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3. Exploitation

La hauteur de coupe a été peu étudiée Pour les essences qui émettent des rejets, tous les auteurs s'accordent à dire qu'un arbre relativement jeune, coupé au ras de terre, émettra des brins résistants. Pour les arbres plus âgés, dans la plupart des directives d'exploitation, il est recommandé de les couper au ras de terre de façon à favoriser les bourgeons proventifs et, pour certaines espèces (Bellefontaine, 1995-b) les drageons; coupée plus haut, la souche se couvrira principalement de rejets adventifs, moins vigoureux et qui contribueront à l'épuiser.

Certains bûcherons préfèrent couper à 50 cm, voire à un mètre de haut. Une hauteur de coupe située entre 20 et 40 cm est fréquemment recommandée. Une coupe au ras de terre permettrait aux bourgeons proventifs de développer leur propre système racinaire. L'existence de secteurs racines-rejets plus ou moins autonomes à l'intérieur d'une même souche a été mise en évidence (pour Eucalyptus camaldulensis) au Maroc (Riedacker, 1973)

Dans le cas d'aménagement sylvo-pastoral, une autre question se pose: celle du broutement des jeunes rejets par le bétail. Cette question a été abordée pour les rejets de Pterocarpus erinaceus, espèce très appétée et qui a beaucoup de mal à se régénérer sans protection, car sa croissance est lente. Des essais de hauteur de coupe pour cette espèce ont eu lieu au Mali (Anderson, 1994): au ras de terre, à 50 cm, à 1 m et à 1,5 m. Les premières observations montrent que Pterocarpus erinaceus rejette bien aux différentes hauteurs et qu'à 1,5 m du sol, la croissance des rejets est encore "acceptable" En coupant à hauteur de poitrine, il est donc envisageable de mettre les rejets de cette espèce hors de portée de certains animaux Ces essais doivent être poursuivis, car on peut se demander si la production de bois, après une telle coupe, reste suffisamment intéressante pour justifier la perte de 1,5 m de tige De plus, la vitalité et le nombre des rejets varient vraisemblablement avec l'âge de la souche

Pour l'étude de l'époque optimale de coupe, la plupart des essais présentés dans la littérature n'ont pas été installés suivant un dispositif statistique rigoureux:

- Au Burkina Faso un test, sans répétition, ayant pour objectif la détermination de la période la plus favorable pour la régénération par rejets de souche après coupe a été entrepris de 1983 à 1984, dans trois sites (Kaboré et Renés, 1987): coupe en début de saison des pluies (mai), en fin de saison des pluies (septembre-octobre), en saison sèche et froide (décembre) et coupe en saison sèche et chaude (mars) Bien qu'il soit difficile de tirer des conclusions objectives, la période la plus intéressante pour la coupe paraît être le début de la saison des pluies: moins de mortalité, croissance des rejets plus forte. Cependant, les auteurs soulignent la difficulté de mettre en évidence l'impact de l'effet "date de coupe" sur la faculté de rejetter de souche en raison de l'hétérogénéité des parcelles, de leur état sanitaire différent, de la variabilité de la qualité des sols et de la pluviosité Néanmoins, ils émettent les propositions provisoires suivantes:

* dans le domaine sud-soudanien, ils conseillent de couper d'octobre à mars: le tapis herbacé dense et haut, formé de Graminées vivaces, se dessèche de plus en plus et est de moins en moins en mesure de concurrencer les rejets; ceux-ci auront ainsi atteint une hauteur "suffisante" lors du retour des pluies;

* dans le domaine nord-soudanien, caractérisé par un tapis d'herbacées annuelles. la coupe peut s'étaler d'octobre à mai;

* dans le domaine sub-sahélien, la période de coupe pourrait s'étaler d'avril à juin pour éviter une saison sèche fortement marquée

- Au Mali, sept espèces économiquement importantes ont été étudiées (Anderson, 1994): Isoberlinia doka, Daniellia oliveri, Anogeissus leiocarpus, Pterocarpus erinaceus, Combretum fragrans, Burkea africana et Khaya senegalensis. Généralement, toutes semblent rejeter vigoureusement quelle que soit la date de coupe. I. doka et D. oliveri ont une croissance constante au cours de l'année; la date de coupe n'aurait que peu d'importance. En revanche, P. erinaceus et A. leiocarpus ont, après coupe, une croissance accélérée au début de la saison sèche; l'abattage à cette période-là de l'année serait le plus profitable.

- Au Niger, à la suite d'expériences de régénération (sans répétition) en 1974, il a été montré que la période de coupe correspondant à la fin de la saison sèche et au début de la saison des pluies était la meilleure pour obtenir des rejets vigoureux (Bouzou, 1984)

La règle générale semble donc indiquer que les arbres rejettent "mieux" lorsque la coupe a lieu à la fin de la saison de repos, juste avant la montée de sève (à titre de comparaison, dans les zones tempérées, l'exploitation est préconisée en hiver ou à la fin de celui-ci; dans les zones tropicales sèches, l'abattage est recommandé en fin de saison sèche) Il reste cependant à quantifier et qualifier ce "mieux", qui peut concerner le nombre de rejets, leur vitesse initiale de croissance et/ou leur rendement final En zone sahélienne, une coupe de fin de saison sèche, lorsque le tapis herbacé a disparu, permet aux rejets de se développer sans souffrir de la concurrence herbacée

Outre ces aspects biologiques, il convient de prendre en compte les données humaines, comme la main d'oeuvre disponible, les souhaits des bûcherons, les traditions et les possibilités de transport. D'autres considérations interviennent régulièrement depuis que les populations sont associées à la gestion, à la surveillance et aux revenus des formations ligneuses: les paysans-bûcherons sont avant tout des agriculteurs et leur calendrier agricole ne correspond pas souvent avec la période de coupe choisie par le sylviculteur.

La rotation est le délai séparant deux passages successifs d'une coupe de même nature sur la même parcelle (Dubourdieu, 1989). Dans les années 70-80, sans disposer de solides résultats de recherche, les temps de rotation d'exploitation du taillis simple étaient estimés à quinze - vingt ans environ.

Par ailleurs, au Sénégal, au-delà de huit ans, après exploitation, la surface terrière de tiges carbonisables reste relativement stable. Arbonnier et Faye (1988) préconisent donc un cycle d'exploitation de cette durée au lieu des vingt années précédentes.

Se basant sur l'expérimentation de Gonsé, au Burkina Faso, une rotation (à préciser ultérieurement) comprise entre huit et dix ans est préconisée.

Au Niger à Tientiergou, six ans constituent un laps de temps suffisant entre deux passages en coupe. Le régime du taillis fureté ne prélève que les arbres ou les tiges ayant dépassé le diamètre minimal d'exploitation. Le passage en coupe peut être court, sans altérer la forêt. Cependant, une rotation trop brève ne permet de récolter que du bois de diamètre juste supérieur à la limite minimale de coupe; d'où le choix intermédiaire d'une rotation de six ans. D'autres raisons ont également motivé ce choix (Peltier et al., 1994-a):

- des facilités en manière d'aménagement peuvent conduire pour une surface donnée, à réduire le nombre de parcelles lorsque l'on a fait le choix de mettre en place un parcellaire à parcourir sur un pas de temps annuel. Cette attitude réduit la durée de rotation;

- la prise en compte des habitudes de consommation doit aussi guider le choix de l'aménagiste. Ainsi, le bois de feu que l'on trouve actuellement sur le marché a un diamètre moyen de 6 à 8 cm; il est inutile de proposer des rotations trop longues, qui donneraient des diamètres non souhaités par les consommateurs.

Ces prescriptions ne s'appliquent encore qu'à la forêt de Tientiergou (Quatrième Partie, étude de cas n° 4). La rotation est assujettie aux modalités de prélèvement et aux produits escomptés. Elle varie aussi selon le type de formation végétale à aménager.

Les durées de rotation et de révolution pour les arbres de la futaie sont très variables:

- pour l'Afrique de l'Ouest, on propose souvent un diamètre d'exploitabilité moyen de 50 à 60 cm, ce qui entraîne des âges estimés d'exploitabilité, variables selon les espèces, compris entre soixante à soixante-dix ans pour Afzelia africana, de l'ordre de cinquante ans pour Bombax costatum et de trente à quarante ans pour Khaya senegalensis;

- sur la côte ouest de Madagascar, dans la forêt dense sèche de Morondava, la rotation initiale de 25 ans est passée à 50, puis à 100 ans; pour les Commiphora spp., représentés par deux espèces qui constituent 70% du volume exploitable, le temps nécessaire pour atteindre le diamètre d'exploitabilité légal, fixé à 38 cm, est estimé à 400 ans ! (Quatrième Partie, étude de cas n° 3);

- au Niger, on estime qu'il faut fixer des diamètres d'exploitation suffisamment élevés, comme par exemple 35 cm à la base pour Pterocarpus lucens (Peltier et al., 1994-b);

- au Burkina Faso, un temps d'exploitation supérieur à vingt et un ans est proposé;

- dans le nord de la Côte d'Ivoire, à Badénou, les savanes arborées et boisées sont parcourues par des coupes d'éclaircie, tandis que les savanes arbustives sont régénérées par coupe rase au début de l'aménagement en vue de leur conversion en futaie. La rotation des coupes est fixée à 20 ans et les meilleures tiges, conduites en futaie, seront ensuite éclaircies jusqu'à la révolution de 80 ans. Celle-ci correspondrait aux diamètres d'exploitabilité, fixés de manière empirique (Quatrième Partie, étude de cas n° 2), à savoir 60 cm pour les espèces de savanes boisées et arborées susceptibles de fournir du bois d'oeuvre.

Ces propositions, basées sur des hypothèses, sont du point de vue biologique et écologique à prendre avec grande prudence. L'accroissement annuel moyen et la productivité étant encore largement inconnus, les âges d'exploitabilité ne sont généralement pas fixés. Seuls les diamètres d'exploitabilité de quelques rares espèces figurent dans le Code forestier de certains pays de la zone sèche tropicale.

Les techniques de coupe d'abattage n'ont pas fait l'objet d'études précises sur la modalité de coupe. Il est certain que les souches cisaillées, en partie écorcées, par un travail médiocre avec des outils inadaptés ou simplement mal aiguisés et, de plus, mal utilisés, ne peuvent avoir la même capacité de survie et d'émission de rejets que celles correctement traitées. L'utilisation d'une hache plutôt que d'une scie conduit à une perte de bois plus importante.

Il est important d'instaurer un minimum de règles d'abattage afin d'éviter une exploitation préjudiciable au maintien de la forêt, notamment en forêt dense sèche.

Outre les hauteurs et les périodes de coupe, indispensables à respecter, la notion d'abattage directionnel pourrait être apprise aux bûcherons. En effet, l'abattage des plus gros diamètres se fait généralement sans tenir compte du peuplement alentour. Les dégâts engendrés peuvent être importants et nuire à la régénération future, ce qui est vital dans les régions où l'arbre acquiert une importance particulière (steppes, savanes). Cette technique est aussi à promouvoir dans les forêts riches en bois d'oeuvre, où les dégâts ont un impact financier direct (forêts claires à Isoberlinia doka, forêts denses de Madagascar, etc.).

Dans les forêts tropicales sèches situées à la limite sud de notre aire, le délianage des gros arbres avant abattage peut être une bonne précaution à prendre.

Signalons encore que dans le chaco paraguayen, l'exploitation à l'aide de hache de cette formation végétale se limite à l'extraction du bois de quelques espèces: Schinopsis balansae (parquet, poteaux de clôture, tanins), Aspidosperma quebracho-blanco (parquet et charbon de bois), Bulnesia sarmientoi (parquet, poteaux de clôture, huile), Calycophyllum multiflorum (menuiserie intérieure). Cette exploitation concerne moins de 10 arbres par ha. Ces forêts sont principalement utilisées comme terrain de parcours, spécialement en Argentine et en Bolivie, où elles sont défrichées et 90% des ligneux sont simplement brûlés (Gerber, 1995).

Le débardage et le transport des petits bois, comme le bois de feu et les bois de service, se font généralement à dos d'homme. L'utilisation sur le lieu de coupe de charrettes tirées par des animaux est encore peu courante.

Dans les zones de savanes ouvertes, les gros bois sont équarris et sciés sur place ou débités pour produire du bois de feu. Dans les zones plus riches (forêts claires ou forêts denses sèches), se pose le problème du débusquage des troncs.

A Madagascar à Morondava, des essais de débardage attelé avec zébus ont donné des résultats intéressants (Wyss, 1990; Rakotonirina, 1991):

- alors que l'exploitation semi-mécanisée demande de grands investissements, le débardage attelé en implique de modestes, adaptés à la capacité des petits exploitants;

- l'impact écologique sur la forêt est moindre;

- les interventions nécessaires en forêt (infrastructure) restent modestes;

- le rendement matière et financier est bon;

- c'est une technique bien appropriée aux conditions locales, car elle utilise un système déjà connu par les villageois qui utilisent zébus et charrettes à d'autres fins.

L'utilisation d'autres animaux comme les taurins en Amérique du Sud, voire les buffles en Asie est aussi envisageable dans les zones riches en bois d'oeuvre.

Le réseau de pistes est le plus souvent très réduit: une ou deux pistes, de praticabilité plus ou moins permanente, traversent les massifs forestiers. Les paysans-bûcherons empruntent surtout des sentiers pour se rendre sur les lieux d'exploitation. La plupart du temps, le bois est amené en bordure de route par ces mêmes sentiers.

Une optimisation de la desserte est souhaitable pour permettre:

- de minimiser les dégâts sur le peuplement;

- de se rendre sur les lieux de coupe (si les parcelles à exploiter sont difficilement accessibles, les bûcherons couperont une autre parcelle, plus facile d'accès);

- de revenir du lieu de coupe avec le bois abattu (les "chemins de débardage" sont des chemins temporaires qui durent le temps de l'extraction des bois);

- de surveiller les accès à la forêt;

- d'optimiser la lutte contre les feux.

Dans les aménagements réalisés postérieurement à celui de Nazinon, l'optimisation du réseau au Burkina Faso se base sur trois types de pistes:

- la piste périphérique, opérationnelle pendant au moins un an;

- les dorsales, distantes de 500 mètres et utilisables par les transporteurs;

- les dessertes perpendiculaires aux dorsales et distantes de 500 mètres qui facilitent l'extraction des bois.

Après la coupe, les pistes secondaires (les dorsales et les dessertes) sont abandonnées au profit de la régénération naturelle par drageons et rejets, notamment.

A Madagascar, selon Wyss (1990), des essais d'infrastructure ont été réalisés pour l'étude du débardage attelé (figure n° 16):

- une infrastructure systématique avec des layons de débusquage: les zébus restent sur les layons de débardage et tirent (à l'aide d'un câble et d'une poulie) les grumes qui se trouvent dans les layons de débusquage d'un mètre de large (c'est un système pénible et présentant un mauvais rendement);

- une infrastructure systématique avec ouverture de layons de débusquage de 2,5 m de large pour chaque grume exploitée;

- une infrastructure non systématique, en fonction du bois abattu avec des layons d'axe à ouvrir pour chaque arbre. Un layon peut atteindre plusieurs arbres par zigzag. Les obstacles sont contournés et les layons sont moins longs, si le parcours entre les grumes est bien choisi. Ce dernier type de réseau est le plus adapté au débardage attelé.

Dans le nord de la Côte d'Ivoire) dans le projet de Badénou notamment, le réseau de pare-feu sert également de pistes entre les parcelles (Quatrième Partie, étude de cas n° 2).

Le réseau de pistes est donc important puisqu'il permet de réduire les dégâts causés à la régénération et puisque c'est lui qui conditionne la possibilité d'accès à la forêt (commercialisation des produits, lutte plus efficace contre les incendies, surveillance facilitée du parcours en forêt). Un bon réseau favorise l'accès des produits forestiers au marché et un développement rationnel de la zone. Il doit être, si possible, étudié au préalable et s'intégrer, autant que faire se peut, au réseau de pare-feu.

Figure n° 16.1: Infrastructure pour débardage attelé (Wyss, 1990). A. Infrastructure systématique avec layon de débusquage

Figure n° 16.2: Infrastructure pour débardage attelé (Wyss, 1990). B. Infrastructure systématique avec ouverture de layons au niveau de chaque grume abattue

Figure n° 16.3: Infrastructure pour débardage attelé (Wyss, 1990). C Infrastructure avec ouverture des layons en fonction du bois abattu

4. Sylvo-pastoralisme

4.1. Définition de la charge
4.2. Principes d'exploitation
4.3. La gestion de l'espace
4.4. Interventions amélioratrices


La moitié du cheptel mondial est regroupée dans les zones sèches du globe. L'aménagement des formations ligneuses dans les terres de parcours et dans les terroirs agropastoraux doit donc obligatoirement prendre en compte cette donnée. De nombreux projets forestiers ont échoué pour n'avoir pu ou pas su intégrer la composante pastorale.

Dans le cas des formations ligneuses tropicales sèches, le sylvo-pastoralisme est défini comme l'exploitation, par le cheptel transhumant et celui des terroirs agropastoraux, du milieu naturel non cultivé en quasi permanence. En Afrique de l'Ouest, par milieu naturel, il faut entendre les steppes sahéliennes, les savanes soudaniennes, les zones de décrue des fleuves (delta intérieur du fleuve Niger au Mali par exemple) et les systèmes de jachères, plus ou moins anciens. Après récoltes, le cheptel exploite également les soles de cultures.

L'organisation de l'exploitation de ces ressources, naturelles ou messicoles, obéit à un certain nombre de règles plus ou moins complexes.


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