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4.3. Politiques et forêts

En Afrique tropicale sèche, les politiques forestières ont fortement évolué depuis la période coloniale jusqu'à aujourd'hui. La période codificatrice (codes forestier, rural, pastoral, etc.) a affirmé le rôle prépondérant de l'Etat et de l'administration forestière, parfois avec beaucoup de zèle, mais n'a pas permis d'enrayer la dégradation des régions boisées.

Souvent, "la loi ne cherche pas à orienter/es modes d'utilisation des espaces boisés vers des formules mieux adaptées puisqu'elle nie justement la nécessité qu'on les paysans d'utiliser ces espaces. Elle ne veut pas inciter elle se contente d'interdire (...). La déresponsabilisation des paysans accélère alors le déboisement (...). On défend la forêt pour elle-même sans considération du rôle qu'elle joue dans la reproduction des systèmes agraires locaux (...) les politiques forestières africaines ne tiennent généralement pas compte du mode de fonctionnement des sociétés dont elles cherchent à encadrer les pratiques" (Buttoud, 1991).

De plus, les systèmes d'autorisation de coupe et de transactions des infractions font que l'administration forestière à intérêt à une multiplication des prélèvements et des délits.

Au moment de l'indépendance en Afrique de l'Ouest, les services forestiers nationaux sont considérés comme l'instrument colonial de répression sur le monde rural. Leurs missions se concentrent sur le domaine classé avec des moyens réduits. Leur présence sur le domaine protégé est allégée. Paradoxalement la référence à la France est toujours de mise. En effet, le conseil technique exercé pendant la période coloniale est souvent reconduit après l'indépendance. La plupart des programmes forestiers tropicaux de la zone concernent alors la sélection d'essences exotiques performantes et à croissance rapide (Eucalyptus en particulier) et la mise au point de techniques adaptées à leur plantation dans un cadre public (domaine classé). Avec quelques années de recul, il devient clair que les plantations ne réussissent pas, là où la pluviosité est inférieure à 800 mm par an, sauf à surinvestir dans des systèmes irrigués.

Devant ces échecs totaux ou relatifs, les esprits et les approches ont évolué très lentement. Petit à petit, on prend conscience de la nécessaire implication des populations dans l'ensemble des actions de reboisement. Cette réorientation se fait par le biais d'opérations "mini-pépinières". Des pépiniéristes villageois ont été formés à la production de plants forestiers. Localement, les populations rurales peuvent ainsi disposer de moyens techniques pour réaliser des actions programmées. Cette démarche d'autonomisation les rend moins dépendants des services forestiers et réduit nettement les coûts. On s'oriente alors vers des plantations villageoises.

Dans un climat d'urgence, une autre piste bénéficie aussi de la contribution des bailleurs de fonds internationaux (Montagne et al., 1994). L'aménagement des forêts naturelles devient alors une alternative aux plantations, intéressante du point de vue technique et social, mais aussi économique. Une évaluation, faite par Wormald (1984), indique que pour la production de bois de feu, l'aménagement des forêts naturelles serait plus économique que la plantation sauf si cette dernière produit plus de 6 m3/ha/an, ce qui est incompatible le plus souvent avec une production durable en zone tropicale sèche.

Depuis la fin des années 1970 et en particulier à partir du 8ème Congrès Forestier Mondial, un lent processus de changement s'est engagé dans la communauté forestière internationale, en particulier celle s'intéressant aux zones tropicales sèches. Les préoccupations majeures ne sont plus limitées à la protection de certains espaces forestiers et à la maximisation des revenus d'autres forêts. L'importance des liens entre les populations rurales et les forêts est de plus en plus mis en avant.

Trois raisons majeures expliquent ce bouleversement (Shepherd, 1992):

- la crise pétrolière qui souligne que le bois de feu reste pour longtemps encore la principale source d'énergie des populations des pays pauvres;

- la prise de conscience d'une déforestation au niveau mondial que les projets de reboisement ne peuvent contre-balancer;

- une reconsidération des problèmes de développement, de moins en moins tournés vers la grande industrie, mais plutôt avec une prise en compte des petits producteurs.

Dans la logique de ce processus et en suivant les mouvements de démocratisation et de décentralisation, d'autres solutions politiques sont actuellement avancées. S'appuyant sur un "principe de capacité d'auto-organisation des sociétés par solidarité d'intérêt ou de coopération territoriale" (Auriac et Brunet, 1986), elles se réfèrent implicitement à l'idée de responsabilisation des populations locales.

"Dans nombre de cas, un moyen particulièrement efficace de responsabiliser les populations rurales à l'égard de leurs ressources forestières consiste à leur remettre la gestion et les bénéfices de celles-ci, avec l'aide technique du service forestier. La tâche de ce dernier se trouve profondément modifiée par rapport aux orientations traditionnelles: à l'action directe sur les peuplements forestiers se substitue l'appui à des actions mises en oeuvres par les populations elles-mêmes en fonction des besoins qu'elles perçoivent... " (Montalembert et Clément, 1983).

La Banque Mondiale fait un constat global très proche. "Une utilisation des terres économiquement viable, socialement équitable et écologiquement stable s'instaure rarement automatiquement (...). Dans le passé les gouvernements se sont bien souvent reposés pour cela sur une planification centralisée de l'utilisation des terres (aménagement du territoire). Les techniciens des divers ministères concernés utilisaient des cartes d'aptitude des sols et les résultats d'inventaires forestiers pour l'élaboration des plans complexes d'utilisation des terres distinguant des aires de conservation, des forêts de production et des zones de mise en valeur agricole, d'exploitation minière et de développement des infrastructures (...). L'insuccès flagrant de cette approche autoritaire est dû principalement au fait que la planification était conçue comme un exercice technique et administratif, prêtant peu d'attention aux conflits politiques latents du fait des demandes concurrentes sur les ressources forestières et aux motivations économiques déterminant leur utilisation. Les conflits entre les différents usagers, notamment pour les terres collectives et publiques, doivent être résolus par la négociation et les accords traduits en "règles du jeu" relativement simples devant être respectées par toutes les parties concernées si l'on veut que les plans d'utilisation des terres aient une valeur" (Banque Mondiale, 1994).

Les deux encadrés suivants (n° 29 et n° 30) développent comment ce type d'approche nouvelle peut se concrétiser.

Encadré n° 29: Cogestion de forêts domaniales en Inde

Le programme indien de congestion des forêts domaniales permet aux institutions communautaires locales de devenir gestionnaires du domaine de l'Etat en contrepartie d'un partage des bénéfices. Les objectifs prioritaires de la politique nationale ne sont plus la couverture des besoins industriels et commerciaux en produits forestiers et la maximisation des recettes.

La nouvelle politique adoptée en 1988 met en avant "la protection et la conservation de l'environnement la satisfaction des besoins des populations rurales et tribales en bois de feu fourrage produits forestiers secondaires et petits bois d'oeuvre (...). Selon une estimation, au milieu de 1992, plus de 1,5 m millions d'hectares de forêts (soit environ 2% de la superficie sous forêts du pays) étaient déjà protégés (dans une large mesure par le biais d'un programme de cogestion de forêts) par plus de 10 000 institutions communautaires (structurées ou non structurées), dans dix Etats (...).

Comme l'objectif central (des programmes de cogestion) est la protection des forets en vue de produire du bois d'oeuvre et non l'aménagement des forêts en fonction des besoins <tes populations il permet <i ceux qui dépendent le moins des forêts de contraindre les membres de la communauté qui en dépendent le plus à renoncer à récolter immédiatement le bois saris leur fournir des solutions de rechange. Cet impact déjà injuste en soi est très différencié suivant le sexe au point que les femmes, qui sont les plus nombreuses à utiliser les forets. sont presque totalement exclues des décisions lices à la cogestion des forêts (...). Lorsque les femmes sont obligées d'aller récolter le bois de feu dans des forêts éloignées qui ne sont pas encore protégées un transfert invisible se produit: d'autres zones sont soumises à une pression insupportable pour permettre à la forêt la plus proche de se régénérer" (Sarin 1995)

Encadré n° 30: Exemple de la politique forestière au Niger

Au Niger, depuis 1989, le Projet Energie II-Energie Domestique met en pratique le principe d'une viabilité à long terme des ressources forestières pour le bois-énergie. Il s'appuie pour cela sur la réappropriation des massifs forestiers par les populations villageoises riveraines. La réforme réglementaire a transféré la responsabilité de la gestion (et non la propriété? des ressources naturelles renouvelables, de l'Etat à la population rurale.

L'idée de base du développement des marchés ruraux est que les populations rurales doivent être nécessairement légitimées dans la gestion des ressources ligneuses pour en favoriser la viabilité tant écologique, qu'économique ou sociale. Les revenus qu'elles en tirent les responsabilisent quant à la gestion qu'elles en font. Si elles en ressentent des effets positifs à l'échelle communautaire ou individuelle, elles pourront souhaiter et agir pour une gestion viable de ce patrimoine.

En bref, l'objectif est de donner à l'arbre une valeur sur pied qui puisse permettre aux ruraux, de le protéger, de l'élever et de l'exploiter à leurs profits.

Voir pour le détail la Quatrième Partie: l'étude de cas n° 4: Niger.


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