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II. Données sur les femmes rurales chefs de ménage et cadre d'analyse


II. Données sur les femmes rurales chefs de ménage et cadre d'analyse

2.1. Les données sur les ménages

Comme souligné en introduction, les données statistiques proviennent principalement de deux sources. La première relève des travaux des chercheurs et spécialistes qui examinent une question à l'échelle villageoise, nationale ou régionale. La seconde repose sur les statistiques nationales et internationales qui permettent des analyses comparatives à l'échelle du continent. Ces sources malheureusement ne sont pas toujours ventilées par sexe alors que toutes les données globales de l'économies de la politique, de l'éducation ou de la santé devraient l'être, à l'échelle nationale et internationale. Les statistiques nationales, dans la majorité des pays, ont généralement trait aux populations: nombre d'habitants, d'élèves, d'analphabètes, d'emplois ruraux et urbains. Si l'on peut obtenir des données sur les activités des populations, il est encore difficile de connaître la proportion précise des femmes dans ces secteurs. L'on a peu de statistiques récentes réellement pertinentes sur la femme rurale chef de famille, en dehors de l'effectif lui-même. Dans le cadre des recherches académiques, les pourcentages des populations occupées à des tâches agricoles, la distribution des tâches et certaines données sur les tendances de l'emploi féminin en monde rural permettaient, avec des risques, d'extrapoler des hypothèses sur le rôle, les fonctions ou le nombre de femmes actives dans ce secteur. A ce niveau, les sources les plus exhaustives sont celles des Nations Unies.

Les statistiques présentées par la Commission Économique pour l'Afrique (CEA) à partir des rapports nationaux en vue de la préparation de la plate-forme africaine pour la Conférence Mondiale des Femmes de Beijing (1995) ont largement servi de base ici' Une étude précise a été consacrée à cette question, à propos d'une dizaine de pays d'Afrique australe (Gemini,1993). Des publications de la Banque Mondiale, du Fonds des Nations Unis pour la Population (FNUAP) ou d'institutions d'études statistiques comme les Bureaux nationaux du Recensement ou le Centre de Recherche sur la Population et le Développement (CERPOD) ont été des sources très utiles d'information chiffrées. Sinon, des données disparates de la recherche académique ou associative existent sur les femmes chefs de famille pour des pays aussi divers que le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Togo, la Tanzanie ou le Ghana. Elles ne sont pas systématiques, mais elles indiquent des tendances qui permettent d'élaborer des hypothèses.

Les moyennes de ménages dirigées par des hommes ou des femmes varient selon les pays et les milieux. Le Botswana, le Ghana et le Zimbabwe sont, parmi les pays sélectionnés par DHS (Demographic and Health Surveys), ceux qui connaissent les taux les plus élevés de ménages régis par des femmes, surtout en milieu rural. Plusieurs raisons sont avancées. La migration en est une primordiale. Au Botswana, par exemple, 50 % des familles rurales ont une femme à leur tête: la migration des travailleurs vers les mines ou les villes sud-africaines est un élément significatif. Au Ghana, la présence importante des femmes à la tête des ménages s'expliquerait par le poids des structures matrilinéaires dans la culture. Il serait certainement intéressant de refaire l'enquête au Burundi et au Liberia, en raison des conflits graves qui s'y déroulent et pulvérisent les unités familiales.

Conférence Africaine Régionale de Dakar sur les Femmes, 13-23 nov. 1994.

Tableau 1: Répartition (%) par sexe et résidence (urbaine/rurale) des chefs de ménage dans quelques pays d'Afrique au Sud du Sahara*

 

Urbain

 

Rural

 

Pays

Ménages diriges par une femme

Ménages dirigés par un homme

Total (%)

Ménagea diriges par une femme

Ménages dirigés par un homme

Total (%)

Botswana

33,4

66,6

100,0

50,0

50,0

100,0

Burundi

24,7

75,3

100,0

16,8

83,2

100,0

Ghana

34,0

66,0

100,0

30,2

69,8

100,0

Kenya

17,5

82,5

100,0

28,9

71,1

100,0

Liberia

 

77,7

100,0

16,4

83,6

100,0

Mali

14,4

85,6

100,0

7,3

92,7

100,0

Sénégal

19,9

80,1

100,0

14,2

85,8

100,0

Soudan (Nord)

13,3

86,7

100,0

12,1

87,9

100,0

Togo

28,9

71,1

100,0

24,1

75,9

100,0

Ouganda

25,3

74,7

100,0

19,0

81,0

100,0

Zimbabwe

19,3

80,7

100,0

40,1

59,9

100,0

* Demographic and Health Surveys (DHS) - Demographic Characteristics of Housebolds, Comparative Studies, Né 14, 1993, p. 27.

Le Sénégal et le Mali, comparativement aux autres pays des DHS, ont une proportion plus faible de femmes à la tête des ménages, surtout en milieu rural. Les derniers recensements menés dans ces deux pays fournissent des données dont l'examen est plein d'enseignements, car ils ont été plus exhaustifs que les DHS.

Ainsi, au Mali, le Recensement général de la population et de l'habitat (1987) dénombrait 1.364.079 ménages qui pour 86,04 % d'entre eux avaient à leur tête un homme et 13,96 % une femme (RGPH, 1987:75). Leur âge est en moyenne de 45 ans. Le pourcentage des femmes est plus important en milieu urbain que rural. Quant à l'Enquête sénégalaise sur les priorités, elle donne des informations sur les ménages. Pour 837.408 ménages, 81,9 % d'entre eux sont dirigés par des hommes et 18,1 % par des femmes, avec un âge moyen de 48,8 ans C'est à Dakar, la capitale, que l'on retrouve le plus grand effectif de ménages ayant des femmes à leur tête: 23,8 %.

Le Niger, avec 1.129.126 ménages, compte 83,8 % de ménages ruraux et 16,2 % urbains, selon le Recensement général de la population (RGP, 1992: 16). Dans l'étude des caractéristiques socioculturelles des ménages, il est fait mention du statut sédentaire (95,6 %) et nomade (4,4 %) des ménages, ce qui permet de prendre en compte toutes les communautés. La répartition selon le sexe et le milieu de résidence des chefs de ménage souligne la faible proportion des femmes dans ce rôle: 9,7 % pour l'ensemble du pays réparties, dont 16,5 % en ville et 8,4 % à la campagne. Si l'âge moyen des hommes est de 43 ans, il est pour les femmes de 46, ce qui permet d'affirmer que les femmes accèdent plus tardivement au rôle de chef de famille que les hommes, et ce à la suite de veuvage ou de divorce.

Les Données démographiques, socio-économiques et culturelles sur les femmes du Burkina Faso, publiées par l'Institut National de la Statistique et de la Démographie en 1993, indiquent que 5,2 % seulement des ménages de l'ensemble du pays ont à leur tête des femmes qui ont une moyenne d'âge de 49,5 ans. Ces ménages résident plus en milieu urbain (11,1 %) que rural (4,3 %). La moyenne d'âge de ces femmes urbaines est de 47,2 ans et celle de femmes rurales de 50,5 ans (1993:26).

La répartition des femmes chefs de ménage selon l'état matrimonial en 1985 et 1991 montre le mode d'accession à ce statut. C'est d'abord le veuvage, quelque soit le milieu de résidence.

Tableau 2: Répartition d" femmes chefs de ménage, au Burkina Faso, selon l'état matrimonial (%) en 1985 et 1991*

État matrimonial

1985

1991

Célibataire

5,6

4,7

Mariée monogame

16,6

17,5

Mariée polygame

25,4

7,3

Divorcée/ séparée

4,8

7,0

Veuve

47,6

61,9

Union libre

-

1,3

Non déclaré

-

0,3

Total

100,0

100,0

* Données Démographiques. Socio-économiques et Culturelles sur les Femme du Burkina Faso, lustitut National de la Statistique et de la Démographie, Bamako, 1993.

Pour souligner l'importance des activités et de la participation des femmes à la vie rurale, Viviane Ventura-Dias, dans un article consacré au Kenya sous le titre Modernisation, production organisation of rural women in Kenya 2 donne des indications sur la distribution, par sexe, des chefs de famille rurale. Elle rappelle d'abord que les paysannes représentent 50,85 % de la population rurale kenyane. Elle fait la répartition des chefs de famille rurale, selon les régions fort différentes d'un Kenya qui est, à la fois, pastoral, producteur de céréales et des cultures industrielles de rente.

2 Ventura-Dias, V. - «Modernisation, production organisation of rural women in Kenya», in Ahmed, 1, Ed, op cit., pp. 157-210.

Tableau 3: Distribution des chefs de ménage par sexe, selon les provinces (%)*

Chef de ménage

Central

Coast

Eastern

Nyanza

Rift Valley

Western

Total

Homme

77

73

73

75

78

81

76

Femme

23

27

27

25

22

19

24

* Source: Statistiques de la République du Kenya (1977) in op. cit. p. 174

L'auteur note une moyenne de 76 % d'hommes et 24 % de femmes chefs de ménage. Dans la province occidentale (Western), les hommes prédominent: 81% contre 19% de femmes. Le pourcentage le plus élevé pour les femmes atteint 27% dans les régions côtière (Coast) et orientale (Eastern). En fait, les écarts entre provinces sont relativement faibles; et l'on peut dire qu'au Kenya, il y a déjà une vingtaine d'années, les femmes représentaient un quart des chefs de famille du monde rural.

C'est sans doute ici qu'il faut déjà mentionner l'accès des femmes au statut de chef de familles démantelées par la misère économique et sociale, mais aussi par les multiples conflits qui secouent le continent africain. On compte près de 16 millions de personnes déplacées en Afrique, du fait des conflits politiques, des guerres civiles et des génocides qui ont suivi les indépendances. Des données existent sur la situation des femmes et des enfants qui constituent 80% de cette population disséminée en Angola, au Mozambique, en Éthiopie, en Erythrée, au Soudan, en Ouganda, au Rwanda, au Burundi, au Sahara Occidental, en Mauritanie, en Sierra Leone, au Liberia et ailleurs.

On dénombre approximativement 4,5 millions de réfugiés au Soudan, 4,2 millions en Afrique du Sud, 2 millions au Rwanda, 2 millions en Somalie, 2 millions au Mozambique, 1 million en Éthiopie, 825.000 en Angola, 500.000 en Ouganda, pour ne citer que quelques unes des situations critiques 3. L'on n'aura pas donné les chiffres des camps du Sahara Occidental en lutte contre le pouvoir marocain, ceux de la Vallée du Fleuve Sénégal à la suite du conflit sénégalo-mauritanien de 1989, ceux des pays encore en bataille comme le Liberia ou la Sierra Leone. L'on n'aura pas, non plus, évoqué ceux de conflits plus discrets ou.de crises politiques pourries qui ont suscité les mêmes réflexes de fuite des populations, comme en Casamance (Sénégal), en Guinée-Conakry, Zaïre, etc. Ces situations pèsent toutes sur les familles et ont fait l'objet d'une conférence régionale, Femmes, Paix et Développement, tenue à Kampala (Ouganda), en novembre 1993.

3 Ces chiffres sont fournis par la proposition de plate-forme des Femmes Africaines élaborée par la CEA pour la réunion de Dakar (1995).

2.2. Ménage, parenté, pouvoir familial, chef de ménage: redéfinir les concepts

L'importance des femmes chefs de ménage, dans le monde contemporain, a d'abord été révélée par les recensements et les études menées sur les ménages en Europe et aux États-Unis. Cette réflexion s'amorce, par exemple en France, avec la prise en compte du travail domestique et de l'emploi des femmes (Michel, A.,1970). C'est à la fin des années 1970 que l'intérêt se tourne vers la situation des femmes dans les pays en voie de développement et de la portée de leur contribution à l'entretien des familles (Buvinic, M.,Youssef, N.,Von Elm, B.,1978). Des questions sont alors posées: comment définir la notion de chef de famille pour y inclure les nouveaux rôles des femmes, dénombrer le nombre de ménages entretenus par les femmes et analyser les conséquences de cette situation sur les femmes elles-mêmes et les familles (Folbre, N.,.1991)? Ces questions sont d'autant plus importantes que la responsabilité matérielle et morale de la famille est conventionnellement attribuée à l'homme, dans la majorité des cultures, même contemporaines.

Lors d'un séminaire tenu à l'Université Harvard, (Cambridge, USA), en 1984, des spécialistes en sociologie, anthropologie, droit, économie et science politique convenaient de l'impérieuse nécessité de remettre en question le concept de ménage. En effet, «revisiter» le concept s'imposait, que l'on étudiât les modèles et la composition du ménage, le contrôle et la redistribution des ressources au sein de la cellule familiale ou entre les ménages, les taux de fécondité, les niveaux nutritionnels, la migration et l'emploi, le pouvoir de décision dans l'agriculture ou la représentation politique des femmes, bref les relations entre la famille et les processus démographiques, économiques ou productifs (Guyer, Peters,1984).

L'anthropologie classique faisait de la parenté une question centrale: les membres de la famille, les unités domestiques sont structurés selon des modes d'accès aux ressources et au pouvoir définis par les valeurs culturelles. Le renouvellement du débat émanait du besoin de quitter cette vision «ethnologiste» pour rendre compte de la famille rurale africaine notamment, comme cellule de sociétés impliquées dans un système de production analysable et comparable à d'autres systèmes de production dans le monde. Ce système entretient des relations de classe en son sein, des relations de pouvoir avec l' Etat, des relations d'échange avec le marché mondial. Il subit également l'influence de l'environnement historique et politique. De manière plus radicale, les mouvements des femmes et les recherches féministes ont mis en exergue l'importance des rôles sociaux des sexes au sein de la famille et de la production. On ne peut plus ignorer la manière dont se traduit la différence de sexes dans l'accès aux ressources et leur contrôle (Imam,1990), l'impact différencié et inégalitaire des facteurs socioculturels et économiques sur les positions des hommes et des femmes dans la société (Potash,1989).

La constitution d'un nouveau champ de recherche sur la famille qui prenne en compte les rôles des sexes, leur dynamique et analyse les changements dans les modèles familiaux et les relations de pouvoir donne une dimension nouvelle aux rôles féminins au sein du ménage, mais aussi dans la production économique et agricole.

Pour cerner les statuts et rôles des femmes chefs de ménage, il est nécessaire de remettre en question la généralisation d'une définition toute patriarcale ou masculine de la notion de chef de famille. Avec ou sans la présence des femmes, l'homme est toujours chef de famille, alors que, comme nous l'avons vu, la femme ne le devient que lorsqu'il n'y a pas de présence masculine. Cette interprétation a occulté un grand nombre de femmes qui en jouent le rôle effectif. Les statistiques sont éloquentes à ce propos. Elles montrent en tout cas l'importance des ménages dirigés par les femmes.

2.3. Comment les femmes deviennent-elles chef de famille?

Dans les situations africaines, les femmes, notamment en milieu rural, participent, on le sait, à l'entretien économique de la famille par leurs activités agricoles, artisanales ou commerciales. Cette contribution est reconnue; mais l'autorité familiale est d'abord masculine. Tous les codes africains de la famille, élaborés au début des indépendances, ont confirmé, voire renforcé, le rôle de l'homme comme chef de la famille. Ainsi le code sénégalais (1973) lui permettait de décider seul de la résidence conjugale qui, dans la majorité des traditions, était négociée par les familles des conjoints, ou de s'opposer à l'exercice d'une profession par sa femme 4.

4 La révision de ces dispositions, grâce aux efforts du Ministère de la Promotion Humaine, chargé de la Condition de la Femme, et des associations féminines, a constitué l'une des premières victoires de la Décennie des Nations Unies pour la Femme au Sénégal.

A. Mafeje, soulignant la complexité des transformations des sociétés agraires africaines, ne manque pas de faire la distinction entre «deux organisations, le ménage et le lignage qui s'excluent mutuellement tout en constituant ensemble l'axe autour duquel s'articule l'agriculture africaine» (1991). L'auteur indique, à juste titre, que si l'agriculture repose sur les ménages, c'est le lignage qui constitue la clef de voûte de l'accès à la terre et aux ressources. L'organisation sociale du lignage est très importante à saisir, car elle est au coeur de la reproduction sociale. On ne peut s'approprier les moyens de production que contrôle le lignage (terre, bétail, équipement), sans remettre en cause ce qui, pour de nombreuses cultures, constitue la «sécurité» du groupe. On peut imaginer les conséquences difficiles pour les femmes. Leur capacité de travail productif et reproductif est exploité par les hommes de leur lignage ou de celle de leur conjoint. Cela ne leur donne pas pour autant le droit de disposer de ces ressources que le système soit patrilinéaire ou matrilinéaire. Elles ne peuvent pas non plus revendiquer celles de leur époux. Bien au contraire, «elles sont assujetties à la domination masculine précisément parce qu'elles sont indispensables à la reproduction du lignage» (Mafeje,1991: 10). Elles dépendent des hommes du lignage qui continuent d'exercer le contrôle économique et social des ressources (père, oncle, mari, frère, aîné). Les lois régissant la terre, les dispositions des codes de la famille concernant la succession élaborées dans nombre de pays africains, après les indépendances, n'ont pas changé les mentalités sur ce point. Mieux, elles ne prennent pas de mesures concrètes tendant à réguler, sinon à effacer cet ordre ancestral. Au Kenya, en Guinée-Bissau, au Cameroun ou au Sénégal, la mise en valeur des terres par les femmes ne leur en donne pas pour autant le contrôle 5. Les épouses et les cadets constituent l'essentiel de la main-d'oeuvre rurale. Mais ce sont les hommes du lignage (héritier, père, oncle, époux ou aîné) qui gèrent et contrôlent leur production, en un mot le patrimoine économique. Où s'inscrit alors le pouvoir des femmes? Ce pouvoir, dans la majorité des cas, est dans l'entretien de la famille, mais surtout dans la gestion du patrimoine social et moral, qui, dans les sociétés non exclusivement marchandes, joue encore un rôle capital. Les femmes entretiennent les relations sociales. Elles sont à la source de la production, de la circulation, de l'échange et de la consommation sociale des valeurs. Le statut repose sur la contradiction entre cette centralité de leur position sociale dans la communauté et la culture et leur marginalisation dans la prise de décision au niveau économique et politique (Sow,1980).

5 A ce propos, cf.: - Mafeje, A. - Ménages et perspectives de relance en Afrique au Sud du Sahara, Document de Travail 2191, CODESRIA, Dakar, 1991 - La valorisation du statut et la contribution de la femme dans le secteur agricole et l'économie rurale. quatre expériences par pays, IDEP, Dakar, 1994 - Guyer, J. 1. «Family and farm in Southern Cameroon», African Research Studies N° 15, African Studies Center, Boston University, 1984

Les femmes accèdent au rôle de chef de ménage avec le départ des hommes en migrations volontaires ou forcées. Ce rôle leur en donne-t-il le statut et les prérogatives? Et si, comme le pose Mafeje, les femmes veulent bien aujourd'hui promouvoir leur autonomie et échapper au pouvoir patriarcal, «peuvent-elles se permettre de renoncer tout à fait à leur lignage?» Le contexte actuel ne les y encourage pas. Quel coût social, psychologique et affectif devront-elles payer pour cette autonomie?

Les sociétés africaines ont des fondements généralement dualistes, avec un droit familial lié à des lignages patrilinéaires et matrilinéaires dotés de patrimoines respectifs 6. La gestion de la grande famille est sous le contrôle moral des groupes les plus âgés qui peuvent être des hommes, mais aussi des femmes. L'unité familiale domestique (grande concession ou ménage individuel) qui organise la production agricole au sens large est généralement sous la tutelle d'un homme, même si l'autorité qui gère les besoins des adultes, des enfants et des dépendants directs peut être masculine ou féminine. La prééminence masculine, socialement et culturellement établie, confère à l'homme le titre de chef de famille, bien qu'une partie de cette autorité familiale puisse être réservée aux femmes, en fonction de leur statut et âge: la mère la belle-mère, la soeur du père ou de l'oncle, la soeur du mari, la première ou la pins influente des épouses, etc. Mais c'est en l'absence de l'autorité domestique masculine que les femmes veuves, divorcées, célibataires ou éloignées de leur époux jouent le rôle de chef de la famille et de l'unité domestique. L'émigration des hommes en quête de travail et de revenus vers les villes ou l'étranger a, par son importance croissante, donné toute son ampleur au phénomène de la femme rurale chef de famille, comme en atteste une abondante littérature.

6 Si les familles relèvent de systèmes à dominante patriarcale ou matriarcale, on relève, dans les deux cas, des dispositions, des prérogatives, droits et devoirs liés à la branche maternelle et paternelle.

Les femmes ne deviennent, en quelque sorte, chefs de famille que dans des circonstances définies, lorsque les hommes «font défaut»: veuvage, divorce, célibat, émigration masculine, etc. Leur statut est rarement autonome à l'origine. Cette situation n'a pas empêché l'essor de certaines de leurs initiatives agricoles dû à des contextes et des conditions variables. Leur esprit d'indépendance et d'entreprise n'y est pas totalement étranger. Le rôle affirmé de femme comme chef de famille coïncide généralement, dans le monde rural, avec celui de chef d'unité domestique, de production de biens, de services ou de revenus. Toutefois, les femmes sont très souvent les chefs de fait de l'unité de production qui fournit l'essentiel des biens et des revenus domestiques, sans pour autant exercer le rôle de chef de famille. La fonction «symbolique» mais capitale reste entre les mains d'un époux, d'un parent ou même d'un descendant plus ou moins actif, selon les raisons, les tâches, la division sexuelle du travail, l'idéologie de la propriété ou de l'autorité, les traditions sociales et culturelles.

La présence ou l'absence d'un chef de ménage de sexe masculin, comme on l'avait déjà souligné, conditionne son propre statut à la tête du ménage. Ainsi, au Kenya, lorsque l'homme chef de famille vit au sein de l'unité, il en exerce le contrôle dans 81,91 % des cas. Ce contrôle n'est dévolu à son épouse que dans 11,05% des cas, à son fils 2,56 %, et à un parent 4,47 % des cas. Ce rôle n'est pratiquement jamais confié à un étranger. Lorsque le chef de famille réside, dans le village mais hors de l'unité, la prépondérance de l'autorité féminine passe, en moyenne, à 46,42 % des cas. Ce chiffre varie, bien entendu, selon les régions, les cultures et les ethnies. La proportion du recours à d'autres personnes s'accroît: un parent: 19,56 %; un fils: 7,61 %; un étranger: 11,36 %. Cette situation s'accentue quand le chef de famille s'éloigne davantage du village et de l'unité de production. La femme est en première ligne dans 64,48 % des cas. Le recours à un parent représente 25,94 % des cas, celui à un fils 4,63 % et un étranger 4,94 % 7.

7 Toutes ces données chiffrées sont fournies par V. Ventura-Dias: op. cit., tableau 62.

Au Sénégal, les situations ne sont pas homogènes. Elles varient selon les milieux. Les enquêtes sur les femmes et l'accès à la terre que nous avons menées en Basse et Moyenne Casamance et dans la région arachidière, montrent que l'émergence des femmes comme chefs de famille dépend des traditions ethniques. Elle dépend aussi de leurs activités économiques et des flux migratoires en cours dans la région.

Sur un échantillon de 800 paysannes représentatives de plusieurs ethnies sénégalaises (Joola, Wolof, Sereer, Soose et Mandeng) 8 l'on se rend compte que la grande majorité d'entre elles (80 %) étaient effectivement engagées dans la production agricole. L'échantillon était en majorité musulman (81%), mais comptait quelques communautés chrétiennes (12 %) et des adeptes des religions du terroir (6,62 %). Sur 800 femmes, 726 étaient mariées, 10 célibataires, les autres veuves ou divorcées. Ici 91, 38 % des femmes vivaient dans une concession sous l'autorité du mari (61 %) où d'un parent (30,38 %).

8 Sow, Fatou - Les femmes et la terre: étude de la tenure fonicière au Sénégal, Dakar, CRDI/IFAN, 1995.

Cette enquête montre que les paysannes de Basse Casamance, au sud du Sénégal, monopolisent le gros de l'activité de production du riz. Elles appartiennent en général à l'ethnie joola et sont reconnues pour leur relative autonomie dans le cadre de cette culture. Elles tirent de leur rôle dans la production du riz un rôle a effectif» de chef d'unité de production. Elles interviennent dans de nombreuses phases d'un processus tenant compte d'une répartition sexuelle des tâches: semis, repiquage, récolte. Aujourd'hui, elles rejoignent les hommes dans les travaux lourds qui étaient jadis dévolus à ces derniers: défrichage, labour, construction des petites digues, etc. Cette position économique les met en concurrence, dans la réalité, avec les époux qui, de ce fait, bien que chefs de famille, ne contrôlent totalement ni la production ni la consommation ni même la commercialisation du riz. Cette autonomie a été, dans certaines zones, renforcée par le fait qu'elles reçoivent leur(s) rizière(s) de leur propre famille lorsqu'elles se marient. Cette dotation en terres a pour but de les mettre à l'abri du besoin. Elles sont ainsi sécurisées même lorsqu'elles se retrouvent seules. Cette autonomie s'est affaiblie avec l'introduction des cultures commerciales coloniales. Ces productions ont non seulement changé les structures agraires du pays joola, mais elles ont remis en cause toute l'organisation sociale, économique et idéologique des communautés. Elles ont également modifié la nature des rapports entre producteurs celle des rapports entre hommes et femmes. La production commerciale de l'arachide s'est démarquée de la production domestique du riz. Elle est devenue la base d'une économie marchande dominée par les hommes. Les paysannes du riz sont devenues plus dépendantes lorsque cette céréale a cessé d'être au centre de l'économie agricole de la région. 9

9 Journet, O - «Les femmes joola face au développement des cultures commerciales» in Michel, A., Diarra A. F. Agbessi-Dos Santos, H. - Femmes et multinationales, Pans, ACCT/Karthala, 1981, pp. 117-138.

Une autre enquête menée, en 1990, sur le pouvoir économique des femmes dans le département de Podor, au nord du Sénégal, montre l'émergence des femmes comme chef de famille 10. Dans cette région de la Vallée du Fleuve Sénégal, massivement désertée par l'émigration vers l'espace national et l'étranger, les femmes ont presque eu à«ramasser» la fonction de chef de famille et d'unité domestique de production, au sein d'une société patriarcale fortement islamisée. La concession du milieu rural sénégalais a généralement une structure lignagère. Elle abrite les membres de la même famille, restreinte ou élargie. Dans le département de Podor, la majorité des femmes de l'échantillon enquêté (62,8 %) vivent dans une concession d'un seul ménage. Ceci ne signifie pas forcément la nucléarisation de la famille comme en ville. Il s'agit manifestement de l'impact de la migration sur la composition et la recomposition des familles. Lorsque les hommes émigrent, les épouses reviennent dans leur famille propre avec leurs enfants ou séjournent dans celle du conjoint. Ainsi, le ménage de l'émigrant se reconstitue dans cette nouvelle cellule qui, même élargie, reste un seul ménage. En l'absence des chefs de concessions (mawdo galle, en pulaar, kilifa kër en wolof) et de ménages (jom kiraade, en pulaar, borom kër, en wolof), les femmes assurent les responsabilités du chef de famille. Elles n'en ont pas forcément les prérogatives, même si leur âge fait d'elles ce que l'on pourrait appeler des «matriarches». Le chef de concession ou de ménage, autorité morale, est avant tout le «patriarche». C'est parfois la personne la plus âgée de la hiérarchie familiale, rappelant ainsi la prééminence de l'âge sur tous les autres critères. En cas de célibat, d'absence du conjoint, de divorce ou de veuvage, les femmes vivent dans une famille dont la responsabilité incombe à un membre de leur famille ou de celle du conjoint. Il peut même s'agir du fils aîné ou de la belle-mère, etc.

10 Sow, Fatou - Le pouvoir économique des femmes dans le département de Podor (Sénégal), Dakar, Cellule Après-barrage/Fonds Européen de Développement, 1991

Il est important ici de préciser les concepts qui permettent de définir les différents rôles joués par les femmes et les hommes. Les concepts varient certes selon la langue, mais les contenus sont communs à de nombreuses cultures africaines. En pulaar, par exemple, le kiraade désigne l'unité familiale de consommation. Les femmes se définissent comme le chef de cette unité, jom kiraade, car elles sont responsables de l'entretien domestique et de la gestion des rations alimentaires. Les mêmes concepts se retrouvent en wolof: njël ration alimentaire) et borom njël, responsable de cette ration. La nouvelle mariée, dans une grande concession, prend cette responsabilité de sa belle-mère ou des autres épouses. Ces nuances sont importantes car elles délimitent les premiers secteurs du pouvoir des femmes dans la famille. L'épouse est la jom suudu (maîtresse de la chambre, en pulaar) ou borom neek (en wolof) et le mari, le jom galle (maître de la maison, en pulaar) ou borom kër (en wolof). Mais une femme n'a de droit réel dans la maison que si elle gère elle-même le kiraade (Sow, F.:1991). La responsabilité matérielle et morale de nourrir la famille incombe aux femmes et définit, en partie, leur statut. La position des femmes au sein de la famille, qu'il s'agisse de la concession, du ménage, de l'unité familiale de production ou de consommation, revêt plus de pouvoir lorsque les hommes sont absents physiquement ou font défaut matériellement, d'où le nombre accru de femmes chefs ou «soutiens» de ménage.

Certaines situations sont plus ou moins transitoires, d'autres sont permanentes. Les possibilités d'installation sur place et de reconstitution des familles dépendent des contextes. Les réfugiés du Rwanda, Burundi ou de l'Angola des années 1970 pouvaient se diluer au Zaïre et dans les pays voisins. Aujourd'hui, les génocides du Rwanda, du Burundi, de Somalie ou du Soudan qui déplacent des millions de personnes posent des problèmes inédits et d'une autre ampleur. La situation particulière des femmes et des enfants comme catégories les plus exposées est des plus critique. Le viol, la torture et le meurtre, la disparition sont parmi les multiples exactions et violations des droits de la personne encourus dans ces contextes. Les femmes se retrouvent chefs de famille par la violence; elles sont responsables de familles pulvérisées et, parfois, de familles auxquelles elles ne sont pas forcément lices. La vie dans les camps ne permet ni de les reconstituer, ni de les entretenir.

2.4. Cadre et contexte d'analyse

Le statut des femmes rurales, comme chef de famille, doit donc s'apprécier à deux niveaux majeurs. Le premier est leur participation aux activités rurales; le second est leur participation à l'autorité qui gère ces activités. Les femmes sont une force productive fondamentale. Elles sont au centre de la production, des problèmes de nutrition, de santé, etc. D'où les réflexions menées ces dernières années sur leur rôle, notamment, dans le développement économique. La dernière Conférence de la Décennie des Nations Unies pour la Femme, tenue à Nairobi (1985), avait défini des stratégies de promotion de la femme d'ici à l'horizon 2000. Certains pays, comme le Sénégal, ont stimulé une réflexion prospective sur des politiques en direction des femmes à l'horizon 2015 ¹¹. à partir des problèmes qui leur sont posés en matière de santé, d'éducation, de droits civiques et politiques. Cette réflexion faisait suite à un exercice global sur le Sénégal à l'horizon 2015. Aucune analyse sur les femmes ne peut faire l'économie d'une approche globale. Les femmes, à l'intérieur du continent comme dans leur pays, vivent des conditions variées qu'il faut prendre en compte.

11 Sow, Fatou; Diouf, Mamadou, Éds. - Femmes Sénégalaises à L'Horizon 2015, Ministère de la Femme, de l Enfant et de la Famille, The Population Council, Dakar, 1993.

Comme le montrent les statistiques, les femmes constituent, dans la presque totalité des pays africains, entre 51 et 52 % de la population. Elle sont une force massive dans l'économie agricole vivrière: elles s'y investissent à plus de 80 % et assurent au moins 50 % du travail fourni. Et là, leur contribution n'est comptabilisée qu'en partie, du fait des ségrégations dont elles font l'objet et de leur absence des centres de décisions gouvernementales et sociales, centrales et locales. Leurs tâches dans la production agricole sont multiples et varient selon les époques, les contextes, les modes et les types de production.

Dans la région de Casamance (Sénégal), on l'a vu, les femmes joola gèrent des unités de production du riz. Elles reçoivent, lors du mariage, une part des rizières familiales pour assurer leur propre sécurité alimentaire. Les processus de production sont répartis selon les sexes. Si les hommes défrichent les sols, aident à mettre en place les digues, les femmes sèment, piquent et repiquent, protègent les semis contre les prédateurs, récoltent, emmagasinent, gèrent les greniers à riz ou vendent.

Dans les deltas du Niger ou de la Volta, l'agriculture palmiste traditionnelle est une activité qui engage les hommes pour planter et «taper» 12 le palmier ou couper les fruits. L'industrie traditionnelle de traitement des palmistes est le fait des femmes. Dans les palmeraies modernes, apparues en Côte d'lvoire dans les années 1960, le rôle des femmes est réduit. Ces palmeraies sont des plantations modernes mécanisées. Elles appartiennent à des entreprises capitalistes qui utilisent surtout une main d'œuvre masculine, souvent immigrée des pays limitrophes (Ghana, Burkina Faso, etc.). Les cultures vivrières (céréales, tubercules, etc.) mobilisent en général une main d'œuvre féminine plus nombreuse que les productions industrielles (cacao, banane, café, etc.). C'est là que l'on retrouve plus d'exploitations féminines. On rencontre toutefois, dans les pays du Sahel (Sénégal, Mali, Niger, Tchad, etc.), les femmes en grand nombre dans les cultures comme celles du coton, de l'arachide ou du karié. Les paysannes du Sénégal oriental assurent une partie importante de la production du coton. Celles du Ghana ou de Kenya travaillent sur les unités de production aussi bien de cacao et de café que de biens vivriers. Dans ce dernier secteur, on retrouve les Congolaises qui assurent les cultures de manioc, tarot, patate ou courge, à la base de l'alimentation.

12 Taper le palmier: extraire le lait de palme.

On possède des données intéressantes sur la participation et la distribution des tâches dans les activités agricoles. L'exemple du Kenya (Ventura-Dias,1985:187) est donné au tableau 4, car il est très détaillé et reflète la situation africaine.

Tableau 4: Répartition de la participation des membres du ménage dans les travaux agricoles, par sexe et production (% des enquêtés âgés de 15 ans et plus)

Types de Travaux

Maïs

Mil, Sorgho

Tomates

Pois

Pommes de terre

Épinards, Choux

Pyrethrum

Coton

Café

Thé

 

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

H

Non Réponse

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

Non

2,5

9,7

56,2

54,4

86,6

71,9

63,2

59,6

77,3

66,0

68,8

62,6

84,3

69,7

82,6

68,3

77,2

61,1

85,3

69,8

Régulièrement

87,0

54,4

34,2

16,5

4,1

3,0

27,4

11,9

13,4

8,0

21,4

9,0

6,7

5,1

7,7

6,0

12,8

12,5

4,8

5,1

Parfois

1,5

11,4

0,6

4,6

0,4

0,6

0,5

4,0

0,4

1,6

0,8

3,9

0,1

0,7

0,7

1,3

1,0

1,9

1,0

0,6

Désherbage

                                       

Non Réponse

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

Non

2,7

7,2

56,2

54,0

86,5

72,2

63,4

57,8

77,2

66,3

68,8

63,2

84,2

70,0

82,7

68,2

73,5

60,9

84,4

69,6

Régulièrement

86,9

54,7

34,1

16,3

4,4

2,7

27,3

13,2

13,4

7,6

21,5

8,5

6,8

4,8

7,7

5,9

16,1

11,9

6,2

4,7

Parfois

1,5

13,6

0,8

5,2

0,2

0,6

0,4

4,5

0,4

1,6

0,8

3,8

O,1

0,7

0,7

1,4

1,5

2,7

0,5

1,2

Récolte

                                       

Non Réponse

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

Non

2,5

7,9

56,2

56,6

86,5

72,2

63,5

60,3

77,2

66,3

68,7

64,8

84,4

70,1

82,6

68,2

74,6

61,7

84,6

70,0

Régulièrement

87,3

53,7

34,2

13,5

4,3

2,6

27,2

11,2

13,6

7,6

21,7

7,4

6,4

4,6

8,0

6,0

15,5

11,4

6,2

4,5

Parfois

1,3

13,8

0,6

5,4

0,3

0,7

0,4

4,0

0,3

1,6

0,7

3,4

0,2

0,8

0,4

1,3

1,0

2,4

0,2

1,1

Commercialisation

                                       

Non Réponse

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

8,9

24,5

Non

31,2

40,5

65,8

65,3

87,8

73,3

73,0

67,3

83,0

70,3

76,4

70,1

85,9

7O,6

84,0

69,0

76,0

63,0

84,7

70,6

Régulièrement

52,1

24,1

21,9

6,0

2,8

1,6

15,8

5,4

7,3

3,9

12,9

3,5

4,6

4,0

5,5

5,2

13,3

10,2

5,9

3,6

Parfois

10,9

3,4

4,2

0,5

0,6

2,3

2,8

0,7

1,2

1,8

1,9

0,6

0.6

1,5

1,4

1,7

2,3

0,5

1,3

 

Source IRS (données non publiées) in Ventura-Dias, op cit. (Ahmed, 1., Ed.- Technology and rural women: conceptual and enpirical issues,)

Comme on le constate, la contribution des femmes varie selon les cultures et les tâches. Pour le Kenya qui fournit ces données, le travail féminin est considérable. Il ne se limite pas seulement à des secteurs d'appoint. La cueillette des produits forestiers, la pèche l'élevage sont des secteurs qui voient l'intervention des femmes, surtout dans les activités de transformation.

A propos du pastoralisme, l'on a coutume de penser qu'il s'agit avant tout d'une affaire d'hommes qui ont en charge toutes les opérations de l'élevage. Or, dans toute l'Afrique, les femmes y participent activement: traite et soins de santé des animaux, transformation et vente des produits du bétail (Oxby, 1989). Elles sont également impliquées dans les programmes développés en milieu pastoral: alphabétisation fonctionnelle, mise en place de foyers améliorés pour les économies d'énergie et promotion des produits artisanaux (teinture, poterie, vannerie). Les systèmes agro-pastoraux fortement éprouvés, tantôt par de grandes périodes de sécheresse ou les maladies du bétail, tantôt par les conflits armés, ont vu le renforcement du rôle que la tradition culturelle avait déjà assigné aux femmes. Ainsi, dans le centre du Tchad et le Nord-Est de l'Ouganda, comme dans le Ferlo sénégalais, le bétail est un bien de prestige dont les femmes des communautés de pasteurs négocient généralement l'acquisition avec leur conjoint (Bruggeman, 1994). La pratique est autre dans le système agro-pastoral du canton de Dodoth (Tchad), cité ici en exemple, où le bétail est la clef du système économique. Les femmes cultivent tandis que la traite du bétail est confiée aux enfants et la garde des troupeaux aux jeunes gens. Le chef de famille se déplace entre le village proche des champs de culture et ceux de pâture.

Les données statistiques manquent pour évaluer l'importance de l'élevage, au niveau continental. Là aussi, l'on reprendra, au tableau 5, l'exemple du Kenya, pour l'élevage (Ventura-Dias, 1985:189).

Tableau 5: Participation (%) des membres du ménage dans l'élevage et les tâches domestiques, par sexe (enquêtés de 15 ans et plus)

 

Non Déclaré

Aucune

Régullèrement

Quelquefois

Participation à des activités

F

H

F

H

F

H

F

H

Volaille

6.9

20,5

81,4

73,0

9,2

3,0

2,5

3,5

Soins des animaux en étable

6,9

20,5

78,1

67,7

12,3

8,1

2,7

3,7

Boeufs

6,9

20,5

55,0

41,2

24,1

25,2

14,0

13,1

Traite des animaux

6,9

20,5

50,8

59,3

37,4

11,8

4.9

8,3

Moutons et chèvres

6,9

20,5

54,2

46,1

26,7

20,9

12,2

12,5

Préparation des aliments et cuisine

6,9

20,5

1,9

71.5

90,0

4,7

1,3

3,4

Entretien de la maison

6,9

20,5

1,4

72,1

89,7

4,6

2,0

2,8

Entretien des enfants

6,9

20,5

27,5

73 5

63,2

1,3

2,4

4,7

Achat des aliments

6,9

20,5

10,5

33,8

71,4

22,9

11,3

22,8

Puisage de l'eau

6,9

20,5

2,1

71,4

89,1

5,1

1,9

3,0

Collecte du bois

6,9

20,5

2,2

70,6

88,6

5,2

2,3

3,7

Comme l'on pouvait s'y attendre, les tâches domestiques sont principalement du ressort des femmes (60 à 90 %): entretien de la maison et des enfants, préparation des repas, collecte du bois et de l'eau, etc. Pour le bétail, les soins et la traite des animaux sont plus le fait des femmes que des hommes. Ce sont des tâches féminines dans de nombreuses sociétés pastorales et agricoles.

L'emploi et la productivité des différents membres de la famille dans les activités rurales sont fonction du milieu et des conditions matérielles et-sociales. Les femmes n'échappent pas à la règle. Leur contribution est mieux étudiée aujourd'hui sur les plans qualitatif et quantitatif; celle des enfants l'est moins bien. Les informations chiffrées, par pays, sur la contribution économique des femmes, fournies par la Commission Économique pour l'Afrique à l'occasion de la Conférence Régionale des Femmes (Dakar, 1994) sont pleines d'enseignements13 Le tableau 6 offre les pourcentages de femmes et d'hommes engagés, selon les pays, dans des activités économiques dont la nature n'est malheureusement pas précisée ici. Ces taux oscillent, pour la période 19701990, entre des sommets de 89 à 79 % au Mozambique, 89 à 77 % en Tanzanie, 87 à 79 % au Niger et des moyennes de 52 à 46 % au Nigeria, 53 à 47 % au Togo, 58 à 54 % au Zaïre, 51 à 44 % au Zimbabwe. Ces chiffres sont relativement bas au Maroc (12 à 19 %), en Tunisie (11 à 26 %), en Algérie (4 à 8 %), en Égypte (6 à 9 %).

13 Les données ont pour source Le Rapport sur le développement humain (1994), du Programme des Nations Unies pour le Développement.

14 Exemple cité par Fatima Mernissi et repris par Marilyn Carr in «Technologies for Rural Women: Impact and dissemination»,, Ahmed, 1., Ed., Technology and rural women. conceptual and empirical isues, World Employment Programme, ILO, George Allen & Unwin, Boston, 1985, op cil, p 115.

On remarque, également, que plus on se rapproche de l'influence géographique méditerranéenne et de la mouvance culturelle islamique et orientale, plus la contribution féminine estimée est faible dans l'économie. Ce dernier constat relève en fait d'une conception encore étroite de l'activité économique reliée à la production essentiellement marchande. Il est évident que cette moyenne serait beaucoup plus élevée si l'on mesurait leur participation aux activités agricoles et que l'on prenait en compte leur contribution domestique pour sa rentabilité économique. Cette méprise était relevée à propos du recensement tunisien de 1966 qui estimait à 3 % le nombre de femmes actives. Une redéfinition de la conception d'activité portait le chiffre à 26 %'4.

L'accès à l’entreprendrait, qui est au coeur des difficultés de la femme rurale chef de famille, peut être saisi à partir des données fournies par sexe et pays. La ventilation n'est malheureusement pas assurée par secteur, urbain ou rural. L'étude reprise par la Commission Économique pour l'Afrique des Nations Unies, The structure and growth of micro-enterprises in Southern and Eastern Africa (Gemini,1993), offre des indications globales sur l'appropriation des micro-entreprises. On apprend ainsi qu'au Kenya, 52,7 % des propriétaires d'entreprise sont des femmes alors que 42,9 % sont des hommes. Elles sont 51,9 %, au Malawi, contre 45,5 % d'hommes. Le taux de femmes baisse à 31, 5 % en Afrique du Sud, 25,2 % au Lesotho, 18,6 % au Botswana et même à 11,6 %, au Swaziland.

Pour mieux saisir la situation économique de la femme rurale chef de famille, des données plus ou moins complètes sur quelques pays sont présentées, à partir des rapports nationaux fournis dans le cadre de la Vème Conférence Régionale Africaine sur les Femmes de Dakar. Leur-caractère lacunaire souligne l'urgence d'enquêtes systématiques qui ciblent les populations féminines dans tous les domaines (économie, emploi, santé, éducation, droits, etc.). Un effort plus particulier devrait être porté vers les femmes en milieu rural et les femmes chefs de ménage. Bien mieux, aucune statistique d'ordre général ou particulier concernant la situation globale des pays ne devrait omettre la répartition par sexe lorsque le besoin s'en présente.

Tableau 6: Population économiquement active 1970- 1990*

TAUX D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE (%)

 

% des femmes

% des hommes

 

1970

1990

1970

1990

Algérie

4

8

79

75

Angola

59

52

90

87

Bénin

83

77

93

89

Botswana

55

42

91

85

Burkina Faso

85

77

94

93

Burundi

86

78

94

93

Cameroun

51

41

92

93

Cap Vert

27

33

93

90

Comores

66

59

92

91

Congo

55

51

87

84

Côte d'Ivoire

64

48

92

88

Égypte

6

9

83

80

Éthiopie

59

52

91

89

Gabon

54

47

84

82

Gambie

65

58

92

90

Ghana

59

51

84

80

Guinée

65

57

93

90

Guinée-Bissau

63

57

91

90

Guinée Equatoriale

60

52

89

4

Jamahiriya A.. Lybienne

6

9

81

77

Kenya

65

58

92

90

Lesotho

76

65

89

91

Libéria

42

37

91

88

Madagascar

63

55

92

89

Malawi

68

57

93

89

Maroc

12

19

84

81

Mauritanie

24

24

93

87

Mauritius

21

29

85

84

Mozambique

89

79

93

91

Namibie

24

24

89

83

Niger

87

79

95

93

Nigeria

52

46

90

88

Ouganda

68

62

94

92

Rép. Centre Africaine

80

68

92

88

Réunion

22

38

77

77

Rwanda

86

79

94

93

Sénégal

60

53

88

86

Seychelles

47

-

81

-

Sierra Leone

44

38

87

84

Somalie

60

53

90

88

Soudan

22

24

89

87

Swaziland

63

53

91

87

Tanzanie

89

77

91

89

Tchad

27

23

92

90

Togo

53

47

90

88

Tunisie

11

26

83

78

Zaire

58

54

89

85

Zambie

31

33

90

87

Zimbabwe

51

44

91

88

* Source: UNDP, Human developmenl report, 1993 and 1994, cil. in E/ECA/RC.V/EXP/WP.1, p. 25/2G

Au Burkina Faso, 95 % des femmes rurales s'adonnent à l'agriculture de subsistance et aux activités du secteur informel. Les femmes propriétaires de terre sont rares.. Elles représentent moins de 6 % des paysannes. Leur accès à la terre reste difficile, malgré l'interdiction de toute discrimination de sexe par la législation sur la Réorganisation agraire et foncière (article 17). La Caisse Nationale du Crédit Agricole a ouvert, avec le soutien d'un projet du PNUD, des programmes de financement d'associations féminines et de volets femme d'ONGs.

Au Cameroun, la main-d'œuvre féminine assure 90 % de la production vivrière nationale, selon le rapport de la Banque Mondiale (1990). On estime que 89, 2 % des paysannes y sont engagées, contre seulement 2,32 % dans les cultures d'exportation et 1,02 % dans des activités liées à l'élevage, la pêche, la chasse et la cueillette. Le rapport national ne fournissait de données précises concernant les femmes ni sur leur statut familial, ni sur leur accès au foncier.

Les Iles du Cap Vert ont une longue et forte tradition de migration vers les pays limitrophes, notamment le Sénégal. Le Portugal et l'Amérique du Nord sont également des destinations prisées. L'émigration, avant tout masculine, laisse ainsi la charge des familles aux femmes qui constituent 37,55 % de la population active. Elles accèdent à la terre par héritage, fermage ou métayage. D'après le recensement de la population de 1988, 36,2 % des 32.193 exploitations que compte le pays sont dirigées par des femmes seules. Ces dernières gèrent 41 % des exploitations en terre sèche, mais seulement 23 % des terres irriguées et 20 % des terres associant culture pluviale et irrigation.

Les Comoriennes représentent 50,6 % de la population de ces îles de l'Océan indien. Elles occupent une grande place dans l'agriculture qui est le secteur principal de l'économie: 84 % d'entre elles y travaillent. En 1990, elles constituaient 0,6 % des salariés et 15 % des entrepreneurs du secteur informel.

L'instabilité politique du Burundi rend la production de statistiques aléatoire qui sont fournies ici à titre indicatif. 80 % des ressources du secteur primaire générant 56 % du produit intérieur brut proviennent de l'agriculture vivrière qui est sous la responsabilité des femmes. 95 % des femmes actives sont dans le secteur agricole. De même, les femmes représentent 12 % de la population active du secteur commercial.

Au Congo, les femmes constituent 52 % de la population et 46 % de la population active. Les femmes actives représentent 68,8 % de la catégorie en âge de travailler contre 66,3 % d'hommes. Ici, les femmes travailleuses indépendantes sont plus nombreuses que les hommes (28.822 contre 10.157). Elles sont 60 % dans l'agriculture et 58 % dans le commerce. Il s'agit là d'un cumul d'activités qu'il est intéressant de relever, car il souligne leur degré d'engagement dans la production économique. Leur activité mercantile portent largement sur la vente des productions agricoles. L'accès des femmes à la terre se fait par relation familiale, location ou achat.

Le Gabon a une situation assez particulière par rapport aux autres pays. L'agriculture n'est pas le secteur le plus important de l'économie. Cela se reflète sur le type d'activité économique menée par les femmes. Le secteur agricole n'attire que 14,40 % d'entre elles. La majorité de cet effectif est impliquée dans la production vivrière (60 %). On retrouve surtout les femmes dans le commerce. 63 % des femmes actives sont dans le commerce des textiles, 29,56 % dans le commerce, 24,41 % dans le secteur agro-alimentaire. 42 % dans l'administration,

La population féminine de Madagascar représentent 50,45 % de la population globale. La grande majorité des femmes vit dans le secteur rural. 53 % de la main-d’oeuvre féminine exerce ses activités dans le secteur tertiaire.

Au Mali, on compte 3.935.835 femmes sur une population de 7 millions habitants soit 51,20 % du total. 77, 9 % des femmes travaillent dans l'agriculture et la transformation. Elles effectuent 70 à 80 % du travail agricole, 100 % des activités artisanales de transport. Elles sont confrontées à de nombreuses difficultés liées au droit patriarcal de la terre.

Le Sénégal compte 7.668.000 habitants dont 51,3 % de femmes. Ces dernières participent, selon les régions, pour 60 à 80 % de la main-d'œuvre agricole. Elles sont 68 % dans le secteur primaire et représentent 88 % de la population active rurale. La sécheresse de ces vingt dernières années et l'appauvrissement du milieu rural ont contribué à l'émigration massive des hommes vers les villes et l'étranger. Ce phénomène a accru le rôle des femmes comme chefs virtuel d'unité domestique.

La population du Togo s'élève à 3,5 millions habitants dont 51 % de femmes. En 1993, 72 % des femmes actives étaient dans le secteur primaire. 41 % d'entre elles se consacrent à l'agriculture comme activité principale contre 49 % des hommes. Elles assurent 40 % des labours, 80 % des semailles et 70 % des récoltes. Leurs revenus monétaires, en milieu rural, ne représentent toutefois que 10 % des revenus globaux et leurs propriétés seulement 1 %. Il faut sans doute souligner ici le rôle très important des commerçantes des marchés urbains.

La situation politique et économique du Zaïre est, on le sait, des plus précaires. La population féminine représente 51 % des 41.308.000 habitants que compte le pays. Elles sont 40 % à vivre en zone urbaine et 60 % en zone rurale. Les paysannes zaïroises participent à toutes les étapes du cycle agricole, de l'abattage des arbres à la récolte. Elles assurent 80 % du travail de récolte, 50 % de la commercialisation des produits agricoles contre 28 % par les hommes. Elles dominent la transformation du poisson, l'élevage du petit bétail. Elles sont, toutefois, comme presque toutes les paysannes du continent, confrontées à d'énormes difficultés d'accès au crédit ou aux technologies.

L'on ne pourrait finir avec le contexte dans lequel situer les femmes rurales chefs de ménage, sans donner quelques indications sur le cadre de vie de la paysannerie contemporaine. Ces données présentées ici proviennent du rapport de la Commission Économique pour l'Afrique, à la Vème Conférence des Femmes de Dakar.

Les indications démographiques et sanitaires montrent que les conditions de santé et de reproduction des femmes sont variables. Leur taux de fécondité varie, pour la période 1960-1992, de 8 à 6,3 % au Kenya, de 6,4 à 6,5 % au Burkina Faso, de 6,5 à 4,1 % en Afrique du Sud et de 5,9 à 2 % à l'Ile Maurice. Le taux des naissances suivies par un personnel de santé, en 1992, montre la même disparité: Sénégal 41 %, Burkina Faso 42 %, Bénin 45 %, Côte d'Ivoire 50 %, Togo 54 %, Botswana 78 %, Ile Maurice 85 %, Zimbabwe 70 %. La mortalité infantile, pour un taux de fécondité de 5,4 %, au Zimbabwe, en 1992, atteint 60 % pour la même année. Elle est de 88, au Bénin, pour un taux de fécondité de 7,1 %, de 135 au Burkina Faso pour 6, 5 %, de 53 en Afrique du Sud pour 4,1 %.

Ces variations sont répercutées par le taux annuel de croissance de la population. Celui-ci connaît, en 1990, ses sommets au Zimbabwe (3,3 %), au Kenya (3,5 %), en Côte d'lvoire (3,8 %). Les taux les plus faibles sont enregistrés à l'Ile Maurice (1,1 %0, en Égypte (1,5 %). Ces chiffres révèlent l'influence des migrations (Côte d'Ivoire, 4 %) et l'effet des politiques de natalité (Egypte 1,5 %, Maurice 1,1 %) et des conditions sanitaires. Pour la couverture sanitaire, le déficit oscille entre les 95 % de l’Ethiopie et les 5 % de l'Ile Maurice. Les données sont parcellaires en ce qui concerne l'usage des préservatifs et de très grands écarts séparent Maurice avec un taux d'usage de 75 %, le Botswana 33%, le Mali et le Lesotho 5 %, l’Ethiopie 2 %.

L'accès à l'eau potable et à des équipements sanitaires adéquats, qui sont des conditions élémentaires pour la santé, varient également selon les pays. Au Burkina Faso, en 1991, 95 % des personnes du monde rural n'avaient pas accès à l'eau potable. C'était aussi le cas, pour les mêmes catégories de population dans d'autres régions: 76 % au Zaïre, 74 % en République Centrafricaine et au Sénégal, 72 % en Zambie, 70 % en Ouganda et au Nigeria, 65 % en Mauritanie, 63 % au Sierra Leone, 57 % au Soudan, etc. Le Mali, la Mauritanie ou le Burkina Faso accusent des difficultés d'accès à l'eau potable car ils sont dans les zones arides sahéliennes. Mais nombre de pays bien arrosés, comme le Cameroun, le Congo, la Guinée ou le Gabon, sont à peine mieux lotis, en raison de la mauvaise qualité des infrastructures.

L'éducation et l'alphabétisation sont au coeur des problèmes posés par la place et les rôles des femmes dans l'économie et la société. Les efforts accomplis en leur direction, dans les pays en voie de développement, n'ont pas été à la hauteur des besoins. Leur niveau d'éducation reste très bas, surtout pour les adultes, et, plus particulièrement, celles du monde rural. Dans ces régions en développement, on estimait, en 1985, à 597 millions le nombre de femmes analphabètes, contre 352 millions d'hommes (The World's Women,1970-1990:45). L'écart entre femmes et hommes, dans ce domaine, existe toujours, malgré les campagnes d'alphabétisation.

En Afrique subsaharienne, encore au moins 70 %, sinon plus, des femmes âgées de plus de 25 ans ne savent ni lire, ni écrire (The World's Women,1970-1990:45). Les statistiques nationales sur les ménages sont révélatrices à cet égard, même si la ventilation des données par sexe n'est pas toujours donnée ou assurée avec des indicateurs pertinents. Pour mesurer le niveau d'éducation des chefs de ménage, il est indispensable, dans certains contextes, de tenir compte de leur connaissance des langues nationales, de celle de l'arabe comme moyen de communication ou outil de transcription de ces langues et du niveau d'instruction coranique (en arabe) Les politiques de promotion des langues nationales ont mis en place des programmes d'alphabétisation qui ont d'abord touché les adultes du milieu aural, avec des résultats relativement faibles pour le moment. Ces programmes n'ont touché les femmes que plus tardivement. Mais avant cette alphabétisation, l'alphabet arabe avait, dans les pays musulmans, servi à transcrire les langues locales. Le pulaar, le hausa, le sonrai et le wolof ont d'abord été transcrit en arabe, comme en attestent les oeuvres des lettrés de Dan Fodio à Cheikh Bamba, pour ne citer que ces exemples. Cet effort avait touché les lettrés des écoles coraniques qui avaient surtout été des hommes.

Au Mali, selon les résultats du Recensement général de la population et de l'habitat de 1988, 78,74 % des chefs de ménages ne savaient ni lire, ni écrire dans aucune langue. Si 8,8 % d'entre eux avaient la connaissance du français, 6,48 % possédaient celle du Coran, 1,59 % celle de 1' arabe et 0,9 % des langues nationales. Au Niger également, l'on observe que, sur l'ensemble de la population, très peu de chefs de ménage sont instruits. La proportion des non instruits est de 76,2 %. Ceux qui ont suivi des études coraniques (17,2 %) se rencontrent dans des départements fortement islamisés comme ceux de Zinder, Maradi ou Tahoua (RGP,1988:36).

Les Données démographiques, socio-économiques et culturelles sur les femmes du Burkina Faso (1993) estiment la population féminine à 4.698.638 personnes. dont 86 % vivent en milieu rural. Le niveau d'éducation de cette population à partir de 12 ans et plus est évalué à un taux d'instruction scolaire de 10,7 % et d'alphabétisation en langues nationales de 1O,1 %. Au total, 90,4 % des femmes n'ont reçu aucun diplôme.

L'Enquête sur les priorités au Sénégal (1992) donne des informations intéressantes sur les niveaux d'instruction des chefs de ménages par âge et sexe. Sur l'ensemble des chefs de ménage, 79,7 % des hommes et 87,6 % des femmes n'ont jamais fréquenté l'école. L'instruction est encore un luxe. Et l'école coranique joue un rôle évident à ce niveau. En effet, tous les chefs de ménage instruits, 35 % des femmes et 40 % des hommes, I 'ont été par l'enseignement coranique reçue dans leur jeunesse. Cet enseignement comporte un premier degré qui est la récitation des versets du Coran, sans connaissance de la langue arabe. Le second degré est celui de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture de cette langue, sans compréhension de la teneur du texte récité. Le degré le plus élevé est la connaissance de la langue et l'acquisition de savoir dans les domaines les plus divers: grammaire, théologie, droit, jurisprudence, géographie, astronomie, etc. Mais, là aussi, l'inégalité entre les sexes demeure. Les femmes reçoivent généralement des rudiments d'enseignement: juste assez pour effectuer leurs prières quotidiennes.

L'inégalité dans l'enseignement se retrouve dans bien d'autres pays. Ainsi en Guinée-Conakry, le taux d'analphabétisme était, en 1990, de 87 % pour l'ensemble des femmes et de 65 % pour les hommes (World Bank Information Sheet, 1993). Enfin au Soudan, ce taux était, pour la même année, de 86 % pour les femmes et de 63,9 % pour les hommes (World Bank Information Sheet, 1994).

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