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Positionnement, productivité et gestion des forages en milieu fissuré de Côte d'Ivoire par télédétection et système d'information géographique


J.Biémi et J.P. Jourda

CURAT, Centre universitaire de recherche et d'application en télédétection

Université de Cocody, Abidjan, Côte d'Ivoire

S. Deslandes et H. Gwyn

CARTEL, Université de Sherbrooke, Québec, Canada

Résumé

Les traitements numériques des images satellitaires du bassin de la haute Marahoué ont porté sur les techniques de rehaussement, les composantes principales, le rapport des bandes TM7-TM4/TM7+TM4 et la combinaison TM6+TM7. Les données obtenues ont été intégrées et interprétées à l'intérieur d'un système d'information hydrogéologique à référence spatiale (SIHRS), ce qui a permis d'identifier le complexe volcano-sédimentaire du sillon intracratonique de Boundiali et la masse du granite circonscrit de Séguéla, dont la forme n'a pu être décrite jusqu'à ce jour par les méthodes classiques. Les limites inférieures des fractures ouvertes et le profil d'altération du socle cristallin, capté par de nombreux forages dans la région, ont été précisés par la confection d'un bloc diagramme dans le SIHRS. Une carte des fracturations, couvrant une superficie de 12 500 km2, illustre assez bien les mégafractures d'importance régionale dans le socle. Elles sont orientées N170-190, N30-60, N80-100 et N120-160 et caractérisent la tectonique cassante en Afrique de l'Ouest. Une étude sectorielle des relations entre les accidents et le réseau hydrographique a révélé que les principaux cours d'eau circulent essentiellement dans les axes tectoniques.

Les écoulements et les possibilités de formation des réservoirs d'eau dans les milieux fissurés peuvent être appréhendés grâce à l'étude des perméabilités induites par les fractures. Cependant, jusqu'à maintenant, les résultats obtenus par cette technique sont restés tributaires de la densité des fractures susceptibles d'être visualisées sur les photographies aériennes classiques. Les images Landsat TM du bassin versant de la haute Marahoué, traitées numériquement et interprétées à l'intérieur du SIHRS, ont considérablement amélioré cette approche grâce à une assez forte densité de fractures (62 fractures en moyenne pour 1,44 km2 de superficie) repérables sur les images satellitaires rehaussées. En effet, les valeurs des perméabilités induites, obtenues par ce procédé, varient de 0,11 à 0,66 10-4 m/s , contre des valeurs de 10-8 m/s fournies par les méthodes classiques. Par conséquent, elles sont voisines des perméabilités réelles des terrains fissurés intéressés par l'altération.

Les relations possibles entre les quatre principales directions d'accidents relevées sur les images (NS, NE-SO, E-O et NO-SE) et l'emplacement de 103 forages en exploitation d'une part et la détermination des profils de productivité associés aux directions préférentielles des linéaments de l'autre, montrent que, dans le bassin, 68 % des forages sont implantés à l'intérieur d'un rayon de 200 mètres des linéaments, avec 27 % des forages creusés directement sur le linéament. Tous les forages en exploitation dans le bassin présentent une position plus ou moins idéale par rapport à au moins une direction majeure de linéament, la distance d'éloignement étant de 1,1 km pour les quatre directions. Les accidents NO-SE sont les plus productifs, avec 63 % des débits élevés, compris entre 6 et 14 m3/h, contre 25 % pour ceux orientés N-S. Ces deux directions ont guidé l'implantation de 62 % des forages de la région.

Abstract

Digital processing of satellite images of the catchment of the Haute Marahoué was mainly based on resolution enhancement techniques, principal components, the ratio TM7-TM4/TM7+TM4 and the combination TM6+TM7. Data obtained were integrated and interpreted within a Spatially Referenced Hydrologic Information System (SRHIS), which made it possible to identify the volcano-sedimentary complex of Boundiali and the localised granite mass of Seguela, whose shape had not yet been accurately described with traditional methods. The lower limits of open fractures and the alteration profile of the crystalline basement, which feed several wells in the region, were better defined with the creation of a block diagramme in the SRHIS. A map of fractures, covering an area of 12 500 km2, illustrates very well the megafractures of regional importance in the fault plain. They are oriented N170-190, N30-60, N80-100 and N120-160 and characterise fracturing tectonics in West Africa. A sector study on the relationship between the accidents and the hydrographic network revealed that the main rivers essentially flow along the tectonic axes.

Runoff and the possibilities of creating water reservoirs in fractured environments can be evaluated through the study of permeability caused by fractures. Therefore, until today, the results obtained by using this technique remained a function of the density of fractures that could be visualised on traditional aerial photographs. Landsat TM images of the Haute Marahoué watershed, digitally processed and interpreted within a SRHIS, have considerably improved this approach thanks to the high density of fractures (an average of 62 fractures per 1.44 km2) visible on the enhanced satellite images. In fact, the values of induced permeability, obtained with this procedure vary from 0.11 to 0.66 10-4 m/s, against values of 10-8 provided by traditional methods. As a consequence, they are close to the actual permeability of the fractured soil interested by the alteration.

The possible relationships between the four main directions of events revealed on the images (NS, NE-SW, E-W and NW-SE) and the positioning of 103 drilling sites on one hand, and the determination of productivity profiles associated with the preferential directions of linear features on the other, show that in the catchment, 68% of the sites are located within 200 meters of the fractures, with 27% of the sites placed directly above the fracture. All the drilling sites in the catchment have a more or less ideal position in relation to at least one major fracture, the distance being of 1.1 km for the four directions. The NW-SE fractures are the most productive, with 63% of the yields being between 6 and 14 m3/h, against 25% for those oriented N-S. These two directions account for the positioning of 62% of the wells in the region.


Introduction

En 1972-73, la Côte d'Ivoire a connu à une sécheresse assez prononcée, dont les conséquences désastreuses n'ont épargné aucun pays d'Afrique de l'Ouest. Cette sécheresse a été marqué par un tarissement généralisé de la majorité des points d'eau de surface et par une baisse souvent importante du niveau piézométrique des nappes phréatiques, mettant à sec tous les puits creusés dans les profils d'altération au toit du socle cristallin. Devant cette menace cyclique à la vie des populations, nombre des Etats du continent se sont dotés, à partir de 1973, de moyens puissants pour l'exécution de forages d'eau sur leurs territoires respectifs. En Côte d'Ivoire, à la fin de 1983, plus de 13 000 ouvrages de captage d'eau étaient creusés. Malheureusement, ces forages d'eau ont été réalisés avec une grande précipitation afin de satisfaire les besoins en eau immédiats et urgents de la population, mais cette urgence a justifié de nombreuses insuffisances : tâtonnements fréquents, pertes énormes de temps, d'argent et de matériel. C'est pourquoi, en 1985, le gouvernement de la Côte d'Ivoire a incité les chercheurs à approfondir les connaissances scientifiques sur les potentialités en eau des aquifères de fissure du socle précambrien, qui couvre à lui seul 97 % de la superficie du territoire national.

Le bassin versant de la Marahoué a été choisi comme secteur témoin pour cette étude test. Il présente en effet toutes les caractéristiques des régions subsahéliennes les plus touchées par le manque d'eau en Côte d'Ivoire. En 1984-1987, les observations de terrain ont révélé que, sur 212 forages mis en exploitation dans le bassin de la haute Marahoué, 22,6 % étaient régulièrement en panne mécanique, 8,4 % étaient abandonnés pour le mauvais goût de leur eau ou pour leur situation dans un bois sacré voué aux cultes rituels et 18,4 % étaient à sec. Au total, environ 50 % des ouvrages réalisés n'étaient pas fonctionnels et laissaient non satisfaits une partie des besoins en eau de la population.

Le secteur d'étude concerne le Sud du quart Nord-Ouest de la Côte d'Ivoire (figure 1), dont il occupe la partie médiane, à l'intérieur d'un rectangle long de 240 km et large de 50 km (soit environ 12 500 km2 de superficie). Le bassin est limité par les latitudes 7° 40' et 9° 30' N et par les longitudes 6° et 7° O.

Méthodologie

Trois scènes Landsat Thematic Mapper se recoupent sur le bassin versant de la haute Marahoué : les quadrants 2 et 4 de la scène 198-54, le quadrant 1 de la scène 197-55 et le quadrant 3 de la scène 197-54. Ces images ont été acquises en l'absence de nuages, au c_ur de la saison sèche, les 7 et 16 janvier 1986. La création de la mosaïque a nécessité un calibrage radiométrique par ajustement de la moyenne et de l'écart-type entre les secteurs en recouvrement. La correction géométrique comporte un rééchantillonnage de la taille des pixels à 50 x 50 m, compte tenu de la grande superficie du bassin. Les bandes 3 (rouge), 4 (proche infrarouge), 5 (infrarouge moyen), 6 (infrarouge thermique) et 7 (infrarouge lointain) ont été retenues. La base de données comprend également les images du champ magnétique total, résultant d'une mission aéroportée effectuée au cours des années 1974 et 1975 par la Kenting Earth Sciences Ltd. Ces données, interpolées et géocodées, ont été acquises par la Commission géologique du Canada. La taille des pixels est de 125 x 125 m. A ces images s'ajoutent les cartes topographiques au 1/200 000 et les informations géologiques préexistantes ou recueillies sur les affleurements (Millary 1964, DCH 1982, SODEMI 1971-72).

FIGURE 1

La Côte d'Ivoire et le bassin versant de la Marahoué

Les traitements ont porté sur la recherche d'une meilleure combinaison d'images rehaussées susceptibles de favoriser la discrimination des ensembles lithologiques et la perception des linéaments sur les compositions colorées. Les opérations de rehaussement comprennent : les composantes principales, le rapport TM7-TM4/TM7+TM4, la combinaison TM6+TM7 et les filtres directionnels de Sobel utilisant une matrice de 7 x 7.

Les images satellitaires rehaussées et celle du champ magnétique total, couplées avec les données géologiques, ont été intégrées numériquement au système d'information hydro-géologique à référence spatiale (SIHRS) qui a permis de produire la carte des linéaments du bassin par superposition et interprétation des images. Les différentes données intégrées dans le SIHRS sont : les courbes altimétriques ayant servi à la confection du bloc diagramme, les nombreuses données tirées des images satellitaires (géologie, linéaments, etc.), les données géocodées du champ magnétique total acquises en 1974 et 1975 par la Kenting Earth Sciences Ltd, les cartes d'interprétation géologique de la société Paterson, Grant et Watson (1977) à l'échelle de 1/200 000, les principaux cours d'eau, le réseau routier et la localisation des villes et villages extraite des cartes topographiques au 1/200 000. La carte des linéaments a permis d'entreprendre l'étude des perméabilités induites par les fractures et l'identification des principaux couloirs souterrains de circulation des eaux.

La détermination des perméabilités induites.

Pour les perméabilités induites par les fractures, la méthode de Franciss n'est applicable qu'aux régions où le socle est affecté par des fractures voisines de la verticale. C'est le cas dans le bassin de la haute Marahoué où les structures cassantes présentent, pour 80 % d'entre elles, des pendages supérieurs à 80 degrés. Le calcul des perméabilités induites par les fractures a nécessité, au laboratoire, un maillage du bassin de la haute Marahoué sur une superficie de 12 500 km2 en 103 cercles de 12 km de diamètre. A l'intérieur de chaque cercle, il a été calculé : le nombre total de fractures, les longueurs individuelles et totale des fractures et leurs orientations cas par cas.

Les mesures effectuées à l'affleurement ont permis d'estimer deux variables indispensables au calcul des perméabilités induites : la conductivité hydraulique (Kf) de la région et le coefficient empirique de proportionnalité entre l'ouverture et la longueur des fractures (C). La conductivité hydraulique est assimilable à la perméabilité moyenne apparente caractérisant toute la surface étudiée. A partir de l'expression de la transmissivité dans une zone fracturée traversée par un forage :

Ti = Ki . ei

où : Ti est la transmissivité de la zone en m2/s

Ki est la conductivité de la zone en m/s

ei est l'épaisseur de la zone en m

on obtient la conductivité hydraulique moyenne de la région (Kf) par la relation :

Kf = symb2.gif (845 bytes)(Ti / ei ) / symb2.gif (845 bytes)i

Dans les forages à entrées d'eau multiples, l'épaisseur de la zone fracturée peut être estimée à partir de la différence de profondeur entre la première et la dernière arrivée d'eau. Les valeurs de la transmissivité ont été calculées à partir des essais de pompage réalisés sur 80 forages par les méthodes d'approximation de Jacob, Cooper-Jacob, Gringarten et Thiery. Dans le cas de la variable (C), le problème de la mégafracture visible sur l'image satellitaire peut être envisagée à deux dimensions parce que l'épaisseur de la croûte terrestre fracturée est très négligeable par rapport à son étendue. En général, cette épaisseur ne dépasse guère 100 m pour 10 km2 de surface, autrement dit elle varie dans un rapport inférieur à 10-5. En conséquence, l'épaisseur de la zone broyée peut être considérée comme une fonction linéaire empirique de la longueur apparente de la mégafracture, de telle sorte que :

e = C . L

où : e est l'épaisseur de la zone broyée en m,

C est le coefficient de proportionnalité empirique,

L est la longueur apparente (en m) de la mégafracture, mesurée sur les photographies aériennes.

La variable (C) a été déterminée empiriquement en mesurant les longueurs et les ouvertures sur environ 2 000 fractures affectant le socle et en faisant le rapport entre ces deux paramètres. Ainsi, après une détermination des valeurs de la conductivité hydraulique du bassin (Kf = 3,5. 10-5 m/s) et du coefficient de proportionnalité empirique entre l'ouverture et la longueur des fractures (C = 0,0038), la carte des réseaux de linéaments, initialement réalisée dans l'environnement EASI/PACE de PCI, a pu être mieux exploitée. Les valeurs des perméabilités induites ont été calculées à partir de la méthode de Franciss (1970) :

K (max,mini) = ½ tg-1 (2 KNW / KWN - KNN )

K (max/mini) = ½ (KWW + KNN) ± ½ { (KWW -KNN)2 + 4 K2NW }1/2

où : KNN = C L cos symb5.gif (839 bytes)

KWW = C L cos symb5.gif (839 bytes)

KNW = - C L sin symb5.gif (839 bytes) cos symb5.gif (839 bytes)

Résultats obtenus et discussions

Cadre géologique

L'esquisse géologique du bassin met en évidence l'importance des granito-migmatites d'extension régionale qui occupent 88 % de la superficie du secteur d'étude. Le complexe volcano-sédimentaire couvre 10 % de cette même superficie et s'associe au sillon intra-cratonique birimien de Boundiali. Ce sillon présente un rétrécissement dans sa partie inférieure, puis une interruption, avant de disparaître totalement peu au Nord-Ouest de la ville de Séguéla (figure 2). Sur le plan géologique, la télédétection et le système d'information hydrogéologique à référence spatiale ont contribué à l'identification :

· du contour exact du granite de Séguéla, qui apparaît comme un granite circonscrit en forme d'embryon tourné vers le Nord-Est, jamais soupçonné auparavant par la géologie classique ;

· de la forme effilée du sillon birimien de Boundiali, au Sud-Ouest de la carte entre les granites et les granito-migmatites, et de sa disparition à la hauteur de Séguéla, qui serait due à l'intrusion brutale du granite de Séguéla dans les dépôts du sillon birimien.

Limite inférieure des fractures ouvertes dans le socle

Un bloc diagramme du bassin versant de la haute Marahoué, confectionné grâce aux multiples fonctions du SIHRS, permet de suivre l'évolution apparente des arrivées d'eau et des débits optimums, ainsi que la progression en profondeur du front d'altération dont l'épaisseur, assez faible au Nord du bassin (de 10 à 20 m), gagne en importance dans le secteur Sud où elle avoisine 70 mètres (figure 3).

En Afrique, les spécialistes des sciences de l'eau admettent généralement que les arrivées d'eau décroissent en nombre et en importance avec la profondeur du socle sain traversé. Certains auteurs fixent entre 50 et 60 mètres la limite inférieure d'existence des fissures ouvertes. Dans le bassin de la haute Marahoué, des résultats similaires, observables sur le bloc diagramme, laissent planer un doute. Car, ici, la majorité des forages ne dépasse pas 50 m de profondeur, si bien que la régression du nombre des arrivées d'eau que l'on constate au-delà de 100 m est peut-être aussi la conséquence du nombre insuffisant de forages atteignant une profondeur comprise entre 90 et 100 m dans la région.

Réseau de linéaments

La carte du relevé détaillé des linéaments comporte près de 16 000 segments assimilables à des fractures. Les linéaments ont été identifiés sur les images TM décrites plus haut, en exploitant les possibilités du SIHRS, qui permet d'afficher les compositions colorées et d'éditer les fichiers vectoriels. Une carte présentant les linéaments d'importance régionale, associés aux accidents majeurs dans le socle, a été préparée à l'aide de la combinaison TM6+TM7. Les mégafractures d'importance régionale apparaissent comme de grandes failles ou des couloirs de cisaillement dans les quatre directions tectoniques principales d'Afrique (figure 4). La direction N170-190° correspond au grand couloir de cisaillement de Séguéla (N180°), Yérétyélé (N195°) et Karamokola (N170°). Dans la direction N80-100°, les accidents Est-Ouest sont plus discrets. Ils s'expriment par les failles Kondogo-Ouakro (N90°), Souasso-Forotoutou (N90°) et Kénégbé-Bayani (N80°). La direction N30-60° est celle la plus pourvue d'accidents majeurs. On y distingue les couloirs de cisaillement de Morondo (N35°), Gbominasso (N50°), Kani (N40°) et Bobi (N73°) ; et les failles de Djibrosso (N40°), Douala (N60°) et Nandala (N55°). Enfin la direction N120-160° caractérise les couloirs de Dianra (N123°) et de Mankono (N120°) et les accidents de Gbokolo (N140°) et de Sarhala (N120°).

D'une façon générale, ces accidents s'intègrent parfaitement à la tectonique cassante de la Côte d'Ivoire. Les couloirs de cisaillement correspondent à des directions majeures dans le socle africain, si bien que les traces de certains, comme le couloir de Séguéla, sont visibles sur plus de 1 500 km, de l'océan au Sud jusqu'au Mali dans la région de Sikasso et même plus au Nord jusqu'au Burkina Faso. Des tremblements de terre périodiques, d'importance mineure (magnitude inférieure à 3), liés à ces accidents sont souvent enregistrés en Côte d'Ivoire et en Afrique de l'Ouest. Le séisme de Gaoual en Guinée, de magnitude beaucoup plus forte (6,4), survenu en décembre 1983, a été largement ressenti dans tout le golfe de Guinée. Son foyer sismique est situé sur un faisceau d'accidents NO-SE qui se prolonge en Côte d'Ivoire par le couloir de cisaillement de Dianra-Niakaramadougou qui traverse l'extrémité Nord du bassin de la haute Marahoué.

Dans le secteur d'étude, tous les bras des cours d'eau (figure 4) coulent dans une fracture affectant le granite, ce qui donne une assez bonne similitude entre le réseau hydrographique et le réseau de linéaments issu du traitement des images satellitaires. Ces résultats sont conformes aux observations effectuées en d'autres lieux en Côte d'Ivoire et de manière plus générale en Afrique de l'Ouest. En effet, les principaux fleuves s'installent le plus souvent dans les grandes fractures du socle précambrien.

Perméabilités induites par les fractures et couloirs souterrains d'écoulement

Les variations des valeurs des perméabilités induites maximales sont présentées à la figure 5. Un axe principal à fortes valeurs de perméabilité, d'orientation Nord-Sud, et quatre axes secondaires associés sont identifiables sur cette figure. L'axe principal débute à la pointe Nord-Est du bassin, dans le cercle de Kanyéné (D15) qui présente la valeur de perméabilité la plus forte (K1 = 0,87 m/s). Il passe ensuite par les cercles de Filamana (C14), Sétoumo (C11), F9, F8, G7, G6 et E5, Kouroufla (F4), Touhoulé (F3) et G3 à l'exutoire. La seconde valeur de forte perméabilité est enregistrée dans le cercle F3 à Tonhoulé (K1 = 0,82 m/s).

FIGURE 4

Relations entre réseau hydrographique et réseaux d'accidents majeurs affectant le socle cristallin du bassin de la haute Marahoué

Les deuxième et troisième axes de fortes perméabilités induites s'observent à l'Ouest du bassin, entre Worofla et Souasso. L'axe 2 est orienté E-O. Il est limité par les cercles de Bangana, Ghéma et Kassatou et recoupe le premier axe à Niéou. Il se caractérise par des valeurs de K1 comprises entre 0,23 et 0,31 m/s. L'axe 3 est orienté NO-SE. Il part de Karaba-Souasso pour rejoindre les deux premiers à Niéou. Les valeurs de K1 y sont comprises entre 0,23 et 0,30 m/s. Le dernier axe de fortes perméabilités induites se limite aux cercles de Dianra sur la bordure orientale du bassin ; il est orienté E-O avec les valeurs de K1 de 0,27 et 0,32 m/s.

Entre ces différents axes, prennent place des îlots de perméabilités assez faibles :

· au Nord-Ouest, dans le secteur s'étendant de Djibrosso à Tra, passant par Siréba, où les valeurs de K1 varient de 0,126 à 0,195 m/s ;

· au Sud, dans les secteurs de Téguéla, Dyoroyé, Kouassikro et Touloukoro, où les valeurs de K1 sont comprises entre 0,168 et 0,195 m/s.

· à l'Est, sur toute la bordure orientale entre l'exutoire et Dianra, à Tyébé et à Kébi, où les valeurs de K1 sont comprises entre 0,156 et 0,179 m/s.

Il ressort de ces observations que la bordure orientale du bassin est moins dotée en fractures ouvertes que la bordure occidentale. L'étude des couloirs de circulation des eaux souterraines a été réalisée en superposant, dans un même plan, à l'intérieur du SIHRS, la carte des variations spatiales des perméabilités induites et le réseau hydrographique. Ce travail fait ressortir une parfaite concordance entre le tracé des cours d'eau en surface et celui des différents axes de fortes perméabilités. Les deux fortes valeurs de perméabilité : 0,87 et 0,82 m/s correspondent l'une à la source de la Marahoué, l'autre au bassin d'accumulation des eaux de Tonhoulé, à proximité de l'exutoire du bassin.

La Marahoué se superpose presque exactement à l'axe principal Nord-Sud des fortes perméabilités. Quant à son affluent, le Yarani, il coule essentiellement dans les axes de fortes perméabilités de la bordure occidentale du bassin. Au contraire, les domaines de faibles perméabilités induites correspondent respectivement aux chaînes d'inselbergs du Nord-Ouest, du Sud et de la bordure Nord-Est du bassin. Ainsi, entre Morondo et Dianra, la modification observable dans le tracé de la Marahoué, qui passe de la direction NS à la direction NO-SE, caractérise de façon nette la déviation subie par l'axe principal des fortes perméabilités induites dans ce secteur, ce qui n'est qu'une conséquence de la manifestation du grand couloir de cisaillement NO-SE de Dianra-Niakaramadougou. Les quatre axes de fortes perméabilités induites constituent donc des zones préférentielles d'alimentation en eaux souterraines du bassin. Par conséquent, ces résultats confirment clairement ceux qui ont été obtenus plus haut, selon lesquels :

· il existerait une étroite relation entre les écoulements superficiels et souterrains, en particulier le long des principaux axes de drainage que constituent les mégafractures du socle ;

· la bordure occidentale du bassin est plus riche en fractures ouvertes que la bordure orientale et l'existence de ces fractures favorise les écoulements souterrains.

Positionnement, productivité et gestion des forages

En zone de socle, pour être productifs, les forages doivent être :

· situés au croisement des fractures les plus longues, les plus nettes et, si possible, les plus nombreuses;

· en un point topographiquement bas;

· en aval d'un bassin versant le plus grand possible et à proximité d'un marigot permanent.

L'étude des relations entre forages et fractures peut ainsi s'avérer intéressante pour expliquer le rôle hydraulique joué par les différentes directions d'accidents tectoniques.

La carte du relevé détaillé des linéaments, initialement réalisée dans l'environnement EASI/PACE, a été transférée dans le SIHRS. Ce système d'informations hydrogéologiques a permis d'analyser la densité des linéaments et le nombre d'intersections entre linéaments à partir d'une grille de 4 x 4 km, en classant les fractures selon les quatre directions principales N-S (D1), NE-SO (D2), E-O (D3) et NO-SE (D4). Par superposition de la base des données de forage à la carte des linéaments, nous avons mesuré les distances séparant chacun des 103 forages de la fracture la plus proche dans chacune des quatre directions principales.

Nous nous sommes ensuite intéressés aux décisions prises au moment de l'implantation des forages. On constate ainsi que 37 % des forages ont été associés à la direction NE-SO, 27 % à la direction NO-SE, 23 % à la direction E-O et 18 % à la direction N-S. Or les directions NE-SO et NO-SE, qui correspondent aux directions éburnéennes et libériennes d'Afrique, sont les plus visibles sur les photographies aériennes utilisées par les foreurs. Au contraire, les fractures N-S sont toujours négligées parce qu'elles sont moins visibles sur les photographies aériennes. Il reste à confirmer que les deux directions privilégiées par les foreurs (NE-SO et NO-SE) sont bien les plus productives.

Pour étudier l'indice de productivité des fractures, on reporte chaque direction des fractures et les distances d'éloignement des forages qui leur sont associés sur les axes des coordonnées. On obtient ainsi des diagrammes de dispersion de la position des forages par rapport aux couples d'orientation des linéaments : D1/D2, D2/D3, D3/D4 et D1/D4. Ces diagrammes permettent de visualiser les forages implantés à proximité et au croisement d'accidents aux orientations bien définies. La « croix de survie » est construite en regroupant les quatre diagrammes sur un même graphe. Elle présente en son centre les forages pour lesquels la distance d'éloignement par rapport aux fractures est nulle. Cette zone centrale symbolise la productivité, la pérennité et donc la survie des forages. A l'opposé, les quatre sommets les plus éloignés de l'origine des axes représentent les zones de tarissement irréversible pour les ouvrages. L'étude de cette croix a montré que le couple D1-D4 est celui qui présente le plus haut profil de productivité. En effet, tous les forages à débit supérieur à 3 m3/h se concentrent dans un rayon de moins d'un kilomètre des fractures orientées dans ces deux directions. Au contraire, le couple D2-D3 se caractérise, sur le diagramme, par une très grande dispersion des forages à gros débit. Ce résultat montre clairement que ce sont les accidents NO-SE et N-S qui, du point de vue de la productivité, sont les plus importants, comparativement à ceux d'orientation NE-SO et E-O. En effet, quand on étudie la répartition des gros débits suivant les quatre directions on constate que:

· pour les débits compris entre 6 et 14 m3/h, 63 % sont liés aux fractures NO-SE,
25 % à la direction N-S, 12 % à la direction E-O et 0 % à la direction NE-SO ;

· l'influence de la direction NE-SO n'est remarquable que sur les débits compris entre 3 et 6 m3/h, car 43 % des ouvrages à débit moyen sont liés à la direction NE-SO, 21 % aux directions NO-SE et N-S et 14 % à la direction E-O.

FIGURE 6

Coupe de décroissance des pourcentages de forages en fonction des distances d'éloignement par rapport aux fractures dans le bassin versant de la haute Marahoué

La distribution des ouvrages, à l'intérieur des classes d'éloignement de 200 m en 200 m par rapport aux fractures, donne une courbe représentée sur la figure 6. Cette courbe est divisible en trois parties :

· une droite d'implantation idéale avec 27 % des ouvrages installés à proximité immédiate des fractures,

· un pic entre les abscisses 0 et 200 m montrant que la plupart des ouvrages sont implantés dans un couloir de 20 mètres autour des accidents,

· une courbe de décroissance rapide entre 200 et 1 100 m, limite d'éloignement maximal des forages par rapport aux fractures.

Conclusion

Une interprétation des images Landsat TM et des données du champ magnétique total, à l'intérieur du système d'information hydrogéologique à référence spatiale (SIHRS), a permis d'établir la carte des principales unités géologiques du bassin versant de la haute Marahoué et conduit au dessin des principaux axes structuraux de ce bassin. Les linéaments régionaux épousent, de façon relativement équitable, les orientations N170-190°, N80-100°, N30-60° et N120-160°.

L'analyse des variations spatiales des perméabilités induites montre que l'alimentation des aquifères se fait à travers les axes de drainage les plus développés. Elle est plus intense sur la bordure Ouest que dans la partie orientale du bassin . Les accidents majeurs longent les principaux cours d'eau de la région et plus particulièrement le cours de la Marahoué qui se superpose au principal axe de drainage souterrain d'orientation Nord-Sud. La Marahoué prend sa source dans une nappe souterraine importante où la perméabilité induite présente la plus forte valeur (Kmax = 0,87 m/s). La perméabilité induite est également très forte (0,82 m/s) à Tonhoulé, près de l'exutoire du bassin.

L'interprétation des phénomènes de fracturation et des profils d'altération dans un bloc diagramme, confectionné par traitement numérique des images satellitaires et intégration des données dans le SIHRS, montre que l'épaisseur du front d'altération est assez faible dans le secteur Nord (de 10 à 20 m), alors qu'à l'opposé, elle avoisine 70 m dans le Sud. L'évolution des débits optimums, des arrivées d'eau et de l'ouverture des fractures en profondeur tend à mettre en évidence l'existence, dans le socle, d'une limite inférieure apparente des fractures ouvertes à une profondeur voisine de 90 à 100 m; à moins que cette limite ne provienne d'un artefact dû au petit nombre de forages réalisés à cette profondeur.

L'utilisation simultanée des techniques de traitement numérique des images satellitaires et d'un système d'information hydrogéologique à référence spatiale a permis de rehausser les fractures affectant le socle cristallin du bassin de la haute Marahoué et de déterminer les distances séparant les forages en exploitation des fractures. Au total, 27 % des forages du bassin captent directement les fractures et 68 % des forages sont situés à moins de 200 m de celles-ci. Aucun forage ne se situe à plus de 1 100 m d'une fracture. La direction libérienne, NO-SE, est celle qui favorise le plus la circulation des eaux souterraines. De ce fait, elle est aussi la plus recherchée dans l'implantation des forages. Elle intervient dans 42 à 62 % des implantations et 63 % des forages à débit élevé (compris entre 6 et 14 m3/h) sont associés à cette direction. Les accidents orientés N-S, avec 25 % des forages à débit élevé, occupent la seconde place. Ils sont paradoxalement les plus négligés par les foreurs parce qu'ils sont difficiles à distinguer sur les photographies aériennes. A l'opposé, les directions NE-SO et E-O, les plus fréquemment visées par les captages, sont malheureusement les moins productives et n'influencent que 12 % des forts débits.

Enfin, l'exploitation du SIHRS a permis de mettre au point un moyen efficace de contrôle des programmes d'hydraulique villageoise par la construction de la « croix de survie » des forages en milieu de socle fissuré.

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