intensivement les jachères arborées pour obtenir des cultures de rapport pérennes (Denevan et Padoch, 1987; Padoch et al., 1985). Les plantations servant à enrichir les brûlis incluent certaines espèces utilisées par les Indiens Bora (voir ci-dessus) et d'autres espèces pérennes comme les noix du Brésil (Bertholletia excelsa), les anacardiers (Anacardium occidentale) et l'euterpe (Euterpe precatoria). Ils vendent des fruits, des cœurs de palmier, de la viande, les peaux des animaux qu'ils ont chassés et du charbon à Iquitos. Ils produisent du charbon sur les vieilles jachères (25 à 50 ans) quand elles sont nettoyées pour y pratiquer des cultures temporaires.

Dans le bassin versant du Cajati (Amapá occidental, Amazonie brésilienne), les agriculteurs riverains pratiquant des cultures traditionnelles produisent des noix du Brésil dans des champs provisoires, non loin de leur habitation (observation personnelle de l'auteur sur le terrain). Cela leur évite d'avoir à parcourir de longues distances jusqu'aux peuplements de noyers du Brésil beaucoup plus vastes et anciens, situés au-delà des rapides du fleuve.

Toutefois, les pratiques d'exploitation forestière destructives sont de plus en plus fréquentes en Amazonie. Certaines espèces sont déjà menacées ou soumises à une érosion génétique grave. C'est le cas notamment de Aniba spp. (pau rosa) riche en linalol, des arbres à écorce médicinale (Croton cajucara - sacaca, cajussara) et des arbres produisant des résines ou des huiles résineuses commercialisées (Copaifera spp. - copaíba; Couma spp. - sorvas; Manilkara spp. massaranduba). Les peuplements d'euterpe (Euterpe oleracea) sont souvent surexploités localement et parfois des bosquets entiers sont abattus pour produire des cœurs de palmier.

D'autre part, un volume croissant de travaux de recherche-développement est effectué en Amazonie, surtout dans les Etats de Para et Amapá où plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) et des projets sous l'égide d'universités s'efforcent de promouvoir l'aménagement durable des forêts marécageuses secondaires avec une dominante de palmiers Euterpe spp.

L'adoption de jachères arborées améliorées, à partir de plantations enrichies sélectives d'espèces pérennes sur des brûlis, doit être encouragée dans la mesure du possible dans les zones frontières de l'Amazonie (Dubois, 1988) où les nouveaux habitants ignorent le potentiel productif des jachères améliorées. La figure ci-dessous illustre les différentes étapes des jachères arborées spontanées et améliorées.

FIGURE. Différentes étapes dans les jachères arborées spontanées et améliorées

Depuis les années 60, les forêts des plaines inondables du delta de l'Amazonie et les basses terres inondées avoisinantes sont exploitées pour leurs ressources commerciales en bois d'œuvre (Virola surinamensis, Carapa guianensis et Ceiba pentandra. L'exploitation du bois d'œuvre a laissé des vides plus ou moins grands qui ont été colonisés par le palmier euterpe (Euterpe oleracea). Cette essence est très appréciée par la population locale (graines, huile et feuilles de palmier). On a effectué des études détaillées des pratiques d'aménagement mises au point par les communautés riveraines locales dans ces peuplements secondaires et on a évalué leur utilité sociale et économique et leur durabilité (Anderson, 1988; Anderson, 1990; Anderson et Jardim, 1989).

Une combinaison traditionnelle d'agroforesterie dans l'estuaire de l'Amazone: un bosquet naturel de palmiers buriti (Mauritia flexuosa) avec des cacaoyers plantés en sous-étage

Dans l'Etat de Maranhão et dans le sud du Para, le palmier babassu (Attalea speciosa) tient une place stratégique dans l'économie régionale. Cette espèce a constitué des peuplements secondaires pratiquement purs sur plus de 100 000 km² dans des zones où la forêt primaire a été détruite par des incendies sur les sols d'altitude ayant une fertilité modérée, mais une structure bonne voire excellente. Ces terrains sont utilisés en priorité pour les cultures itinérantes mais, bien que la densité de babassu ait beaucoup diminué à cause de cela (descendant à environ 50 palmiers l'hectare), les arbres n'ont pas été totalement éliminés. En brûlant les palmes tombées, on obtient une grande quantité de cendre. Cela donne de bons rendements pour les cultures temporaires. Le fruit du babassu est utilisé par les familles et vendu sur le marché. A l'échelle industrielle, on extrait de l'huile de l'amande qui est utilisée directement ou transformée en savon ou en margarine. L'industrie de l'huile végétale de babassu est la plus grande au monde qui utilise uniquement des espèces sauvages. Le palmier babassu fournit d'autres produits comme du charbon de bonne qualité et du fourrage pour le bétail et les autres animaux domestiques (Anderson, May et Balick, 1991; Balick, 1988). Il existe des forêts secondaires avec une forte dominante de babassu dans d'autres régions de l'Amazonie brésilienne (Tocantins, région de Tapajós, Rondônia) (Anderson, 1994).

Aménagement forestier polyvalent par les communautés vivant dans la forêt amazonienne: Forêts oligarchiques de châtaigniers du Brésil

Les communautés traditionnelles d'Amazonie (Indiens et caboclos) ont changé considérablement le paysage forestier (formations forestières aussi bien primaires que secondaires). La plantation de cultures annuelles pendant de brèves périodes dans les vides ouverts dans la forêt a très souvent entraîné la formation de forêts oligarchiques, c'est-à-dire de forêts dominées par un très petit nombre d'espèces d'arbres et de palmiers. La plupart de ces espèces sont de bonnes colonisatrices et peuvent se régénérer facilement dans les vides forestiers.

Dans de nombreuses parties de l'Amazonie, il est fréquent de trouver des futaies anciennes à forte dominance de châtaigniers du Brésil (Bertholletia excelsa). Leurs noix ont une grande valeur nutritive et un goût agréable. Ces caractéristiques les ont sans doute fait choisir par l'homme dès le début de l'occupation de cette région (Clay et Clément dans FAO, 1993). De nombreux chercheurs pensent que la plupart des peuplements «naturels» de châtaigniers du Brésil dominants (appelés castanhais silvestres) résultent d'une intervention des Amérindiens. Dasyprocta sp. est un agent local de dispersion des noix du Brésil mais il est très peu probable que des semences viables réussissent à traverser les grands fleuves (Clay et Clément dans FAO, 1993). Certains castanhais silvestres de la région de Maraba (sud de Pará) semblent par exemple être le résultat d'une manipulation plus sophistiquée de la forêt naturelle par l'homme. Dans ces peuplements, tous les châtaigniers du Brésil existants sont émergents, mais par contre la plupart des espèces d'arbres dans les étages dominants, codominants et dominés produisent des fruits comestibles pour l'homme et pour le gibier, et une grande partie des espèces des sous-étages ont une utilité essentiellement médicinale (Dubois, 1992).

Réserves d'exploitation

Jusqu'à une date récente, choisir des modèles de développement pour la forêt amazonienne signifiait choisir entre un nombre très limité de solutions totalement divergentes: maintenir les forêts naturelles dans leur état actuel sous forme d'unités de conservation; couper et brûler ces forêts pour faire place aux cultures ou à l'élevage; transformer les forêts naturelles en peuplements pour la production de bois moins variés mais aménagés sur la base d'une régénération naturelle et de plantations d'enrichissement; transformer les forêts naturelles en plantations d'essences locales ou exotiques (forêt de plantations industrielles sur grande échelle de Jari pour la production de pâte à papier).

Les difficultés rencontrées pour conserver et protéger les forêts naturelles d'Amazonie proviennent du manque de moyens humains et financiers. Il est possible de diminuer les coûts de protection de la forêt naturelle si la population locale participe à ce processus et aux activités de conservation. Les réserves d'exploitation créées par le Gouvernement brésilien en Amazonie sont des terres forestières publiques sélectionnées pour l'utilisation durable des ressources forestières par les populations résidentes (Allegretti, 1990). Elles sont transformées en terres publiques pour les quelles des droits collectifs à long terme sont accordés aux groupes qui sont engagés dans des activités de production forestière non ligneuse. Les réserves d'exploitation associent le respect des formes traditionnelles d'occupation du sol aux efforts de développement pour chercher à améliorer la situation économique et sociale des résidents tout en maintenant un contrôle et une responsabilité publics et permanents pour assurer la conservation des forêts. Plus de 3 millions d'hectares de forêt brésilienne ont été sélectionnés pour des réserves d'exploitation et près de 25 pour cent de l'Amazonie brésilienne se prêtent à l'établissement de telles réserves.

Avant la création de ces réserves, de grandes entreprises avaient commencé à exploiter la forêt pour satisfaire la demande commerciale de produits forestiers. Ces activités ont permis à un petit nombre de familles et d'entreprises commerciales puissantes de tirer d'énormes profits, mais n'ont offert que des avantages minimes aux habitants des forêts qui ont participé à ce processus (Allegretti, 1990; Allegretti, 1995; Anderson, 1994; Anderson et al., 1994).

Grâce à l'établissement progressif de réserves d'exploitation, avec le soutien d'une large coalition d'organisations gouvernementales et non gouvernementales, on est parvenu à garantir davantage de profits à la population locale. La coopérative d'agroextraction de Xapuri (Acre), fondée en 1989 par des extracteurs de caoutchouc en est un exemple (Anderson et al., 1994). Elle offre des prix équitables aux habitants des forêts locales pour les noix du Brésil. La première phase de la transformation des noix du Brésil est faite par les habitants des forêts eux-mêmes et la dernière par la coopérative qui emploie la population locale. Le produit final - noix séchées, sélectionnées, en paquets métalliques sous vide est vendu au Brésil et à l'étranger.

A l'heure actuelle, la viabilité économique des réserves d'exploitation en Amazonie dépend d'un nombre excessivement limité de produits - en gros l'hévéa et les noix du Brésil. La survie à long terme de ces réserves dépendra de la diversification des activités d'exploitation à but commercial (notamment de l'exploitation du bois); de la formation des populations résidentes à l'aménagement durable des forêts et des zones agroforestières; et de la participation accrue des populations locales à la transformation et à la commercialisation des produits. A cet égard, certains extracteurs de caoutchouc ont été incités par la baisse des prix du latex non transformé à convertir le latex en «cuir végétal» servant à fabriquer des produits finis. Les divers articles fabriqués (sacs et sacoches de voyage, etc.) ont une valeur ajoutée intéressante, mais les ventes sont limitées.

Femme riveraine préparant la boisson nourrissante sans alcool extraite des fruits du palmier Euterpe (Euterpe oleracea)

A l'heure actuelle, d'après Schwartzman (1994), seules l'extraction du caoutchouc et l'exploitation des noix du Brésil sont effectuées sur une base durable. En outre, ce succès, pourtant limité, ne concerne que les forêts maintenues sous le contrôle relatif des communautés traditionnelles. Dans l'Etat de Rondônia, où de grandes étendues de forêt ont été ouvertes à la colonisation, beaucoup de châtaigniers du Brésil protégés par la loi ont été coupés et vendus sous le faux nom de cedrinho par des immigrants venant d'autres régions que l'Amazonie, et la terre a été utilisée pour l'élevage.

Le fruit du palmier pupunha (pêche) (Bactris gasipaes) est un élément important de l'alimentation des agriculteurs et des habitants des forêts, en Amazonie

Conclusion

Les forêts amazoniennes offrent une grande variété de produits non ligneux. Nombre de ces forêts ont été exploitées pendant longtemps par les Indiens puis, pendant la seconde moitié du siècle dernier, par les colonisateurs. La connaissance des espèces, des divers produits et de leur utilisation est une ressource importante en elle-même. Il est urgent de préserver les connaissances traditionnelles délaissées et de reconnaître leur importance potentielle pour le développement de l'Amazonie contemporaine. Les connaissances populaires locales, qui ont fait leurs preuves et se sont adaptées aux conditions locales, doivent être recherchées et utilisées au profit des activités de développement en cours. Les connaissances et les pratiques des populations locales peuvent s'avérer particulièrement utiles pour accroître la durabilité de la production et maintenir la qualité de l'environnement.

De nombreuses erreurs passées et pré sentes, dans les tentatives de développement de l'Amazonie auraient pu être évitées si l'on avait veillé à associer les traditions et les pratiques locales aux connaissances et aux technologies «scientifiques». «Nous avons tous à apprendre, peu ou prou, de l'anthropologie culturale, avant d'applaudir à l'arrivée d'un modernisme impossible ou impraticable» (Ab'Saber, 1995).

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