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Chapitre I

Sécurité alimentaire et irrigation

Les perspectives de la sécurité alimentaire dans nombre de pays en développement suscitent de vives préoccupations. L'appauvrissement généralisé du couvert végétal et l'accélération de l'érosion réduisent la productivité des terres non irriguées, qu'elles soient mises en culture ou utilisées comme pâturages. Les régions semi-arides, sujettes à des aléas climatiques et à de fréquentes sécheresses, sont particulièrement vulnérables. Par ailleurs, l'épuisement et la pollution des ressources limitées en eau douce et les pressions concurrentes exercées sur ces dernières - par des Etats limitrophes, mais aussi par différents secteurs dans chaque Etat - limitent les possibilités d'expansion de l'irrigation.

Le problème de la sécurité alimentaire est exacerbé par la croissance rapide de la population et, partant, de la demande d'aliments. En effet, les prix des denrées sur le marché mondial ont récemment amorcé une hausse. En outre, on voit se profiler à l'horizon le spectre d'une modification profonde du climat (dérivant de l'intensification de l'effet de serre), risquant d'aggraver les conditions météorologiques et de les rendre plus aléatoires, ce qui désorganiserait les systèmes de production établis. Ce changement climatique pourrait obliger à investir de fortes sommes pour modifier les systèmes existants et en établir de nouveaux.
Tous ces problèmes se posent avec une acuité particulière sur le continent africain, dont certaines régions sont déjà aux prises avec une grave crise démographique et environnementale. La population de l'Afrique subsaharienne, sur le point d'atteindre les 600 millions d'habitants, devrait doubler d'ici à l'an 2020. C'est pourquoi la communauté internationale doit redoubler d'efforts pour aider les nations africaines à améliorer leurs perspectives de sécurité alimentaire (figure 1).

 

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FIGURE 1
Disponibilités d'eau en Afrique

Source: Irrigation and water resources potential for Africa, FAO (1987).

Il est clair que l'irrigation peut et doit jouer un rôle important dans l'augmentation et la stabilisation de la production alimentaire, en particulier dans les régions les moins développées de l'Afrique, au sud du Sahara. Cependant, de nombreux obstacles freinent l'expansion de l'irrigation. Dans de vastes zones de cette région, les ressources en eau douce sont limitées. Dans d'autres, on ne connaît pas suffisamment les ressources potentielles pour faire des prévisions fiables. Même dans les endroits où l'on sait de façon certaine que les ressources hydriques sont substantielles, il arrive que d'autres conditions ne soient pas propices au développement de l'irrigation. Ces conditions peuvent être les suivantes: topographie et sols défavorables, marchés distants, infrastructures inadéquates, mais aussi absence de crédit, de main-d'œuvre, d'informations et d'autres services destinés aux agriculteurs.
Quoique réels, ces problèmes ne suffisent pas à expliquer l'échec des efforts déployés à travers l'histoire pour exploiter pleinement le potentiel d'irrigation de l'Afrique subsaharienne. D'après les données disponibles, ce potentiel est considérable (tableau 1). Selon certaines estimations, il atteindrait 30 millions d'hectares, alors que d'autres l'évaluent à moins de 10 millions d'hectares. Il semble raisonnable de se baser sur un chiffre de l'ordre de 15 à 20 millions d'hectares qui, pleinement exploités et bien gérés, pourraient contribuer à améliorer sensiblement la sécurité alimentaire du continent africain. Les résultats décevants des quelques initiatives mises en œuvre dans le passé pour développer l'irrigation semblent davantage imputables à des défaillances aux niveaux de la stratégie et de la mise en œuvre qu'à des obstacles réellement insurmontables. Une nouvelle approche s'impose.

TABLE 1

Afrique subsaharienne: estimation des surfaces irriguées, en pourcentage du potentiel, 1991

Pays

Potentiel irrigable (ha)

Surface sous irrigation (ha)

Total en % du potentiel

Afrique du Sud

1 445 000

1 270 000

87,9

Angola

3 700 000

75 000

2,0

Bénin

300 000

10 236

3,4

Botswana

14 640

1 381

9,4

Burkina Faso

164 460

24 330

14,8

Burundi

185 000

14 400

7,8

Cameroun

290 000

20 970

7,2

Cap-Vert

2 990

2 779

92,9

Comores

300

130

43,3

Congo

340 000

217

0,0

Côte d'Ivoire

475 000

72 750

15,3

Djibouti

1 000

674

67,4

Erythrée

187 500

28 124

15,0

Ethiopie

3 637 300

189 556

5,2

Gabon

440 000

4 450

1,0

Gambie

80 000

1 670

2,1

Ghana

1 900 000

6 374

0,3

Guinée

340 000

15 541

4,6

Guinée-Bissau

281 290

17 115

6,1

Guinée équatoriale

30 000

-

-

Kenya

353 060

66 610

18,9

Lesotho

12 500

2 722

21,8

Libéria

600 000

2 100

0,4

Madagascar

1 500 000

1 087 000

72,5

Malawi

161 900

28 000

17,3

Mali

566 000

78 620

13,9

Mauritanie

165 000

49 200

29,8

Maurice

20 000

17 500

87,5

Mozambique

3 072 000

106 710

3,5

Namibie

47 300

6 142

13,0

Niger

270 000

66 480

24,6

Nigéria

2 330 510

232 821

10,0

Ouganda

202 000

9 120

4,5

Rwanda

159 000

4 000

2,5

São Tomé-et-Principe

10 700

9 700

90,7

Sénégal

340 000

71 400

21,0

Seychelles

1 000

-

0,0

Sierra Leone

807 000

29 360

3,6

Somalie

240 000

200 000

83,3

Soudan

2 784 000

1 946 200

69,9

Swaziland

93 220

67 400

72,3

République centrafricaine

1 900 000

135

0,0

République-Unie de Tanzanie

990 420

150 000

15,1

Tchad

835 000

14 020

1,7

Togo

180 000

7 008

3,9

Zaïre

7 000 000

10 500

0,2

Zambie

523 000

46 400

8,9

Zimbabwe

388 400

116 577

30,0

Afrique subsaharienne

39 366 490

6 181 422

15,7

Source: Irrigation in Africa - a basin approach. FAO. (sous presse)

L'irrigation consiste à approvisionner les cultures en eau par des moyens artificiels, en vue de permettre l'agriculture dans les zones arides et de compenser les effets de la sécheresse dans les zones semi-arides. Même dans les zones où les précipitations saisonnières totales sont en moyenne adéquates, elles peuvent être inégalement réparties pendant l'année et variables d'une année sur l'autre. Là où l'agriculture pluviale traditionnelle comporte de gros risques, l'irrigation peut contribuer à garantir une production stable.
L'irrigation joue depuis longtemps un rôle clé dans l'alimentation des populations en expansion et ce rôle ne cessera de s'accroître. Non seulement l'irrigation augmente les rendements de certaines cultures, mais elle prolonge la période de végétation effective dans les régions où il y a des saisons sèches, ce qui permet de pratiquer la pluriculture (deux ou trois, voire quatre cultures par an) là où, sans un apport d'eau, seule la monoculture aurait été possible. Grâce à la sécurité apportée par l'irrigation, les intrants additionnels requis pour intensifier encore la production (protection phytosanitaire, engrais, variétés améliorées et façons culturales plus rationnelles) deviennent accessibles sur le plan économique. L'irrigation réduit le risque que ces intrants coûteux soient gaspillés par suite d'une mauvaise récolte due au manque d'eau.
La pratique de l'irrigation consiste à déverser de l'eau jusqu'à la partie du profil pédologique, appelée rhizosphère, où elle est absorbée instantanément et ultérieurement par la plante. Les systèmes d'irrigation bien gérés sont ceux qui contrôlent la distribution spatiale et temporelle de l'eau de façon à favoriser la croissance et le rendement des cultures et à améliorer la rentabilité économique de la production végétale. Ces systèmes distribuent l'eau à raison de fréquences et de quantités calculées de façon à satisfaire les besoins des cultures qui varient en fonction du temps. Le but n'est pas simplement d'optimiser les conditions de végétation sur une parcelle spécifique ou pendant une saison particulière, mais de protéger l'ensemble du milieu où est situé le champ contre la dégradation à long terme. Ce n'est qu'ainsi que les ressources en terres et en eau seront utilisées efficacement et durablement. Au contraire, les systèmes d'irrigation mal gérés gaspillent du temps et de l'énergie, épuisent ou polluent les ressources hydriques, n'améliorent pas les récoltes et/ou comportent un risque de dégradation des sols.
La tâche essentielle d'amélioration et de stabilisation de la production agricole dans les régions exposées à la sécheresse impose donc un effort concerté pour améliorer la gestion de l'eau sur les exploitations. Quelques systèmes d'irrigation traditionnels
doivent être modernisés de façon à améliorer les rendements des cultures et à mieux utiliser les ressources. De même, les nouveaux systèmes que l'on projette de mettre en place doivent être basés sur des principes et des techniques rationnels permettant une utilisation efficace de l'eau et une optimisation de l'irrigation par rapport à tous les autres intrants et opérations agricoles essentiels.
Au cours des dernières décennies, des progrès révolutionnaires ont marqué la science et la technique de l'irrigation. On a maintenant une vision plus globale du système sol-cultures-eau et des facteurs climatiques, physiologiques et pédologiques qui l'influencent. Ces nouvelles connaissances théoriques ont débouché sur des innovations techniques qui ont permis de mieux maîtriser l'écoulement et de maintenir la teneur en humidité et en nutriments du sol à des niveaux proches de l'optimum pendant toute la période de végétation.
Les plus importantes de ces innovations sont les techniques basées sur l'application fréquente d'un faible volume d'eau et de nutriments sur une surface partielle, en ajustant le débit en fonction des besoins des cultures. Ces méthodes sont aujourd'hui appliquées à grande échelle dans les pays industrialisés, où elles tendent à être hautement mécanisées et à reposer sur des technologies à forte intensité d'énergie et à faible coefficient de main-d'œuvre. Elles ne sont cependant pas nécessairement liées à l'acquisition d'équipements industriels coûteux et à une forte consommation d'énergie. Elles peuvent être simplifiées et adaptées aux conditions particulières des pays les moins avancés, disposant de capitaux réduits. En outre, elles sont suffisamment souples pour pouvoir être reproduites à une échelle réduite et adaptées aux besoins des petits paysans.
Appliquées comme il convient, les nouvelles méthodes d'irrigation peuvent augmenter les rendements tout en minimisant le gaspillage (par ruissellement, par évaporation et par infiltration excessive), en réduisant les besoins de drainage et en favorisant l'intégration de l'irrigation avec des opérations essentielles concomitantes (fertilisation, façons culturales et lutte phytosanitaire). L'utilisation de l'eau saumâtre pose désormais moins de problèmes, de même que la mise en culture de terres sableuses, pierreuses ou en pente, auparavant considérées comme non irrigables. Parmi les autres avantages potentiels, on peut citer la diversification et l'intensification des cultures.
Malgré tous les nouveaux progrès et les possibilités prometteuses, on adopte encore, dans de nombreuses zones irriguées, des pratiques qui sont source de gaspillage. Dans certains endroits, l'inefficacité est perpétuée par des normes fixes, imposées par les institutions, qui encouragent à appliquer l'eau sans compter, si bien qu'elle est généralement distribuée en quantités excessives. Ces systèmes rigides n'incitent guère les agriculteurs à améliorer leur gestion de l'eau et les dissuade même d'entreprendre, de leur propre chef, des initiatives dans ce sens. Cependant, l'inertie institutionnelle et les systèmes rigides ne sont qu'un aspect du problème. Certains des nouveaux systèmes élaborés dans les pays industrialisés sont, en fait, trop complexes, trop «gourmands» en énergie, tributaires de matériels importés coûteux et trop grands pour être applicables tels quels dans les pays les moins industrialisés, caractérisés par de faibles capitaux et un bas niveau technologique, où l'agriculture est souvent pratiquée à petite échelle et où les coûts relatifs du travail et du capital sont radicalement différents.
Pour toutes ces raisons, les technologies modernes toutes prêtes sont souvent inefficaces lorsqu'elles sont introduites arbitrairement dans des pays en développement. Les systèmes perfectionnés et coûteux (comme les grandes rampes pivotantes et même les systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte avec pompes électroniques, filtres, régulateurs de pression, valves doseuses et injecteurs d'engrais) , qui ont été importés et installés dans l'espoir d'obtenir une modernisation instantanée, ne fonctionnent pas, généralement à cause de l'absence de spécialistes pour assurer leur entretien et de pièces détachées. Ces installations peuvent très vite devenir des objets inutiles, symboles d'un progrès hâtif reposant sur des technologies inadaptées.
Plutôt que d'introduire des systèmes électroniques prêts à l'emploi, les concepteurs devraient s'attacher à appliquer les meilleurs principes de l'irrigation efficace, en utilisant, dans la mesure du possible, les compétences et le matériel locaux. Au lieu de se limiter à transférer la technologie occidentale, telle quelle, l'objectif devrait être d'adapter ou de reconcevoir des technologies suffisamment souples pour qu'elles puissent être ajustées aux conditions et aux besoins locaux.

 

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FIGURE 2
Distribution des nappes d'eau souterraines en Afrique

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