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De l'aérien au satellite : estimation des ressources en eau


Christian Puech, CEMAGREF/ENGREF, Montpellier,

et Joël Carette, Consultant, Evry, France

Résumé

La télédétection peut s'entendre avec des capteurs multiples, et les informations utiles à l'aménageur peuvent (et doivent) dépasser les seules données satellitaires, souvent difficiles à utiliser au niveau local. Notre exposé est basé sur un ouvrage de synthèse portant sur l'utilisation de données spatiales en Afrique de l'Ouest pour la connaissance de petits bassins versants en vue de leur aménagement. Réalisée pour le compte du Ministère de la coopération, cette synthèse s'appuie sur plusieurs projets, de la Mauritanie au Niger, utilisant des données spatiales de divers supports : photo aérienne de type amateur ou professionnelle, ou images satellite à haute résolution.

Une première partie pose les bases de la réflexion : l'utilisation rationnelle de ces outils passe en effet par une réflexion préalable sur les échelles de travail en fonction des objectifs testés. Les images satellite et les photographies aériennes se situent aux deux bouts de la chaîne de vision actuellement disponible : les échelles de travail vont du 1/100 000 (schéma directeur, niveau régional où l'imagerie satellitaire devient très efficace.) au 1/5 000 (aménagement local pour lequel les photographies aériennes sont précieuses). Ces documents deviennent très utiles pour les zones d'accès difficile, par leur rapidité d'obtention et comme outils de communication. Généralement insuffisants à eux seuls, ils tirent tout leur intérêt de la complémentarité externe avec les informations traditionnelles, et interne par utilisation des différentes échelles.

Quelques exemples d'application pour une meilleure connaissance des bassins versants en Afrique de l'Ouest illustrent ces réflexions : cartographie globale, érosion, plans d'eau, plaques de sol nu, etc.

Abstract

Useful remote sensing data for management do not only consist of satellite images; other sensors are also involved. At the local level, the use of satellite data may prove difficult because of too high resolution. A synthetic work has been carried out on the use of remote sensing in West Africa towards better knowledge of small catchments. Executed on behalf of the French Cooperation Ministry, this study is based on a few projects for the management of catchments ranging from Mauritania to Niger, using various sensors: both professional and amateur aerial photographs and high resolution satellite imagery.

The first section sets out some preliminary considerations and controls: rational uses of these tools in management from global to local stage require interrogation on the scales and objectives to be adapted one to the other. For these objectives, useful scales vary from 1/5 000 to 1/100 000. Aims also vary greatly, going from local ones having great interest in aerial photographs to regional ones where satellite images are very effective. All these data are useful in areas which have difficulty of access, where conventional means are expensive. Rapidity in obtaining data is of great interest. RS data are generally not useful used alone, but became so when combined with other ground data and using various scales.

Some examples of applications illustrate their possibilities of use in western Africa catchments: for global cartography, erosion, ponds, bare soil areas, etc.


INTRODUCTION

Cette communication a pour objet de rappeler que la télédétection peut s'entendre avec des capteurs multiples et qu'il est important d'adapter la vision au problème considéré. Elle est basée sur deux documents rédigés pour le compte du Ministère de la coopération et concernant l'utilisation de photos aériennes et d'images satellite pour la connaissance des bassins versants en Afrique de l'Ouest (Puech et Carette, 1989; Carette et Puech, 1994).

Elle a pour origine un ensemble de projets réalisés sur toute la frange sahélienne à partir de différents types de capteurs photo ou satellite et a donné naissance à un document de synthèse (Carette et Puech, 1994) qui aborde trois aspects :

· des considérations générales sur les capteurs en fonction du type d'objectif et d'échelle ;

· quelques aspects de techniques de base pour utiliser photos aériennes et image de télédétection;

· des exemples d'application simples où la télédétection, sous toutes ses formes, apparaît opérationnelle et utile.

Les types de projets dont il est question ici sortent du cadre de la recherche pour être à la fois plus simples et plus opérationnels. Les résultats obtenus sont donc à la fois simples mais facilement récupérables par des équipes de techniciens et ingénieurs sur le terrain.

Considérations générales

Echelles de travail et aménagement

En simplifiant, on peut caractériser trois niveaux de préoccupations d'aménagement (identification, faisabilité et réalisation) correspondant à trois niveaux d'objets d'étude (région, bassin versant, site). Bien entendu les échelles d'approche ainsi que les tailles des zones dépendent de ces trois niveaux (cf. ordre de grandeur, tableau 1). Les moyens aériens et satellitaires intéressent surtout les niveaux région et bassin versant, le niveau site devant être étudié avec des moyens au sol. Deux remarques sont importantes :

· d'une part les données recueillies ne sauraient, sauf exception, se passer d'observations de contrôle au sol. De même il est souvent intéressant de combiner plusieurs types de capteurs : les moyens ne sont pas exclusifs ;

· à chaque niveau d'étude l'aspect spatial peut être combiné à l'aspect temporel, les images de télédétection apportant un élément plus certain dans l'étude des évolutions, à travers une "mémoire cartographique".

TABLEAU 1

Les trois niveaux d'approche

Objet d'étude Actions Echelle moyenne Taille de la zone
Région

Bassin versant

Site

Identification

Faisabilité

Réalisation

1/100 000

1/20 000

1/5 000

> 1000 km²

10 à 1000 km²

< 50 km²

Différents capteurs

A chacun de ces niveaux on peut associer les différents capteurs disponibles : photo aérienne amateur, photo aérienne de type professionnel, images satellite à haute résolution. Ne sont référencées ici que les techniques simples et d'utilisation courante. Les images des satellites radar ou les scanners embarqués dans les avions ne sont pas évoqués ici.

Il est intéressant d'associer aux différents supports un ordre de grandeur de l'échelle cartographique équivalente :

Photos aériennes spécifiques : elles dépendent du type d'objectif et de l'altitude du vol. On peut espérer faire facilement des cartes entre le 1/1 000 et le 1/10 000. On est maître du choix de la date et de la comparaison multidate.

Photos aériennes de missions officielles, par couverture systématique de type Institut géographique : les échelles classiques vont du 1/5 000 jusqu'au 1/50 000; La qualité et la précision des clichés sont variables surtout pour des missions anciennes. Leur intérêt tient souvent à la possibilité de missions de dates éloignées où sont observables les évolutions dans l'occupation du sol : érosion, domaine cultivable ou construit. Une limite est la saison d'acquisition de ces images sur laquelle on n'a aucune possibilité de choix.

Image satellite (Spot XS 20 m panchromatique à 10 m ou Landsat TM à 30 m, MSS à 80 m): L'intérêt est inverse : possibilité de choix de dates pour des images récentes. L'utilisation de plusieurs canaux permet une approche plus efficace de l'occupation du sol. Mais ces données manquent de durée, bien que l'on soit à plus de 20 ans d'archives sur le capteur MSS. Les échelles cartographiques équivalentes sont de l'ordre de :

· 1/50 000 pour SPOT XS (à la rigueur 1/25 000)

· 1/100 000 pour LANDSAT TM (à la rigueur 1/50 000).

Techniques simples d'utilisation

Le document explicite certaines techniques d'utilisation des photos aériennes (mosaïque, choix de la focale et de l'altitude du vol, choix de l'émulsion, stéréoscopie, etc.).

Exemples d'application

Thèmes discernables

Dans le domaine touchant les ressources en eau et l'aménagement des bassins versants on peut utiliser ces informations pour les domaines suivants (cf. tableau 2):

TABLEAU 2

Domaines d'application et thèmes discernables

Etats de surface Bassin versant MNT

Courbes de niveau ou carte des pentes

Ecoulement Plans d'eau
· Zones d'érosion

· Potentiel d'érosion

· Cartographie de la végétation

· Cartographie des sols

· Limites du bassin versant · A partir de photos aériennes

· ou d'images satellite (particulièrement utile en zones où manque une cartographie précise)

     

· Zones écoulement

· Lit mineur

· Lit majeur

· Lit d'inondation

· Inventaire,

· Surface

· Courbes hauteur-surface-volume

· Qualité de l'eau (turbidité)

     

Dans le document Carette et Puech (1994), les exemples d'application ont été classés du local au régional, avec les capteurs les plus adaptés pour chaque niveau. Nous donnons ci-après trois exemples d'application, un pour chacun des capteurs envisagés.

Références

Carette, J. et Puech, C. 1994. Fiches méthodologiques d'utilisation de la télédétection satellitaire et aérienne pour l'aménagement de petits bassins versants en Afrique de l'Ouest. Min. Coopération. Paris., 144 p.

Puech, C. et Carette, J. 1989; Apport de la télédétection à l'aménagement des bassins versants par petits ouvrages en Afrique soudano-sahélienne. Stage AFVP. 165 p


FICHE 1 : UTILISATION DE PHOTO AÉRIENNE (MISSIONS SPECIFIQUES)

CARTOGRAPHIE DE BASSIN VERSANT

Aménagement intégré du bassin versant de l'oued Amour, Mauritanie

(Carette et Puech, 1994)

Objectif : réhabilitation de barrage servant pour les cultures de décrue, limitation de l'érosion

Particularités : absence de cartes, absence de mission aérienne.

Réalisation d'une carte au 1/10 000 par mosaïque de 12 clichés aériens

Matériel avion : Cessna 150 ; altitude 2 000 pieds, vitesse de vol 150 km/h

Matériel photo : format 24*36, focale 50 mm, Ektachrome 200 ASA

La mission a été réalisée avec du matériel photo type "amateur" et un vol sur avion type "aéro-club" montrant l'efficacité et la faisabilité de ces approches même avec des coûts très restreints.

Photo-interprétation

Les travaux demandés consistent en la création d'une cartographie de la plaine en positionnant tous les éléments utiles au choix d'aménagement.

1/ Les 12 clichés sont d'abord assemblés en mosaïque et mis à l'échelle de 1/10 000.

Le travail de photo-interprétation consiste alors en :

· la détermination des axes d'écoulement de crue ;

· le tracé des limites de la plaine alluviale ;

· l'identification des désordres : repérage des zones d'érosion ;

· l'identification des désordres : repérage des zones d'ensablement.

2/ A partir de cette carte, sont menées discussions et propositions d'aménagements anti-érosifs et orientations des actions hydro-agricoles. De façon plus concrète, l'espace est découpé en zones à protéger contre l'érosion où est proposée l'implantation de diguettes de terre.

3/ Résultats : aménagements proposés (cf. figure 1 de la prise de vue aux propositions d'aménagements)

Sur le document résultant sont superposés les éléments issus des différents choix :

· plan d'eau minimal / maximal

· limite de la zone cultivée

· implantation de digues à construire par les villageois.

Ce document doit ensuite servir pour la communication avec les villageois, pour l'implantation des travaux, etc.

FIGURE 1

Utilisation de photos aériennes spécifiques. Bassin versant d'Idienna (Mauritanie).

 


FICHE 2 : UTILISATION DE PHOTO AÉRIENNE (MISSIONS OFFICIELLES)

ÉVOLUTION DE TERROIR ENTRE DEUX DATES

EROSION / OCCUPATION DU SOL

But : Schéma directeur d'aménagement de bassin versant (Puech et Carette, 1989)

Méthode : comparaison de photos aériennes 1952-1982

Site : bassin versant du Baongo à Hitte (Titao, Burkina Faso)

Réalisation d'une carte générale des potentialités du bassin versant pour envisager des aménagements.

Méthode

La méthode consiste en :

1/ Mosaïque de cinq photos IGB au 1/50 000 pour chaque date d'acquisition.

Les photos sont avec recouvrement ce qui permet de travailler aussi en stéréoscopie.

2/ Photo-interprétation par carroyage de 5 ha.

Le bassin versant de 4 000 ha est découpé en grille régulière de 5 ha. Sur chaque carré élémentaire sont repérés les divers éléments jugés utiles pour le diagnostic à savoir :

· Érosion : affectation d'un indice 0/1/2 (érosion nulle, faible, forte) à chaque date.

La comparaison des évolutions résulte directement du double indice et l'on peut tirer facilement les zones d'évolution positive ou négative.

· Occupation du sol : ce plan est traité pareillement. Ici l'on note simplement l'appartenance ou non au domaine agricole. La figure 2 montre les cartes d'évolution de l'occupation du sol entre 1952 et 1982. On remarque la forte régression du domaine agricole entre ces deux dates.

· Pentes : par analyse stéréoscopique on classe chaque carré élémentaire en pente faible (<2%), pente moyenne (2 à 5%), pente forte (>5%). Des observations sur le terrain au clisimètre permettent de calibrer les pentes, en particulier les seuils de 2 et 5%.

· Géomorphologie : les classes définies sont les domaines alluvial, piémont, versant et plateau avec des zones mixtes.

Les quatre facteurs donnent une synthèse par carré de 5 ha des potentialités de la zone.

3/ Table de décision pour un aménagement.

C'est la partie principale mais certainement la plus subjective. En fonction des quatre critères définis (et de leur évolution temporelle) sont décidées les affectations des différents sols. Elle est réalisée sur un mode d'expertise par une grille de décision. Certaines affectations sont évidentes (domaine agricole, sans érosion et en terrain plat). Dans l'exemple choisi ces affectations sont :

· des zones pures : domaine hydro-agricole, domaine pluvial, domaine pastoral

· des zones mixtes : hydro-agricole pure / pluvial, sylvo-pastoral

· des zones à problèmes de conservation des eaux et des sols (CES) : pluvial + CES, ou zones mixtes + CES.

Une carte de synthèse est réalisée (figure 2, résultat de la table de décision). C'est une base de travail pour d'éventuels aménagements du bassin versant.

FIGURE 2

Utilisation de photos aériennes de missions officielles. Bassin versant de Hitte (Burkina Faso).

 


FICHE 3 : UTILISATION D'IMAGE SATELLITE

CAPACITÉ DE PLANS D'EAU

(Courbes hauteur/surface/volume destinées à être utilisées en simulations de gestion)

But : schéma directeur d'aménagement de mares semi-pérennes (Carette et Puech, 1994)

Lieu : TILLABERY, NIGER

Capteur : images SPOT XS de la même saison sèche

Méthode

La méthode est explicitée à la figure 3.

Elle est basée sur une équation simplifiée de bilan hydrique en saison sèche : on considère que la baisse du niveau d'eau dans une retenue est essentiellement liée à l'évaporation (il est possible de tenir compte d'un taux d'infiltration). Ceci est confirmé par les observations de variations de niveau qui présentent en saison sèche des parallélismes remarquables.

Elle combine trois types d'informations :

· des données satellite (trois images de la même saison sèche donnant trois surfaces en eau à trois dates),

· des données d'évaporation donnant la baisse des plans d'eau entre les dates d'observation,

· des données sur le contexte régional fournissant la courbe type reliant hauteur et surface ajustée au relief local.

Ces courbes sont de forme S = So. (H-Ho)a

S est la surface, H la profondeur,

a est un coefficient, constant régionalement (au Niger a # 1.25),

So et Ho sont des paramètres de calage (Ho représente la profondeur d'assèchement)

Résultats, précision, intérêt

Le résultat est la fourniture de courbes hauteur/surface et hauteur/volume, outils à la base de la gestion des plans d'eau dans cette région.

La précision est de l'ordre de 5% en surface et 30% en volume pour un plan d'eau de 10 ha (à partir d'images SPOT XS à 20 m de résolution). Cette précision est jugée suffisante étant donnée l'utilisation de ces courbes.

L'intérêt réside dans la rapidité d'obtention de l'information et dans son systématisme qui permet d'obtenir des informations pertinentes pour les plans d'eau candidats à l'aménagement sur toute une région. Elle doit être opposée aux techniques traditionnelles d'obtention (bathymétrie, mesures au sol), techniques précises mais lourdes, coûteuses et très longues : par ces techniques la DRE (Direction des ressources en eau) ne peut envisager de traiter plus d'un ou deux plans d'eau par an avec les moyens actuels. Cette méthodologie ne saurait cependant être appliquée à l'étude d'un seul plan d'eau : le rapport qualité / prix ne serait plus en sa faveur.

On peut donc considérer que cette méthode est opérationnelle. Elle apparaît d'autant plus intéressante qu'elle peut être appliquée à un plus grand nombre de plans d'eau.

FIGURE 3

Utilisation d'images Spot pour calculer la cubature de plans d'eau. Mares sahéliennes de Tillabéry (Niger)

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