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CONTRIBUTIONS REÇUES

LE RÔLE DES INFRASTRUCTURES DANS LES FORÊTS TROPICALES CAMEROUNAISES

J.M. Asseme Nkou

Président national de l'Association des exploitants forestiers nationaux (AEFNA) du Cameroun

Comme le dit le vieil adage populaire: «là où la route passe, le développement suit». En zone forestière tropicale, il faudrait plutôt dire: «là où l'exploitation forestière passe, la route suit ainsi que le développement».

Dans le cas du Cameroun, depuis l'installation de la crise économique avec l'arrêt des plans quinquennaux de développement, les populations des zones forestières n'ont vu leurs infrastructures routières se développer et être entretenues que grâce à l'exploitation forestière. Pouvez-vous imaginer qu'en plein vingtième siècle, les populations de la forêt de Yoko du côté de Nnanga Eboko n'ont vu une voiture pour la première fois qu'après la réalisation du bac sur le fleuve Sanaga et la création d'une route par des exploitants forestiers en 1990?

En fait, comment, historiquement les agglomérations des populations se sont-elles formées le long des axes routiers coloniaux? Les grandes migrations qu'ont connues les peuples de la forêt les ont conduits à s'installer dans la forêt dense, combattus par les cavaliers qui ne pouvaient pas s'infiltrer dans la forêt avec leurs chevaux. Cela a constitué les sanctuaires dans lesquels les ancêtres des habitants de la forêt ont trouvé refuge.

A l'arrivée du colonisateur, les populations furent sorties de la forêt pour bâtir de leurs mains les axes routiers devant relier les différents sites d'installation des colons. D'où le réseau routier actuel et l'implantation des populations tout au long des axes. De nombreux conflits fonciers parfois meurtriers sont nés de cet état de chose car les populations n'étaient pas en fait installées là où il y avait leur terre. D'où la complexité de la situation que nous avons à gérer aujourd'hui quand il faut déterminer les populations riveraines d'une forêt. Sont-ce celles qui étaient installées dans la forêt avant leur sortie sur les axes routiers avec des vestiges qu'on peut retrouver? Ou celles qui sont parties ailleurs et qui sont aujourd'hui installées le long d'une route qui jalonne l'exploitation? Ici, naît le concept de forêt ancestrale qui, aux yeux des habitants de la forêt, confère plus de légitimité aux ethnies dans les velléités revendicatrices d'appropriation territoriale.

Il devient donc normal qu'avec la création d'un réseau routier dans les forêts vierges, les populations retournent à leurs vraies terres. Leur milieu originel étant trouvé, ces populations sont plus à même de mener la lutte pour le développement avec les moyens modernes et toutes les facilités qui vont de pair avec le commerce, l'éducation, la santé, etc.

Le problème le plus important à résoudre reste celui de l'affectation des terres à l'intérieur des massifs forestiers, leurs objectifs identitaires et leurs activités prioritaires. Cette affectation doit faire participer les populations, qui doivent comprendre le bien fondé des décisions à prendre pour assurer le plein succès de leurs applications sur le terrain. Dans le cas du Cameroun, la gestion participative des populations des forêts suppose aussi que chacun des intervenants, dans la structure tripartite administration-concessionnaire-population, sache quels sont ses devoirs et ses droits. La mise en place de zones d'agriculture intensive bien déterminées réduira à néant les risques de déforestation désordonnée. De surcroît, la participation de plus en plus active des populations à l'agroforesterie et à la sylviculture, avec des financements venant des taxes forestières, renforce la valorisation de la forêt auprès de celles-ci, qui trouvent leurs conditions de vie améliorées.

La surveillance et la conservation des massifs forestiers deviendront la préoccupation première des populations riveraines, car si l'on veut pérenniser les bienfaits tirés de l'exploitation de ceux-ci, la ressource ligneuse est essentiellement renouvelable par une exploitation rationnelle et durable, respectant les prescriptions des plans d'aménagement qui sont aujourd'hui la base de l'exploitation forestière au Cameroun.

LE RÔLE DES ROUTES DANS LES FORÊTS TROPICALES DÉPEND DES OBJECTIFS DE L'AMÉNAGEMENT

G.M. Blate et J.C. Zweede

Respectivement, Coordinateur du Programme d'exploitation et de gestion forestière à faible impact (FM-LIL) de la Fondation des forêts tropicales (TFF) et Directeur de la Fundação floresta tropical, filiale brésilienne de la TFF, Brésil

Malgré l'importance économique et écologique des forêts tropicales (et des efforts internationaux en vue de les conserver), dans de nombreux cas, ces forêts continuent à être dégradées ou défrichées à un rythme alarmant. Les routes, ayant ouvert des zones forestières tropicales auparavant inaccessibles, peuvent être considérées comme la cause immédiate de cette tendance. Toutefois, les routes étant en général essentielles pour le développement économique, la question posée par l'ATIBT au sujet de leur rôle dans les forêts tropicales est opportune.

On pourrait répondre à cette question en se demandant comment une zone forestière particulière sera utilisée. Autrement dit, quels sont les objectifs d'aménagement de cette forêt? Les objectifs de l'aménagement forestier comprennent la production commerciale et traditionnelle (de bois et de produits non ligneux), les loisirs, la préservation (normalement la protection rigoureuse), etc. Les routes forestières ont une fonction distincte selon le but spécifique de l'aménagement: par exemple, elles peuvent être construites uniquement pour permettre l'accès, pour n'être empruntées que par temps sec ou quelles que soient les conditions météorologiques, pour une faible densité de trafic ou une forte circulation, pour usage intermittent ou usage continu, etc. Chacune de ces utilisations aura ses propres exigences en matière de drainage, de surfaçage, de largeur d'emprise, de catégorie.

Quelle que soit l'utilisation envisagée, la construction et l'entretien des routes sont coûteux. Quand elles sont mal conçues, les sols sont compactés, l'érosion s'accroît, la qualité de l'eau se détériore. Même quand elles sont bien conçues, les routes réduisent les habitats ou, au mieux, les fragmentent. En outre, à moins que des contrôles rigoureux ne soient exercés, les routes accélèrent l'empiétement, la migration à l'intérieur de la forêt et la chasse illicite. Bien qu'indirects, ces derniers effets de la construction de routes sont sans doute aussi les plus préjudiciables. C'est pourquoi ils devraient être considérés comme une facette permanente de l'infrastructure forestière.

Comment aménager une forêt particulière - et, le cas échéant, quel type de routes elle doit comporter - dépend de qui la possède. Mais tous les propriétaires devraient assumer la responsabilité non seulement de construire les routes selon des spécifications appropriées, mais aussi d'atténuer tout impact négatif écologique et social. Par conséquent, il faudrait que les incidences soient évaluées au moment de la planification du réseau routier et que les mesures d'atténuation des effets nuisibles (surtout en ce qui concerne son utilisation) fassent partie intégrante du plan.

Pour toutes sortes de raisons, peu de routes dans les forêts tropicales ont été construites selon des spécifications adéquates, ou en prévoyant des mesures d'atténuation. Tout d'abord, les propriétaires ont en général construit des routes pour répondre à des objectifs à court terme. Dans certains cas, ils ne prévoyaient pas à long terme les conséquences de la construction d'une route, ou ont simplement préféré les ignorer. Deuxièmement, compte tenu de l'objectif à court terme, les propriétaires ont généralement évité d'engager les investissements nécessaires pour satisfaire aux spécifications appropriées. Troisièmement, indépendamment de qui possède la forêt, dans la plupart des cas l'entrepreneur chargé de la construction n'est pas le propriétaire. En général, l'entrepreneur n'a pas considéré les effets négatifs, et le propriétaire ne s'en est pas soucié, ou a agi avec négligence n'insistant pas pour que les règlements appropriés soient appliqués (ou a été dans l'impossibilité de les faire appliquer). Enfin, l'absence générale de planification et de zonage en matière d'occupation des sols a permis que des routes soient construites sans prendre en considération l'usage qui en serait fait, ni s'il serait possible de faire appliquer les conditions de leur utilisation.

La croissance démographique des pays tropicaux poussera inévitablement au développement, ce qui dépend étroitement de l'infrastructure de transport. Etant donné que le besoin de routes ira sans doute croissant parallèlement à la croissance démographique, il sera de plus en plus critique d'éviter les problèmes évoqués ci-dessus.

Un moyen démocratique pour empêcher les erreurs du passé consisterait, pour les gouvernements, les propriétaires privés (y compris les groupes autochtones) et les autres parties prenantes, à développer une stratégie cohésive permettant de satisfaire au mieux les objectifs de l'aménagement les plus divers. En ce qui concerne les terres publiques, les parties prenantes devraient se fonder sur l'information provenant de multiples sources (biologiques, économiques, sociales, etc.) pour déterminer quelles seraient les zones forestières les mieux adaptées à la production, aux loisirs, à la stricte préservation, etc. Dans certains cas, il est possible d'envisager plusieurs types d'utilisations. A l'avenir, les routes ne devraient être construites que dans le respect de plans et de spécifications appropriés. L'accent devrait être mis sur le fait qu'il reste très peu de grandes étendues contiguës de forêts ombrophiles, que celles-ci servent d'importants refuges pour la faune et qu'elles rendent à la planète un nombre considérable de services de caractère écologique. Une solution idéale consisterait à inclure les terres privées dans la stratégie de préservation-développement. De plus, les gouvernements devraient prévoir des incitations aux propriétaires privés, qui les stimuleraient, chaque fois qu'ils construisent une route, à réduire au minimum les incidences préjudiciables.

COMPATIBILITÉ DES ROUTES ET DES ÉCOSYSTÈMES FORESTIERS

E.F. Bruenig

Membre associé de l'Oxford Forestry Institute, Université d'Oxford, Royaume-Uni

1. Introduction

«Large est .... le chemin qui mène à la perdition» (Matthieu, 7,13). Au cours de l'histoire de l'humanité et de son évolution culturelle, les routes ont été sources de bienfaits mais aussi de méfaits. Les grands réseaux routiers continentaux tels que la route de la soie et les voies de l'empire romain furent des lignes de communication entre cultures, qui facilitaient l'échange de marchandises, de populations, d'information et de raffinements. Dans le même temps, c'est par elles que se répandirent la barbarie, le crime, la guerre, les conquêtes, la concurrence déloyale, le déclin économique et environnemental et la destruction des civilisations. Dans des forêts tropicales, les routes sont tout aussi ambivalentes. Elles peuvent favoriser l'expansion culturelle et le développement socio-économique. Mais elles peuvent aussi représenter l'intermédiaire d'élection pour le pillage, le crime et la destruction des aménagements, de l'héritage et de multiples ressources. Leur apparence visuelle est la première à donner une idée du type et de la qualité des usages qui sont faits des forêts dans lesquelles elles pénètrent. Des routes forestières larges, en mauvais état, mal tracées et sans drainage adéquat indiquent infailliblement la déprédation; des routes forestières et des pistes de débardage de conception moderne sont signe de pérennité de la forêt et d'écosystèmes naturels et culturels viables.

2. Cas particuliers: trois zones forestières visitées dans les années 50 et revisitées dans les années 90

Trois cas au Sabah et au Sarawak (Malaisie) peuvent illustrer mon argumentation. Cette région, comme le reste du sud-est asiatique et de la zone Pacifique, présente des conditions exceptionnelles en terme de géomorphologie et de climat, de relief, de ruissellement des eaux en surface et d'érosion des sols. Le terrain, souvent accidenté et déchiqueté, rend difficiles l'exploitation forestière et la construction de routes. Les observations sur les cas suivants ne peuvent donc pas être simplement généralisées et appliquées aux forêts ombrophiles américaines et africaines. Les remarques qui portent sur les facteurs politiques et sociaux sont plus largement applicables et uniformément pertinentes.

Certaines des grandes entreprises d'exploitation du bois opèrent dans les trois zones en question. Les coûts sont supportés par les allemands et les malaisiens. A l'instar des usagers des routes en général, ceux qui en abusent et ceux qui pratiquent une exploitation minière du bois laissent habituellement la responsabilité des coûts externes à d'autres. Voyons donc où l'erreur a été commise, pourquoi le plan n'a pas été respecté? La route, dont il était prévu qu'elle ferait partie d'un système d'aménagement durable, a été utilisée illégalement par le concessionnaire pour à nouveau pénétrer dans la forêt et pour un nouveau passage de coupe illicite par le concessionnaire et d'autres, agissant parfois de connivence; et les pouvoirs politiques du moment ont fermé les yeux sur ces agissements. L'écosystème forestier a été détruit, l'exploitation forestière dans chacune des zones s'est développée deux à trois fois plus vite que prévu et la productivité de la forêt a été réduite de plus de moitié.

En 1955-1956, le Dr. Dames, expert hollandais spécialiste des sols tropicaux, et moi-même avons procédé, dans les réserves forestières de Pueh et Sampadi, au Sarawak occidental, à un inventaire statistiquement conçu qui portait à la fois sur la végétation, les peuplements forestiers à croissance rapide, les sols et les terrains, complété par des recherches écologiques pilotes. C'était probablement la première fois que des données aussi exhaustives étaient recueillies en vue de planifier la sylviculture dans des forêts tropicales. Pour ces deux réserves, nos recommandations prioritaires concernaient la protection, la conservation et l'aménagement à des fins de loisirs. Les sols et le matériel sur pied étaient si pauvres et hétérogènes, que la foresterie de production et la conversion à d'autres occupations n'étaient pas des options envisageables. Lors d'une inspection 40 ans plus tard, je constatais dans les deux réserves que le matériel sur pied avait été coupé, essentiellement le Bindang (Agathis borneensis, conifère) et le Kapor (Dryobalanops fusca et D. beccarii, diptérocarpacées). La réserve forestière de Sampadi était traversée par une route publique. La route avait amené des habitants locaux à entrer dans la réserve et à occuper illégalement des terres sur lesquelles il était absolument impossible d'assurer la durabilité des cultures qu'ils y pratiquaient. Le pire c'est qu'une vaste plantation de palmiers à huile avait été créée, également sur des terres le plus souvent inadaptées. Ces deux tentatives échouèrent. L'aire de cultures illicites par les autochtones est abandonnée et couverte de brousse basse, de fougères et de joncs. La plupart des palmiers à huile ont réussi à survivre, mais la production est faible; la plantation offre un spectacle des plus pitoyables et le risque écologique est élevé. D'où vient la faute dans ce cas? Forestiers des années 50, nous avions pensé et planifié dans ce cas avec une étroitesse d'esprit exceptionnelle. Nous n'avions pas saisi que la convoitise pouvait être plus forte que le bon sens de laisser la forêt à elle-même. Nous n'avions pas vu que, même dans ce cas, il était nécessaire, pour garantir la pérennité et la sécurité des ressources, d'intégrer les plans de gestion et la conservation au niveau local dans les contextes plus larges de la société et de l'écosystème des paysages. Il ne nous était pas venu à l'idée que, malgré leur pauvreté, ces forêts et ces sites attireraient des abus. Nous avions oublié de prendre en compte le haut degré d'incertitude quant aux événements futurs, à savoir que même l'imprévisible peut arriver. La coordination interdépartementale aussi était inadéquate et la route publique avait été conçue sans largeur de vues et sans tenir compte de nos avertissements antérieurs. Le résultat est celui que nous constatons aujourd'hui: des écosystèmes détruits et non récupérables au lieu d'une ressource multifonctionnelle potentiellement rentable.

Enfin, en 1958, je remontais en pirogue une rivière qui menait à l'intérieur du Sarawak central, en pays tantôt de collines tantôt de montagnes escarpées. L'objectif était de sillonner à pied certaines zones forestières plutôt hétérogènes mais généralement en bon état sur un relief topographique allant de terrasses plates à des collines accidentées, afin d'obtenir des informations pour la conception d'inventaires d'aménagement. Trente-cinq années plus tard je me rendis dans la même région, plus confortablement mais en empruntant une route d'exploitation large, mal construite et, en conséquence, fortement érodée. La forêt avait été par endroits très «sélectivement» coupée. Certaines aires avaient été surexploitées, d'autres simplement écrémées. Des superficies assez importantes avaient été occupées illégalement et cultivées par des habitants locaux selon leur mode traditionnel. Les sols, au moins, convenaient assez bien à l'agriculture coutumière. Dans ce cas, quelle erreur avait-on commise en ce qui concerne la durabilité forestière et le développement régional? La route présentait certes des déficiences techniques, mais elles pouvaient être aisément rectifiées. Au contraire, la non conformité avec le vaste concept initial intégrant protection et aménagement de la forêt, paysages et systèmes de développement régional était beaucoup plus grave et difficile à corriger. Le plan d'exploitation forestière en vigueur était étroitement axé sur l'exploitation et ignorait les besoins et la dynamique inhérente des communautés agricoles autochtones habituelles, ce qui est plutôt contraire non seulement aux procédures normales consacrées par l'usage dans le pays mais aussi aux lois en vigueur. Il est évident que, la route étant là, les gens l'ont prise et se sont installés dans ce qui aurait dû être «interdit de passage» et devenir une forêt permanente protégée.

3. Conditions communes et facteurs causals

Certains facteurs causals paraissent communs à ces trois cas. Premièrement, les objectifs que devaient desservir les routes étaient perçus dans un sens étroit et presque exclusivement technocratique, soit en vue d'atteindre le bois d'_uvre soit pour mener à une destination particulière. Les aspects à long terme de la mise en valeur des terres et des forêts au niveau de l'unité de gestion (ferme, plantation, forêt) et les incertitudes n'étaient guère pris en considération, s'ils l'étaient. L'intégration au sein de la foresterie ou entre la foresterie et d'autres secteurs était inadéquate ou absente. L'aménagement forestier demeurait isolé par secteur au niveau des unités de gestion ainsi qu'aux niveaux plus élevés des paysages, des districts, des régions et des Etats. Les dégâts directs infligés au paysage en ce qui concerne son hydrographie, ses aménagements, son écologie, ajoutés au déclin jusqu'à destruction des valeurs multifonctionnelles de la ressource forestière, en ont été les conséquences inévitables. Ces conséquences n'étaient cependant pas essentiellement imputables à l'exploitation forestière ou à la construction de routes publiques. L'application prudente de procédures d'aménagement bien établies compatibles avec les systèmes, et leur mise en _uvre correcte et efficace, auraient pu faire de l'utilisation des routes et des forêts des éléments plus positifs et constructifs en vue d'un développement intégré et viable.

A la base de ces échecs de foresterie on retrouve le manque d'analyse exhaustive de la situation et des difficultés, une définition insuffisante des problèmes et des objectifs, et la priorité à court terme et presque exclusive donnée à la liquidation du matériel sur pied par des coupes «sélectives» afin d'en tirer le maximum de profits et de revenus immédiats. Il existait des procédures exhaustives appropriées pour évaluer et assurer la compatibilité des systèmes, mais elles n'ont pas été appliquées. En l'absence de ces procédures, la foresterie à moyen et à long terme et les plans d'affectation des terres, face à des niveaux élevés de risques et d'incertitudes, représentent une gageure dont les chances de succès sont inconnues. Les risques sont particulièrement bien illustrés par le premier des deux cas, où les routes étaient certes de larges voies de destruction.

4. Des changements fondamentaux sont cruciaux

L'art de planifier et de construire des routes forestières adaptées à l'aménagement durable des forêts tropicales est bien développé. Il appartient aux gouvernements des pays d'en faire appliquer correctement les prescriptions. Le problème vient du fait que ceux qui pratiquent une exploitation du bois d'_uvre de caractère minier considèrent cet art comme un luxe inconséquent et une complication ennuyeuse dans leurs affaires. Il faut qu'interviennent une pression publique considérable et une coercition par les gouvernements pour les amener, sinon à changer d'avis, du moins à modifier leurs performances (voir le graphique). Tant que cette situation ne se vérifiera pas, la faute ne devra pas être attribuée aux autochtones s'ils se saisissent de ce qu'ils considèrent comme leur juste part, soit par des coupes illicites, en général sur commande, soit par l'occupation coutumière ou illégale de terres le long des routes d'exploitation.

5. Réponse à la question

De toute évidence, la question cruciale n'est pas de savoir si les routes d'exploitation, en tant que telles, conduisent à la mise en valeur (durable, compatible avec les systèmes) ou à la destruction des ressources naturelles et humaines. Un réseau de routes et de pistes de débardage bien conçu et bien construit est une condition préalable essentielle à la réalisation d'un aménagement forestier polyvalent durable, écologiquement et économiquement viable, et compatible avec les systèmes. Plus cruciale est l'intégration des plans et de la construction dans le système de gestion et de conservation à l'intérieur de l'unité de gestion, du paysage environnant et de l'unité de développement régional. Plus cruciale encore est une mise en _uvre effective et efficace sur le terrain, souvent face à une puissante opposition d'intérêts conjugués.

La responsabilité d'une construction et d'une intégration correctes est inséparable du droit à la liquidation d'une partie du capital physique naturel que représente le bois d'_uvre sur pied de la forêt primaire. Imposer une conformité et l'obligation morale de réinvestir le capital tiré de la liquidation des ressources naturelles, en vue de la création par l'homme d'un nouveau capital naturel, d'infrastructures et de ressources humaines, se heurte généralement à l'opposition puissante et acharnée d'une complicité d'intérêts. La réussite répond à la question de savoir si une route d'exploitation contribue au développement ou si elle ouvre largement la porte à la destruction.

La voie de la réussite est un processus tortueux, long et pénible. Elle part de la reconnaissance initiale d'un problème de surexploitation, d'abus, de mauvaise utilisation et de déclin de la forêt, passe par une sensibilisation plus profonde du public et la réponse aux préoccupations manifestées par la société, pour enfin aboutir à une action politique appropriée, sinon tout le système s'effondre (voir le graphique). Même si l'action est décidée par des parlements et des gouvernements et effectivement mise en _uvre, il faudra un certain temps pour que les programmes se traduisent par des interventions dans les forêts. Au cours de ces dernières années, le Gouvernement malaisien et certaines entreprises des plus averties et conscientes de leurs responsabilités de la Malaisie et de certaines parties d'Afrique et d'Amérique ont non seulement pris cette décision, mais ont aussi commencé à la mettre en pratique. D'autres gouvernements et entreprises traînent encore. Le problème n'est pas technique, mais social et politique. De profonds changements dans la structure des pouvoirs, des systèmes de concession et des régimes fonciers sont des conditions indispensables de la mise en _uvre efficace de programmes d'atténuation des dommages et d'amélioration. Même alors, il nous faudra de nombreuses années pour réaliser un tant soit peu de compatibilité des systèmes et de durabilité en ce qui concerne l'aménagement et la conservation des forêts (voir la courbe au-dessus de la ligne C du graphique).

Figure 1: Développement de la reconnaissance des problèmes par différents acteurs au cours des années

Forêts tropicales et société: relation entre la pression des problèmes, reconnaissance par des professionnels et des scientifiques individuels, sensibilisation dans la société, action par les détenteurs de pouvoir en vue de l'atténuation des problèmes ou, dans l'alternative, absence d'action afin de préserver le statu quo des privilèges, qui conduit à une intensification des troubles dans la société et à l'effondrement possible des systèmes. Jusqu'à:

Ligne A = des scientifiques et des professionnels reconnaissent le problème et lancent des avertissements depuis 1880, et de plus en plus depuis 1930; ces avertissements ne sont pas entendus jusqu'au moment où le niveau B est atteint;

Ligne B = le grand public, certains politiciens indépendants et les médias prêtent attention, prennent conscience et exigent que des mesures soient prises pour atténuer le problème mais les progrès sont freinés par des droits acquis et la collusion d'intérêts; l'action se borne à des stratégies évasives de réparation telles que la promotion de recherches plus poussées, de conférences et de programmes (1930-1970);

Ligne C = les préoccupations et les pressions du public surmontent graduellement la résistance des droits acquis et la collusion d'intérêts; certains détenteurs de pouvoirs nationaux prennent l'initiative de l'action visant à atténuer les problèmes; la réaction du secteur combiné commercial/bureaucratique/politique consiste encore à freiner le progrès (1970-1990);

Ligne D= tôt ou tard la pression du public conduit aux actions concrètes nationales et internationales, mais les pressions des problèmes déclinent lentement. Tôt ou tard le mouvement se renverse: l'option de «ne rien faire» aggravera les tensions et les réactions imprévisibles de la société et pourrait conduire à l'effondrement des systèmes de production forestière non conformes lorsque la ligne D sera atteinte (1990-?).

(Adapté de B.M. Wirtschaft, Bonn, Umweltbrief 29, 1983, pp. 127, voir Figure. 5.12, p. 121.)

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES FORÊTS TROPICALES ÉQUATORIENNES: VOIES DE DÉVELOPPEMENT OU VOIES DE DESTRUCTION?

M. Cárdenas

Directeur exécutif de l'Instituto ecuatoriano forestal y de areas naturales y vida silvestre (INEFAN), Equateur

1. Introduction

Les infrastructures routières dans les forêts tropicales ont fait l'objet de nombreuses discussions, sous de nombreux angles, que ce soit en raison du développement socio-économique qu'elles stimulent ou de leurs effets destructeurs. La plupart des forêts tropicales ombrophiles de l'Equateur sont situées en l'Amazonie (9,2 millions d'ha). D'un point de vue économique, l'activité la plus importante dans cette région, qui est aussi celle qui rapporte le plus de devises étrangères au pays, est l'industrie pétrolière. Or, cette activité est celle qui a le plus d'incidences sur l'environnement. La destruction de l'environnement biophysique due à l'exploitation pétrolière est attribuable principalement au défrichement de la forêt pour procéder à des études sismiques et mettre en place des héliports, des bases, des camps, des pistes d'atterrissage et des routes.

En termes d'infrastructure humaine, la construction de routes est le changement qui a eu le plus de conséquences négatives dans l'Amazonie équatorienne, suite à l'afflux constant de gens et biens. Toutes les routes de nord-est de l'Equateur ont été construites spécifiquement pour les compagnies pétrolières, car elles sont indispensables comme voies d'accès aux puits de pétrole, pour transporter l'équipement et les machines et pour mettre en place des oléoducs. Chaque route d'une entreprise pétrolière en Amazonie est doublée de son propre oléoduc; ces routes sont construites pour l'oléoduc et non pour les habitants.

2. Rôle des «routes du pétrole» en Equateur

Cet argument mis à part, il ne fait aucun doute que les routes ont une influence décisive sur la population locale. Vu les grandes distances qui séparent les villages et la topographie accidentée du pays, le transport en Amazonie est un facteur qui conditionne le développement de la communauté. Un village relié au monde extérieur par une route peut éventuellement se développer de différentes manières, contrairement aux villages auxquels on ne peut accéder que par voie fluviale. Le type de transport utilisé est un facteur important dans la structure de la communauté, car il facilite les contacts qui déterminent des changements inévitables, l'échange des idées, les pratiques agricoles, les produits et les gens.

Une route facilite le transport de toutes sortes de produits, du bois d'_uvre par exemple, permettant l'accès à un plus grand nombre de superficies exploitables. Les camions de l'exploitation forestière ont une capacité de charge considérable et l'exploitation industrielle des ressources de caractère minier, qu'elle soit légale ou non, ne peut se faire que s'il existe des routes.

C'est pour toutes ces raisons que les routes constituent le principal moyen de conquérir une région. En ce qui concerne l'Amazonie équatorienne, la construction de routes a déclenché un très grand nombre de forces latentes dans la société. L'introduction de tels moyens de transport s'accompagne de la mise en place de nouveaux complexes de développement. Les routes des compagnies pétrolières ont ouvert la voie principale par laquelle le nord-est de l'Equateur a été colonisé et elles ont donné l'occasion de développer le tourisme dans cette région.

En outre, la création de nouveaux cadres de vie pour l'être humain s'est traduite par l'établissement d'un milieu social axé sur le travail. Les activités pétrolières sont exécutées par des gens qui vivent temporairement dans la zone, bien que dernièrement des habitants locaux y aient aussi été intégrés.

Les préoccupations concernant l'Amazonie qui ont été exprimées dans le monde entier portent essentiellement sur la déforestation. La colonisation est considérée comme la principale coupable; elle est directement liée à l'exploitation pétrolière et résulte de la construction de routes. L'équation est simple: là où existent un plus grand nombre de puits de pétrole, il y a davantage de routes; là où il existe davantage de routes, la colonisation s'intensifie; là où s'installent plus de colons, la déforestation se propage.

3. Recommandations

Bien que les infrastructures routières des forêts tropicales permettent à des villages avoisinants de se développer, grâce au commerce ou à l'extraction de ressources naturelles, elles provoquent aussi la destruction accélérée de la biodiversité, surtout en l'absence de plans de gestion durable, ou de plans exhaustifs d'aménagement du territoire de la région en cause qui permettraient à la population locale d'avoir plusieurs options.

Sur la base de cette analyse, les recommandations suivantes peuvent être formulées:

· Faire en sorte que la planification des routes, en particulier dans les forêts tropicales ombrophiles, tienne compte de l'utilisation des terres, ce qui amoindrirait l'impact environnemental et écologique.

· Réaliser des projets de développement intégrés pour éduquer les populations locales et les motiver à conserver l'environnement, tout en s'efforçant de trouver d'autres solutions et d'autres techniques de production qui n'aboutiront pas à la surexploitation des arbres et de la biodiversité.

· Mettre en place un programme national de recherche visant à mettre en place de nouvelles solutions et à capter des sources d'énergie durables.

· Instituer et appliquer rigoureusement un ensemble de contrôles et de sanctions pour les cas de pollution et de destruction de l'environnement liées aux activités minières et énergétiques.

LE RÔLE DES ROUTES FORESTIÈRES EN LA RÉPUBLIQUE DU CONGO

H. Djombo

Ministre de l'économie forestière de la République du Congo

1. Introduction

L'exploitation rationnelle des écosystèmes forestiers tropicaux est sans doute une préoccupation majeure de l'humanité à l'heure actuelle. Considérées comme le plus grand réservoir de la diversité biologique, les forêts tropicales sont détruites à un rythme accéléré: 20 millions d'ha, dont 5 millions d'ha en Afrique, disparaissent chaque année.

Selon la Banque mondiale, 70 pour cent des causes sont d'origine anthropique, dont l'agriculture itinérante sur brûlis, responsable de la moitié de la déforestation. L'exploitation forestière y contribue à travers les infrastructures routières qui permettent le désenclavement des zones forestières éloignées. Nous tenterons de donner un avis sur la problématique posée, en nous inspirant de la réalité congolaise.

2. Les infrastructures routières et la mise en valeur des forêts tropicales

Les forêts denses et humides constituent généralement la ressource naturelle la plus disponible et un atout pour le développement des pays forestiers. Leur exploitation est une source d'emplois, de revenus et de services, qui fait de la filière bois un pan important de l'économie nationale. Au Congo, hormis les activités informelles, elle contribue pour 6 pour cent du PIB et pour plus de 8 000 emplois directs, et elle participe même à l'amélioration des balances commerciales et des paiements et entretient d'autres branches économiques avec d'importants effets induits.

Qu'elle soit principale, secondaire ou tertiaire, la route précède, accompagne et permet l'extraction et la transformation des bois. Son ouverture et son entretien représentent les opérations essentielles de cette infrastructure indispensable au transport des grumes et de leurs dérivés. Donc sans route, il ne peut y avoir d'accès à la forêt et partant de production forestière, ce qui occasionne un manque à gagner significatif pour le pays.

La route forestière relie des coins reculés, ceux isolés et d'accès difficile, à d'autres localités; elle facilite des échanges commerciaux et culturels, la communication, l'élargissement de l'économie monétaire en milieu rural, la modernisation de la campagne et la naissance de nouveaux pôles démographiques et de développement. Grâce à l'existence des routes forestières les populations de l'arrière-pays peuvent accéder aux soins de santé, à l'éducation, aux meilleures conditions de vie et prendre conscience à une même communauté nationale.

En ces temps où les capitaux se raréfient, les Etats des pays tropicaux éprouvent des difficultés à satisfaire leurs priorités afin de relever les défis majeurs qui se présentent à eux. Dans ce contexte, on constate que la construction et l'entretien des routes figurent parmi les objectifs souvent complexes à mettre en _uvre. C'est ainsi que l'ouverture et la présence des routes forestières constituent un apport inestimable dans l'investissement à réaliser pour le désenclavement de l'hinterland. Par voie de fait, les infrastructures routières dans les forêts tropicales acquièrent un caractère d'utilité publique. En effet, s'agissant du Congo, les routes forestières du Sud relient entre elles plusieurs régions du pays (Lékoumou, Niari, Kouilou, Bouenza) ainsi que le Congo avec le Gabon, tandis que celles du Nord assurent désormais une liaison permanente entre le Congo, la République centrafricaine et le Cameroun.

Grâce à ce réseau routier, la production forestière du nord Congo est évacuée régulièrement, dans des délais moins longs, pendant que la chaîne nationale congolaise des transports accuse des faiblesses dans son fonctionnement et obère ainsi les possibilités économiques du pays. Les mêmes voies sont utilisées pour le ravitaillement des chantiers forestiers et des industries du bois, ainsi que pour l'approvisionnement des régions du nord en denrées de première nécessité pendant la période d'étiage sur les rivières Sangha et Oubangui. En outre, les routes favorisent une meilleure circulation des personnes et des biens et contribuent incontestablement à l'intégration et à la complémentarité économiques sous-régionales. D'ailleurs, certaines routes s'inscrivent dans des axes ou des bretelles de la voie transafricaine et en amoindrissent ainsi le coût des futurs travaux.

Par ailleurs, l'on se rend compte que les zones anciennement exploitées par les forestiers au nord Congo sont de plus en plus repeuplées par la faune sauvage: les pachydermes, les antilopes et d'autres espèces, attirés par les jeunes repousses, réintègrent les routes et les pistes abandonnées pour se nourrir d'une végétation fraîche ou s'abriter dans un sous-bois plus compact.

On peut alors conclure que les infrastructures routières dans les forêts sont utiles pour l'aménagement du territoire, l'entreprise, les populations locales et l'intégration régionale, donc qu'elles sont souhaitées et soutenues par les décideurs, les acteurs et les bénéficiaires du développement.

3. Les infrastructures routières, voies de destruction des forêts?

Au regard de ce qui précède, les infrastructures routières dans les forêts sont un facteur du développement, bien qu'elles occasionnent des destructions indéniables qu'il ne convient point d'occulter. On attribue à l'ouverture des routes une destruction importante des forêts. En réalité, les superficies des voies créées représentent une infime partie du massif et sont recouvertes, une fois abandonnées, de parasoliers, avant la reconstitution de l'écosystème initial.

Par contre, les grands facteurs responsables de la déforestation sont l'exploitation commerciale du bois et surtout l'agriculture itinérante sur brûlis. En permettant d'accéder aux zones isolées, les infrastructures routières favorisent l'accès aux ressources forestières et fauniques, ce qui conduit à leur exploitation abusive par les chantiers forestiers, les braconniers et les défrichements anarchiques. Ces intrusions occasionnent des destructions et la dégradation des massifs forestiers et provoquent la raréfaction et la disparition du gibier. La vitesse de ces dévastations varie avec la densité démographique dans les zones concernées. Exposé à cette pratique depuis une cinquantaine d'années, le massif forestier du Mayombe au sud Congo ne survit qu'à cause de l'inhospitalité de sa chaîne montagneuse impropre aux activités agricoles sur certaines pentes. Au nord Congo, 7 millions d'ha de forêts marécageuses et inondées sont préservés de l'action anthropique à cause de leur inaccessibilité. On constate par contre que la dégradation des écosystèmes est très prononcée autour des agglomérations forestières, implantées généralement le long des voies routières, même dans les régions enclavées où la densité de la population est la plus faible du pays.

4. Que faire?

Les infrastructures routières sont certes indispensables pour l'aménagement des forêts et le développement économique et social, mais, en favorisant l'agriculture itinérante à la recherche insatiable des terres fertiles, le braconnage et l'écrémage de la forêt, elles contribuent à la dégradation de l'environnement. Une bonne politique d'aménagement du territoire doit comprendre un plan cohérent d'utilisation des terres et permettre une intégration harmonieuse des différents secteurs économiques.

En menant des actions conjuguées de sensibilisation, de surveillance ou de répression, les pouvoirs publics, les entreprises forestières, les populations locales et les organisations non gouvernementales peuvent réduire les effets nocifs que suscite l'ouverture des routes sur les écosystèmes forestiers et restituer aux infrastructures routières leur utilité intégrale pour le pays.

ROUTES FORESTIÈRES ET PRÉSERVATION DES
ESPÈCES SAUVAGES

R. Fimbel et C. Fimbel

Wildlife Conservation Society, les Etats-Unis d'Amérique

1. Conservation des espèces sauvages dans les forêts de production

Les espèces sauvages jouent un rôle critique dans le maintien de la santé des forêts naturelles. Quatre-vingt-dix pour cent ou plus de toutes les espèces végétales des forêts tropicales ombrophiles semblent dépendre d'animaux pour leur pollinisation ou dispersion, y compris un grand nombre d'espèces ligneuses importantes. La faune forestière est aussi une ressource cruciale dans les pays tropicaux, car elle représente pour beaucoup d'habitants une portion substantielle des protéines dont ils ont besoin. A mesure que les populations s'accroissent, les demandes, dont font l'objet les ressources forestières, augmentent également. Il importe donc d'apprécier les effets que peuvent avoir les activités sylvicoles sur les populations d'espèces sauvages, notamment s'il s'agit des réseaux routiers, et de prendre des mesures visant à en réduire les conséquences. Dans de nombreux pays, les habitats vastes et variés que l'on trouve dans les forêts de production peuvent grandement favoriser la conservation des espèces sauvages, si les observations ci-après sont prises en considération dans les plans et la construction des réseaux de voies forestières.

2. Les routes facilitent l'accès aux chasseurs

Les systèmes routiers associés aux pratiques sylvicoles représentent une des plus grandes menaces pour la faune, parce qu'ils ouvrent l'accès à l'intérieur des forêts, multipliant les possibilités de chasse. Les forêts qui sont nouvellement ouvertes aux chasseurs leur sont particulièrement attrayantes, étant donné l'abondance relative des animaux présents dans ces zones. La chasse elle-même et la pose de pièges dans ces zones d'extraction du bois se révèlent souvent plus nocives pour la faune que les conséquences directes du prélèvement de l'étage dominant (Fimbel et al., sous presse).

Les habitants locaux ne tardent souvent pas à profiter de l'accessibilité récente de nouvelles aires pour y intensifier leurs activités de chasse, mais ceux de l'extérieur (immigrants récents, chasseurs de métier, et personnel d'entreprises d'exploitation) constituent normalement la plus grande menace pour la faune du fait de leurs relations avec des débouchés commerciaux. Les chasseurs de gibier qui commercialisent la viande et les employés d'entreprises d'exploitation forment souvent des réseaux complexes qui approvisionnent les marchés urbains externes en viande d'animaux sauvages et en animaux familiers. Les véhicules des entreprises d'exploitation servent régulièrement de moyens de transport, d'abord pour les chasseurs jusqu'à la forêt, et ensuite pour amener la viande de gibier aux marchés. Enfin, une fois les activités de récolte terminées dans une concession, les voies forestières continuent à représenter un danger pour les espèces sauvages en raison de l'accès à long terme qu'elles offrent aux chasseurs et aux colons.

3. Autres incidences associées aux routes

Comme dans le cas de tout facteur de perturbation, les routes peuvent présenter des avantages pour certaines espèces animales qui préfèrent les habitats plus ouverts sous une canopée, dans des sols retournés, ou dans des bassins versants éphémères. Cependant, les routes produisent aussi des trouées dans le couvert forestier, occasionnant des obstacles au mouvement (i) de mammifères arboricoles qui se déplacent dans l'étage dominant, et (ii) de petits animaux sensibles aux conditions microclimatiques qui ne peuvent supporter de traverser des habitats à ciel ouvert. De plus, les routes causent des dégâts directs aux arbres et aux sols (habitats), augmentent l'envasement des rivières, et modifient le trajet de petits cours d'eau et de leurs caractéristiques. Ces modifications risquent de se répercuter sur la faune aquatique du cours d'eau, ainsi que sur la faune terrestre qui dépend de cette eau pour s'abreuver, se nourrir, se reproduire ou s'abriter.

4. Recommandations: Les routes au service du développement, et non conséquence de dégradation des espèces sauvages

Bien que la plupart des espèces animales puissent s'adapter aux modifications d'habitat résultant de l'exploitation forestière, une recrudescence de la chasse associée aux réseaux routiers peut avoir de sérieuses conséquences pour des espèces considérées comme du gibier. Les mesures ci-après sont recommandées en vue d'atténuer les incidences des routes sur les espèces sauvages.

Construction soignée et moyens permettant de traverser les cours d'eau:

· Planifier le réseau routier et surveiller sa construction de manière à minimiser l'érosion, la perturbation des habitats vulnérables (par exemple, marécages et pentes escarpées), et réduire la taille et le coût de l'ensemble du système de transport.

· Prévoir le moins possible de points de franchissement des cours d'eau, l'ouvrage devant être perpendiculaire au courant, là où le lit du cours d'eau est stable.

· Démanteler les ouvrages susceptibles de s'obstruer plus tard, afin d'éviter la formation de mares stagnantes qui favorisent la multiplication de moustiques et de parasites.

· Stabiliser les routes devant être utilisées à l'avenir, par nivellement et installation de moyens d'écoulement des eaux le long des sections en pente, afin de réduire au minimum l'érosion des sols et l'envasement des cours d'eau.

Surveillance de l'accès:

· Prévoir le moins possible de points d'accès à l'aire de coupe.

· Limiter l'accès à ceux qui interviennent dans les activités de gestion forestière, en instituant un système de barrières routières et de rondes de surveillance.

· Planter des arbres sur les routes qui ne servent plus.

· Bloquer les routes inutilisées, surtout les routes d'entrée, avec des monticules de terre, afin d'empêcher qu'elles ne soient utilisées par des personnes non autorisées.

Surveillance de la chasse:

· Inclure dans des contrats de concession des clauses spécifiques relatives à la conservation des espèces sauvages, notamment le contrôle de la chasse.

· Appliquer les règles et règlements nationaux, régionaux, locaux, et/ou ceux de l'entreprise d'exploitation concernant la chasse, la pêche, et le commerce d'animaux vivants à l'intérieur de la zone de concession.

· Décourager la chasse par les employés de l'entreprise en rendant disponibles, tant aux ouvriers des camps qu'à ceux des usines, des sources de viande domestique.

· Décourager le transport de viande de gibier sur des véhicules de l'entreprise, en instituant un système d'amendes et d'autres sanctions pour pénaliser les conducteurs qui se livrent à cette activité.

A lire:

Dykstra, D.P. & Heinrich, R. (1996), Code modèle FAO des pratiques d'exploitation forestière, FAO, Rome

Fimbel, R.A., Grajal, A. & Robinson J.R. (éds.), Conserving Wildlife in Managed Tropical Forests, Columbia Press University, New York, sous presse

CONSTRUCTION DE ROUTES EN GUYANE FRANÇAISE

P. Gaucher

Conservateur des réserves naturelles des Nouragues et de la Trinité, Guyane française

1. Introduction

La décision de construire des infrastructures routières est politique (au sens large); et il y encore quelques années, la dimension économique était la principale (sinon la seule!) justification prise en compte par les décideurs pour développer des routes. Aujourd'hui, une évaluation préalable de l'impact que peut avoir une route sur l'environnement, avec l'étude de projets alternatifs (autres tracés ou autres moyens de communication), fait presque systématiquement partie du processus de décision, au même titre que les critères économiques. Le résultat de ces études d'impact, généralement effectuées par des scientifiques, déterminera le futur des projets routiers.

C'est dans le cadre de ce type d'études, et en tant que scientifique, que je travaille sur la route nationale Régina-Saint-Georges en Guyane française. Dans la problématique abordée par l'Association technique internationale des bois tropicaux (ATIBT), j'exposerai l'aspect destructeur des infrastructures routières en forêts tropicales tout en expliquant les moyens mis en place dans le cadre de ce projet pour réduire l'impact perturbateur.

La Guyane française est un département d'environ 90 000 km2 (1/5ème de la France métropolitaine) couvert à 90 pour cent de forêt ombrophile. La totalité de son réseau routier, 439 km, se trouve sur la bande côtière ne rentrant pas à plus de 60 km dans l'intérieur. Dans ce contexte, il peut paraître surprenant que la route Régina-Saint-Georges ait soulevé une impertinente vague de protestations de la part des associations de défense de la nature, mais cette route a valeur de symbole. En effet, il s'agit de la première route à réellement morceler le continuum de forêt tropicale, qui s'étend des Andes à l'Océan Atlantique.

La forêt tropicale guyanaise présente un certain nombre de caractéristiques biologiques qui ont des conséquences directes sur la façon de construire les routes: les arbres sont de grande taille (en moyenne de 40 à 50 m) et sont considérés comme instables dans la mesure où environ 1 pour cent d'entre eux tombent chaque année. Ceci a entraîné la construction de routes publiques ayant une emprise de 100 m de large au minimum, afin d'éviter toute interruption de circulation due à des chutes d'arbres. De plus, les arbres se trouvant sur l'emprise sont déracinés et poussés au bulldozer sur le bord de la route, créant ainsi un double andain continu, constitué d'un inextricable enchevêtrement de branches, de troncs et de terre, de plus de 4 m de haut.

La route a donc deux conséquences: interruption du continuum forestier du sol à la canopée et création d'une barrière infranchissable pour tous les gros mammifères du type pécaris, tapirs, cervidés.

2. Quels sont les aménagements possibles?

Sur le projet de la route nationale reliant Régina à Saint-Georges, en plein accord avec les pouvoirs publics, un certain nombre de solutions ont été préconisées et suivies. La première a été de réduire la largeur de la route de 100 à 80 m, cette distance pouvant être réduite à 40 m dans les bas-fonds où la forêt est basse. Les arbres issus de l'emprise de la route seront mis en tas et non pas en andains continus. Lorsque des andains existent, des ouvertures ont été aménagées.

Pour le passage des rivières, en plus de buses permettant l'écoulement normal de l'eau, sont installées des buses sèches devant favoriser le passage des petits animaux. Sur les rivières nécessitant la construction d'un pont, ce dernier est construit de façon à permettre le passage des animaux sur la rive sous le pont.

Là où la route ne nécessite pas de terrassements, la forêt est laissée en place et seule est défrichée la bande roulement de 10 m de large. Ceci a l'avantage de laisser des «ponts de forêt» qui enjambent la route. Actuellement, cinq aménagements de ce type d'environ 200 m de long sont répartis sur les 90 km de route. Les premiers contrôles ont montré que 20 fois plus d'oiseaux de sous-bois et neuf fois plus de chauves-souris empruntaient ces corridors pour traverser, par rapport aux zones témoins hors corridors. Par ailleurs, un certain nombre d'autres vertébrés ont été observés traversant de manière privilégiée ces zones (cervidés, singes, oiseaux de grandes tailles tels que hoccos et tinamous, amphibiens). Si l'efficacité de ces corridors naturels était confirmée, il serait envisagé d'en constituer d'autres artificiellement dans des zones autres que celles déjà sélectionnées. Pour l'instant, tous ces aménagements sont des expériences dont les résultats ont besoin d'être confirmés sur un plus long terme et surtout lorsque la route sera mise en service aux environs de 2002.

Cette route, indépendamment de son aspect de « barrière biologique », risque également d'entraîner d'autres perturbations importantes si l'on ne se dote pas de moyens suffisants. Ce pourrait être le cas de la chasse qui n'est quasiment pas réglementée en Guyane française, et du développement des abattis sauvages, qui ne manqueront pas de se développer le long de la route.

3. Conclusion

Il me semble important, en milieu tropical, d'essayer d'envisager d'autres solutions que les routes, qui sont particulièrement perturbatrices dans ce type de milieu. Si la route est incontournable, il convient d'adopter toutes les solutions permettant d'en réduire l'impact. Dans ce cadre, l'initiative de l'ATIBT est tout à fait intéressante pour centraliser et diffuser toutes les expériences déjà effectuées dans ce domaine et contribuer ainsi à faire progresser notre savoir-faire.

LE RÔLE DES INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES EN LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

J. Gnomba

Ministre de l'environnement, des eaux, des forêts, des chasses et des pêches de la République centrafricaine

1. Introduction

La controverse autour de l'impact des routes forestières en forêt tropicale tourne trop souvent à la polémique stérile, en particulier du fait de l'extrapolation catastrophique de situations locales ou régionales. Dans le bassin du Congo en général et en la République centrafricaine en particulier, des observations peuvent être faites à trois niveaux: démographie et géographie, économie et écologie.

2. Sur le plan démographique et géographique

En s'appuyant, entre autres, sur les exemples amazonien et ivoirien, les adversaires des infrastructures routières mettent en avant la corrélation réelle entre le développement des infrastructures et celui des fronts pionniers agricoles dans ces régions. Il faut cependant rappeler une évidence trop souvent oubliée: les fronts pionniers ne peuvent se développer qu'à partir d'une zone de forte densité de population (avec, généralement, un faible niveau de vie) vers la zone forestière inhabitée: les Andes et le Sertao brésilien en direction de l'Amazonie ou l'immigration Mossi en forêt ivoirienne.

Force est de constater que ce cas de figure n'existe pas dans le bassin du Congo, sauf à l'est du massif forestier, à proximité des grands lacs africains, où l'exploitation forestière industrielle reste actuellement très limitée. Observons également que les voies de communication naturelles que sont les grands fleuves (Congo, Oubangui, Sangha) n'ont pas fait apparaître de phénomène de colonisation massive de la forêt par les agriculteurs dans la sous-région. Pourquoi en serait-il autrement pour les infrastructures routières en forêt?

3. Sur le plan économique

Un problème apparaît également au niveau de l'enregistrement des équipements routiers forestiers dans la comptabilité nationale. L'infrastructure routière purement forestière (hors réseau public), créée par les exploitants lors du premier passage en exploitation, est comptabilisée dans les flux de bois, au niveau des coûts de production. Cependant, la création de la plate-forme (dessouchage des gros arbres, nivellement de l'emprise) correspond à un investissement sur le long terme: elle entraîne une dimension importante des coûts d'exploitation lors des passages en coupe ultérieurs et permet de rentabiliser alors les essences secondaires de moindre valeur.

Si l'on retient que le coût de réouverture d'une route forestière est environ le tiers du coût de construction initiale, la fraction restante devrait donc être comptabilisée dans la formation brute de capital fixe de la nation, avec deux conséquence économiques:

· La capture de la rente forestière par l'Etat ne se limite pas à la perception des taxes forestières: l'équipement routier, réalisé par les exploitants pour le compte de l'Etat, correspond également à un investissement de production sur long terme, c'est un élément important à retenir de la politique fiscale.

· La diminution du capital ligneux sur pied, liée à l'abattage, est en partie compensée par la création de capital liée à la mise en place de l'infrastructure, ce qui doit être pris en compte dans la réflexion sur la valeur patrimoniale de la forêt.

4. Sur le plan écologique

· après la coupe, les zones d'exploitation et les assiettes des routes sont particulièrement appréciées des grands mammifères (éléphants, primates, antilopes) qui profitent d'un milieu plus ouvert et plus productif en nourriture;

· sur le long terme, la protection liée à l'isolement des populations animales est-elle durablement efficace? La recrudescence malheureuse du grand braconnage dans l'est centrafricain, pratiquement inhabité, prouverait plutôt le contraire.

5. La solution

ORIENTATIONS POSSIBLES CONCERNANT LES ROUTES DANS LES FORÊTS TROPICALES

D. Kaimowitz

Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR), Indonésie

La théorie économique et les faits observés donnent à penser que la construction ou l'amélioration de routes près des forêts favorisent le déboisement. Les routes facilitent l'accès aux zones forestières, réduisent les coûts du transport des moyens de production dans ces zones et permettent de commercialiser les produits qui en sont extraits, de sorte qu'il devient plus rentable de convertir la forêt en terres agricoles. La construction de routes peut aussi encourager le défrichement de la forêt à des fins de spéculation car les valeurs foncières augmentent à mesure que l'accès s'améliore et nombreux sont ceux qui détruisent des forêts en vue d'établir ou de consolider des revendications légitimes sur les terres situées près de routes. En effet, les modèles économétriques basés sur des données empiriques recueillies au Belize, au Brésil, au Cameroun, au Costa Rica, au Honduras, au Mexique, aux Philippines, en Thaïlande et en la République démocratique du Congo indiquent tous que les superficies voisines des routes sont celles qui risquent le plus d'être déboisées. Ce constat reste valable si l'on contrôle les modèles en fonction de variables telles que la qualité des sols et la distance des marchés (Kaimowitz et Angelson, à paraître).

Les politiques mises en _uvre pour atténuer les dangers que représentent les projets de routes pour les forêts ont échoué dans beaucoup de pays. Les agriculteurs et les spéculateurs fonciers empiètent souvent sur des aires protégées lorsque les routes passent à proximité de celles-ci et la plupart des gouvernements des pays tropicaux n'ont pas les moyens et/ou la volonté de l'empêcher. Les concessions de bois exigent en général que les entreprises interdisent aux petits agriculteurs de coloniser les espaces le long de voies d'exploitation. Les exploitants sont toutefois souvent peu enclins à obtempérer, étant donné qu'ils ne s'attendent pas à revenir dans ces zones.

Dans pratiquement tous les pays, des études d'impact sur l'environnement (EIE) sont maintenant exigées pour tous les grands projets routiers à exécuter près de forêts. Ces études sont censées recommander des mesures propres à minimiser les incidences préjudiciables de tels projets sur des forêts. Mais dans de nombreux cas, les agences gouvernementales et les entreprises de construction traitent ces rapports comme de simples formalités bureaucratiques. En conséquence, ils sont souvent de piètre qualité et donnent lieu à l'application de peu de mesures de protection.

D'autre part, il n'est ni faisable ni souhaitable d'interdire tous les nouveaux projets routiers dans le voisinage de forêts tropicales. Pour beaucoup de populations rurales qui vivent près de forêts, améliorer leur accès aux marchés et aux services compte parmi leurs plus grandes aspirations et leurs besoins prioritaires. Ces populations exercent de très fortes pressions sur les politiciens locaux pour que des investissements soient destinés à la construction de routes. Leur aptitude à influencer les mécanismes d'investissement a d'ailleurs été renforcée au cours de ces dernières années par la tendance à décentraliser les décisions relatives aux investissements et à en charger les pouvoirs publics locaux et régionaux. Cependant, toutes les routes proches des forêts tropicales ne favorisent pas le déboisement. En effet, de nombreuses zones sont si loin des marchés et leurs sols sont tellement pauvres que peu des gens voient quelque intérêt à s'y implanter même lorsque l'accès en a été amélioré. L'aménagement durable de la forêt naturelle peut aussi exiger que les gestionnaires forestiers aient plus facilement accès aux marchés. Les coûts élevés du transport poussent les exploitants à se concentrer uniquement sur les feuillus tropicaux qui ont le plus de valeur, le prélèvement d'autres espèces de bois étant contraire à la logique économique. Cela rend pratiquement impossible la gestion forestière durable pour la production de bois dans beaucoup de forêts tropicales.

Dans ces circonstances, on pourrait envisager un ensemble approprié de recommandations pratiques, qui s'énoncerait comme suit:

· Eviter les projets de construction de routes dont les coûts ne sont pas justifiés par les rendements économiques. Il arrive souvent que la construction de routes dans des zones isolées où les sols sont de mauvaise qualité n'est tout simplement pas une solution économique. Les pouvoirs publics les construisent pour des raisons strictement politiques et/ou sans avoir procédé à des analyses sérieuses de coûts-bénéfices qui auraient pu faire ressortir les faibles taux de rendement à escompter.

· Inclure des clauses de recouvrement des coûts dans les projets routiers. Les routes publiques près des zones forestières devraient être partiellement ou entièrement à la charge de ceux qui les utilisent. Les gouvernements n'ont aucune raison de subventionner des investissements qui encouragent le déboisement. Les coûts peuvent être recouvrés soit en faisant payer les usagers des routes soit en taxant les terres qui acquièrent de la valeur grâce aux investissements routiers. Pour protéger les intérêts des populations très pauvres, certaines exemptions pourraient être accordées à certains types de véhicules ou de petites propriétés.

· Axer les investissements routiers de préférence sur des zones déjà très peuplées et/ou dont les sols sont de très bonne qualité. Cela permet non seulement de freiner les investissements dans d'autres régions forestières, mais aussi de réduire la migration de populations de zones déjà colonisées vers les confins des terres agricoles.

· Instituer des cautions de bon fonctionnement pour les concessions forestières, dont les entreprises d'exploitation cesseraient d'être bénéficiaires si des agriculteurs venaient empiéter sur des terres de concession. Ce système encouragerait les entreprises à prévenir les empiétements. Les exploitants devraient aussi être tenus de planifier plus attentivement leurs routes, en se basant sur des inventaires du bois, et de veiller à la qualité des routes qu'ils construisent.

· Respecter les droits territoriaux des autochtones. Dans beaucoup de circonstances, mais certes pas toujours, les autochtones ne sont pas les seules parties prenantes locales qui font opposition à des projets routiers, de crainte que de tels projets encouragent d'autres groupes à empiéter sur leurs terres. Dans la mesure où le gouvernement reconnaît les droits territoriaux de ces populations, il accroît la probabilité de mieux équilibrer la prise de décisions concernant les projets de construction de routes.

· Permettre au public d'examiner à fond les descriptifs de projets. Une des raisons pour lesquelles les études d'impact sur l'environnement n'ont eu qu'un effet limité vient de ce que les organismes civils de la société n'ont pas eu suffisamment accès à ces rapports et ont eu peu souvent l'occasion de contrôler la mise en _uvre de leurs recommandations. Il en va de même en ce qui concerne les documents nécessaires en vue d'un débat sérieux sur la viabilité économique de projets de construction de routes.

Références

Kaimowitz, D. et A. Angelsen (1998), Economic Models of Tropical Deforestation, Centre pour la recherche forestière internationale, Bogor, Indonésie, à paraître.

LE RÔLE DES INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES
FORÊTS TROPICALES MALAISIENNES

Datuk Seri Dr. Lim Keng Yaik

Ministre des industries primaires de la Malaisie

1. Introduction

Les infrastructures routières dans les forêts tropicales sont des ouvrages complexes de génie civil qui permettent l'accessibilité aux forêts. Elles nécessitent des études techniques, des tracés, des travaux de construction et un entretien, ainsi que des structures auxiliaires telles que des ponts et des aqueducs.

Sans méconnaître que les infrastructures routières sont couramment associées à l'extraction de bois industriel, il convient de noter qu'elles permettent aussi l'accès aux forêts pour la gestion, le développement, ainsi qu'à des fins de protection et de conservation. En outre, la communauté mondiale reconnaît largement l'importance des forêts en ce qui concerne la diversité biologique, leurs produits non ligneux, leurs valeurs spirituelles et culturelles, ainsi que les services de caractère environnemental qu'elles assurent. Il s'ensuit que le développement de l'infrastructure routière est devenu une discipline plus exigeante et complexe, si bien qu'il est maintenant plus difficile de planifier et d'exécuter le développement de ces infrastructures, car celles-ci doivent être conçues et réalisées en tenant compte et, si possible, en rehaussant les diverses fonctions des forêts.

2. Le besoin d'infrastructures routières

On a souvent affirmé que la construction de routes au cours des opérations de récolte du bois était à l'origine de la plus grande partie de la dégradation globale de l'environnement, telle par exemple une plus forte érosion des sols entraînant la détérioration des infrastructures, des cours d'eau et des terres; la sédimentation excessive des rivières qui risque potentiellement d'avoir de sérieux effets sur la qualité de l'eau, la vie aquatique et la faune sauvage; la perte de productivité forestière, notamment dans les zones boisées; et la perturbation des zones de reproduction ou des voies de migration d'espèces animales.

Cependant, la Malaisie est convaincue que des infrastructures routières bien conçues, construites selon des pratiques d'ingénierie écologiquement rationnelles et correctement entretenues permettraient facilement et à moindres frais d'accéder aux produits forestiers et de satisfaire les besoins de gestion, de conservation et de protection des forêts. Les revenus tirés des produits forestiers récoltés, notamment du bois industriel, fourniraient les ressources dont il est grand besoin pour améliorer à long terme l'aménagement durable des forêts.

Dans ce contexte, et dans le souci de réduire au minimum les effets préjudiciables des infrastructures routières sur l'environnement, les Départements des forêts de la Malaisie ont adopté des normes de construction pour les routes (Standard Road Specifications) et des directives pour la récolte forestière (Forest Harvesting Guidelines) que tous les exploitants forestiers doivent strictement respecter, d'abord au moment de la planification, puis lors de la mise en _uvre. Toutes les opérations de récolte doivent être exécutées conformément à ces spécifications et directives, et en particulier à celles qui portent sur la construction de routes, les tracés, la déclivité, le drainage, le marquage des arbres, la direction d'abattage et l'installation des dépôts de grumes. Les Départements des forêts surveillent de près l'application des mesures de conservation de l'environnement, telles que le choix des engins mécanisés, la construction de barrages d'eau, la lutte contre la pollution des rivières et des nappes d'eau résultant de l'exploitation forestière. Les forestiers des Départements des forêts de Malaisie ont un rôle actif à jouer en fournissant des conseils et des services techniques sur toutes les questions concernant le développement des infrastructures du secteur de l'exploitation forestière, notamment lors de la conception et de la construction de voies forestières, ainsi que pour l'utilisation de matériel d'exploitation particulier permettant de réduire au minimum la dégradation du milieu et les pertes forestières.

Plus particulièrement, des normes d'exécution ou des règles de gestion pour la construction de voies forestières ont été prescrites dans le cadre des critères et indicateurs de l'aménagement durable élaborés par la Malaisie. Certaines prescriptions concernant les opérations de débusquage au sol précisent que la longueur totale de routes permanentes ne devrait pas dépasser 40 m per hectare et que la déclivité des routes en pente devrait être inférieure à 20 pour cent. Cette densité aura pour effet d'une part de limiter le potentiel d'érosion des routes, et d'autre part de réduire au minimum la déforestation et la dégradation de l'écosystème forestier. En fait, la réduction des coûts de construction et d'entretien des routes devrait permettre d'améliorer la rentabilité des opérations forestières.

Dans certains cas, les infrastructures routières en Malaisie font même partie du réseau planifié de routes publiques qui sont des composantes essentielles de l'équipement développé du pays. Cet état de fait est surtout critique dans les zones rurales où les routes ont favorisé la mobilité des populations vivant à l'intérieur et à proximité immédiate autour des zones boisées et ont apporté des avantages aux communautés locales dans leurs activités socio-économiques quotidiennes.

En Malaisie, la construction d'infrastructures routières dans les forêts a beaucoup amélioré, à la fin des années 70 et dans les années 80, le développement du secteur agricole planifié sur une grande échelle, surtout en Malaisie péninsulaire. Il a ainsi été possible d'éviter l'ouverture incontrôlée de terres forestières pour l'agriculture, ce qui aurait causé davantage de dégâts et entraîné la déforestation et la dégradation des zones boisées. Dans ce contexte, la conversion méthodique des terres forestières à l'agriculture est destinée à fournir des terres à ceux qui n'en ont pas et qui cherchent des emplois rémunérateurs. Elle permet aussi de créer et de répartir les richesses de la nation en vue de réaliser un développement socio-économique.

A cet égard, la Malaisie est pleinement consciente du fait que le développement de l'infrastructure routière en zone forestière a, dans une certaine mesure, encouragé la propagation de la culture itinérante, surtout dans les zones parcourues par les coupes, dès lors que ces infrastructures ont fourni aux colons un accès facile dont ils avaient grand besoin pour pénétrer et défricher la forêt. Cependant, les autorités ont depuis mis un frein à cette activité nuisible en créant une loi (National Forestry Act, 1984, amendée en 1993), aux termes de laquelle le gouvernement peut interdire au public l'accès à toute zone forestière, surtout après une récolte de bois, jusqu'au prochain cycle d'abattage, afin de permettre à la forêt de se reconstituer; seules les infrastructures routières considérées comme essentielles pour la gestion, la conservation et la protection de la forêt peuvent alors être entretenues pour en permettre l'utilisation par un personnel autorisé du Département des forêts.

3. Conclusion

L'infrastructure routière dans la forêt tropicale est rarement une cause directe de la perte de forêt, mais elle peut avoir des incidences non négligeables à cause de son effet perturbateur immédiat sur l'habitat. A cet égard, les causes majeures de déboisement et de dégradation des forêts tropicales comprennent, entre autres, le prélèvement sélectif d'essences présentant des valeurs élevées, la collecte excessive de bois de feu, la chasse abusive et le surpâturage. Il existe d'autres causes de dégradation: les ravageurs, les maladies et les catastrophes naturelles telles que cyclones et incendies de forêt.

La Malaisie est convaincue que, si l'infrastructure de voies forestières est une cause de dégradation des forêts et peut indirectement conduire au déboisement, ce ne sera néanmoins pas forcément le cas si le tracé de routes a été attentivement planifié et contrôlé, et si des mesures appropriées ont été prises pour amoindrir les effets de l'abattage excessif et les dégâts causés par les coupes et l'exploitation.

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES FORÊTS TROPICALES: VOIES DE DÉVELOPPEMENT OU VOIES DE DESTRUCTION?

J. Lorbach

Forestier, Division des produits forestiers, Département des forêts,
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome, Italie

1. Introduction

Bien que la plus grande partie de la déforestation tropicale soit attribuée au défrichement des terres au profit de l'agriculture, diverses sources estiment qu'entre 5 et 15 pour cent du déboisement annuel peuvent être associés aux récoltes de l'exploitation forestière.

Dans les débats sur les raisons principales de la déforestation dans le monde, qui de nos jours tournent essentiellement autour des questions de l'environnement, c'est aux routes forestières que l'on impute de plus en plus la part du lion dans les problèmes écologiques associés aux opérations de récolte forestière. On décrit souvent les incidences négatives des routes forestières sur les forêts tropicales dans les termes suivants: sédimentation excessive des cours d'eau, entraînant des effets potentiellement graves sur les approvisionnements en eau, sur la vie aquatique et sur les habitats d'espèces sauvages; forte érosion du sol, perte de productivité des terres forestières près des routes, possibilité d'éboulements de terrains escarpés susceptibles d'endommager les infrastructures, les cours d'eau et les terres; perturbation des zones de reproduction ou des voies de migration d'espèces animales; perte considérable de terres forestières; compactage et altération de la structure des sols; dégâts subis par les arbres résiduels, les plantes et les racines. Sans compter les déversements d'hydrocarbures et autres types de pollution que peuvent occasionner des usagers de la route par leur négligence.

Dans certaines régions de pays forestiers tropicaux, la construction de routes est considérée comme un précurseur du déboisement, qui facilite l'établissement spontané d'agriculteurs sans terres, aboutit à la conversion des forêts en terres agricoles, et entraîne d'importantes conséquences de caractère économique, social et environnemental.

Au contraire, les réseaux de voies forestières bien conçus et construits, y compris les pistes de débusquage, sont la base d'opérations forestières efficaces et de pratiques forestières durables.

Dans le contexte du développement durable, ainsi que l'a déclaré la CNUED (1992) dans le programme Action 21, l'utilisation des ressources naturelles renouvelables est un impératif clé du développement écologiquement rationnel. L'utilisation des ressources dépend de l'accessibilité des zones où elles se trouvent, ce qui ne peut être réalisé que par la construction de réseaux de voies forestières. Le chapitre 8 d'Action 21 examine l'intégration du processus de prise de décisions sur l'environnement et le développement. Il propose l'intégration de considérations écologiques, sociales et économiques au cours de ce processus. De plus, il préconise de faire en sorte que le public ait accès aux informations pertinentes, puisse aisément faire connaître ses vues et participe efficacement. Ainsi, il serait possible de réduire et d'atténuer préventivement les effets indésirables en s'alliant la participation du public dans le processus de planification et de prise de décisions avant que des décisions irrévocables n'interviennent.

2. Objectif des voies forestières

Déjà au temps de Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.) une route pavée de trois couches différentes fut construite sur 16 m de largeur pour mener jusqu'aux temples de Babylone. Les Romains sillonnèrent leur Empire d'un réseau routier de conception et d'exécution excellentes, dont il subsiste un exemple célèbre, la Voie Appienne à Rome sur laquelle on circule encore aujourd'hui. S'agissant des routes forestières en Europe, pendant des siècles le bois de faible dimension était utilisé comme bois de feu ou pour faire du charbon de bois et transporté à dos d'homme ou par des animaux, tandis que le bois d'_uvre était en général déplacé par la gravité, par flottage en radeaux ou tiré par des b_ufs ou des chevaux. Aucun système routier prétentieux n'était nécessaire à l'époque.

La situation changea du tout au tout pendant les années 30 et après la seconde guerre mondiale, lorsque les engins motorisés firent leur entrée dans les forêts, forçant les propriétaires et les utilisateurs des forêts à construire des routes adaptées à des camions pouvant aller jusqu'à 25-40 tonnes et à d'autres engins sur roues tels que des tracteurs agricoles et des débusqueurs pour l'extraction du bois.

Depuis lors, outre les voies navigables, la gravité, les câbles-grues, les ballons ou les hélicoptères, les tracteurs agricoles, débusqueurs et tracteurs à chenilles opérant sur des pistes de débusquage, chargeurs dans les dépôts et poids lourds sur les routes de débardage sont autant de moyens de transport couramment utilisés. L'ouverture de voies d'accès aux forêts et un réseau de routes forestières permanentes représentent une importante condition préalable si l'on veut assurer de façon durable la gestion, l'utilisation et la protection des forêts. Les routes forestières:

· relient les zones forestières au réseau routier public; elles pourraient aussi en même temps faire partie du réseau routier public;

· permettent l'accès à la forêt pour satisfaire aux besoins de la gestion et de la protection des forêts tout en faisant bénéficier les communautés locales;

· permettent le transport de produits forestiers ligneux et non ligneux.

Par ailleurs, l'ouverture des forêts donne souvent lieu à des usages abusifs, attirants, venus de l'extérieur ou de nouveaux établissements humains, de nombreux braconniers en quête de bois, de gibier et de poisson, ou des ramasseurs de produits forestiers non ligneux, avec des conséquences négatives considérables pour la forêt et l'environnement ainsi que pour les populations locales. Bien que ces activités soient illégales, il est difficile dans de nombreux cas de les contrôler ou de les arrêter, les capacités nécessaires au sein des agences responsables faisant défaut.

Néanmoins, on reproche souvent à la construction de routes forestières d'être la voie d'accès à la destruction des forêts, bien que ces routes soient essentiellement des ouvrages techniques de caractère neutre. Que les routes conduisent au développement ou à la destruction, cela dépend des utilisateurs. Tout comme un médicament prescrit par un médecin à son patient: s'il est pris correctement, le malade guérira rapidement; s'il est pris en dépassant la dose, il est toxique et nocif et le malade risque de mourir.

3. Exemples et résultats du terrain

L'étude d'un cas particulier de récolte forestière récemment exécutée par la FAO affirme que dans une concession forestière tropicale du Congo, la densité moyenne des routes primaires est de 1,8 mètre de parcours à l'hectare (m/ha) et celle des routes secondaires de 3,9 m/ha, soit de 5,7 m/ha pour la totalité de l'infrastructure. La superficie totale représentant celle utilisée pour le développement du réseau routier de la forêt et les espaces vides créés par les abattages de la récolte se monte à 8,4 pour cent de la coupe annuelle totale. La plus grande proportion de cette superficie correspond aux abattages (45 pour cent), puis vient celle des pistes de débusquage (32 pour cent) et enfin celle des routes primaires et secondaires (20 pour cent), les dépôts transitoires ne comptant que pour environ 3 pour cent de la superficie (FAO, 1997).

Une enquête effectuée antérieurement dans quatre différentes zones de concession en la République du Congo (superficie totale 66 055 ha, volume total récolté 276 394 m3) a révélé une densité des routes primaires et secondaires entre 4,4 et 8,1 m/ha ou entre 0,6 et 2,8 m/m3 respectivement (Plan d'action forestier tropical, 1991).

Le chiffre comparatif pour les forêts commerciales sous aménagement forestier intensif en Autriche serait de 27 m/ha (FAO, 1998).

Dans une comparaison établie entre le système d'exploitation traditionnel et un système de récolte forestière écologiquement rationnel, décrit dans une étude de cas effectuée au Brésil et récemment publiée par la FAO, il est signalé que près de 20 pour cent de la superficie des opérations de récolte était occupée par l'infrastructure forestière, à cause d'un réseau enchevêtré de pistes de débusquage résultant du fait que la recherche et le débusquage des grumes n'avaient pas été planifiés. Au contraire, dans les systèmes écologiquement rationnels, la perturbation des sols associée à la destruction et au compactage du terrain était confinée dans les zones affectées aux installations permanentes d'infrastructure forestière, ce qui représente à peine 4,5 pour cent environ de la superficie forestière d'exploitation (Winkler, 1997). Par ailleurs, il était prévu d'atténuer les effets indésirables en sollicitant la participation du public dans le processus de planification et de prise de décisions avant que des décisions irrévocables ne soient prises.

Une autre étude de cas, exécutée dans la forêt tropicale naturelle du Kalimantan oriental (Indonésie), explique les avantages des pistes de débusquage préalablement tracées et des récoltes de bois à impact réduit: s'agissant des dommages que subissent les arbres résiduels dans la zone d'abattage, les recherches indiquent que le système classique de récolte de bois, associé au TPTI (Tebang Pilih Tanam Indonésie, Système indonésien de coupe sélective et plantation) inflige au sol et aux arbres des dégâts plus graves et plus étendus (40 pour cent) que le système des récoltes de bois à impact réduit (9 pour cent). La superficie nécessaire pour les pistes de débusquage diffère aussi considérablement: elle est de 8,7 pour cent de la superficie exploitée dans le cas du système classique et de 5,2 pour cent seulement pour le système de récolte à impact réduit (Elias, 1996).

Compte tenu de toutes ces considérations, ce n'est pas tant l'aspect technique de l'infrastructure routière qui décidera si les voies forestières mènent au développement ou à la destruction, mais plutôt le processus de planification et de prise de décisions, ainsi que la cohérence qui présidera à l'application de ces décisions.

4. Génie forestier respectueux de l'environnement

La raison pour laquelle il existe des routes forestières et des pistes de débusquage mal conçues, mal construites et mal entretenues n'est pas tant la pénurie de fonds, le manque d'équipements ou de méthodes de travail modernes adaptés à la construction de routes, mais bien souvent une sensibilisation insuffisante aux conséquences préjudiciables que peuvent avoir, pour l'ensemble de l'écosystème forestier, des ensembles routiers mal conçus, mal planifiés et mal construits. Dans beaucoup de cas il est même plus rentable économiquement de travailler en respectant la nature plutôt qu'en la maîtrisant.

Dans son programme de travail «Amélioration du génie forestier et des récoltes forestières», la FAO propose une stratégie visant à réduire les éléments destructeurs du génie forestier. Cette stratégie prévoit:

· d'utiliser du personnel compétent;

· de planifier le réseau routier et les pistes de débusquage avant la récolte, le plus possible en fonction de l'abattage dirigé;

· de choisir du matériel d'exploitation ne nécessitant qu'une faible densité de voies forestières;

· de réduire les normes appliquées pour la construction de routes, telles que la largeur de défrichement et la largeur des routes en vue de faire des économies de coûts, de terres forestières de production et d'environnement;

· de restaurer la végétation sur les routes et les dépôts provisoires lorsqu'ils sont abandonnés;

· d'éviter des zones vulnérables telles que les sols humides, les cours d'eau, et de respecter les lieux culturels ou religieux, ou les habitats d'animaux et de plantes rares.

En ce qui concerne les aspects tactiques, il serait possible de réaliser de nombreuses améliorations qui réduiraient l'impact, en:

· minimisant les décapages et remblayages des pentes;

· utilisant des excavateurs au lieu de bulldozers en terrain escarpé;

· appliquant des techniques de pointe pour le travail aux explosifs;

· compactant adéquatement la surface des routes;

· établissant des systèmes corrects de drainage;

· reverdissant les pentes;

· veillant à ce que la déclivité réduise au minimum les problèmes d'érosion;

· améliorant l'entretien des routes;

· utilisant des lubrifiants et des liquides de transmission biodégradables pour les engins;

· introduisant des systèmes automatiques de gonflage et dégonflage des pneumatiques.

5. Conclusion

· approche participative pendant la phase de planification,

· travaux de construction écologiquement rationnels et compétents,

· entretien périodique et correct de l'infrastructure permanente,

· utilisation avisée et prudente du système routier.

Les forêts tropicales du monde devraient être non seulement utilisées mais aussi protégées de façon durable et écologiquement rationnelle. Le respect de l'environnement durant la construction de routes forestières en est une condition préalable. C'est aux gens qu'il appartient de décider si l'impact des systèmes de routes forestières conduira au développement ou à la destruction.

ROUTES FORESTIÈRES AU GABON

M. Mabala

Secrétaire d'Etat auprès du Ministère des eaux, des forêts et du reboisement au Gabon

Au Gabon, la pression démographique sur les forêts est assez limitée. En effet, pour un territoire comprenant 22 millions d'ha de forêts, couvrant 85 pour cent de sa superficie, le Gabon ne compte qu'environ 1,2 million d'habitants, dont 450 000 à Libreville, le reste de la population étant essentiellement réparti autour des principales agglomérations du pays.

Les nombreuses routes construites par les forestiers pour la mise en valeur de leur permis sont abandonnées en fin d'exploitation, les employés déménageant avec l'entreprise. En général ces routes, comme les parcs à grumes, sont rapidement colonisées par les espèces de lumière, dont l'Okoumé, et disparaissent sous la végétation au bout de quelques années. Lorsque les chantiers d'exploitation forestière sont situés non loin des centres urbains, nous demandons aux responsables de barrer l'accès des routes et de détruire les ponts, afin d'éviter le braconnage en voiture des citadins.

Il est, toutefois, reconnu, depuis quelques années, que le développement intensif à des fins commerciales du façonnage de planches et chevrons à l'aide de tronçonneuses est perpétré sans autorisation. Lorsque cette opération concerne les grumes abandonnées sur les parcs et routes, il n'y a pas de destruction de la forêt, mais récupération de bois qui peut être autorisée selon les modalités réglementaires. Mais nous constatons que, de plus en plus, l'abattage frauduleux et désordonné d'arbres s'accentue et constitue un véritable fléau, facilité par les routes forestières. Nous avons dû à cet effet prendre des mesures, notamment à Libreville, pour un contrôle quasi permanent de la circulation des produits de sciage, dont l'origine est facilement identifiable, et dont l'ampleur concurrence dangereusement, par la pratique de prix très compétitifs, l'existence des unités de transformation du bois pour le marché local restreint.

L'accès à la forêt par l'ouverture de routes permet également la récolte de produits non ligneux autres que la faune, dont la commercialisation incontrôlée devient problématique; il s'agit en particulier du rotin, de certaines écorces et résines, et de plantes médicinales.

Les mesures réglementaires dans le cadre de la nouvelle législation sont à l'étude pour un contrôle de ces ressources menacées.

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES FORÊTS
TROPICALES HUMIDES

P. Mengin-Lecreulx

Directeur régional de l'Office national des forêts en Guyane française

1. Introduction

La Côte d'Ivoire comptait près de 15 millions d'ha de forêts denses humides au début du siècle. Ce grand massif a été progressivement équipé en pistes, à l'origine pour les besoins de l'exploitation forestière. Avec un prélèvement généralement faible à l'hectare, l'exploitant laissait derrière lui une forêt qui pouvait se cicatriser en quelques décennies. Mais on ne lui en a pas laissé le temps.

Les paysans se sont en effet empressés de défricher la forêt pour y installer des cultures: cacao, café, cultures vivrières, etc., encouragés par l'Etat qui déclarait que « la terre appartiendrait à celui qui la mettrait en valeur » (c'est-à-dire la défricherait et la mettrait en culture), qui garantissait un prix d'achat minimum pour les cultures de rente, et qui avait mis en place un réseau de routes publiques bitumées sur l'ensemble du territoire, permettant de faciliter le transport des récoltes. Les pistes forestières, prolongeant ces routes bitumées, ont donc certainement facilité cette dynamique de défrichement.

Ainsi, la Côte d'Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cacao. C'est là un résultat important en matière de développement. Dans le même temps la superficie de la forêt dense ivoirienne a été réduite à probablement moins de 2 millions d'ha et le domaine qui était à vocation forestière permanente a été en partie décimé sans pour autant que toutes les superficies défrichées aient été mises en valeur par l'agriculture. Dans ce cas, la forêt a été détruite en pure perte, sans contrepartie en terme de développement.

2. Destruction de la forêt et développement sont-ils antinomiques?

Cet exemple illustre le fait que la destruction de la forêt et le développement ne sont pas systématiquement des alternatives opposées, et qu'il n'est pas possible de répondre simplement à la question posée: «Les infrastructures routières dans les forêts tropicales sont-elles des voies de développement ou des voies de destruction?» Si l'on imagine bien ce qu'est la destruction de la forêt, avec la perte des fonctions multiples qu'elle remplit, comment pourrions-nous qualifier le développement? Je propose que nous nous en tenions à la construction suivante.

L'utilisation d'un espace peut être considérée comme faisant partie d'un processus de développement si elle est pertinente, choisie et durable:

· la pertinence suppose qu'un minimum de diagnostic ait été effectué au préalable; par exemple, il ne serait pas acceptable de détruire un site d'intérêt écologique exceptionnel pour y installer un pâturage; ou encore de défricher la forêt pour l'agriculture alors que le terrain ne s'y prête absolument pas.

· le choix est effectué entre différentes utilisations qui seraient tout aussi permanentes les unes que les autres. Le propriétaire est normalement habilité à faire ce choix, et bien souvent dans les pays tropicaux il s'agit de l'Etat, qui doit déterminer les modalités de concertation préalable à ces choix.

· le développement durable signifie que les générations futures pourront bénéficier des mêmes atouts que la génération présente dans l'utilisation de l'espace et des ressources naturelles.

3. De la nécessité d'un aménagement du territoire et de l'aménagement forestier

4. Les routes forestières

· un impact directement lié à la présence de la route (défrichement de l'emprise, effet de coupure pour la faune, etc.);

· et un impact indirect (utilisation du réseau routier qui se traduit par une pression insupportable et non voulue sur la forêt).

4.1 Les impacts négatifs directs d'une route forestière

Plusieurs impacts négatifs directs peuvent être discernés:

· Le défrichement de l'emprise de la route est, en soi, une perte de surface forestière: des accotements larges sont généralement recherchés pour assurer un bon éclairement et une bonne ventilation de la chaussée en latérite, afin qu'elle s'assèche le plus rapidement possible après une pluie.

· La route peut être un obstacle à la circulation normale des eaux, lorsque les passages busés sont mal calibrés (quand ils ne sont pas carrément absents).

· Une érosion importante peut être engendrée par le ruissellement sur des routes mal construites, avec des pentes en long trop fortes, mal équipées en écoulements transversaux.

· Une route forestière peut être une barrière pour certaines espaces animales, en particulier à cause de la rupture brutale de la continuité de la canopée, ou du barrage infranchissable que constituent au sol (au moins pendant quelques années) les andains continus situés de part et d'autre de l'emprise; cela a été observé en Guyane française (voir l'article de P. Gaucher).

· Une route inutile, ne menant nulle part ou n'accédant qu'à quelques bouquets d'arbres à exploiter, faute d'une bonne cartographie préalable de la ressource est en soi un impact totalement négatif, sans aucune contrepartie.

· Le dernier exemple a été observé en Côte d'Ivoire: les routes forestières bien éclairées, compte rendu de leur emprise relativement large, étaient colonisées par une espèce semi-ligneuse particulièrement envahissante, Cromolaena odorata. Cette espèce pouvait alors, depuis les routes, coloniser des grandes trouées d'exploitation et bloquer ainsi pendant une durée importante la régénération naturelle de la forêt. Pire: pour peu que la forêt soit également surexploitée cette espèce pouvait prendre une place telle qu'elle pouvait rendre, étant facilement inflammable, la forêt dense sensible au feu. Ainsi, et pour la première fois, on a pu observer, dans les années 80, la forêt dense humide semi-décidue brûler en Côte d'Ivoire.

Ces impacts directs sont à prendre en compte et à minimiser dès la conception de la route. Voici quelques principes de précaution et mesures à prendre, sans prétendre être exhaustifs:

· Le tracé doit être soigneusement étudié, pour éviter des pentes excessives.

· La piste et les ouvrages d'art doivent être réalisés dans les règles de l'art (écoulement des rivières, écoulement et évacuation de l'eau sur la chaussée, profil en long et en travers de la chaussé).

· Le tracé doit être choisi de manière telle qu'on ne risque pas de détruire un site d'intérêt écologique particulier lors de l'ouverture de la route.

· La largeur de l'emprise peut être modulée et réduite au minimum en fonction de la hauteur des peuplements (moins large dans les peuplements courts), et de l'orientation (moins large lorsque la route est orientée Est-Ouest, bénéficiant ainsi naturellement d'un meilleur ensoleillement).

· Des passages privilégiés pour la faune peuvent être maintenus en conservant à la canopée sa continuité sur certains tronçons de la route. De telles expériences sont actuellement mises en _uvre en Guyane française avec la création de la route nationale (bitumée) qui relie Régina à Saint-Georges. On se référera, à ce sujet, à l'article de P. Gaucher qui fait part de premiers résultats encourageants quant à l'efficacité de tels « ponts de forêt » sur les flux d'oiseaux de sous-bois, de chauve-souris et d'autres animaux. La question reste toutefois posée de la possibilité d'adopter de telles dispositions pour des routes en latérite non bitumées.

· Dans une forêt aménagée, avec des passages en coupe très espacés dans le temps (par exemple 40 ans, comme c'est le cas en Guyane française), on peut imaginer qu'il existe un réseau routier principal ouvert en permanence, entretenu et surveillé, et un réseau secondaire ouvert de manière temporaire pendant l'exploitation des parcelles qu'il dessert, qui serait fermé (barrières, tranchées) et/ou abandonné (plus d'entretien) après la coupe.

4.2 Les impacts négatifs indirects d'une route forestière

· Les défrichements incontrôlés et non conformes aux objectifs d'aménagement du territoire; c'est l'exemple ivoirien que nous avons donné au début de cet article (en rappelant que les pistes n'étaient toutefois pas la cause principale; elles n'ont fait que faciliter le mouvement).

· Une exploitation forestière illégale et tout aussi incontrôlée, comme c'est le cas actuellement dans bon nombre de forêts au Cambodge.

· Une pression de chasse excessive, comme on commence à le constater dans des forêts proches du littoral en Guyane française.

· Le développement de l'orpaillage clandestin, pour citer un second exemple guyanais (il faut toutefois mentionner, pour être complet, que l'orpaillage se développe même s'il n'existe pas de route à l'origine).

Pour faire face à cette situation, les conditions suivantes doivent être réunies:

· Le service forestier doit être présent sur le terrain et disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission (en particulier une partie des recettes forestières devrait lui être restituée pour qu'il puisse aménager et gérer durablement les forêts).

· Le gestionnaire doit veiller à intéresser les populations locales à la préservation du patrimoine forestier permanent.

· Le gestionnaire doit enfin pouvoir s'appuyer sur des textes législatifs et réglementaires.

5. Conclusion

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES ET MISE EN VALEUR
DES FORÊTS AU SOUDAN

M. Nori Hamid

Conseiller économique à l'Ambassade du Soudan, Bruxelles

1. Introduction

Le Soudan est le plus grand pays d'Afrique avec une superficie d'environ 2,6 millions de km2. Il a des frontières communes avec neuf pays et son climat varie selon les contrées, de la sécheresse du désert à l'humidité de l'Equateur. Les zones couvertes de forêts représentent près de 25 pour cent de la superficie du territoire, soit 150 millions de feddans; entre 1990/91 et 1994/95, le secteur forestier a contribué de moins de 1 pour cent au PIB, alors que durant la même période, la contribution du secteur agricole au PIB s'est élevée à près de 28 pour cent. Il est prévu d'accroître la superficie agricole irriguée d'ici l'an 2002, de 2,8 millions de feddans actuellement à 9 millions de feddans; aux termes de la législation, 10 pour cent de la superficie supplémentaire envisagée pour ce type d'agriculture devra être plantée d'arbres. L'agriculture pluviale devra atteindre 51 millions de feddans, dont 25 pour cent devront être couverts de plantations d'arbres, surtout dans les zones d'agriculture non irriguée exploitées à l'aide de moyens mécanisés modernes.

De nos jours, de vastes superficies dans différentes parties du pays sont couvertes de forêts, en plus des savanes arbustives pauvres et des pâturages naturels sur lesquels vivent près de cent millions de têtes de bétail, de nombreuses espèces d'animaux sauvages, y compris environ 35 000 éléphants, 450 types d'oiseaux, etc. Les forêts procurent des emplois et des vivres pour des millions de soudanais, qui utilisent les produits forestiers ligneux et non ligneux (pour en faire des meubles, des abris, des vêtements et des aliments), le gibier et les fruits. Le recensement de 1993 chiffrait la population nomade du Soudan à 14 pour cent de la population soudanaise (estimée à 29 millions d'habitants).

La répartition de la population soudanaise dépend des ressources naturelles des zones rurales, dans la mesure où elles permettent le pâturage des animaux, l'agriculture, la cueillette de fruits et la production de bois. Actuellement, quelque 70 pour cent de la population vit en milieu rural; l'agriculture, l'élevage et la récolte de produits forestiers sont les principales sources de revenu et d'emploi.

2. Les produits forestiers

Dans différentes parties du pays on retrouve des types différents d'arbres en raison du climat et de l'introduction de nouvelles variétés ou d'arbres exotiques. De nos jours, les principaux produits des arbres au Soudan sont les suivants:

· Les acacias et d'autres arbres fournissent le fourrage pour trois millions de chameaux, des millions de chèvres, de girafes, etc.

· Le bois pour l'édification de logements, la fabrication de meubles, de traverses de chemin de fer, les fibres de feuilles, des matériaux pour usages industriels, du bois de chauffage et du charbon de bois.

· Dans certaines parties du pays, de nombreux habitants dépendent encore des fruits cueillis sur les arbres pour assurer leur nourriture et leurs revenus, notamment d'arbres comme l'acacia, le baobab, le neem, le palmier dattier, le palmier à huile, le palmier doum, etc.

· L'Acacia senegal et l'A. seyal, les arbres plus importants du Soudan en raison de leur production de gomme arabique représentant 5 à 10 pour cent des exportations totales du Soudan au cours des cinq dernières années.

3. Les routes au Soudan

4. Développement et construction de routes

5. Routes et déforestation

· Les routes augmentent la rentabilité de l'élevage du bétail: la valeur nette de la viande et d'autres produits d'origine animale augmente plus vite que le prix des produits forestiers, stimulant ainsi la liquidation des forêts au profit de cette activité économique.

· Les routes ouvrent la voie au tourisme (tourisme non seulement floristique mais aussi cynégétique); or, les touristes peuvent provoquer des incendies de forêt: les exemples ne manquent pas au Soudan, comme celui du massif de Jebel Mara dans les années 70.

· Les routes entraînent aussi une extraction intensive d'arbres pour assurer des approvisionnements en grumes, pièces pour charpente, matériaux de construction des bidonvilles autour des centres urbains, bois de feu et charbon. Ces arbres sont transportés surtout pour leur utilisation dans les centres urbains et pour l'exportation.

L'agriculture traditionnelle sur brûlis conduit à remplacer les forêts par des cultures. Il arrive que la dégradation des sols fasse baisser la productivité des terres. En outre, les bas prix réalisés par les produits récoltés sur le marché intérieur et à l'exportation poussent à défricher davantage de forêts pour soutenir les revenus; cette situation est d'autant plus grave que le changement social qui accompagne la construction de routes fait naître des besoins croissants.

6. L'infrastructure routière au service du développement forestier

Sur des routes non asphaltées ou non pavées, il est difficile de lutter contre le braconnage (par exemple de bois, de charbon et d'animaux sauvages). Les routes non pavées ne peuvent être empruntées que par des camions relativement légers (3-10 tonnes) qui ne peuvent pas tous être contrôlés. La présence de routes asphaltées favorise la création d'entreprises de transport et l'exploitation de poids lourds (20-60 tonnes) souvent avec des remorques. L'expérience passée a prouvé que les entreprises de transport ont tendance à respecter les règles de circulation et à moins faire de braconnage, surtout parce qu'elles ne peuvent éviter les points de contrôle le long des routes asphaltées et pavées.

7. Produits forestiers non ligneux

Les routes permettent de développer le tourisme, encourageant ainsi la création de parcs nationaux et de réserves d'animaux. En effet, trois parcs nationaux ont été créés pour la protection de la faune et la production de gomme arabique. L'un d'eux a une superficie de 6 700 km2. En abaissant le coût des transports, les routes favorisent la production de produits forestiers non ligneux, ce qui est très important à deux titres: du point de vue socio-économique et du point de vue écologique. Si les produits non ligneux acquièrent de la valeur, des plantations forestières sont créées par le secteur privé: la production de fibres des feuilles du palmier doum, de baobab, de dattiers et de neem s'en verra stimulée. Le meilleur exemple en est la rapide multiplication des plantations d'Acacia senegal et d'Acacia seyal par des entreprises privées pour produire de la gomme arabique: en quelques années, l'abattage d'arbres a cessé, près de 2 millions de feddans ont été plantés d'A. senegal, et la production a triplé.

L'augmentation de la valeur des produits forestiers non ligneux attribuable aux facilités de transport et à une commercialisation bien organisée par la coopération des producteurs, une bonne transformation et un accès facile aux marchés locaux et étrangers auront pour résultat la conservation des forêts, voire des accroissements nets des superficies forestières. Bien évidemment, il ne faut pas oublier les conséquences positives supplémentaires qui découlent de la création d'emplois, qui réduisent du même coup la nécessité d'entreprendre des activités agricoles.

L'introduction de certains arbres exotiques comme le neem et le conditionnement de ses fruits, ainsi que le développement de l'apiculture et de certaines cultures sous les arbres arrêteront la déforestation au profit des cultures. Au Soudan, la culture de certaines plantes comme le sésame, le sorgho et le millet sous les gommiers (Acacia senegal) est très fructueuse étant donné que l'arbre perd ses feuilles à la saison des cultures. L'huile comestible peut être extraite de dattes pour remplacer l'huile d'arachide utilisée dans les régions les plus touchées par la désertification et la dégradation des sols. La construction de routes stimule la création de ranches modernes en réduisant les coûts et les pertes de bétail (les longs voyages sur pied jusqu'aux marchés sont inutiles, moins d'animaux risquent de mourir en route). Les élevages modernes de chameaux conduiront à la création de nouvelles forêts et de jardins d'acacias afin de produire les feuilles qui servent de fourrage aux chameaux.

Grâce aux routes, les bombonnes de gaz viennent remplacer le bois de feu et le charbon de bois, ce qui permet de réduire la consommation de bois dans les zones rurales et dans les villes régionales. Grâce aussi aux facilités de transport, les matériaux de construction sont transportés vers les campagnes: les tôles d'acier et de zinc remplacent des toits de bois et d'herbe; le ciment et d'autres matériaux remplacent les poteaux utilisés dans la construction. Ces substitutions s'opèrent rapidement dans les zones urbaines, dans les secteurs et services d'utilité publique et dans la construction de logements. La disponibilité de matériaux de construction moderne (soit produits localement ou importés) entraîne de grands changements dans la conception des maisons et une demande moins exigeante de bois. Le réseau routier amélioré rend possible le transport de réfrigérateurs et de cuisinières modernes qui eux aussi réduisent la consommation d'énergie, surtout de bois de feu.

Les routes créent de nouvelles possibilités d'emploi et de revenu dans le secteur du transport (chauffeurs) et dans des restaurants et garages le long des accotements. La pression sur les terres agricoles s'en trouve atténuée. De plus, les routes permettent de faire connaître aux populations locales de nouveaux types d'aliments, de changer ainsi leurs habitudes alimentaires et de remplacer les produits des récoltes traditionnelles par des denrées importées, comme le riz, le blé, les haricots et les lentilles.

8. Conclusion

En guise de conclusion, je peux dire que les routes permettent l'expansion de l'agriculture, l'augmentation d'un cheptel de valeur et le développement du tourisme. Si les lois et les règlements imposant la plantation de 25 pour cent d'arbres dans le cadre de chaque programme d'agriculture pluviale et de 10 pour cent dans les programmes d'agriculture irriguée sont rigoureusement appliqués, l'expansion forestière sera possible. Le développement du tourisme du fait de l'attrait que suscitent les parcs cynégétiques a permis la création de trois grands parcs nationaux. Si elles sont bien gérées et surveillées en vue d'éviter le braconnage et les abattages illicites, les routes peuvent servir à freiner le déboisement et à augmenter la valeur des produits forestiers non ligneux, encourageant ainsi l'investissement privé dans des activités telles que la création de jardins de gommiers et l'élevage d'autruches et d'antilopes. Les signes d'un tel progrès sont déjà manifestes au Soudan.

MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR

S. Rietbergen

Chargé de Programme conservation des forêts de l'UICN, Gland, Suisse

1. Introduction

Ainsi qu'il est dit dans un rapport récent, l'infrastructure représente sinon le moteur, du moins les roues de l'activité économique. Dans de nombreux pays en développement où la majorité de la population vit en milieu rural, il est essentiel d'améliorer l'infrastructure routière si l'on veut accroître la productivité, par exemple en réduisant le temps et le travail nécessaire pour amener les récoltes au marché, ou en limitant l'emploi de personnel hors exploitation (Banque mondiale, 1994). Il n'en reste pas moins que les inquiétudes se multiplient au sujet des incidences défavorables pour l'environnement forestier que l'on peut imputer à la création d'infrastructures routières destinées à faciliter l'exploitation et d'autres activités économiques. Bien évidemment, l'impact écologique n'est qu'un des nombreux critères qui doivent être pesés les uns par rapport aux autres lorsqu'il s'agit de déterminer s'il faut ou non construire une route et, dans l'affirmative, quel en sera le meilleur tracé. Hormis les deux types d'impact écologique, négatif et positif, certaines considérations peuvent entrer en ligne de compte, telles que les travaux de construction, les coûts financiers, les rendements économiques et les incidences sociales (voir encadré 1: des exemples de critères appliqués au choix entre différentes solutions pour le tracé d'une route à péage dans le nord de Java en Indonésie).

Encadré 1: Critères du choix entre différents tracés de route

· Coûts de construction et d'entretien, y compris l'acquisition de terres et les coûts de transfert des habitants;

· Réduction du temps de trajet et des dépenses de fonctionnement des véhicules permettant des économies aux usagers de la route;

· Soutien des politiques de développement économique et conformité aux plans nationaux et régionaux;

· Incidences sur les aires protégées, l'écologie et l'esthétique;

· Incidences directes et indirectes sur la vie des ménages et l'intégrité des communautés.

(Source: Banque mondiale, 1996)

Le reste de cet article sera consacré à une brève discussion concernant d'une part les incidences négatives directes et indirectes de la construction et de l'entretien des routes sur l'environnement et, d'autre part, les moyens permettant de prévenir ou d'atténuer ces incidences.

2. Incidences environnementales négatives de la construction et de l'entretien des routes

La construction de routes a des incidences à la fois directes et indirectes. Ses incidences directes, qui comprennent l'érosion, la pollution et la perturbation des habitats, peuvent souvent être évitées ou atténuées sans difficulté en appliquant des directives écologiques simples lors de planification et de la construction des routes. Ces directives existent depuis de nombreuses années (voir la section suivante), mais elles ne sont que rarement respectées par les exploitants et autres intervenants dans la construction de routes, bien qu'un bon nombre d'entre elles permettent de réduire tant l'impact environnemental que les coûts financiers.

L'absence d'entretien des routes peut conduire à une érosion considérable, tout comme de mauvaises pratiques d'entretien telles qu'une élimination excessive de buissons et d'arbres, et le blocage des voies de drainage par la décharge de détritus. En outre, la nappe phréatique risque d'être perturbée ou polluée. Là encore, il existe des directives simples destinées à empêcher ou atténuer la plupart de ces effets négatifs - mais elles sont rarement appliquées.

Les incidences indirectes sont souvent plus graves et plus difficiles à éviter. La percée de nouvelles routes dans des zones forestières, auparavant inaccessibles, peut être la cause d'un déboisement important en exposant ces zones à la colonisation par des agriculteurs. Lorsque ces routes relient des zones riches en faune à de grands marchés urbains de viande de gibier, comme c'est souvent le cas en Afrique centrale, les conséquences pour les populations animales peuvent être dévastatrices. Or, les routes peuvent souvent être tracées de manière à éviter les zones les plus vulnérables, mais les autorités chargées de la gestion des aires protégées et de l'environnement sont rarement impliquées au début du processus de décision concernant l'infrastructure routière.

3. Mesures pour éviter et atténuer l'impact écologique négatif

L'étude, le tracé, la configuration et la construction de routes, ponts, chaussées et gués devraient être conçus de manière à réduire au minimum les dommages écologiques en respectant les limites de dimensions, catégories routières, exigences en matière de drainage et préservation de bandes tampons le long de cours d'eau (encadré 2), de même qu'en évitant des aires écologiquement importantes.

Encadré 2: Mesures visant à atténuer l'impact négatif de la construction de routes

· Respect des limites maximales de dimension des rampes et des routes et de la largeur de dégagement pour les diverses catégories de voies forestières.

· Tracé des voies réduisant au minimum les terrassements et facilitant l'écoulement des eaux. Pente maximale admissible et dérogations possibles à cette règle (lorsque le délai de construction peut être notablement raccourci, les terrassements réduits, et qu'un drainage satisfaisant peut être assuré).

· Le drainage peut être réalisé soit par fossés latéraux (de dérivation), dalots ou buses, soit simplement en des points qui, par nature ou destination, permettent l'écoulement à partir de la chaussée.

· Eviter autant que possible les mouvements de terre (par exemple déblais latéraux) lors de la construction de routes.

· Ouvrages de franchissement des cours d'eau: spécifications pour ouvrages de franchissement permanents; franchissement provisoire aménagé en des points où le lit du cours d'eau est formé de matériaux stables et où la remise en état des berges est possible; gué garni de rondins ou de gravier stabilisé si nécessaire.

· Délimitation de bandes tampons ou de réserves en bordure de cours d'eau et autres zones interdites d'accès devant rester intactes, sauf là où le passage est autorisé; largeur des bandes proportionnelle à la largeur des cours d'eau.

(Source: OIBT, 1990)

Les gouvernements devraient se doter de mécanismes de planification propres à impliquer les autorités chargées de la gestion des aires protégées et de l'environnement aussitôt que possible dans la prise de décisions relatives à l'infrastructure routière, de sorte que la préférence soit accordée aux tracés évitant les zones les plus vulnérables.

Etude des routes. Des cartes de niveau des zones de concession aideraient les entreprises d'exploitation à planifier correctement les voies d'extraction et à maîtriser les inclinaisons de terrain. Les pentes escarpées non seulement provoquent l'érosion et la pollution des rivières et des cours d'eau, mais elles entraînent aussi une usure excessive des camions et des pneus. De même, le tracé des ponts et ponceaux devrait être planifié avant la construction des routes --- ce qui est rarement le cas dans la pratique.

Construction des routes. De nombreuses routes sont maintenant construites juste avant l'exploitation forestière, mais il faudrait que les voies d'extraction soient construites au moins six mois, et de préférence une année, avant la production afin de permettre une exposition satisfaisante aux éléments atmosphériques et la stabilisation des sols. Au lieu de procéder correctement au moyen de pilonneuses et de rouleaux compacteurs pour sceller la surface et permettre le ruissellement de l'eau de pluie, la pratique actuelle consiste à ne pas employer ce matériel mais plutôt à défricher une large superficie sur les côtés de la route pour empêcher l'eau de se déposer à la surface. Ainsi, alors qu'un défrichement de 8-10 m de part et d'autre serait adéquate dans le cas de routes correctement construites et bien drainées, il arrive souvent que l'on défriche totalement jusqu'à 20 m sur chacun des deux côtés de la route pour permettre le séchage au soleil ou un séchage rapide (Gartlan, 1992).

Entretien des routes. Un entretien des routes bien planifié et surveillé est essentiel pour minimiser l'impact des routes sur l'environnement. Préserver les arbres au moment de l'apport de matériaux, recouvrir le sol de branchages dégarnis pour faciliter l'écoulement de l'eau et la croissance de la végétation naturelle, planter des arbres, rétablir les courants de drainage naturel précédents, creuser des fossés pour recueillir les eaux de ruissellement, éliminer les détritus en amont du fossé à une distance suffisante de l'accotement et en contre-pente afin d'empêcher la pollution de l'eau du fossé par des particules entraînées par la pluie, sont autant de mesures qui permettent d'éviter ou d'atténuer une grande partie des dommages potentiels. L'inclusion, dans les contrats d'entretien des routes, de simples clauses spécifiant de telles mesures apporterait d'énormes bénéfices écologiques si elles étaient respectées, et leur application surveillée (Lantran, 1994).

Accès. La forêt permanente de production devrait être protégée des activités qui sont incompatibles avec la production durable de bois, telles que l'empiétement par des colons en quête de terres agricoles, ce qui se produit souvent lorsque la forêt est rendue accessible. Il convient de contrôler strictement l'accès aux voies d'exploitation qui ne font pas partie de l'infrastructure nationale (c'est-à-dire des grands axes routiers; OIBT, 1990). Parmi les mesures spécifiques que les exploitants peuvent prendre, il faut citer la distribution de viande de b_uf ou autre viande aux ouvriers à des prix raisonnables, et l'interdiction à leurs personnels de chasser le gibier à des fins commerciales et d'amener cette viande de gibier aux centres urbains sur des camions de l'exploitation (voir par exemple, BmZ/UICN, 1997). Comme bien souvent, mieux vaut prévenir que guérir. Dans les cas où l'accès des routes ne peut être efficacement surveillé, d'autres moyens d'évacuer le bois (par exemple, flottage en radeaux, transport ferroviaire) sont préférables - mais ils ne sont pas toujours réalisables.

4. Conclusions et recommandations

Certaines des incidences négatives de la construction de routes d'exploitation sont inévitables, mais la plupart peuvent être évitées en planifiant correctement et en respectant des normes élémentaires de construction et d'entretien des routes. Les gouvernements devraient se doter de mécanismes de planification propres à impliquer les autorités chargées de la gestion des aires protégées et de l'environnement aussitôt que possible dans la prise de décisions relatives à l'infrastructure routière, de sorte que la préférence soit accordée aux tracés évitant les zones les plus vulnérables.

Les incidences directes sont souvent moins graves et plus faciles à éviter que les incidences indirectes dues au fait que les routes ouvrent l'accès aux agriculteurs itinérants et aux chasseurs. Les exploitants peuvent prendre des mesures spécifiques pour atténuer l'impact indirect, par exemple en interdisant à leur personnel de chasser le gibier à des fins commerciales. Là où l'accès des routes ne peut être efficacement surveillé, il est préférable de prévenir l'impact sur l'environnement en mettant au point d'autres systèmes pour transporter le bois d'_uvre.

Références

Banque mondiale (1994), Rapport de 1994 sur le développement dans le monde: L'infrastructure au service du développement, Washington, D.C.

Banque mondiale (1996), Environmental Assessment Sourcebook Update No.17: Analysis Alternatives in Environmental Assessment, Département de l'environnement de la Banque mondiale, Washington, D.C.

BmZ et UICN (1997), Assessment of the CIB Forest Concession in Northern Congo, Etude entreprise pour le compte du Bundesministerium für Wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung par l'Union mondiale pour la conservation, Bonn et Gland

Gartlan, S. (1992), «Practical Constraints on Sustainable Logging in Cameroon», In Cleaver et al., éditeurs, Conservation of West and Central African Rainforests, Banque mondiale, Environnement N°1, Washington, D.C.

Lantran, J.M. (1994), «Road Maintenance and the Environment», World Bank Infrastructure Notes No. RD-17, Banque mondiale, Washington, D.C.

Organisation internationale des bois tropicaux (1990), «Directives de l'OIBT pour l'aménagement durable des forêts tropicales naturelles», OIBT Série technique N°5, Yokohama

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES FORÊTS TROPICALES AU LIBÉRIA

A.J. Taplah

Directeur général adjoint pour les opérations, Office de développement de la sylviculture (FDA) à Monrovia (Libéria) et Chargé de cours au Département des sciences du bois du Collège d'agronomie et de sylviculture à l'Université du Libéria

1. Introduction

Les ressources floristiques et fauniques du Libéria représentent ensemble la biodiversité du pays. Au Libéria, les futaies recouvrent 4,8 millions d'ha, soit 49,8 pour cent des 98 420 km2 de la superficie totale du pays. Le restant des superficies boisées est couvert de divers types de végétation - mangroves, savane, marécages, plantations, etc.

D'après la dernière évaluation de ses ressources forestières effectuée en 1985, le Libéria possède une réserve forestière totale correspondant à 79 millions de m3. Des principes d'aménagement forestier durable étant mis en pratique, la possibilité annuelle du Libéria se monte à quelque 3,2 millions de m3. Ce chiffre n'a jamais été obtenu dans l'histoire des prélèvements de grumes au Libéria; en 1988, un chiffre record de 1,008 millions de m3 avait été réalisé. Ainsi, la biodiversité du Libéria est encore riche et, si elle est bien gérée sur la base d'un aménagement forestier durable, elle peut durer à perpétuité.

2. Entreprises d'exploitation et développement de l'infrastructure

Face à cette vaste ressource forestière, le gouvernement a tenté au cours des années passées d'exploiter la forêt pour en tirer des revenus. Les investisseurs arrivèrent au Libéria pour s'engager dans le secteur de la foresterie de l'économie nationale. Dans le cadre de leurs accords de concession avec le Gouvernement libérien, les sociétés étaient tenues de construire, entre autres, des routes reliant les exploitations aux marchés, aux écoles, aux dispensaires et aux centres de loisirs. Les concessionnaires devaient, en outre, construire des scieries, des usines de contreplaqués et de placages. En conséquence, il existait avant la guerre civile, 40 entreprises d'exploitation, 18 scieries et 3 usines de placages et de contreplaqués. La mise en place de ces installations créa, dans les zones rurales, des emplois qui permettaient aux habitants de gagner leur vie. De plus, les écoles, les dispensaires et les routes construites par les forestiers pour relier les exploitations aux marchés sont les seuls qui existent dans certaines localités. On peut donc dire que l'établissement de réseaux routiers par les exploitants forestiers au Libéria contribua au développement socio-économique du pays.

Avant à la guerre, les exploitants construisirent des routes qui reliaient de nombreux villages et les principales villes aux grands axes publics. Par exemple, dans le comté de Nimba, les voies d'exploitation allaient de Karnplay à Bahn, puis à Saclepea. De même, dans le comté de Iofa, une entreprise forestière établit une voie de communication entre la ville enclavée de Vahun et le reste du pays. Ces routes sont construites à travers la forêt tropicale ombrophile et, dans la plupart des cas, la récolte est autorisée sur 40 chaînes de part et d'autre de la route afin de réduire les coûts.

Actuellement, à la suite de l'élection et de l'installation d'un nouveau gouvernement au Libéria, les entreprises d'exploitation forestière ont été les premières à remettre en état nos grands axes routiers. Le Gouvernement n'ayant pas les moyens financiers pour exécuter des réparations majeures, cette restauration du réseau routier est extrêmement bienvenue et facilite non seulement le transport de grumes et autres produits forestiers jusqu'aux ports d'expédition, mais aussi l'approvisionnement nécessaire des divers marchés en denrées alimentaires et produits des cultures de rapport.

3. Agriculteur traditionnel ou bûcheron

Les routes d'exploitation forestière étant construites pour relier les villes principales aux autres agglomérations, les paysans peuvent aussi accéder facilement au marché. Il convient ici de noter que les agriculteurs traditionnels sont toujours en quête de sols fertiles. Ces sols, ils les trouvent sous le couvert forestier. Se déplaçant le long des routes d'exploitation forestière, ils choisissent des terrains dans des zones parcourues par les coupes, procèdent à des coupes à blanc et ensuite aux brûlis. Cette tradition de coupe à blanc et brûlage par les paysans est très destructrice pour la riche biodiversité du Libéria. Dans d'autres cas, des chasseurs se rassemblent en équipes et empruntent les routes d'exploitation pour pénétrer loin à l'intérieur de la forêt tropicale ombrophile du Libéria et s'adonner au massacre général de la faune. Il arrive que ces chasseurs campent dans la forêt pendant plusieurs jours, tuant et séchant jusqu'à 5 tonnes d'animaux sauvages. Cela représente une destruction aberrante de la faune du Libéria. En conséquence des activités décrites ci-dessus, on peut voir, si on survole le pays en avion ou en hélicoptère, des parcelles fermières au milieu de la forêt tropicale du Libéria.

Dans d'autres cas, les paysans suivent les routes d'exploitation forestière pour pénétrer dans la forêt en profondeur et y créer des cultures de rapport. Ces plantations produisent en général des oranges, du café, du cacao et du caoutchouc naturel. L'établissement de telles fermes entraîne la réduction des superficies sous le couvert forestier et des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Une estimation prudente de la perte de terres forestières au profit de l'agriculture au Libéria est de l'ordre de 40 000 ha chaque année.

4. Que faut-il faire?

Compte tenu de ce qui précède, on peut conclure que les infrastructures routières dans la forêt du Libéria sont nécessaires mais il faut veiller à ce que la construction du réseau de voies forestières soit convenablement planifiée et bien coordonnée. Au cours du processus d'étude, il faudrait que le tracé des routes tienne compte des villes et des villages avoisinants qui ont besoin d'être à proximité de voies de communication entre la ferme et le marché.

Par exemple, la construction d'une route d'exploitation qui reliera le comté de Grand Bassa au comté du bas Nimba est en cours au Libéria. Cette route traverse le massif de Krahn-Bassa qui fait partie de la forêt tropicale ombrophile du Libéria. Dans un autre cas, une importante concession de bois a terminé la construction d'une grande autoroute qui relie les deux villes portuaires de Buchanan et Greenville. Une autre route d'exploitation relie Greenville à Kahnweaken dans le comté central de Grand Gedeh. Ces réseaux routiers ont facilité l'exode des populations durant la guerre civile au Libéria. Ils ont aussi rendu possible la livraison de denrées alimentaires de première nécessité et d'approvisionnements médicaux aux autochtones déplacés à l'intérieur du pays, y compris femmes et enfants. Grâce aux efforts déployés par les entreprises d'exploitation forestière pour la construction de routes, d'importants objectifs de développement ont été réalisés. Des ponts ont été bâtis avec des grumes. Maintenant que la paix et la stabilité sont revenues au Libéria, l'auteur lance un appel aux organisations non gouvernementales, à l'Union européenne, au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), et au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, entre autres, pour qu'ils aident le Libéria à remplacer ces ponts en bois par des ouvrages permanents en béton.

5. Conclusion

Si l'on se base sur les avis exprimés dans cet article, force est de conclure que ces infrastructures routières dans les forêts tropicales ont immensément contribué au développement national. Depuis le début des activités d'exploitation forestière au Libéria, le réseau routier construit par les exploitants a permis de dispenser plus rapidement les services de santé primaires. Ces routes ont aussi aidé nos agriculteurs traditionnels à livrer leurs produits agricoles aux marchés.

Au Libéria, les entreprises forestières ont aidé à ouvrir les campagnes grâce aux réseaux routiers. Si cette tâche avait été confiée au seul gouvernement central, le Libéria serait encore largement inaccessible de nos jours. En conclusion, l'auteur a la conviction que les réseaux routiers qui sillonnent les forêts du Libéria ont apporté le développement au pays et à ses habitants à partir de la fin des années soixante et jusqu'à ce jour.

INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES DANS LES FORÊTS TROPICALES AU GHANA

P. Tweneboah

Planificateur principal, Ministère du territoire et des forêts, Ghana

1. Introduction

Les futaies du Ghana couvrent une superficie de 2 000 km2, soit environ un tiers du territoire. Les forêts du Ghana font partie de la région phytogéographique guinéo-congolaise, où la flore et la faune ont de fortes affinités avec celles de la Côte d'Ivoire, du Libéria et de la Sierra Leone et une affinité moindre avec les forêts du Nigéria, dont elles sont séparées par la plaine aride du Dahomey. La zone de futaies est divisée selon les types de végétation, chacun présentant des associations distinctes d'espèces de plantes et correspondant aux conditions des précipitations et des sols (Hall et Swaine, 1981). Quatre grands types écologiques ont été identifiés dans la forêt, à savoir les formations ombrophiles sempervirentes, humides sempervirentes, humides semi-décidues et sèches semi-décidues (Hall et Swaine, 1976). Du point de vue floristique, elles correspondent respectivement aux associations Cynometra-Lophira-Tarretia, Lophira-Triplochiton (forêt pluviale), Ceitis-Triplochiton et Antiaris-Chlorophora (Taylor, 1976). Il n'y a cependant aucune ligne de démarcation distincte entre les associations, l'une imperceptiblement se mélangeant à l'autre. De façon générale, la forêt la plus humide dans le sud-ouest devient de plus en plus sèche à mesure qu'on se déplace vers le nord et vers l'est.

Les futaies du Ghana, comme les autres forêts ombrophiles tropicales du monde, sont caractérisées par une composition floristique riche et complexe. Elles renferment, par exemple, plus de 2 100 espèces végétales, dont 730 sont des espèces d'arbres parmi lesquelles 680 ont un diamètre à hauteur d'homme (d) de 5 cm environ (Hall et Swaine, 1981). Hawthorne (1989) a observé que 420 espèces d'arbres sont courantes et largement réparties. Cent-vingt-six espèces d'arbres poussent jusqu'à atteindre les dimensions nécessaires pour en tirer du bois d'_uvre. Cinquante de ces essences sont considérées commercialisables (François, 1987) et 66 ont été exportées au moins une fois depuis 1973.

Selon le système d'aménagement forestier, les forêts ghanéennes peuvent entrer dans les catégories de forêts classées et non classées. Les forêts classées s'étendent sur une superficie approximative de 2,1 millions d'ha. Le Ghana a établi 266 réserves forestières, dont 204 occupent 1,6 million d'ha dans la zone de futaies et 62, couvrant 0,6 million d'ha, dans la zone de savane. Les réserves de production constituent presque 45 pour cent de l'ensemble du domaine forestier, le reste étant destiné à la protection, à la conversion et à la recherche. Les superficies forestières classées ont été délimitées et sont gérées comme des domaines forestiers permanents pour la préservation des ressources vitales en sols et en eaux, pour la conservation de la diversité biologique et de l'environnement et pour la production durable de produits domestiques et commerciaux. Du point de vue juridique, le Département des forêts est responsable envers les propriétaires terriens de la gestion de ces forêts. Les réserves forestières représentent le domaine forestier permanent de la nation, d'où on extrait la plus grande partie du bois d'_uvre du pays. Jusqu'à une date récente, les forestiers ghanéens n'envisageaient la possibilité d'un rendement soutenu que dans les seules forêts classées.

La forêt non classée fut largement boisée au début du siècle mais elle disparaît rapidement à mesure que les terres forestières cèdent la place à d'autres utilisations. Les forêts présentant un couvert continu en dehors des réserves sont estimées à 0,3 million d'ha. Cependant, le Département des forêts estime la superficie boisée totale hors réserves à 0,5 million d'ha. Les superficies hors réserves ayant un potentiel élevé pour la foresterie privée et les activités agricoles, elles sont destinées à être appropriées et converties à l'agriculture. Ces superficies sont couvertes de forêts intactes, de jachères forestières et de zones de cultures. La couverture arborescente des forêts intactes (situées pour la plupart dans la région occidentale du pays) est touffue et sa composition est semblable à celle des zones de réserves. Les jachères forestières résultent du recrû dans des exploitations abandonnées et présentent un potentiel élevé de développement en futaies, si elles sont gérées adéquatement. Les terres agricoles sont caractérisées par une densité relativement forte d'arbres. Les résultats d'un inventaire forestier conduit par le Département des forêts du Ghana, avec le soutien de l'Administration pour le développement outre-mer (devenu le Département pour le développement international) du Royaume-Uni, a révélé que les arbres présents dans les zones forestières hors réserves correspondaient à un matériel sur pied d'environ 268 millions de m3 de forme convenant à une classification dans la catégorie de bois d'_uvre.

La végétation forestière naturelle du Ghana a été considérablement modifiée et, à certains endroits, complètement éliminée par les activités humaines telles que l'agriculture, le feu, l'exploitation forestière et la construction de routes. Cela signifie que l'habitat forestier naturel des arbres et des espèces animales (flore et faune) n'est plus intact. Une grande partie de la forêt ghanéenne a été détruite au cours des quelques décennies passées pour répondre à la demande sans cesse croissante de bois sur les marchés locaux et les marchés d'exportation. Au début du siècle, la zone forestière du Ghana couvrait près 34 pour cent de la superficie totale du territoire. En 1987, toutefois, plus de 75 pour cent des terres à l'origine couvertes de forêts avaient été déboisées (Département des forêts, 1987). On pense que, dans la plupart des cas, le premier pas vers la dégradation forestière dans les forêts tropicales ombrophiles d'Afrique est fait lorsque la construction de routes forestières est entreprise. Il existe, hélas, très peu de données sur les conséquences de la construction de routes en terme de déboisement.

Les routes construites dans la forêt sont de deux types. Les premières sont des voies d'exploitation et les secondes relient deux grandes villes ou villages. Les études effectuées au Ghana indiquent que près 1,5 pour cent de la superficie totale de forêts exploitées correspond à des routes (Agyeman et al., 1995). La superficie occupée par des routes au Ghana est du même ordre qu'au Nigéria, où les routes construites pour l'exploitation de la zone du plateau de Jos représentaient 1,1 pour cent des superficies hors des forêts (terres agricoles) (Popoola et Nkwatoh, 1994). Cependant, 11 pour cent de tous les dégâts causés par l'exploitation sont dus à la construction de routes (reliant deux villes ou agglomérations), ce que l'on peut attribuer principalement au fait qu'un nombre beaucoup plus grand de collectivités s'installent le long de ces routes en raison de leur grande accessibilité.

Le présent article tente de retracer l'histoire de l'exploitation forestière au Ghana et des incidences qu'elle a eues sur le déboisement. Il compare également la destruction des forêts attribuables aux voies d'exploitation forestière ou aux routes reliant des villes.

2. Nature des routes forestières et politique y afférente

L'exploitation de ressources forestières en vue de satisfaire des besoins socio-économiques a entraîné la déforestation, par le passé, ainsi que l'épuisement et la dégradation des ressources. Dans le souci de réduire au minimum les dommages écologiques résultant de l'exploitation des ressources, le Ministère du territoire et des forêts a élaboré en 1994 une nouvelle politique sur les forêts et les espèces sauvages. Cette politique ne traite pas spécifiquement des routes forestières, mais elle établit des directives générales concernant l'exploitation des ressources (sections 3.2.1 et 5.3.9), la conservation (sections 5.3.7 et 5.3.10) et l'aménagement (sections 3.2.3, 4.2.1 et 5.3.2), domaines dans lesquels les voies forestières entrent en ligne de compte.

Par ailleurs, le développement et les activités du secteur de la foresterie sont guidés par un autre texte d'orientation qui est le Plan directeur pour le développement de la foresterie (Forestry Development Master Plan, 1996-2020). Ce plan est un programme d'action exhaustif destiné à guider la mise en _uvre des moyens d'action et des stratégies clés des pouvoirs publics jusqu'à l'année 2020. Le Plan directeur pour le développement de la foresterie met l'accent sur le développement de plans intersectoriels efficaces portant sur l'utilisation des terres, y compris la construction de routes forestières. Une importance primordiale a été donnée à l'intensification d'initiatives visant à protéger les ressources forestières grâce une participation active des communautés locales à leur gestion.

Les prescriptions spécifiques de la construction de routes forestières sont définies dans le Manuel de 1997 pour la récolte du bois, dont la teneur est inspirée du Plan directeur pour le développement de la foresterie, de la politique sur les forêts et des espèces sauvages de 1994. Ce Manuel précise dans le détail les modalités de l'exploitation et les caractéristiques des routes forestières. Il spécifie que tout exploitant doit préparer un plan-parcellaire d'exploitation qui comprend une carte au 1/10 000 indiquant essentiellement au tracé des routes et des pistes. Les normes ou spécifications d'exploitation définies dans le Manuel pour la récolte du bois sont les suivantes:

· Tout plan d'exploitation recommandant la construction et la réfection de routes publiques doit être approuvé par le ministère chargé de la voirie et des routes.

· Les routes forestières doivent être conçues de manière à perturber le moins possible les forêts et les exploitations agricoles dans les zones forestières hors réserves.

· Toutes les routes forestières doivent faire l'objet d'études de reconnaissance préalablement à leur construction et d'un compactage pour en prolonger la durée utile.

· Si la zone fait l'objet d'un second passage au terme d'une rotation de 40 ans, il faudrait tenter d'utiliser autant que possible l'ancien réseau routier.

· Les ponts doivent être construits perpendiculairement aux cours d'eau et rivières.

· Tous les cours d'eau, aqueducs et drains doivent être maintenus libres d'obstructions pendant les coupes.

· Afin d'éviter toute perturbation excessive des sols, tout arbre ayant un diamètre égal ou supérieur à 15 cm et situé sur le tracé de la route doit être abattu à la scie à chaîne dans l'axe de la route.

En plus de sa politique sur les forêts et les espèces sauvages, qui pose les fondements d'un aménagement efficace des forêts ghanéennes, le gouvernement a formulé le Plan directeur 1996-2020 qui sert à guider les opérations du secteur forestier en vue de réaliser l'aménagement durable des forêts.

Rigoureuses et concrètes, ces politiques du gouvernement, qui régissent l'emplacement et la construction des routes forestières, ont permis de n'occasionner que des dégâts relativement faibles à la forêt lors de l'exploitation. Par exemple, les dommages qui ont résulté des abattages illimités dans les réserves de Bura et Draw River au Ghana (Agyeman et al., 1995) ont été une fois et demie moins importants que ceux qui ont été observés à Bipindi au Cameroun (Duiker et Van Gemerden, 1989) et cinq fois moins que ceux observés dans la réserve forestière de Sapoba au Nigéria (Redhead, 1960).

3. Routes forestières et développement socio-économique des communautés locales

Les avantages qu'apportent l'exploitation et les routes forestières aux communautés locales consistent en une plus grande facilité d'accès aux produits forestiers non ligneux et en la présence de voies de communication entre villages (Agyeman, 1994). Spiers avait d'ailleurs aussi noté (1974) que ces mêmes facteurs constituaient, pour les communautés locales en la République de Corée, les principaux avantages de la construction de routes forestières. En dehors de ces avantages, la construction de routes dans les forêts n'a eu en soi que très peu d'effet sur le développement socio-économique des communautés locales.

C'est probablement parce que les routes étaient construites sans aucune forme de consultation avec les communautés locales directement intéressées. Les besoins et les aspirations des communautés concernant l'utilisation de la forêt entraient peu souvent en ligne de compte dans la récolte de bois en général et dans la construction de routes en particulier, ce qui engendrait une attitude négative et un sentiment d'animosité à l'égard de la foresterie et amenait les communautés à considérer celle-ci comme une menace à leurs moyens d'existence. Par le passé, l'aménagement forestier et la récolte de bois se faisaient de telle façon que les plus grands profits financiers revenaient au Département des forêts, mais que les communautés locales ne bénéficiaient que de très peu d'avantages socio-économiques. Le Ministère du territoire et des forêts a cherché à renverser cette tendance en formulant des stratégies concrètes dans sa politique de 1994 sur les forêts et les espèces sauvages, en vue d'assurer le développement socio-économique rapide des communautés tributaires de la forêt. Le Ministère du territoire et des forêts a aussi récemment mis en place des programmes destinés à accélérer le paiement aux communautés locales d'un certain pourcentage de royalties provenant de produits forestiers, conformément aux dispositions de la constitution du pays.

Les récentes cartes des zones boisées du Ghana, produites à partir d'images satellite, font ressortir que si les forêts classées sont largement intactes, les superficies hors des réserves sont complètement dégradées. Les lois et les politiques rigoureuses du gouvernement ont été partiellement efficaces, ayant réussi à protéger les forêts classées contre la dégradation et l'exploitation illégale que déclenche la construction des routes forestières. Selon Hall et Swaine (1981) et Hawthorne (1989), les forêts du Ghana sont parmi les mieux connues et les mieux protégées sous les tropiques. Il n'en reste pas moins que, par le passé, ces politiques n'encourageaient pas la participation des communautés locales à la gestion forestière. Les communautés tributaires de la forêt n'ayant pas été impliquées dans la planification de l'utilisation des forêts, elles ont éprouvé de la méfiance à l'égard des politiques du Département des forêts et le développement socio-économique postérieur à l'exploitation du bois ne s'est pas réalisé. La politique de 1994 sur les forêts et les espèces sauvages cherche à remédier à ce déséquilibre en améliorant le développement des communautés locales grâce à une participation accrue des celles qui dépendent de la forêt à tous les plans et à toutes les opérations de gestion forestière.

4. Incidences écologiques des routes forestières

Le commerce d'exportation des grumes a débuté en 1888. Jusqu'à l'ouverture du port de Takoradi en 1928, les billes étaient transportées par flottage jusqu'aux ports d'Axim et de Half Assini sur deux rivières, l'Ankobra et le Tano. A l'époque, la forêt ne subissait que très peu de dégâts étant donné le faible rendement obtenu. L'ouverture du port de Takoradi fut suivie par la période de dépression économique mondiale des années 30, puis de la guerre mondiale en 1939. L'industrie du bois ne se redressa que vers la fin des années 40. Pourtant, pendant cette période où l'industrie du bois était moribonde, la destruction des forêts se poursuivait encore à un rythme alarmant. D'après les statistiques du Département des forêts, le taux de déboisement des années 30 aux années 50 est estimé à 684 km2 par an.

Un comité d'enquête fut créé en 1951 par le Ministre du commerce, de l'industrie et des mines de l'Administration coloniale au Ghana (à l'époque la Côte-de-l'Or) pour évaluer la part de l'exploitation forestière, notamment celle de la construction de routes, dans la destruction des forêts du pays. Ce comité fut créé en raison de la rapide expansion de l'industrie du bois dans les années 40. Après une étude en profondeur, ce comité devait constater que «l'industrie du bois, en tant que facteur de destruction de précieuses forêts, n'est en rien aussi redoutable que le système traditionnel d'agriculture itinérante» (Timber Industry Report, 1951). Un comité précédent, mis en place par les chefs traditionnels Ashanti en réponse à une recrudescence des abattages dans cette partie du pays, avait formulé une conclusion analogue.

Les opérations de l'industrie du bois s'intensifièrent à partir de 1945 et atteignirent leur point culminant au début des années 70, pour graduellement décliner par la suite. Le Département des forêts estime qu'un tiers des forêts hors réserves ont été décimées entre 1955 et 1972. La rapidité du déboisement était attribuable principalement à l'augmentation des besoins en bois d'une population en croissance. D'autres raisons importantes sont à signaler: des pratiques agricoles peu rentables, y compris l'agriculture itinérante, et les politiques gouvernementales encourageant l'expansion de cultures (cacao) dans la zone forestière du pays.

Il devint apparent dans les années 80 que des mesures institutionnelles énergiques devaient être prises si l'on voulait éviter des dommages écologiques et garantir un aménagement forestier durable. Le Gouvernement ghanéen procéda donc à décourager la conversion de forêts naturelles en exploitations agricoles au cours des années 80, tout en réduisant le taux d'exploitation du bois afin de minimiser la dégradation forestière. C'est sans doute ce qui explique le taux de déboisement annuel d'à peine 220 km2 entre 1981-1985, signalé par la FAO (1988) pour le Ghana. Agyeman (1997) a cependant fait observer que la baisse du taux de déforestation pouvait traduire le fait qu'il ne restait plus, en dehors des réserves, qu'une petite superficie forestière où pratiquer les coupes. On peut conclure de ce qui précède que si la construction de routes est un facteur important influençant la destruction des forêts, il existe néanmoins d'autres causes plus importantes.

En général, il est admis que les routes qui relient des grandes villes en passant par la forêt occasionnent relativement plus de dommages que les routes construites à des fins d'exploitation forestière, c'est parce que les routes forestières reliant les grandes villes sont plus permanentes et mieux desservies par des véhicules. Une plus grande accessibilité encourage les agriculteurs à pénétrer dans des aires forestières qui se contractent de plus en plus. En relativement peu de temps, ces agriculteurs se déplacent rapidement de la lisière des forêts vers d'autres zones forestières à cause de l'érosion et de la perte d'éléments nutritifs des sols résultant de pratiques agricoles inadaptées.

Selon Swanston (1971), les routes forestières constituent l'opération la plus nuisible pour les forêts, suivie par les abattages et l'agriculture itinérante sur brûlis. Les dégâts attribuables aux routes sont plus importants dans les zones forestières où la densité des populations est relativement élevée: par exemple, dans la partie centrale du pays où les établissements humains se développent extrêmement vite. Selon Cha Du Song et al. (1996), les routes forestières sont à l'origine d'une augmentation des ordures et détritus à éliminer; en outre, elles compromettent la valeur esthétique du paysage, endommagent les terres arables et réduisent les superficies forestières. Des routes mal situées, construites en dépit du bon sens et des abattages incorrectement planifiés dérèglent le ruissellement normal des eaux, provoquent l'érosion des sols et la sédimentation des cours d'eau, et finissent par perturber l'environnement. Ces dommages peuvent être évités ou minimisés grâce à une planification anticipée des méthodes de coupe et d'extraction, et en prévoyant de bien situer et construire les routes et les pistes d'exploitation (Spiers, 1974).

5. Conclusion

Les routes forestières ont généralement eu très peu d'effets sur le développement socio-économique des communautés tributaires de la forêt. Par ailleurs, les routes construites aux fins d'exploitation forestière ont eu relativement peu d'incidences en termes de dégradation des forêts. Les principales causes de la dégradation forestière sont cependant imputables aux routes qui traversent les forêts pour relier des villes ou des centres urbains, l'augmentation des besoins en bois résultant d'une croissance démographique et de pratiques agricoles peu rentables, y compris celle de l'agriculture itinérante.

Références

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Agyeman, V.K., Swaine, M.D. & Turnbull, C. (1995), Effects of Selective Logging in the Tropical High Forests of Ghana, Exposé présenté à l'Union internationale des organisations de recherche forestière (IUFRO), XXe Congrès mondial, 6-12 août 1995, Tampere, Finlande

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Cha, D.S. Kim, J-Y., Lee, H.J., Jung, D.H. & Ji, B.Y. (1996), «Analysing the Social Cognition of Local Residents on Forest Road Construction by Questionnaire Survey», Journal of Forest Science 53, pp. 194-205

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Hall, J.B. & Swaine, M.D. (1981), Geobotany 1: Distribution and Ecology of Vascular Plants in a Tropical Rain Forest Vegetation in Ghana, dr. W. Junk Publisher, La Haye/Boston/Londres

Hawthorne, W.D. (1989), «The Flora and Vegetation of Ghana's Forests», publié dans les actes du séminaire «Ghana Forest Inventory Project Seminar», tenu les 29 et 30 mars à Accra, J.L.G. Wong (ed.), pp. 8-14

Popoola, L. & Nkwatoh, A.F. (1994), Socio-economic Impact of Mining-Induced Devegetation and Strategies for Reclamation: A Study of the Jos Plateau Area, Nigeria, Nigerian Journal of Forestry

Redhead, J.R. (1960), «An Analysis of Logging Damage in Lowland Rainforest in Western Nigeria», Nigerian Forestry Information Bulletin (New Series), 10, Federal Government Printer, Lagos, Nigéria

Spiers, J.J.K. (1974), Impact of Forest Harvesting on Environmental Values, Document établi pour la dixième Conférence forestière du Commonwealth, tenue en 1974, New Zealand Forestry Service, Wellington, Nouvelle-Zélande

Swanston, D.N. (1971), Judging Impact and Damage of Timber Harvesting to Forest Soils in Mountainous Regions of Western North America, Western Reforestation Co-ordinating Committee, Portland, Oregon

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