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Module I les paramètres démographiques du développement rural


Module I les paramètres démographiques du développement rural

La dimension de genre dans le développement rural et les problèmes de population

Le terme de développement rural désigne le processus de croissance soutenue de l'économie rurale et d'amélioration du bien-être des hommes, des femmes et des enfants dans les campagnes 1. Le genre a joue, tout comme la population, un rôle central dans ce processus.

[ a La notion de genre distingue les rôles et les attributs socialement et culturellement définis pour chaque sexe et elle renvoie aux relations entre hommes et femmes. Les approches basées sur ce concept privilégient (a) la construction sociale des rôles masculins et féminins (par opposition à leurs différences biologiques), (b) les décalages entre hommes et femmes dans toutes les domaines, et (c) les rapports entre hommes et femmes. «Le genre donne une place centrale aux individus, femmes et hommes. En soulignant la manière dont la société organise les opportunités et gère les hasards de la vie, l'utilisation de ce concept ouvre la voie à des différenciations selon le sexe, notamment en matière d'âge ou de revenu.>, Traduit de Kathleen Staudt, Technical Assistance and Women: From Mainstreaming Toward Institutional Accountability, juin 1994, p.4. ]

Au sein d'une exploitation familiale rurale, tous les membres du ménage hommes, femmes, enfants - sont appelés à remplir des rôles spécifiquement définis par leur âge et leur sexe (agriculture, commerce, emploi salarié, etc.) et ils combinent leurs efforts pour procurer la nourriture et le revenu nécessaire à la survie de la famille. Pourtant, jusqu'à tout récemment, les contributions des femmes et des enfants à l'activité économique n'étaient pas reconnues, tout comme l'accès des femmes aux moyens de production, à la terre en particulier, et les contraintes associées à leur genre. C'est pourquoi les implications liées au genre en matière de politiques et de programmes de développement rural ont été souvent ignorées, compromettant ainsi le succès et la viabilité de ceux-ci.

Nombre d'heures de travail pendant une année dans une exploitation agricole d'un hectare dans l'Himalaya indien

1. Les femmes aussi sont des agriculteurs

Source: Vir Singh, "Hills of Hardship", 1987, cité dans Most Farmers in India are Women, FAO, 1991, p.4.

Le rôle déterminant des femmes dans la production agricole, la sécurité alimentaire et le développement rural est maintenant reconnu sur la scène internationale; de même que le fait que, dans de nombreux pays, le secteur agricole repose essentiellement sur elles. En Afrique sub-saharienne et aux Caraïbes, où les femmes produisent 60 à 80 pour cent des vivres, en Asie, où elles réalisent plus de 50 pour cent des travaux de riziculture, ou encore dans le Pacifique et en Amérique latine où leurs cultures maraîchères représentent l'un des systèmes agricoles les plus complexes qui soient, partout les femmes sont les principales responsables et les spécialistes de l'agriculture, notamment vivrière. Aux quatre coins du monde, elles s'occupent de l'élevage du petit bétail, de la gestion du gros bétail en dehors des pâturages libres (qui sont réservés aux hommes), de la collecte des vivres, du fourrage, du ramassage du bois de feu et de l'approvisionnement en eau. Elles assurent souvent le gros du travail et prennent les décisions concernants une vaste gamme d'opérations consécutives aux récoltes, et notamment la conservation et le traitement des céréales, leur commercialisation, ainsi que leur transformation en dehors de l'exploitation familiale, dans des petites entreprises ou comme salariées de l'agro-industrie. A tout cela viennent s'ajouter leur participation à la vie de la communauté villageoise, leurs fonctions domestiques et reproductives, les soins aux enfants.

Dans de nombreuses régions du monde, la contribution des femmes dépasse celle des hommes. Pour ne choisir qu'un exemple, dans les montagnes de l'Himalaya, en Inde (voir figure 1), le nombre d'heures de travail accomplies chaque année sur une exploitation agricole d'un hectare atteignait 1 064 par paire de boeufs, 1 212 par homme et 3 485 par femme. Une année de travail féminin correspondait donc à celui d'un homme et d'une paire de boeufs! Dans cet exemple, le travail des femmes, qui comprend le sarclage, l'irrigation, le transport du fumier et son épandage dans les champs, les semailles, la récolte et le battage, l'emporte sur celui des hommes et des bêtes de somme réunis 2.

L'importante contribution des femmes au développement rural et socioéconomique n'empêche pas la discrimination sexuelle et l'aveuglement de persister à tous les niveaux: les décideurs politiques, tout comme les responsables des services techniques agricoles, continuent à assimiler l'agriculture au sexe masculin, considérant les femmes comme de simples assistantes de leur époux 3. Dans cette équation, les hommes sont aussi perçus comme les seuls chefs de ménage, détenteurs du pouvoir de décision et, à ce titre, ils constituent la cible des politiques, programmes et services agricoles. Il s'en suit qu'en zone rurale, les femmes sont souvent les dernières à bénéficier de la croissance économique et du développement, lorsqu'elles n'en sont pas tout simplement les victimes.

Les femmes des campagnes subissent de façon disproportionnée la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la dégradation de l'environnement, non seulement à cause de l'infériorité de leurs statuts socio-économique, juridique et politique, mais aussi du fait de leurs rôles producteurs et domestiques stratégiques. Elles sont aussi généralement plus durement affectées par la médiocrité des conditions sanitaires et alimentaires, parfois en voie de détérioration, ainsi que par l'aggravation de la pénurie de main d'oeuvre qu'entraîne l'exode rural des hommes 4. Jointes à la pression démographique croissante sur des terres de plus en plus abîmées et aux changements socio-économiques, les migrations transforment la configuration traditionnelle des droits et obligations au sein du ménage et, dès lors, le rôle même des femmes dans l'agriculture. Simultanément, le temps et l'énergie que les femmes consacrent à leurs tâches de production et de reproduction sur l'exploitation familiale et au sein du ménage s'alourdissent, entraînant ce que les Nations Unies ont appelé la «féminisation de l'agriculture',.

Par leur statut socio-économique et leurs rôles productif et reproductif, les femmes des milieux ruraux occupent une position essentielle non seulement dans l'agriculture et le développement rural, mais aussi dans la dynamique démographique, la fécondité et la mortalité (par leurs responsabilités en matière de santé et de nutrition) et dans la préservation des ressources naturelles. Cette situation a été clairement reconnue lors de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (1992) et de la Conférence internationale sur la population et le développement (1994). Il a été en particulier souligné qu'en zone rurale, le niveau de la fécondité, plus élevé qu'en ville dans tous les pays en développement, est en étroite corrélation avec le statut socio-économique inférieur des femmes. Il est donc probable qu'en milieu rural, un nombre élevé d'enfants représente toujours pour les femmes un atout majeur et une source de sécurité économique et sociale immédiate et à long terme 5. Ce fait se traduit dans le tiers-monde par la forte valorisation du travail des enfants et l'absence de technologies réductrices d'emploi dans les ménages et dans l'agriculture ainsi que par l'absence d'un système de sécurité sociales.

Les conséquences de l'ignorance du genre sur l'efficacité des politiques et des programmes

Le poids disproportionné qu'exercent sur les femmes la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la dégradation de l'environnement, entraîne des effets systémiques par leurs répercussions profondes sur toutes les initiatives destinées à améliorer les niveaux de vie et les statuts nutritionnels, qu'il s'agisse de faciliter la production et la distribution de nourriture et d'autres produits agricoles, de promouvoir les conditions de vie des populations rurales, de freiner la croissance démographique ou encore d'assurer une meilleure santé de la reproduction.

Le coût de l'ignorance du genre se dégage de plus en plus nettement des recherches récentes consacrées aux contributions économiques des femmes en zone rurale; il apparaît de manière plus explicite au fur et à mesure que les concepts et les définitions de l'activité économique accordent davantage au genre la place qui lui revient. Une étude récente de la Banque Mondiale en Afrique sub-saharienne montre clairement que les barrières mises à l'accès des femmes aux ressources, intrants et services techniques (concernant la terre, le travail, la technologie, la vulgarisation et le crédit) handicapent lourdement la production agricole 7. Elle souligne en outre que «l'efficacité des interventions de l'Etat et des services techniques agricoles dépend de façon décisive d'une solide connaissance de qui fait quoi avec quoi au sein du ménage rural, ainsi que de la dynamique du processus décisionnel qui s'y déroule» 8.

L'ignorance des considérations relatives au genre explique en grande partie les résultats médiocres enregistrés par les nouvelles technologies et initiatives de développement, tant en termes de niveau que de répartition des bénéfices, surtout pour les femmes. Elle se traduit aussi par la perpétuation de problèmes chroniques de développement, tels que l'insécurité alimentaire croissante qui frappe des groupes vulnérables dans certains pays du tiers monde, la féminisation de l'agriculture et de la pauvreté, la dégradation de l'environnement et la forte croissance démographique. Ces problèmes s'enchevêtrent souvent de façon inextricable et se renforcent mutuellement. Dans ce réseau d'interdépendances, la transformation au niveau d'une variable entraîne souvent des réactions en chaîne au niveau des autres éléments du système.

Les relations intra- et inter-familiales entre les hommes et les femmes et entre les ménages en ce qui concerne l'accès aux ressources disponibles pour chacun, les contraintes pesant sur leurs activités et la complexité des systèmes agricoles, représentent autant de domaines méconnus qu'il est devenu urgent de prendre en compte. Tous ces facteurs influencent à leur tour les caractéristiques démographiques et les stratégies mises en oeuvre par les ménages.

Viabilité de l'agriculture, développement rural et croissance démographique

Il est maintenant clairement établi que les généralisations relatives aux rapports de cause à effet entre croissance de la population, genre et dégradation écologique sont largement abusives. De tels stéréotypes identifient l'agriculture de subsistance comme principale responsable de cette dégradation par la pression démographique qui incite les paysans à un morcellement continu des parcelles et l'utilisation de terres impropres à la culture et aux pâturages, les éleveurs à accroître démesurément leur cheptel et les pêcheurs à épuiser la faune des fleuves et des rivières.

Les publications récentes remettent cependant en question ces stéréotypes, en montrant que les dynamiques de population sont trop complexes pour se réduire à des relations simples. L'hypothèse faisant de la croissance démographique la cause principale de la pauvreté et de la dégradation de l'environnement résulte de ce que les relations entre ces problèmes ont été négligées, notamment en ce qui concerne les inégalités accrues entre hommes et femmes et entre groupes sociaux, la diversité des régimes fonciers, les rapports de pouvoir et la mobilisation politique. Ainsi par exemple, en zone rurale, les femmes sont souvent conduites à surexploiter leurs moyens de production pour assurer la survie de leur famille à cause de l'absence d'autres sources de revenus ou d'un accès limité au capital. Le fait que les relations de genre et les contraintes spécifiques qui pèsent sur les femmes ne sont pas prises en considération explique en grande partie cette situation. C'est ainsi, en particulier, que l'accès aux ressources et les régimes fonciers avantagent les hommes (voir Module 11), tout comme la disponibilité et la qualité des moyens de production.

Les rapports à la terre, l'aliénation foncière, l'expansion de l'agriculture commerciale et certaines politiques publiques, qui ont toutes des effets systémiques sur les relations de genre, peuvent donc avoir un impact négatif plus lourd sur l'écosystème que la croissance démographique per se. Autrement dit, «ce n'est pas le nombre brut d'habitants qui détermine directement en lui-même l'état des ressources naturelles, mais plutôt la manière dont les individus se comportent dans des contextes socio-économiques et écologiques particuliers 9 ». Par exemple, dans le district de Rufigi en Tanzanie, on s'est rendu compte récemment d'un processus incontrôlé de déboisement dans la région du delta par suite du jeu combiné des forces du marché, d'une définition imprécise des droits d'occupation des terres et d'un éclatement social consécutif à des regroupements autoritaires en villages 10.

Par conséquent, l'Institut de Recherche des Nations Unies pour le Développement Social (IRNUDS) considère que «la réduction des taux de croissance de la population exige beaucoup plus que la distribution de moyens de contraception et de services de planification familiale. Elle requiert aussi la sécurité alimentaire, une bonne éducation et des services de santé, un système de sécurité vieillesse, plus d'opportunités offertes aux femmes et l'amélioration des conditions socio-économiques des groupes que leurs bas revenus rendent vulnérables»11. En d'autres termes, le ralentissement démographique n'est pas seulement un problème de population, mais également de «genre », de «régime foncier », d' «environnement» et d'«agriculture», de sorte que son traitement exige une approche holistique et systématique.

Tendances démographiques et alimentaires et leurs implications

Dans Les Tendances de l'urbanisation dans le monde, publié en 1995, les Nations Unies estiment que la population rurale s'établit autour de 55 pour cent de la population totale, soit 3 132 millions de ruraux contre 2 585 citadins. L'Afrique et l'Asie sont les continents les moins urbanisés. Les projections mondiales fixent autour de l'an 2015 l'effectif maximum de la population rurale, mais ce ne sera le cas en Afrique que plus tard. En Asie, la population rurale culminera en 2010 avant de fléchir. La population rurale recule déjà en Amérique latine. En l'an 2025, la population rurale sera de l'ordre de 3 230 millions, soit 39 pour cent de la population du globe, sans dépasser 50 pour cent dans aucun continent. Les projections des Nations Unies attribuent la croissance de la population urbaine pour moitié à l'exode rural 12. Dans les régions les moins développées, les villes compteront en 2025 plus de 1,1 milliard de migrants.

L'évolution de la production alimentaire contredit ceux qui anticipent une amélioration continue dans ce secteur. Dans beaucoup de pays du tiers monde, en effet, la population croît plus rapidement que la production de vivres. Ajoutons que la couverture des besoins alimentaires représentera un défi de plus en plus lourd dans le futur, compte tenu de l'essoufflement des effets de la Révolution verte, de la mobilisation de terres de plus en plus marginales et des craintes accrues que suscite la préservation des ressources naturelles 13. Au cours de la dernière décennie, la production alimentaire par habitant a baissé de 76 pour cent en Afrique, de 64 pour cent en Amérique latine et de 48 pour cent en Asie. Pour maintenir le niveau actuel des disponibilités alimentaires, les rendements par hectare devront s'élever de 40 pour cent au cours des vingt prochaines années 14.

Selon les estimations présentées en 1992 à la Conférence internationale sur l'alimentation, les pays en voie de développement comptaient 780 millions de personnes qui ne pouvaient satisfaire leurs besoins alimentaires de base et que l'on trouvait plus particulièrement parmi les trois catégories suivantes a) les enfants, et surtout les filles, de moins de cinq ans, b) les femmes en âge de procréer b, et particulièrement celles qui sont enceintes ou allaitent, et c) les ménages à faibles revenus, dont une forte proportion de ceux dirigés par des femmes. De façon générale, en zone rurale, les femmes sont souvent moins bien nourries que les hommes, tant en termes de quantité que de qualité nutritionnelle.

[ b La période de procréation est généralement définie par le groupe d'âge 15 à 49 ans. ]

Tableau 1: Populations urbaines et rurales (abs. et %) par grandes régions des Nations Unies en 1995, 2010 et 2025i/ ii/.

 

1995

2010

2025

 

(1)

(2)

(3)

(1)

(2)

(3)

(1)

(2)

(3)

 

Pop. Urbaine iii

Pop. rurale

Pop. rurale

% Pop. Urbaine

Pop. rurale

Pop. rurale

% Pop. Urbaine

Pop. rurale

Pop. rurale

Ensemble du monde

2585

3132

54.8

3707

3325

47.3

5065

3229

38.9

Régions développées

874

293

25.1

962

251

20.7

1040

198

16.0

Régions en développement

1711

2839

62.4

2745

3074

52.8

4025

3031

43.0

Afrique

250

478

65.6

468

601

56.2

804

692

46.2

Asie

1198

2260

65.4

1 890

2374

55.7

2718

2242

45.2

Europe

535

192

26.4

571

157

21.6

598

121

16.8

Amérique latine et Caraïbes

358

124

25.8

486

118

17.9

601

109

15.3

Source: adapté de Nations Unies, Projections de l'urbanisation mondiale: révision de 1994, tableaux annexes, dans Jacques du Guerny, Note on the United Nations World Urbanization Prospects: Some Highlights and Remarks, FAO, mars 1995.

i/ L'Océanie a été omise parce qu'elle est trop petite pour l'échelle adoptée ici.

ii/ Les régions sont celles définies par les Nations Unies.

iii/ Population en millions, arrondie à l'unité la plus proche.

Les évolutions respectives de la population et de la production alimentaire qui viennent d'être exposées poseront de nouveaux défis aux Etats nationaux ainsi qu'aux organismes chargés des problèmes de développement. Certains de ces défis dépendent de la manière dont le genre, la population et l'agriculture sont liés entre eux; ces questions seront examinées dans les Modules II à V. En voici déjà trois exemples.

· Dans de nombreux pays du tiers monde, la sécurité alimentaire nationale repose sur les exploitations de petite taille c. Celles-ci fournissent 80 pour cent de la production agricole du tiers monde (céréales et bétail). Ces exploitations familiales jouent aussi un rôle important dans d'autres activités productives telles que la pisciculture, l'agroforesterie, l'entretien et la collecte des produits de la forêt et de la chasse, ainsi que des occupations à temps partiel réalisées au dehors.

[ c La définition des petits exploitants reste floue malgré de multiples débats. Selon la FAO, «ils forment la masse des paysans du monde, travaillent dans un contexte local de pression démographique croissante, disposent d'une base de ressources négligeable qui engendre un état chronique de niveau de vie médiocre les menaçant de pauvreté absolue ou les y précipitant; ils dépendent à des degrés divers d'une production de subsistance, et tendent à être relégués en marge du courant principal de la société en termes d'influence politique, d'accès aux soins de santé, à l'éducation et à d'autres service.» a Voir Farm Management for Small Farmer Development, FAO, 1993, p. 1. ]

L'accès aux moyens de production (terre, travail, capital) est l'une des principales contraintes qui pèsent sur les petites exploitations familiales, surtout pour les femmes. Le Module II: genre, fécondité/mortalité et régime foncier, présente les principaux obstacles à l'accès des hommes et des femmes à la terre, à la sécurité d'occupation des parcelles cultivées et à leur capacité à se nourrir. Il montre comment ces obstacles peuvent infléchir la fécondité et la mortalité.

Habituellement, au sein des exploitations familiales, les activités de production sont le fait du travail, des connaissances et des capacités de gestion des hommes comme des femmes. Le processus de prise de décision n'est pas simple car les ménages ruraux sont à la fois des unités de production et de consommation. Le problème se complique encore sous l'effet des relations dynamiques entre individus différant par l'âge, le sexe et le statut lignagié au sein du ménage, sous l'effet des relations entre ménages et souvent aussi, de la complexité des droits et obligations des ménages envers la communauté plus large dont ils font partie 15. La division sexuelle du travail dans les systèmes agricoles et ses répercussions sur la fécondité et la mortalité font spécifiquement l'objet du Module III intitulé: Genre, fécondité/mortalité et systèmes d'exploitation agricole.

· Les mouvements migratoires dans les pays du tiers monde conduiront vraisemblablement à des transformations des systèmes d'exploitation agricole aussi bien que des régimes fonciers (voir à ce sujet le Module IV: Genre, migrations, systèmes d'exploitation agricole et régimes fonciers). En même temps, les besoins et la demande de produits alimentaires en provenance des zones urbaines exploseront littéralement en imposant une forte pression sur les producteurs de vivres, dont beaucoup sont des femmes. Il reste encore aux politiques agricoles à prendre systématiquement en compte la charge de plus en plus lourde que représentent pour les femmes leurs responsabilités familiales (programmes de sécurité alimentaire, de fixation des prix, d'extension des emblavures, de crédit agricole et de recherches agronomiques). Quelles conséquences l'exode rural entraînera-t-il à long terme pour la production des vivres et la sécurité des approvisionnements ?

Au cours des années quatre-vingt, la petite agriculture paysanne a subi une évolution profonde dans beaucoup de pays d'Afrique sub-saharienne par suite de l'exode rurale des hommes (provoqué lui-même par la recherche d'emplois non agricole en milieu urbain et la réduction de la taille des exploitations agricoles familiale) consécutif à l'explosion démographique et au morcellement des terres entre les fils d'une même famille. Ainsi s'est développée la «féminisation» de la petite agriculture paysanne jusqu'à atteindre des districts et des provinces entières dans certaines pays. Jusqu'à 90 pour cent des exploitations sont dirigées par des femmes dans plusieurs districts des deux provinces orientale et centrale du Kenya. C'est également le cas de 50 à 75 pour cent des exploitations des provinces de Luapula et du nord de la Zambie et de 60 à 70 pour cent de celles du Lesotho.

Au Proche-Orient, six millions d'hommes ont quitté leur pays depuis quinze ans, de sorte que la division de travail entre hommes et femmes a changé en Egypte, en Jordanie, en Syrie, au Yémen, au Maroc, au Soudan et en Turquie. La classe ouvrière agricole se composent en majorité de femmes en Turquie (54 pour cent), au Maroc (44 pour cent) et en Syrie (40 pour cent). Ajoutons que la proportion de ménages dirigés par des femmes s'est accrue jusqu'à atteindre 16 pour cent ou plus dans cette région, tout particulièrement en Mauritanie (36 pour cent), au Pakistan (25 pour cent) et au Soudan (24 pour cent).

Source: FAO, Proposal for a Policy Framework and Regional Programme of Action for Women in Agriculture in the Near East, FAO, 1995 et Women, Agriculture and Rural Development in Sub-Saharan Africa, FAO, 1995.

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2. Evolution de la petite agriculture

Dans une certaine mesure, les tendances démographiques et socio-économiques actuelles, même lorsqu'elles apparaissent problématiques ou alarmantes, ne sont pas remises en cause. C'est ainsi que les projections des Nations Unies annoncent pour les prochaines décennies un exode rural massif vers les villes, que l'on accepte comme inévitable malgré ses effets potentiellement dévastateurs tant pour les campagnes que pour les villes. En fait, on ne s'est guère demandé si, et comment, des politiques et des programmes de développement rural pourraient freiner cette évolution.

Jusqu'à présent, la stratégie a consisté à investir la plupart des ressources disponibles dans les zones urbaines et le développement des villes, exacerbant de la sorte le déséquilibre entre villes et campagnes et accélérant encore un exode rural déjà considérable. Ce préjugé favorable aux villes est encore accentué par les approches sectorielles et verticales du développement qui en limitent la portée et l'efficacité. Ces approches risquent aussi de contribuer involontairement à la polarisation de dichotomies rurales-urbaines. Le fait de considérer le développement des villes et celui des campagnes comme deux problèmes indépendants plutôt qu'en interaction au sein d'un même système pourrait entraîner des coûts dont les conséquences se répandraient sur un large front et mineraient les efforts de développement dans leur ensemble 16. La signification du continuum urbain-rural fait tout particulièrement l'objet du Module IV: Genre, migrations, systèmes d'exploitation agricole et régimes fonciers.

· Une augmentation du taux de féminisation de l'agriculture et de la pauvreté est attendue pour les prochaines décennies. Quelles en seront les implications à court et long terme pour ta production alimentaire? La féminisation de l'agriculture dans de nombreux pays d'Afrique, du Proche-Orient, d'Amérique latine et des Caraïbes (voir encadré n°2), qui va souvent de pair avec la paupérisation des femmes, pourrait transformer les modes de culture et les systèmes d'exploitation agricole en général, menaçant gravement la sécurité alimentaire, la préservation du milieu et les comportements démographiques (voir Module III: Genre, fécondité/mortalité et systèmes d'exploitation agricole). Selon des études menées dans certains pays d'Afrique, la perte du travail masculin peut provoquer un glissement de la production vers des céréales moins nutritives ou une baisse des rendements et des récoltes. Au Ghana, par exemple, devant ta pénurie de main d'oeuvre masculine pour défricher des sous-bois denses et l'incapacité pour les femmes d'entreprendre cette opération à l'aide de simples outils manuels, les cycles de rotation par céréales se sont allongés sur des terres qu'il aurait fallu mettre en jachère après une à trois années de culture, de sorte que la fertilité des sols et leurs rendements ont baissé et l'érosion s'est aggravée 17.

Bien que les femmes dirigent une proportion croissante des ménages agricoles d, leurs besoins, contraintes et intérêts spécifiques sont le plus souvent ignorés en tant que tels par les projets de développement et les politiques agricoles. Les statistiques officielles de beaucoup de pays du tiers monde commencent à peine à enregistrer les ménages dirigés de plein droit ou de fait par des femmes. Il importe de souligner ici qu'il faudrait inclure dans la liste de ces ménages féminins non seulement ceux qui résultent de migrations masculines, mais aussi ceux qui sont dus à la polygamie. Cette dernière catégorie comprend les ménages autonomes des femmes de rang deux, trois, quatre, etc. et leurs enfants. En effet, les co-épouses vivent souvent séparées de leur mari. Elles cultivent et gèrent leur propre terre. Comme la polygamie est importante dans plusieurs parties de l'Afrique (selon l'Enquête mondiale sur la fécondité, la moitié des mariages sont polygames partout en Afrique à l'exception du Lesotho 18), et tout particulièrement dans sa partie occidentale, il est important d'inclure les ménages dirigés par des femmes dans les enquêtes agricoles, les statistiques officielles et les enquêtes démographiques si l'on veut intégrer leurs besoins, intérêts et contraintes dans les politiques et les programmes.

[ d Les femmes dirigent environ le tiers des petites exploitations agricoles, proportion qui atteint les deux-tiers des ménages ruraux au Lésotho, 45 pour cent au Kenya et un tiers au Malawi. Cité dans Roca, 1991, op. cit., p.12. ]

Il conviendrait dès lors d'ajuster la conception et la mise en oeuvre des initiatives de développement agricole et rural en conséquence (en privilégiant les ménages monoparentaux féminins par une sensibilisation des travailleurs de terrain et des spécialistes des systèmes d'exploitation agricole, par l'intégration des préoccupations liées au genre dans la recherche sur les systèmes agricoles, par la modélisation des ménages agricoles, etc.) 11 faudrait en outre ajuster les politiques et programmes de population, dans la mesure où la dynamique démographique et celle des relations familiales diffèrent selon le sexe du chef de ménage.

«Sécurité alimentaire », «viabilité» et «allégement de la pauvreté »: Le «développement rural» comme problème de «genre» ou de «population» ?... - La nécessité d'une approche holistique.

Les concepts de base couramment utilisés dans les discussions sur le développement, tels que «viabilité », «sécurité alimentaire», et «allégement de la pauvreté» sont traditionnellement considérés comme relevant des questions liées à l'agriculture et, à ce titre, ils figurent en tête de liste des interventions mises en oeuvre dans les pays du tiers monde. La communauté internationale leur accorde la plus grande priorité depuis la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (1992), la Conférence internationale sur la nutrition (1992) et le Sommet social (1995).

La FAO définit la sécurité alimentaire comme «la disponibilité et l'accessibilité d'aliments nutritifs et sûrs en vue d'une vie saine et active pour chacun à tout moment». A l'échelle du ménage, elle se définit comme la capacité des familles à se procurer un éventail stable et abordable des vivres adéquates. La capacité d'approvisionnement dépend des conditions particulières de chaque système d'exploitation agricole. La nourriture peut être obtenue par auto-production, par achat, par cueillette (pêche par exemple) ou par des échanges, des dons ou d'autres types de transfert.

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3. Définition de la sécurité alimentaire

Pour ne prendre qu'un exemple, la FAO perçoit les problèmes de «sécurité alimentaire.. sous l'angle de la disponibilité de vivres, du risque inhérent à leur production et à leur commercialisation, et du pouvoir d'achat des familles (voir la définition de la sécurité alimentaire dans l'encadré). Pourtant, la sécurité alimentaire est également un problème démographique: au niveau macrosocial, la théorie néo-malthusienne persiste à attribuer les pénuries alimentaires à la forte croissance démographique. Au niveau microsocial, les femmes sont portées à avoir autant d'enfants que nécessaire pour assurer une main d'oeuvre suffisante à la subsistance de leur famille en zone rurale.

Il n'est guère surprenant que la sécurité alimentaire constitue aussi un problème lié au genre: partout dans le tiers monde, les femmes jouent un rôle prédominant pour assurer la sécurité alimentaire du ménage en s'impliquant dans la production agricole et vivrière. Pourtant, malgré l'attention attirée ces dernières années sur la sécurité alimentaire, les politiques et programmes agricoles rendent toujours insuffisamment compte de la contribution significative des femmes e. Il semble que même lorsque les pays du tiers monde reconnaissent la contribution décisive des paysannes à l'accroissement de la productivité agricole et à la réalisation de la sécurité alimentaire, les mesures d'aide en leur faveur sont restées trop faibles et tardives.

[ e Ceci s'explique en partie par le fait que c'est souvent l'agriculture commerciale, contrôlée par les hommes, qui assure cette sécurité alimentaire à l'échelle nationale (en Zambie, Zimbabwé et Malawi). Le fait que les femmes cultivent d'autres denrées que les principales céréales (mais ou riz), comme le manioc, le sorgho et le millet, qui servent d'aliments de base dans certaines régions, qu'elles en vendent les surplus sur les marchés locaux et consacrent une bonne partie de leurs revenus à l'achat des vivres dont elles ont besoin, a été largement ignoré. Voir Constantina Safilios-Rothschild, "Agricultural Policies and Women Producers", op. cit., p.57. ]

Des arguments qui viennent d'être exposés, il ressort que la sécurité alimentaire représente bien un problème de «développement rural.., de «genre» et de «population,.. Il en va de même pour des notions comme celles de «viabilité.. ou d'« allégement de la pauvreté» et pour toute une série d'autres concepts fréquemment utilisés en matière de développement.

Il n'est guère nécessaire de mentionner les limites inhérentes aux approches sectorielles et verticales des programmes de développement. En matière de politiques de population, les préoccupations démographiques se sont concentrées initialement sur l'éducation (pour inciter les femmes à limiter leur fécondité en leur faisant prendre conscience de l'impact qu'exercent des facteurs démographiques tels que la dimension de la famille sur leur revenu, la disponibilité de produits alimentaires, la santé et l'éducation de leurs enfants). La stratégie consistait alors à associer des composantes démographiques spécifiques aux projets de développement rural impliquant la participation des femmes. Autant dire qu'on en restait là à des interventions verticales et sectorielles de bien faible portée. Par la suite, les initiatives en matière de population ont privilégié la santé de la reproduction et la planification familiale, sans aucune considération du contexte socio-économique et institutionnel des populations rurales auxquelles elles s'adressaient (ménages paysans, régimes fonciers, etc.)

L'approche verticale a souvent conduit à mettre en oeuvre des interventions dans le domaine de l'agriculture et du développement rural isolées des programmes de population parallèles, y compris lorsque les projets étaient orientés vers les femmes. Ces actions associaient rarement des composantes démographiques dans une perspective axée sur le genre. Ce dernier, qui représente souvent l'articulation entre les problèmes de développement et de population, n'a pas reçu jusqu'à présent la place qui aurait dû lui revenir dans les politiques et les programmes. Cette situation explique pourquoi d'importantes interactions entre genre, population, agriculture et développement rural sont restées dans l'ombre sans, dès lors, trouver leur place dans les priorités formulées par les responsables politiques (voir Module V: Genre, population, systèmes d'exploitation agricole et régime foncier: principales questions d'intervention).

L'adoption d'une approche systémique pour traiter des problèmes de genre, de population et de développement rural éclairerait les liens qui les rapprochent et les répercussions significatives qu'ils peuvent avoir sur la planification des politiques et des programmes. Les programmes agricoles comportent des dimensions démographiques et de genre qui, à défaut d'être prises en compte, pourraient compromettre le succès et la viabilité même des programmes de développement. Il en va de même des programmes de population, dont les dimensions liées au genre et à l'agriculture influencent indirectement les variables démographiques. Pour le moment, cependant, les programmes de population ne prennent pas suffisamment en compte la dynamique du potentiel de production des femmes rurales ni leurs interrelations avec des déterminants démographiques tels que fécondité, mortalité et migrations.

En conclusion, le fait d'aborder le développement rural de façon verticale et sans prendre en compte la question du genre n'a pas permis d'expliciter les liens entre genre, population et développement agro-rural, ni les relations dynamiques qu'engendre l'interaction entre ces variables. L'efficacité des actions de développement en a souffert. En fait, et jusqu'à un certain point, les approches verticales du développement ont marginalisé involontairement les problèmes de genre et de population, fait naître une dichotomie entre développements rural et urbain, et réduit la dimension démographique aux paramètres très étroits de la planification familiale et de la santé de la reproduction, de sorte qu'un ensemble de liens présumés négligeables entre genre, développement rural et population sont demeurés ignorés. Les cinq modules de la présente série se concentrent sur l'analyse des deux éléments clefs que sont les systèmes d'exploitation agricole et les régimes fonciers dans la relation entre le genre, la population et le développement agricole et rural.

Notes et références

1. Geoffrey McNicoll et Mead Cain (Eds.), Rural Development and Population: Institutions and Policy, Supplément à Population and Development Review, vol 15, 1989, p.3.

2. Cet exemple ne prend pas en compte les activités des hommes et des femmes hors de l'exploitation. Cité dans In India, Most Farmers are Women, FAO, juin 1991, pp.4-5.

3. Constantina Safilios-Rothschild, "Agricultural Policies and Women Producers", dans Aderanti Adepoju et Christine Oppong (Eds.), Gender, Work and Population in Sub-Saharan Africa, Londres, 1994, p. 56.

4. Zoran Roca, "Women, Population and Environment in Agricultural and Rural Development: Policy Challenges and Responses", FAO, 1994, p.3

5. Zoran Roca, ibidem, p.3

6. Condition de la femme et population: le cas de l'Afrique francophone, Nations Unies, 1992, p. 36.

7. Raising the Productivity of Women Farmers in Sub-Saharan Africa, Banque mondiale, Discussion Paper #230, 1994.

8. Ibidem.

9. UNRISD, The Environment and Rural Development: Towards Ecologically and Socially Sustainable Development in Rural Areas, Document préparatoire pour la 23e réunion du sous-comité ACC sur le développement rural, Paris, 31 mai - 2 juin 1995, p. 28.

10. Ibidem.

11. Ibidem, p.30.

12. World Urbanization Prospects, 1994 Revision, Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales internationales, 1994.

13. Farming Systems Development: A Participatory Approach to Helping Small-Scale Farmers, FAO, AGSP, 1994, p.1.

14. Ibidem, pp.102.

15. "Sustainable Development of Rural Households: an FAO Special Action Programme", Document préparatoire, 1994.

16. Jacques du Guerny, Note on the United Nations World Urbanization Prospects: the 1994 Revision: Some Highlights and Remarks, FAO, mars 1995.

17. Gender Issues in Rural Food Security in Developing Countries, FAO, Women in Agricultural Development Paper, 1990, p. 7.

18. Cité dans Zoran Roca, "Women and Population in Agricultural and Rural Development in Sub-Saharan Africa", op. cit., p.5.

19. Cité dans Farm and Community Information Use for Agricultural Programmes and Policies, FAO, AGSP. 1994, p.19.

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