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Réduction du gaspillage pendant la coupe et la transformation du bois: Vers la conservation des forêts en Amazonie orientale

J.J. Gerwing, J.S. Johns et E. Vidal

Jeffrey J. Gerwing est candidat au doctorat de hautes études en écologie à l'Université de l'Etat de Pennsylvanie, Etats-Unis, et chercheur à l'Instituto do Homem e Meio Ambiente da Amazônia (IMAZON), à Belém (Brésil).

Jennifer S. Johns est candidate au doctorat dans la discipline Ecologie et évolution, à la Rutgers University, New Brunswick, New Jersey, Etats-Unis.

Edson Vidal est chercheur à l'institut IMAZON, à Belém (Brésil).

Cet article décrit le gaspillage associé à la coupe et à la transformation du bois en Amazonie orientale. Il propose des méthodes permettant de minimiser le gaspillage et les dommages aux forêts imputables à l'exploitation.

Au cours des 20 dernières années, l'Amazonie orientale est devenue la première région productrice de bois de feuillus du Brésil (Verissimo et al., 1992). L'essentiel de cet accroissement de production a été obtenu dans l'Etat de Pará (figure 1). Dans l'est de l'Etat, près de la commune de Paragominas, les usines de placage et les scieries se sont multipliées, passant de deux unités, produisant au total 8600 m³ en 1970 à 238 entreprises dont la production dépassait 1,2 million de m³ en 1990 (Verissimo et al., 1992). Jusqu'à présent, la quasi-totalité de la production de la région a été absorbée par la demande intérieure du Brésil. Cependant, comme les stocks de bois d'œuvre sont épuisés en Asie tropicale, l'Amazonie orientale, qui a encore de vastes surfaces de forêts inexploitées, est vouée à devenir un fournisseur important de bois d'œuvre tropical sur les marchés internationaux.

FIGURE 1 L'Etat de Pará englobe la majeure partie de l'Amazonie orientale du Brésil

La foresterie est l'une des principales possibilités d'utilisation des sols en Amazonie orientale, mais si l'on étudie de près la croissance de l'industrie forestière de la région, on s'aperçoit que les forêts sont régulièrement exploitées sans soin et dégradées à proximité des usines. Une opération de coupe classique supprime un volume de 30 à 50 m³ de bois par hectare, appartenant à 30 à 60 essences. Pendant les opérations d'abattage, 26 pour cent de tous les arbres sur pied avant la coupe sont tués ou endommagés, et l'ensemble du couvert forestier est réduit de 50 pour cent (Uhl et Vieira, 1989). En outre, de vastes trouées dans le couvert, associées à la mort de nombreux arbres et à la formation de piles de déchets d'abattage, laissent les forêts exploitées vulnérables aux incendies (Holdsworth et Uhl, sous presse). Lorsque les forêts proches ont été complètement exploitées, les bûcherons se déplacent vers des sites toujours plus éloignés jusqu'au jour où les coûts de transport élevés incitent les propriétaires des usines à transférer leurs entreprises plus près des zones inexploitées. Si ce cycle de dégradation et d'abandon se poursuit, même les étendues relativement vastes de forêt intacte d'Amazonie orientale seront rapidement épuisées, et l'importance de cette région comme centre de production de bois d'œuvre aura été de courte durée. Pour briser ce cycle destructif, il faut remplacer ce mode d'exploitation dégradant par un système d'aménagement forestier grâce auquel les forêts exploitées pourront rester une source de bois fiable jusque dans l'avenir (Barreto, Uhl et Yared, 1993).

FIGURE 2 Dans le modèle d'exploitation traditionnel, un bulldozer muni d'un câble fixe était utilisé pour traîner les grumes de la forêt jusqu'aux lieux d'enlèvement

L'aménagement durable des forêts est sans aucun doute une nécessité en Amazonie orientale, mais les modèles pratiques d'aménagement forestier dans la région sont peu nombreux et très espacés. En 1992, un groupe de chercheurs travaillant dans un petit institut de recherche à but non lucratif, Instituto do Homem e Meio Ambiente da Amazônia (IMAZON), s'est lancé dans la conduite d'un projet pilote d'aménagement forestier, près de Paragominas, en vue de déterminer les conséquences économiques et écologiques de l'aménagement forestier. Ce projet était centré sur la comparaison de sites adjacents, l'un de 75 ha sous exploitation traditionnelle, et l'autre de 100 ha soumis à un effort d'exploitation planifié en vue de réduire le volume de bois gaspillé, les dégâts au peuplement résiduel et l'usage excessif de machines. L'effort d'exploitation planifiée était caractérisé par plusieurs éléments: établissement d'un inventaire et d'un plan du peuplement; coupe des vignes avant l'abattage; planification et marquage du tracé des routes et des chemins de débardage; abattage dirigé des arbres; utilisation d'un débardeur muni d'un treuil au lieu d'un bulldozer sans treuil (figures 2 et 3). L'aménagement d'une ressource ligneuse ne prend cependant pas fin dans cette forêt. En complément du projet d'exploitation forestière, le groupe a également réalisé une étude des rendements de conversion et des possibilités de réduction du gaspillage dans les industries de transformation du bois de la région.

FIGURE 3 Dans le cadre du modèle d'exploitation planifié, un débardeur à pneus équipe d'un treuil a été utilisé pour traîner les grumes depuis la forêt jusqu'aux lieux d'enlèvement

Les résultats des investigations ont montré que les méthodes d'exploitation des ressources ligneuses de la région, tant dans les forêts que dans les usines, entraînaient un gaspillage inutile de volumes importants de bois. Ce gaspillage prenait diverses formes. Dans la forêt, des arbres abattus n'étaient jamais débardés, et de jeunes arbres intéressants sur le plan commercial étaient détruits sans nécessité. Dans les usines, le bois s'abîmait pendant l'entreposage, et les planches étaient coupées trop épais car le sciage manquait de précision. L'une des premières mesures à prendre pour favoriser la conservation et l'utilisation durable d'une ressource est de minimiser le gaspillage inutile. En le minimisant, on réduit la surface de terre boisée à exploiter pour produire un volume constant de bois. Les sections qui suivent décrivent quelques sources de gaspillage se produisant durant les opérations de coupe et de transformation du bois, telles qu'elles sont actuellement pratiquées en Amazonie orientale. Les auteurs montrent que, bien souvent, le gaspillage pourrait être considérablement réduit, si l'on adoptait des pratiques d'aménagement simples.

Réduction du gaspillage de bois pendant la coupe

Le modèle traditionnel de vidange des bois actuellement pratiqué en Amazonie orientale est un système d'exploitation forestière non planifié qui gaspille du bois utilisable et compromet la capacité productive future de la forêt. Les décisions concernant l'abattage sont prises par des bûcherons opérant à la scie à chaîne (travailleurs sous contrat) pendant qu'ils parcourent à pied la forêt en quête d'arbres susceptibles de fournir du bois. Ces scieurs n'ont pratiquement reçu aucune formation formelle aux techniques de coupe et n'ont aucune formation en aménagement forestier ou en sylviculture; en outre, ils sont payés en fonction du volume de bois qu'ils abattent chaque jour. Ainsi, la rapidité est mieux récompensée que le soin. Les grumes sont débardées au bulldozer plusieurs jours après la coupe. Bien que les scieurs et les conducteurs de bulldozer vivent dans le même camp, il semble qu'ils ne s'échangent guère d'informations sur les endroits où se trouvent les arbres coupés. Pour les trouver, les conducteurs de bulldozer dirigent leurs engins vers les trouées dans le couvert forestier. Quand ils trouvent un tronc, ils le ramènent jusqu'au lieu d'enlèvement, mais pas forcément en empruntant le chemin utilisé à l'aller. Par suite de la non-planification des opérations de prospection et de débardage, il se crée un réseau de chemins de débardage qui s'entrecroisent, dont certains conduisent à des clairières naturelles où aucune essence ligneuse n'a été coupée.

Il est intéressant de noter que ce mode d'exploitation a été encouragé par le fait que, récemment encore, les propriétaires terriens qui voulaient faire entériner leurs droits à la terre avaient l'obligation de «mettre en valeur» la surface sous forêt. Cela les a entraînés à sous-traiter auprès d'une équipe de bûcherons pour défricher 50 pour cent des terres (maximum autorisé par la loi), en vue de les convertir à l'élevage du bétail. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que les bûcherons (et ceux qui faisaient appel à leurs services) ne se soient pas préoccupés de la dégradation de la forêt.

Deux sources importantes de gaspillage de bois pendant les opérations d'exploitation peuvent être éliminées ou réduites grâce à la planification et à la formation. Premièrement, l'abattage d'arbres non repérés par les conducteurs de bulldozer. Les auteurs ont parcouru à pied, en long et en large, 15 km au total dans trois zones précédemment exploitées; ils y ont trouvé en moyenne 6,6 m³ par hectare de bois utilisable qui avait été abattu mais jamais débardé. Ce volume représente environ un arbre par hectare et jusqu'à 20 pour cent des 30 m³ normalement enlevés dans un hectare. La plupart des arbres non retrouvés étaient ensevelis sous les cimes d'autres arbres abattus ou isolés des autres essences ligneuses. Ce type de gaspillage était inexistant dans l'effort d'exploitation planifiée. Grâces à l'établissement d'un plan des peuplements contenant des essences ligneuses potentielles et au marquage des chemins de débardage, tous les arbres coupés étaient débardés.

Outre le problème des arbres abattus et jamais retrouvés, dans le système traditionnel les techniques de coupe et de façonnage l'appropriées créent un gaspillage inutile. Plusieurs erreurs peuvent conduire à ce gaspillage: pour les arbres sans empattement, scier le fût trop haut (c'est-à-dire à plus de 20 cm du sol) et laisser du bois utilisable sur pied; pour les arbres avec empattement, scier au-dessus au lieu de supprimer l'empattement et de couper plus bas; scier l'arbre à la base si bien que le fût se fend de bas en haut en tombant; débiter l'arbre trop loin de la cime et laisser une partie de la grume utilisable attachée à la couronne. Les auteurs ont examiné 854 arbres abattus dans les sites d'exploitation traditionnels et constaté que ces erreurs entraînaient, à elles toutes, un gaspillage moyen de 0,41 m³ par arbre abattu, ce qui représente 7 pour cent du volume utile d'un arbre classique et une perte de 2,3 m³ par hectare. Pour réduire ce type de gaspillage dans le système planifié, on a engagé un scieur opérant à la scie à chaîne qui avait reçu une formation spécifique dans les domaines de l'abattage dirigé et du tronçonnage dans le but de minimiser les risques d'erreur qui viennent d'être décrits. Sur un échantillon de 164 arbres coupés par ce scieur, le gaspillage imputable à l'abattage et au façonnage s'élevait à 0,11 m³ par arbre coupé. Le gaspillage avait donc diminué de 0,30 m³ par arbre, soit 1,7 m³ par hectare. Si l'on ajoute à ce dernier volume l'élimination du gaspillage dû au fait que les arbres coupés n'étaient pas retrouvés (6,6 m³ par hectare), l'accroissement de rendement obtenu grâce à la planification de l'exploitation et à la formation du scieur s'élève au total à 8,3 m³ par hectare. Cette augmentation du rendement à l'hectare peut être directement traduite en une diminution du nombre d'hectares à exploiter pour répondre à une demande de bois donnée.

Réduction des dégâts forestiers pendant l'exploitation

En Amazonie orientale, on exploite souvent les forêts sans avoir pris connaissance du peuplement et pratiquement sans planification préalable (ce qui n'est pas le cas dans le Domaine forestier permanent). De ce fait, de nombreux arbres de petite ou moyenne taille, destinés à être coupés plus tard, sont abîmés sans nécessité. Bien que l'abattage soit sélectif (on ne coupe que cinq ou six essences commerciales par hectare), 200 arbres par hectare d'un diamètre à hauteur d'homme supérieur à 10 cm sont aussi endommagés par accident.

Plusieurs facteurs contribuent à ce phénomène. Dans la région, il est courant que des vignes relient la couronne de chaque arbre à celle de six autres arbres en moyenne. Quand on abat un arbre pour exploiter son bois ou pour construire des routes, les arbres voisins sont abîmés car leurs couronnes sont déchirées par les vignes qui les relient. En outre, pendant la coupe, si le scieur n'a pas reçu de formation dans l'art d'orienter la chute de l'arbre, il tente de le couper en suivant son inclinaison naturelle; mais les vignes qui relient encore sa couronne à celles des arbres voisins anéantissent souvent ses efforts. Il a donc beaucoup moins de chances d'épargner, pour la prochaine coupe, un arbre spécifique n'ayant pas encore atteint la taille exploitable. En outre, comme la direction de la chute n'est pas contrôlée, les arbres s'empilent souvent les uns sur les autres. Ces enchevêtrements rendent extrêmement difficile l'extraction des fûts pendant le débardage. Comme le bulldozer n'a pas de grappin, l'opérateur doit séparer les grumes avec le bouclier niveleur. Lorsque les tas sont particulièrement enchevêtrés, il n'a pas d'autre possibilité que de décrire des cercles autour des arbres coupés pour tenter de dégager ou de soulever les fûts. Bien entendu, ces manœuvres abîment exagérément les arbres voisins et finissent par perturber de vastes surfaces de la forêt, au niveau de la couverture et du sol (figure 4). Le débardage est encore compliqué du fait qu'habituellement les fûts ne sont débités qu'une fois près de la couronne. Le conducteur du bulldozer ramène donc de longs fûts le long des sentiers en zigzag qu'il a formés lorsqu'il cherchait les arbres abattus. Pendant qu'il serpente à travers la forêt, le fût, qui ne peut pas se plier, abîme sur son passage les troncs des arbres qui se dressent le long du sentier.

Code modèle FAO des pratiques d'exploitation forestière

Ces dernières années, des progrès considérables ont été réalisés introduire des pratiques d'exploitation forestières efficaces et respectueuses de l'environnement dans de nombreuses régions du monde. Toutefois, il reste beaucoup à faire. Il faut encore perfectionner les systèmes et les techniques d'exploitation pour qu'ils deviennent pleinement compatibles avec les objectifs de l'aménagement forestier durable, et qu'ils puissent faciliter dans une large mesure l'atteinte des objectifs économiques et sociaux du développement durable. Ce document répond à cette exigence.

Le Code modèle FAO des pratiques d'exploitation forestière, qui vient de paraître, est principalement destiné à servir de référence aux pays qui envisagent d'adopter ou de réviser leurs propres codes de pratiques forestières. Son objectif global est de promouvoir des pratiques d'exploitation susceptibles d'améliorer les normes d'utilisation, de réduire les effets négatifs sur l'environnement, de contribuer à garantir le maintien des forêts pour les générations futures et d'accroître les contributions économiques et sociales de la foresterie comme élément du développement durable. La foresterie n'est pas exclusivement axée sur la production de bois d'œuvre commercial. Tous les pays du monde reconnaissent aujourd'hui l'importance des forêts, pour ce qui est de la diversité biologique, des produits non ligneux, des valeurs culturelles, de la faune et de la flore sauvages, de la beauté du paysage, des possibilités récréatives et des services environnementaux. De ce fait, la foresterie est devenue une discipline plus complexe et plus exigeante, et il est plus difficile de programmer et de mettre en œuvre les opérations d'exploitation. Ces opérations doivent être conçues et exécutées en tenant compte du caractère polyvalent des forêts, et si possible en le renforçant. Les forestiers, les planificateurs et ceux qui s'occupent de l'exploitation des forêts ont besoin d'informations mises à jour et de conseils sur les pratiques que la société est disposée à accepter et sur les résultats qui doivent être atteints. Tout code des pratiques forestières, obligatoire ou volontaire, qui ne reconnaîtrait pas toute la complexité de la foresterie moderne et son caractère polyvalent et n'en tiendrait pas compte dans ses dispositions, serait jugé inacceptable par la société, et donc voué à l'échec. Ce code modèle passe en revue toutes pratiques d'exploitation sans exception, mais il exclut intentionnellement d'autres pratiques forestières telles que la sylviculture. La majorité des concepts qui y sont exprimés pourraient cependant être repris pour élaborer des codes de pratiques concernant d'autres opérations forestières.

Le code modèle type part du principe que quatre éléments ayant une influence décisive sur les opérations d'exploitation forestière doivent être identifiés, si l'on veut aménager durablement les forêts. Ces éléments sont les suivants:

· planification détaillée de l'exploitation;

· mise en œuvre effective et contrôle des opérations d'exploitation;

· évaluation complète après récolte et communication des résultats à l'équipe de planification et au personnel chargé de l'exploitation;

· création d'une équipe compétente et motivée.

Les opérations d'exploitation sont ensuite classées en plusieurs catégories: travaux routiers, coupe, extraction, opérations de dépôt et de transport. Chacun des huit articles dérivant de cette classification est traité dans un chapitre distinct du code modèle.

Chaque chapitre suit le même schéma. La section sur les pratiques recommandées est précédée d'une analyse des objectifs, des principes directeurs et d'une définition de l'opération considérée. Les éventuelles conséquences de la mise en œuvre inappropriée de chaque pratique d'exploitation sont examinées.

Le code présente un examen exhaustif des pratiques d'exploitation forestière, qui devrait donner des idées précieuses à toute personne ou entité concernée par ce type d'activité, qu'il s'agisse d'une entreprise publique ou privée, d'un petit ou d'un gros propriétaire, d'un consommateur ou d'un producteur. Même ceux qui possèdent déjà des codes bien établis, complets et détaillés des pratiques forestières y trouveront des idées et un point de vue nouveaux.

Code modèle FAO des pratiques d'exploitation forestière. 1996. Sous-Division de l'exploitation et de la commercialisation des produits forestiers, Département des forêts. Rome, FAO.

FAO - Model code of forest harvesting practice

Les auteurs ont constaté que l'adoption d'une série de précautions et de techniques permettait de réduire considérablement les dégâts survenus pendant les opérations d'exploitation. L'une de ces mesures consiste à couper les vignes deux ans avant l'abattage. Quand un arbre était coupé dans le cadre du système traditionnel, il arrivait souvent que les vignes arrachent des branches des arbres derrière la souche, déracinent des arbres le long du tronc et éciment des arbres au voisinage de la couronne tombée. Dans le site sous exploitation planifiée, les arbres coupés tombaient rapidement; ils causaient des dégâts insignifiants derrière la souche ou le long du tronc, et des dégâts mineurs autour de la couronne. Les implications, en termes de coût, de cette opération préparatoire de dégagement devraient être prises en compte dans toute analyse économique.

FIGURE 4 Trouées dans le couvert et dommages au sol associés à la coupe de groupes d'arbres dans les modèles d'exploitation planifiée (9 arbres) et non planifiée (12 arbres), prés de Paragominas, dans l'Etat de Para, au Brésil

La deuxième précaution à prendre pour réduire les dommages pendant l'exploitation est d'orienter la chute de l'arbre coupé. Avec ce système de l'abattage dirigé, les arbres étaient coupés de façon à moins abîmer les arbres sélectionnés pour les coupes futures, à éviter que les arbres ne s'empilent les uns sur les autres et à faciliter le débardage. L'utilisation de ces techniques a permis d'abattre les arbres poussant en groupes sans créer de perturbations étendues dans la forêt (figure 4).

L'établissement d'un plan du tracé des chemins de débardage est un troisième facteur qui peut réduire les dégâts. Dans le site sous exploitation planifiée, les sentiers étaient tracés en forme d'arêtes de poisson, avec un chemin principal au centre, relié en angles obtus à des sentiers secondaires. Ce dessin avait le double mérite de réduire au minimum la surface totale de chemins de débardage et d'éviter des angles aigus qui auraient entraîné des dommages aux arbres voisins, au passage des troncs.

L'adoption de ces techniques de planification et d'exploitation rationnelle a permis de réduire le nombre d'arbres endommagés par inadvertance pendant chaque phase de l'exploitation. Par exemple, dans le site traditionnel, chaque arbre abattu endommageait 28,7 arbres d'un diamètre à hauteur d'homme supérieur à 10 cm, contre 20,5 sur le chantier sous exploitation planifiée. Ainsi, rien que pendant la coupe, 46 arbres d'un diamètre supérieur à 10 cm étaient épargnés dans chaque hectare. De même, dans le système traditionnel, pour chaque arbre débardé et transporté jusqu'au lieu d'enlèvement, 7,1 arbres étaient endommagés, contre 4,4 seulement dans l'effort planifié. Au total, l'opération a permis d'épargner 16,2 arbres par arbre exploité, soit 91 arbres par hectare. Sur ces 91 arbres, 57 étaient gravement endommagés dans le système traditionnel (c'est-à-dire étêtés ou écrasés), dont 11 (soit au total 2,7 m³ par hectare) étaient des essences intéressantes sur le plan commercial.

Réduction du gaspillage pendant la transformation du bois

L'efficience de la conversion des grumes en produits finis peut avoir une influence importante sur la surface de forêt à exploiter pour répondre à la demande. Les auteurs ont étudié les facteurs qui déterminent l'efficience de la conversion des grumes dans 10 scieries et deux usines de déroulage, dans le centre de transformation du bois de Paragominas. En général, le rendement en produits était faible (figure 5). Moins de 35 pour cent du volume total de bois utile que contient une bille à sciage classique étaient convertis en bois scié.

FIGURE 5 On trouve souvent des piles de morceaux de bois mis au rebut dans les dépôts des scieries en Amazonie orientale

Les faibles taux de conversion des grumes dans la région s'expliquent par le gaspillage de bois pendant les diverses étapes de la transformation. Les mauvaises conditions d'entreposage, dans les dépôts des usines, entraînaient des pertes en volume et en qualité (dégâts dus aux insectes et fissures des grumes). Pendant les périodes normales d'entreposage qui durent de plusieurs semaines à un mois, 15 pour cent en moyenne du volume de grumes avaient été endommagés par des insectes. En ce qui concerne les grumes de Manilkara huberi, qui est l'essence à bois de sciage la plus commune de la région, 13 pour cent du volume sciable total étaient fissurés.

L'utilisation d'équipement inapproprié ou obsolète dans les usines de la région réduit aussi le taux de conversion des grumes en bois scié. Dans les 47 scieries inspectées, l'équipement de sciage avait en moyenne 10 ans. En raison de cette insuffisance relative des investissements de renouvellement, le sciage manquait de précision. Dans les 11 usines étudiées, la variation moyenne de l'épaisseur des planches était de 4,3 mm. Ainsi, on ajoutait en moyenne 4,3 mm d'épaisseur à chaque planche pour être sûr qu'elle aurait au moins l'épaisseur spécifiée par les acheteurs. Plusieurs millimètres par planche peuvent sembler insignifiants, mais cette quantité peut correspondre à la perte de plusieurs planches potentielles par grume ou à environ 5 pour cent du volume total d'une grume (Williston, 1981).

FIGURE 6 Incidence du gaspillage évitable de bois d'œuvre commercial associé aux activités traditionnelle s d'exploitation et de transformation du bois, dans la région de Paragominas, dans l'Etat de Para, au Brésil

Le taux de conversion des grumes en sciages pourrait être considérablement amélioré si l'on adoptait quelques techniques ou mesures relativement simples. La première serait d'améliorer les conditions d'entreposage. En enduisant les extrémités des grumes avec de la cire pour les isoler de l'humidité et minimiser les fissures et en pulvérisant des insecticides dans les dépôts, on pourrait réduire la détérioration des grumes pendant l'entreposage et augmenter le taux de conversion de 5 à 8 pour cent. Deuxièmement, en perfectionnant l'équipement on pourrait rendre le sciage plus précis et accroître de 3 à 5 pour cent le taux de conversion. Enfin, en créant de nouvelles lignes de produits pour utiliser les petits morceaux de bois (manches à balais, parquet, panneaux pour portes), on pourrait encore améliorer l'efficacité de 5 pour cent. L'ensemble de ces améliorations permettrait d'élever les taux de conversion globaux de 39 à environ 60 pour cent dans les usines de placage et de 35 à 50 pour cent dans les scieries.

La réduction du gaspillage des ressources forestières favorise la conservation des forêts

Le premier pas vers la conservation d'une ressource est la reconnaissance de sa valeur. Il n'y a pas si longtemps, il était courant que les propriétaires terriens d'Amazonie orientale attachent davantage de valeur à un hectare de pâturages dégradés qu'à un hectare de forêt intacte. Les arbres n'étaient rien d'autre qu'un obstacle à l'élevage, qui était considéré comme le mode d'utilisation des terres approprié pour la région (et qui était soutenu par des incitations gouvernementales). Une fois que la ressource forestière est appréciée à sa juste valeur, le deuxième pas vers sa conservation est bien entendu de l'utiliser en minimisant le gaspillage évitable. Cette utilisation rationnelle a au moins deux avantages: si l'on gaspille moins de produits forestiers, on réduit la surface à exploiter pour satisfaire une demande de bois déterminée; les forêts exploitées rationnellement ont une plus grande valeur du point de vue de la conservation que celles qui sont exploitées sans précautions.

Si l'on élimine les pertes de bois dues au fait que certains arbres coupés ne sont jamais retrouvés et celles dues aux mauvaises pratiques d'abattage et de façonnage, on peut augmenter de 8,3 m³ en moyenne la quantité de bois récoltée sur chaque hectare exploité (figure 6). Cependant, cela suppose la transformation et l'utilisation des essences qui ne sont pas commercialisées actuellement. L'adoption de stratégies simples permettrait d'améliorer de 15 pour cent les taux de conversion lors de la transformation. Si un hectare produit normalement 38 m³ cette amélioration du rendement de la conversion permettra une augmentation de la production de bois de 5,7 m³ par hectare exploité (figure 6). On réduirait encore le gaspillage de bois en épargnant de graves dommages (arrachage des cimes ou écrasement) aux arbres d'avenir. Les arbres épargnés représenteraient 2,7 m³ par hectare de bois d'œuvre commercial laissé sur pied pour les coupes futures. Au total, on pourrait éviter le gaspillage de 16,7 m³ par hectare de bois d'œuvre commercial en planifiant l'exploitation et en perfectionnant les techniques de transformation.

Une opération de coupe gérée avec soin non seulement évite d'endommager sans nécessité des arbres d'avenir potentiels, mais est aussi moins nuisible pour d'autres aspects de la structure forestière. Par exemple, dans le site sous exploitation planifiée, la surface de sol abîmée par la chute des arbres et les mouvements des machines a été réduite de 773 m² au total par rapport au site traditionnel. Au niveau de la couverture forestière, les dommages ont aussi été considérablement réduits. Dans le système planifié, la surface moyenne des trouées dans le couvert provoquées par l'abattage était inférieure de 189 m² en partie parce que l'on coupait moins d'arbres dans chaque vide. Dans le site sous exploitation planifiée, quatre arbres au maximum étaient abattus dans chaque espace, alors que dans le site traditionnel jusqu'à neuf arbres étaient coupés simultanément. Le maintien du couvert forestier et la réduction du nombre de grandes trouées dans la couverture contribuent de façon importante à préserver la capacité de résistance au feu des forêts intactes (Holdsworth et Uhl, sous presse). Les incendies accidentels des forêts exploitées traditionnellement sont en augmentation dans la région. L'adoption d'un système d'exploitation prudent et planifié peut donc être un moyen de briser le cycle de la dégradation des forêts de la région, qui dérive à la fois des dégâts directement causés par l'exploitation et des feux qui dévastent les forêts par la suite.

Bibliographie

Barreto, P., Uhl, C. & Yared, G. 1993. O potencial de produção sustentavel de madereira em Paragominas, Pará na Amazônia oriental: considerações ecológicas e econômicas. 7° Congresso Florestal Brasileiro. Anais da Sociedade Brasileira de Engenheiros Florestais, (Septembre): 387-392.

Holdsworth, A.R. & Uhl, C. Fire in eastern Amazonian logged rain forest and the potential for fire reduction. Ecol. Appl. (Sous presse)

Uhl, C. & Vieira, I.C.G. 1989. Ecological impacts of selective logging in the Brazilian Amazon: a case study from the Paragominas region of the state of Pará. Biotropica, 21: 98- 106.

Verissimo, A., Barreto, P., Mattos, M., Tarifa, R. & Uhl, C. 1992. Logging impacts and prospects for sustainable forest management in an old Amazonian frontier: the case of Paragominas. For. Ecol. Manag., 55: 169-199.

Williston, E.M. 1981. Small log sawmills. San Francisco, Californie, Etats-Unis, Miller Freeman Publications.


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