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3. Multiplication ou régénération asexuée

Les essences originaires des zones tropicales sèches ont pour la plupart une grande faculté à émettre des rejets, ou plus rarement des drageons, pendant une certaine période de leur vie. Cette capacité de régénération par voie végétative est vue par certains comme une adaptation à un environnement très variable: feux de brousse, sécheresse, surpâturage.

En forêt de Guesselbodi (Niger), la résistance à la sécheresse de Combretum spp. et de Guiera senegalensis a été expliquée par la faculté que ces espèces ont de rejeter de souches ou d'émettre des drageons de racines et des marcottes à partir de rejets traînant sur le sol. Il s'ensuit la formation d'un immense réseau souterrain dont les individus finissent par se séparer. Ces espèces peuvent ainsi proliférer et résister aux feux, aux animaux et aux hommes (Catinot, 1994).

Cinq ans après une coupe en taillis simple à Gonsé (Burkina Faso), Nouvellet (1993) estime que 95% de la régénération s'est faite par rejets de souche et démontre que le nombre de tiges par souche a pratiquement doublé. Une autre étude menée à Sikasso au Mali (Cuny, 1993-a) montre que 93% des souches après une coupe de taillis ont formé des rejets ou des drageons (tableau n° 5). Parkan et al. (1988) ont proposé un tableau d'aptitude de la régénération végétative de quelques essences spontanées du Mali après deux années d'observations. Renés et Coulibaly (1988) ont également apporté leur contribution à la connaissance des espèces qui se multiplient végétativement en milieu naturel au Burkina Faso. Certains ligneux tels que Detarium microcarpum drageonnent abondamment. Ainsi, sur 769 souches de Detarium microcarpum, on a pu observer que 63% d'entre elles avaient émis des drageons, 17% des rejets, 11% des drageons et des rejets. Certains drageons avaient été observés à plus de dix mètres des souches-mères (Kabore et Ouedraogo, 1995).

Toutes ces observations confirment le rôle important de la régénération asexuée dans le maintien de la composante arbustive et arborée des forêts sèches. Toutefois, la multiplication végétative naturelle des espèces africaines des domaines soudanien et sahélien n'est connue que de manière très ponctuelle et parfois sans grande certitude. Il en va de même pour le domaine zambésien. Ajoutons que les espèces qui émettent des rejets sont en général mieux connues des sylviculteurs que celles qui drageonnent. Dans ce but, un essai de synthèse provisoire, concernant plus de 110 espèces d'Afrique de l'Ouest a été proposé récemment (Bellefontaine, 1995-b). Quant aux essences qui se multiplient par marcottage, leur liste en est très réduite. Il serait utile de poursuivre ce type d'étude et de mettre au point des techniques qui permettraient, sans déterrer les jeunes plants, de distinguer les plants issus de reproduction sexuée de ceux qui proviennent de multiplication végétative.

Cette aptitude de reproduction par rejets de souche ou par drageons pourrait être plus largement mise à profit lors de certains aménagements:

- pour réduire quelque peu le grand nombre d'espèces à traiter dans certaines forêts (par exemple quand les populations riveraines disposent par ailleurs d'autres forêts proches non aménagées pour récolter les produits non ligneux dont elles ont besoin);

- ou lorsque des difficultés économiques ou techniques subsistent pour l'installation de certaines espèces comme la production en pépinière, la conservation des semences, la lutte contre les prédateurs, le faible taux de survie et la faible croissance après plantation exigeant de longues mises en défens.

Tableau n° 5: Drageons et rejets au Mali (Cuny, 1993-a).

ESPECES

Nb.S.

REJETS(R/S)

DRAGEONS(D/S)

H.Rd. (CM)

H.Dd. (CM)

% SR

% SD

Afrormosia laxiflora

8

7

5

229

96

75

63

Annona senegalensis

2

0

3

-

303

0

100

Bombax costatum

3

1

1

142

30

67

33

Burkea africana

5

2

2

210

254

60

60

Butyrospermum paradoxum

5

1

6

300

218

20

100

Combretum fragrans

17

4

3

398

298

53

53

Combretum molle

1

0

10

-

55

0

100

Daniellia oliveri

44

2

4

240

207

59

73

Detarium microcapum

94

2

4

335

312

37

87

Erythrophleum africanum

11

7

4

393

354

82

82

Gardenia ternifolia

3

9

0

159

-

100

-

Gymnosporia senegalensis

1

1

1

56

112

100

100

Hymenocardia acida

3

6

4

124

79

100

67

Isoberlinia doka

32

2

3

334

277

28

72

Lannea acida

1

0

0

-

-

0

0

Lannea velutina

1

1

0

357

-

100

0

Maranthes polyandra

20

7

2

201

67

85

20

Monotes kerstingii

30

5

4

420

465

97

27

Parinari curatellifolia

43

1

5

221

193

14

77

Pteleopsis suberosa

6

4

2

148

121

67

33

Pterocarpus erinaceus

4

3

2

290

276

100

100

Securidaca longepedunculata

1

10

0

60

-

100

0

Strychnos spinosa

2

2

0

310

-

100

0

Swartzia madagascariensis

3

2

6

287

310

33

100

Terminalia albida

3

5

0

208

-

100

0

Terminalia laxiflora

1

0

2

-

200

0

100

Terminalia macroptera

6

2

7

342

149

50

33

Vitex madiensis (V. barbata)

4

3

2

259

243

100

50

Xerodermis stuhlmanii (O. chevalieri)

1

0

4

-

215

0

100

Ximenia americana

1

0

5

-

272

0

100

Légende:

Nb.S = nombre de souches
R/S = nombre moyen de rejets par souche
D/S = nombre moyen de drageons par souche
H.Rd = hauteur moyenne des rejets dominants en cm
H.Dd = hauteur moyenne des drageons dominants en cm
% SR - pourcentage de souches ayant rejeté
% SD = pourcentage de souches ayant drageonné
En gras = les espèces représentées par plus de 5 souches

Cependant, cette propriété qu'ont certaines espèces de se multiplier par drageons peut être considérée comme un inconvénient. C'est le cas lorsque l'espèce est indésirable comme dans les miombos, largement dominés dans certains pays par deux genres (Brachystegia et Julbernardia) qui fournissent un bois d'oeuvre de piètre qualité. Les sylviculteurs n'ont donc pas toujours intérêt à les multiplier végétativement (Strang, 1966 in Celander, 1983). Il en va de même avec Entada africana et Dicrostachys cinerea au Burkina Faso.

Le marcottage naturel se produit le plus souvent dans les galeries forestières où des limons peuvent recouvrir partiellement un rejet ou une branche traînante (marcottage par couchage). Il ne peut cependant pas être appliqué à grande échelle.

Les agriculteurs kenyans, qui cultivent l'igname et le fruit de la passion, ont porté leur choix sur Commiphora zimmermannii comme tuteur. Un simple bâton vert planté dans le sol prend rapidement racine (Getahun et Njenga, 1990). Cette capacité a été peu prospectée en zone tropicale sèche jusqu'à présent, mais pourrait faire l'objet de recherches. La technique des "grandes boutures" utilisée au Costa Rica est exposée dans l'encadré n° 6.

Sans plus entrer dans le domaine du bouturage en milieu artificiel, signalons que des expériences ont été développées au Mali par application d'hormones de croissance racinaire et par protection sous un couvert de polyéthylène pour contrôler l'humidité. Cela a permis d'obtenir des taux d'enracinement de 65% pour Anogeissus leiocarpus (Anderson, 1994).

Des études sont encore nécessaires pour bien cerner les capacités de multiplication végétative des espèces des zones tropicales sèches. Il est aussi important de connaître les potentialités des souches après plusieurs coupes, de savoir si des exploitations répétées n'en affaiblissent pas la vigueur, et d'émettre des hypothèses fiables en ce qui concerne la proportion de rejets proventifs et adventifs (ces derniers épuisent la souche, car ils ne forment pas leur propre réseau de racines). C'est un aspect important dont dépend directement l'existence des aménagements actuels largement basés sur les coupes de taillis fureté et de taillis-sous-futaie avec coupe sélective.

Encadré n° 6: Grandes boutures

Au Costa Rica, à Chorotega, les paysans utilisent une technique traditionnelle dite de grandes boutures. En mars, deux mois avant les semailles, les agriculteurs se mettent en quête d'arbres bien développés, avec des pousses vigoureuses partant verticalement de branches latérales. Ils choisissent des pousses de trois ans d'environ 15 cm de diamètre, qu'ils coupent à la base juste à la jonction avec la branche "mère" (longueur de 2,5 m) et les posent sur le sol à l'ombre de l'arbre, où ils les laissent pendant une semaine. Ils les dressent ensuite verticalement contre la base de l'arbre pendant trois semaines, avec le gros bout sur le sol. Ils les plantent en avril, quatre semaines après les avoir coupées, en les enterrant à une profondeur de 50 cm. Ces branches "verticales" se développent lit rapidement pour former des arbres adultes. Il ne s'agit pas de branches normales, mais de pousses provenant de bourgeons adventifs qui possèdent tout le potentiel morphogénétique de l'espèce. Ainsi. par exemple, huit ans après la plantation, une grande pousse de Bombacopsis quinata peut donner un arbre de vingt mètres de hauteur, avec un diamètre à hauteur d'homme de 55 cm. La simplicité de cette méthode, son faible coût, et son taux de réussite exceptionnel, permettent de penser qu'elle offre des possibilités prodigieuses d'application

Le fait de laisser les pousses pendant une semaine sur le sol permet sans doute à la coupe de se cicatriser à chaque extrémité, et en les plaçant verticalement pendant trois autres semaines, la concentration des éléments minéraux et des hormones à l'extrémité inférieure est sans doute favorisée. Certains agriculteurs ont essayé de planter les boutures immédiatement après les avoir coupées: elles se desséchaient, perdaient leur écorce et mouraient.

Extrait de Jolin et Torquebiau (1992).


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