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4. Quelques données relatives a la productivité4

4 Par abus de langage, de très nombreux auteurs assimilent les deux notions "production" et ''productivité"' et parfois "productivité" et "possibilité".

Les données relatives à la productivité sont rares. Au début du siècle, les forestiers estimaient parfois sommairement les potentialités. Au Sénégal, "les coupes ouvertes en bordure de la voie ferrée, entre Kaolack et la frontière malienne dans les forêts de gonakiés5 (dans le département de Podor), ont donné 50 à 80 stères par hectare. Le peuplement s'est refermé assez rapidement, pouvant produire 40 à 65 stères vingt ans plus tard." (Giffard, 1974).

5 Gonakié ou Acacia nilotica.

Clément (1982) avait proposé, pour l'Afrique de l'Ouest, un graphique d'estimation des productivités en fonction de la pluviosité et de l'état de la forêt (figure n° 7). L'expression suivante donne la relation entre la productivité potentielle d'un peuplement sans protection (exprimée en m3/ha/an) et les précipitations annuelles (P exprimées en mètres), calculée à un âge moyen d'exploitation de vingt ans environ (tableau n° 12):

Productivité = i0 = 0,05129 + 1,08171 x P2

De plus, Clément définit des valeurs de productivité maximale que l'on peut trouver dans les savanes protégées des feux de brousse ou aménagées:

imax= 1,25 i0

et des valeurs de productivité minimale dans les zones dégradées:

imin= 0,25 P2

Clément était parfaitement conscient que certaines des rares données dont il disposait en 1982 étaient parfois grossières (par exemple: âge du peuplement estimé arbitrairement alors qu'il ne s'agissait pas de parcelles équiennes).

Une synthèse provisoire de Goudet (1985-a) concernant l'Afrique de l'Ouest, permet de cerner les ordres de grandeur de la production des formations naturelles non dégradées par une surexploitation ligneuse, un surpâturage ou des feux annuels tardifs. Parallèlement, nous y avons ajouté les estimations de Catinot de 1985, qui représentent des estimations de production maximale de peuplement sans protection particulière (tableau n° 12).

Figure n° 7: Estimation des productivités en fonction de la pluviosité et de l'état de la forêt (Clément, 1982)

Ce graphique fait encore référence aujourd'hui dans le monde forestier africain des zones tropicales sèches. Lors de la mise en aménagement de forêts au Burkina Faso dans les années 90, il a servi de base à l'évaluation des productivités. Il en va de même pour les estimations de projets au Niger. Ces productivités correspondent à une découpe supérieure à 10 cm de circonférence.

Depuis cette étude, quelques rares chiffres de production ont été publiés. Pour la plupart, les nouveaux résultats obtenus dans différents pays (Sefa et Koumpentoum au Sénégal, Yabo, Bissiga, Sa et Toumousséni au Burkina Faso, etc.) ne contredisent pas les propositions de Clément qui peuvent donc encore servir de repères, à condition d'être utilisées avec prudence et esprit critique. Seul, le site de Gonsé, au Burkina Faso (Nouvellet, 1993), présente une production deux à trois fois plus importante que prévue, mais la mesure porte sur la biomasse totale (à l'exception des feuilles et des racines) alors que généralement les évaluations que l'on possède portent sur les "gros bois". Cette production de 2,95 m3/ha/an comprend les "petits bois" (inférieurs à 10 cm de circonférence), qui interviennent à concurrence de 1,24 m3. Pour pouvoir comparer cette production avec les autres qui ne considèrent que les "gros bois", il faut parler alors d'une production de 1,71 (et non de 2,95 m3/ha/an) en accord avec la figure n° 7.

Ailleurs, les résultats sont inférieurs à ceux attendus. Ainsi dans la forêt de Koupentoum (Sénégal), la production maximale calculée est de 0,3 m3/ha/an, mais dans ce cas il y a lieu d'ajouter les prélèvements coutumiers qui n'ont pas été chiffrés (Arbonnier et Faye, l988).

La production de trois forêts naturelles du Burkina Faso a été estimée à partir des dispositifs de suivi de coupe en taillis installés en 1983 et 1985 (Kaboré et Ouedraogo, 1995):

- forêt de Bissiga : 0,80 m3/ha/an;
- forêt de Sa : 1,04 m3/ha/an;
- forêt de Yabo : 0,61 m3/ha/an.

Tableau n° 12: Quelques données de production (en m3/ha/an) en Afrique de l'Ouest en fonction des précipitations (P).

P en mm

Clément 1982

Goudet 1985-b

Catinot 1985

300








400


0,1




à


500

0,32

0,5

0,25




à

600

0,44


0,75





700

0,58

0,5

0,50



à

à

800

0,74

1

1,75




1,25

900

0,93


à




2,50

1000

1,13

1

1,75



à

à

1100

1,36

1,5

2,75





1200

1,61



N.B. : Les données de 1982 sont sous-estimées selon certains auteurs. Ceci présente à la fois un avantage: incitation à la prudence, et un inconvénient: déduction de mauvaise rentabilité de la forêt naturelle, faite par certains économistes ou techniciens.

Les accroissements annuels moyens par espèce sont parfois mieux connus, au moins en ce qui concerne les espèces de bois d'oeuvre, mais ces données sont encore rares. Ainsi, à titre d'exemple, en Gambie, la croissance moyenne de quatre espèces a été observée pendant quatre années consécutives, de 1990 à 1993 (Jensen, 1995). Elles sont reprises dans le tableau n° 13.

Tableau n° 13: Accroissements annuels moyens calculés en Gambie sur quatre années (1990-93) pour quatre espèces.


Forêt de Bama Kuno

Forêt de Katilenga

Espèces

N

ID

IH

N

ID

IH

Khaya senegalensis

7

1,2

0 6

26

1,4

1,4

Pterocarpus erinaceus

34

0,5

0,7

48

0,4

0,9

Daniellia oliveri

19

0,3

1,2

31

0,5

0,9

Cordyla pinnata

6

0,4

0,6

6

0,1

0,8

avec

N = nombre d'arbres mesurés
ID = accroissement annuel moyen en diamètre (cm/an)
IH = accroissement annuel moyen en hauteur (m/an)

Malheureusement, les résultats de production ne précisent que très rarement les diamètres ou circonférences minima et maxima, ce qui induit de nombreuses incertitudes quant aux résultats présentés, ne sachant pas si le "petit bois" est inclus ou non.

Les comparaisons de production sont difficiles à effectuer entre l'Afrique de l'Est et du Sud d'une part et l'Afrique de l'Ouest d'autre part. Les inventaires diffèrent dans leur précision, leur situation (travaux locaux en Afrique de l'Ouest et régionaux ou nationaux en Afrique de l'Est) et leur présentation. Il semble cependant que le modèle de Clément ne soit que partiellement corroboré par les données de production de l'Afrique de l'Est (Wormald, 1984):

- en Somalie, sous une précipitation moyenne de 600 mm, la production est évaluée entre 0,15 et 0,7 m3/ha/an pour la végétation basse (bush) et 2 à 2,5 m3/ha/an pour les savanes boisées;

- au Kenya, la production varie entre 0,5 m3/ha/an dans les zones arides à 3 m3/ha/an dans les milieux les plus humides des zones arides;

- en Tanzanie, où près de 60% du pays sont de type aride ou semi-aride, la production se situerait entre 0,3 m3/ha/an dans les fourrés et 1,5 m3/ha/an dans les miombos secs;

- en Zambie, avec des précipitations variant entre 600 et 1000 mm, des essais d'aménagement dans les zones les plus productives ont montré que l'accroissement en vingt ans est de 2 m3/ha/an après une très forte éclaircie initiale; dans les zones les plus sèches, la croissance serait moindre: 1 m3/ha/an;

- au Zimbabwe, des mesures dans des savanes à mopane (Colophospermum mopane) donnent un chiffre de 0,34 m3/ha/an, alors que pour des taillis de Brachystegia spiciformis, il est de 1,69 m3/ha/an.

Au Zaïre (Shaba), selon Malaisse (1979), "la surface terrière mesurée à 130 m de hauteur constitue un excellent moyen d'évaluation de la densité du miombo. Elle varie de 12 à 25 m2/ha. La strate arborée dominante représente près de 35% de la surface terrière totale. Lorsque celle-ci est inférieure à 10 m2/ha, la composition de la strate herbacée se modifie et l'on a affaire à des savanes arborées".

Kigomo (1995) cite les productions suivantes et très variables des miombos sans information le plus souvent sur l'âge, le type de formation, le mode de traitement:

- 3,50 m3/ha/an au Malawi (Masamba, 1987);

- 1,00 m3/ha/an au Kenya (Blackett, 1994), ainsi qu'en Tanzanie (Lundgren, 1975);

- 1,30 à 2,00 m3/ha/an pour les parcelles d'essai en Zambie (Endear, 1967);

- 1,93 m3/ha/an de production annuelle de bois de feu dans des recrûs de miombo sec âgés de 6 à 34 ans, en Zambie (Chidumayo, 1988);

- le même auteur note que l'exploitation des recrûs successifs ne semble pas affecter la productivité. L'accroissement annuel de la biomasse ligneuse dans des recrûs est estimé à 2-3 tonnes par hectare, dont environ 1,1 tonne correspond à du bois enstéré pour la production de charbon de bois. Dans des parcelles expérimentales de taillis âgées de 3 à 29 ans, l'accroissement annuel moyen était de 1,97 t/ha/an et de 1,68 t/ha/an pour les parcelles âgées de 48-49 ans;

- en Zambie, dans la région de la "Copperbelt", Chidumayo (1990) a trouvé que la biomasse ligneuse moyenne totale était de 92,5 t/ha, dont 3,6% de feuilles et 96,4% de bois;

- en Tanzanie, le Plan d'Action Tropical Forestier a estimé le volume de bois d'oeuvre commercial des forêts claires à 40 m3/ha (PAFT, 1 989);

- Boaler (1966) mentionne, en Tanzanie, une surface terrière égale à 14 m2/ha pour les miombos.

Pour ce qui concerne les forêts denses sèches de Madagascar, l'étude de la productivité à Morondava pour l'ensemble du peuplement n'a pas été menée. Cependant, si à partir d'accroissements calculés pour les espèces de bois d'oeuvre (à peine 0,1 m3/ha/an pour une station de fertilité moyenne), on extrapole ces résultats en tablant sur le fait que les espèces de bois d'oeuvre ne représentent qu'environ 10 à 20% de la surface terrière totale des peuplements (Quatrième Partie, étude de cas n° 3), la production totale serait comprise entre 0,5 et 1 m3/ha/an.

En Amérique centrale et du Sud, les renseignements semblent être beaucoup moins nombreux. Ainsi, dans le nord-est du Brésil, Campello (1995) cite les données de EMBRAPA (Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuaria): "la caatinga et le cerrado présentent des accroissements très variables pouvant aller de 1,2 à 8 stères/ha/an. Lors de ses travaux dans la région de Serido (Etat de Rio Grande do Norte) le projet PNUD / FAO / IBAMA / BRA/87/007 a relevé les accroissements suivants:

- 1,2 st/ha/an pour la caatinga claire;
- 1,8 st/ha/an pour la caatinga arborée;
- 5,0 st/ha/an pour la caatinga dense."

5. La possibilité et le parcellaire

La possibilité, c'est ce qui pourra être récolté annuellement ou périodiquement, sur une étendue de forêt et pendant une durée donnée. Dans les zones sèches, cette possibilité correspond surtout à un prélèvement ligneux qui devrait être, en théorie, proche de la capacité de production du peuplement6; et ceci, pour que l'exploitation soit compatible avec le renouvellement de la ressource: un des principes de l'aménagement durable. Toutefois, dans un but de reconstituer un peuplement dégradé, l'aménagiste peut être conduit à fixer une possibilité inférieure aux capacités de production du peuplement. D'un strict point de vue spéculatif, le cas inverse peut exister, par exemple pour les besoins de conversion d'un massif forestier. Plus qu'une valeur quantifiée, la possibilité est surtout un outil de gestion puisqu'elle fixe une modalité et une intensité de prélèvement.

6 Cette capacité de production peut être estimée en volume (mais aussi en poids ou en surface terrière) par le bilan faisant intervenir sur une année: la croissance, la régénération et la mortalité du peuplement. Autrement dit: le cumul annuel des accroissements en taille des individus constituant le peuplement, auquel s'ajoute l'apport en jeunes tiges, brins et rejets s'incorporant au peuplement et se retranchent les pertes dues à la mortalité naturelle ou induite (par les feux, etc.) au cours de l'année.

D'une façon générale, la méthode qui est utilisée pour mobiliser la possibilité est déterminante. Elle est au coeur des méthodologies de l'aménagement et du débat sur le caractère durable de telle ou telle pratique.

En fonction de la possibilité, l'espace forestier est généralement fractionné en assiettes de coupe ou unités de surface de taille variable qui sont susceptibles de contenir chacune un potentiel de l'ordre de la possibilité et dont l'exploitation doit être faite en un temps bien défini (par exemple l'année). Ceci est valable pour les aménagements à but exclusif de production de bois (d'oeuvre ou d'énergie).

La durée séparant deux coupes successives sur une même surface (ou assiette de coupe) est la rotation. En principe, les coupes étant de même nature, le potentiel prélevé devrait être du même ordre de grandeur, pour ne pas compromettre la durabilité du système.

Ce découpage de l'espace forestier mène à la notion de parcellaire, qui est l'ensemble des parcelles correspondant aux objectifs de l'aménagement: assiettes de coupe, réserves, parcours pastoraux, etc., autrement appelé: zonage spatial.


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