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L'AMÉNAGEMENT DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX DANS LES ZONES PROTÉGÉES: LEÇONS TIRÉES D'UN CAS D'ÉTUDE SUR LA GESTION À USAGE MULTIPLE DANS LE PARC NATIONAL «BWINDI IMPENETRABLE NATIONAL PARC» EN OUGANDA

A.B. Cunningham

Introduction

Un des principaux objectifs de la réunion organisée par le CARPE est d'évaluer le rôle joué par les produits forestiers non ligneux (PFNL) dans la conservation des forêts. Dans cet article, je me baserai sur l'exemple du programme polyvalent appliqué au Parc national "Bwindi Impenetrable National Park" (BINP) en Ouganda, pour illustrer les réussites et les échecs des stratégies d'aménagement des PFNL dans les zones protégées. Le but étant de parvenir à la fin de cette réunion à présenter une série de "leçons pratiques", utilisable chez soi et aidant les organisations et les individus concernés par cet enjeu à avancer tant dans la politique que dans la technique, j'ai voulu présenter cet article sous forme de plusieurs points (les "leçons pratiques"), illustrés chacun par des exemples, tirés pour certains du cas d'étude du Parc national de Bwindi. J'espère que cet article contribuera à clarifier les véritables enjeux du programme du CARPE, à savoir l'identification des PFNL les plus prometteurs, des meilleures conditions et systèmes d'aménagement des PFNL conduisant à la conservation des ressources, afin d'éviter une politique d'utilisation accrue des PFNL qui provoque une surexploitation sélective des PFNL les plus prisés et donc les plus menacés.

En choisissant comme étude de cas le Parc national de Bwindi et sa forêt de montagne, je peux montrer les avantages et les contraintes des stratégies d'aménagement des PFNL, ce qui ne serait peut-être pas si évident avec de très grandes zones forestières, telles que celles du bassin du Zaïre ou de l'Amazonie, caractérisées par une densité de population comprise entre 1 et 10 habitants/km2. Aussi, la zone d'étude se situe près des frontières du Rwanda et de la République Démocratique du Congo (ex Zaïre), dans une région connue tant pour son instabilité politique que par les espèces endémiques qu'elle renferme.

Lieu et contexte historique de l'étude

Le Parc national de Bwindi a une superficie de 330 km2, ce qui est beaucoup par rapport à la majorité des autres forêts africaines de montagne (dont la superficie varie généralement entre 1 et 20 km2), mais relativement peu par rapport aux forêts tropicales de plaine. En outre, ce parc se situe dans une région où la densité de population est comprise entre 100 et 320 habitants par km2. Par conséquent, du fait de la demande accrue en PFNL et d'une ressource moins abondante pour certaines espèces, le Parc national de Bwindi constitue un exemple type très utile, à partir duquel on peut tirer des leçons cautionnée par la pratique. Par ailleurs, il faut reconnaître que les forêts de plaine de la région du CARPE, plus vastes et moins peuplées, offrent davantage de possibilités d'exploitation en raison d'un plus grand stock de ressources et d'une demande locale (mais pas forcément internationale) moins importante pour les PFNL.

Lors d'une enquête nationale effectuée dans la région de la forêt de Bwindi en 1990, on a enregistré une forte opposition de la part de la population locale à la création d'un Parc national, celle-ci craignant d'être privée de l'accès aux ressources forestières (Hamilton et al., 1990) «pour que les hommes blancs puissent voir les gorilles» (Wild et Mutebi, 1996). Malgré cette réaction, la forêt impénétrable de Bwindi fut transformée de réserve forestière en Parc national. Suite à ce changement de statut, la population locale qui avait profité du libre accès aux ressources forestières durant les 15 ans de bouleversements politiques sous le régime d'Amin et Obote, en a été brusquement privée. Vers 1990, suite aux recommandations de Butynski (1984), des activités destructrices, telles que le défrichement à des fins agricoles, le sciage de long et l'extraction de l'or furent stoppées dans la réserve forestière de Bwindi et en 1991, cette forêt fut transformée en parc national. En conformité avec la législation sur les parcs nationaux dans de nombreuses parties du monde, ce changement de statut juridique s'est également traduit par l'interdiction d'utiliser des ressources naturelles à l'intérieur du Parc. Le résultat a été une forte réaction dans l'opinion publique contre la création du nouveau Parc national. Cette opposition a été suscitée d'une part, par l'interdiction d'accéder aux ressources et, d'autre part, par la perte de revenu de certains exploitants forestiers qui exploitaient illégalement le bois d' œuvre, et de certains chercheurs d'or de la forêt de Bwindi. Une des conséquences fut, durant la saison sèche (entre la fin de 1991 et le début de 1992), la recrudescence des incendies accidentels ou volontaires favorisés par l'absence presque totale de contrôle de la part des communautés. L'existence du Parc national fut donc menacée dès sa création par les incendies et ce fut dans ces circonstances difficiles qu'on commença à établir des réseaux et à mettre en place un plan d'aménagement des ressources, d'abord au niveau local de la communauté.

D'une certaine manière, le conflit est inhérent à chaques programme d'aménagement de sites protégés, du fait de la différence entre les objectifs à long terme de conservation et les besoins à court terme de la population. Une forte densité de population, de nombreuses terres arables et une pénurie des ressources naturelles sont des facteurs favorisant l'agravation des conflits. Comme l'exprime justement Richard Bell (1987):

«Chaque programme sacrifiant les besoins individuels à court terme en faveur de l'intérêt de la collectivité à long terme rencontrera une résistance. Les problèmes et les coûts de la conservation sont proportionnels au conflit existant entre ces deux intérêts différents. Pour qu'un programme de conservation se développe et survive sans appui extérieur, il doit permettre des bénéfices réels et sans retard» (Bell, 1987).

La gestion polyvalente, pas seulement des PFNL, mais également d'autres produits et services, joue un rôle déterminant dans ce processus. En 1992, dans le cadre d'une étude réalisée dans le Parc national de Bwindi, on a proposé une sorte de compromis en permettant l'exploitation de ressources à haut potentiel et à faible impact écologique, telles que l'élevage d'abeilles, la cueillette de plantes médicinales et l'utilisation de fibres pour la vannerie, dans des zones à usages multiples (Cunningham, 1992). Théoriquement, deux approches peuvent être envisagées. La première consiste à interdire à la population locale l'exploitation des ressources sauvages, tant qu'on n'a pas déterminé le taux d'exploitation durable. Cependant, elle est difficile à mettre en pratique étant donné la grande diversité des espèces et le peu de temps à disposition avant de devoir prendre des décisions pour régler le conflit entre les personnes et les aires protégées. La seconde est l'adoption d'un système d'aménagement adapté tel que celui décrit par Walters (1986), permettant à la fois la récolte et le contrôle de la réaction des espèces exploitées. Dans notre étude sur le Parc national de Bwindi, nous avons adopté une approche à mi-chemin entre ces deux options. Ni l'argent, ni le temps, ni les effectifs n'étaient disponibles pour déterminer la productivité ou le taux d'exploitation durable de toutes les espèces exploitées. De plus, nous avons cherché à éviter les mêmes problèmes de surexploitation qui s'étaient déjà produits en Afrique, pour les poteaux de construction (Hall et Rodgers, 1996; Muir, 1990), les produits destinés à l'artisanat, les plantes médicinales (Cunningham et Milton, 1987; Cunningham, 1991) ou le bois de feu (Leach et Mearns, 1989). Lorsque l'exploitation des ressources n'est pas durable, c'est une fausse solution que d'accorder un bref répit dans le conflit sur l'utilisation des terres, en remettant à plus tard la recherche de vraies solutions.

C'est pourquoi, le Programme de développement par la conservation (CARE DTC) a assisté l'Uganda Wildlife Authority (UWA) dans l'application d'un projet intégré de conservation et de développement (ICDP), en mettant l'accent sur la proposition d'alternatives viables à l'utilisation de produits forestiers ayant un volume important tels que le bois de feu, les matériaux de construction et les tuteurs, par des programmes de développement rural et d'agroforesterie, en dehors de la zone du parc national (Wild et Mutebi, 1996). De leur côté l'UWA et le Département des forêts de l'Ouganda ont reconnu la nécessité de tenir compte des besoins des communautés vivant à proximité du parc national si l'on souhaite aménager les zones protégées à long terme. Parmi les méthodes développées pour satisfaire ces besoins, il y a la redistribution des revenus créés par le tourisme, la mise en oeuvre d'activités de développement dans les zones à proximité du parc, la formation sur la conservation et l'utilisation des ressources.

Leçons tirées de ce programme

Point 1: Lorsque l'aménagement des PFNL est une composante d'une stratégie polyvalente et de résolution de conflits entre les communautés locales et les aires protégées, il s'agira de trouver un compromis entre une approche protectioniste radicale "clôtures et amendes" et des programmes de conservation, guidés presque exclusivement par des bénéfices à court terme et mis en œuvre avec la "participation de la population", qui ne tient pas compte de ses besoins de ressources à long terme. Un approche à court terme peut fournir provisoirement un bon «filon» de ressources actuellement peu abondantes en dehors de la zone protégée, mais elle minera certainement le premier objectif de toute aire protégée, à savoir la préservation de l'habitat et de la diversité des espèces. L'opinion la plus répandue est que lorsqu'on surexploite des ressources utiles mais vulnérables, cela ne profite ni aux populations locales, ni à l'environnement.

Lors des dernières décennies et en particulier depuis la fin des années 80, on est passé d'une approche protectioniste radicale à des programmes axés à la fois sur l'utilisation durable des ressources et sur le développement des communautés locales. Cette approche plus cosensuelle est particulièrement évidente dans les différentes catégories d'aires protégées de IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), qui furent développées au milieu des années 80 et modifiées lors du IV ème Congrès mondial sur les parcs nationaux et les aires protégées en 1992. Le changement dans le type d'approche est dû en partie au constat que la plupart des tentatives de conservation visant à maintenir l'intégrité des aires protégées en excluant toute interférence de la communauté locale a été un échec (Wells et Brandon, 1992). Dans certains cas, la balance a tellement penché du côté du développement rural et des communautés locales, que Katrina Brandon a écrit récemment que «la majorité des programmes de conservation sont en réalité des programmes sociaux vastes et compliqués" et que "l'attention portée au développement durable et à la réduction de la pauvreté, bien qu'importante, ne tient pas compte des enjeux environnementaux». Le rapport prudent de Oates (1995) sur un programme de conservation forestière réalisé au Nigeria constitue un bon exemple à cet égard.

Nous devons chercher à dépasser la vision brumeuse de la «bio-politique» et éclaircir l'interaction complexe des facteurs religieux, économiques et sociaux qui se cachent derrière les succès et les échecs de nos tentatives de conservation des ressources. Il y a eu trop de généralisations pour des situations très diverses et très dynamiques. Pour chaque affirmation telle que «la population rurale dispose de systèmes de gestion des ressources naturelles sophistiqués ayant préservé la biodiversité pendant des millénaires» ou «la population vivant à proximité des aires protégées a été privée de l'accès à des ressources qu'elle a utilisait depuis des millénaires» (IIED, 1994), on trouve aussi des cas où les locaux ont détruit des habitats riches en espèces, ou encore où les résidants des régions proches des forêts sont en réalité des nouveaux venus.

Le récent retour de balancier vers une approche plus protectioniste préconisée par d'éminents biologistes ayant travaillé dans les régions tropicales (Kramer, van Schaik et Johnson, 1997) est impossible à appliquer en Afrique tropicale. Cela est du au fait que les aires protégées ont besoin d'être maintenues et ce, dans un contexte de bouleversement politique, de manque de fonds, de changements de gouvernements et d'un «exode des cerveaux» du personnel le plus qualifié des parc (parmi lequel les expatriés sont les premiers et les plus rapides à partir). Comme le souligne Jonathan Kingdon (1990):

«...les réalités du pouvoir sont aux antipodes de celles vécues par la plupart des participants engagés dans cette lutte pour la conservation de régions clés, caractérisées par un fort endémisme et une biodiversité élevée. En effet, l'avenir à long terme des sites africains à fort d'endémisme est dans les mains de la paysannerie locale, plutôt que dans celles des gouvernements transitoires ou de quelques écologistes motivés. La population locale bénéficie rarement du respect qui est généralement accordé à ceux qui détiennent le pouvoir. Dans le même temps, la pression démographique s'accentue et le ressentiment de la population continue de croître... Les écologistes devraient privilégier aux campagnes de propagande, dont on connaît les limites, une approche plus axée sur des débats et l'échange des connaissances. Au minimum, les demandes des communautés locales devront inclure des programmes d'action durables et non éphémères, dans lesquels les populations concernées peuvent avoir un rôle sensé, décisif et digne.»

Plusieurs zone protégées dans la région frontalière comprise entre l'Ouganda, le Congo (ex-Zaïre) et le Rwanda, dont le Parc national de Bwindi, illustrent bien cette situation. Bien que trois de ces parcs nationaux soient les sanctuaires d'une des espèces protégées les plus médiatisées par les protecteurs de la nature, à savoir le gorille des montagnes (Gorilla gorilla berengei) et que le Parc national de Bwindi fût le premier parc protégé africain bénéficiant du soutien d'un fonds fiduciaire international, le personnel de celui-ci se réduit à 30 personnes pour une région dont la superficie est de 330 km2 et dont le nombre d'habitants dans la zone limitrophe s'élève à 100.000. Il est clair que dans de telles circonstances, il est impossible d'assurer la protection totale de cette région.

Un des principes de bases régissant l'usage multiple des ressources forestières (y compris celui des PFNL) consiste à compenser les coûts dûs à la perte des opportunités d'exploitation et mieux justifier la conservation comme une forme d'utilisation des terres. En théorie, les bénéfices devraient être orientés en priorité vers les populations vivant à proximité des aires protégées. Ce sont eux qui sont le plus affectées par les dommages causés par les animaux aux cultures et par l'interdiction d'accéder aux ressources de plantes se trouvant à l'intérieur des zones protégées. Ceci est bien illustré par les enquêtes sur les ménages, réalisé par le projet CARE-DTC, comptant, parmi les communités adjacentes au BINP, les individus qui récoltaient des produits forestiers, sciaient le bois ou dont les récoltes étaient affectées par les animaux avant la création du parc. Ces données sont comparées avec celles de communautées non forestières (Wild et Mutebi, 1996).

Le partage des bénéfices, y compris ceux de l'écotourisme, devrait se faire grâce à des institutions locales spécialement créées à cet effet et représentant les intérêts des communautés, ainsi que ceux des utilisateurs des ressources. Or, si cela semble facile au niveau théorique, la mise en pratique pose quelques difficultés. Les aires protégées sont souvent situées dans des zones reculées où le taux d'alphabétisation est limité. En outre les utilisateurs des ressources sont souvent ceux qui ont le moins de poids économique ou politique au sein de la communauté. Ainsi, les utilisateurs locaux des ressources sont généralement faiblement représentés, même aux niveaux les plus bas de l'administration locale et cela même lorsqu'il s'agit de membres influents dans leur propre communauté. De plus, les frontières administratives délimitant les administrations locales au sein de l'état-nation coïncident rarement avec les frontières géographiques des communautés locales. Ce facteur est susceptible de biaiser davantage la représentation des communautés locales vivant autour des régions protégées.

Point 2: Nous devons utiliser de manière plus efficace les moyens de prédiction écologiques, anthropologiques et économique dont nous disposons, afin d'éviter les situations où la surexploitation et les conflits se développent, malgré les (ou à cause des) bonnes intentions, qui conduisent à empirer la situation des communautés locales et de la conservation.

Nous pouvons apprendre de nos succès et échec passés, à partir des études de cas sur la conservation et le développement, non seulement dans les forêts mais également dans les savanes boisées et les prairies. Nous savons également qu'une gestion durable des PFNL dépend autant d'une compréhension et d'une prévision de la composante biologique que des aspects sociaux et économiques de l'utilisation des PFNL. Nous avons actuellement à notre disposition de nombreux outils de prédiction grâce aux résultats de plusieurs études consacrées à l'écologie et à l'aspect social et économique de l'occupation des terres, du commerce et de l'utilisation (ou abus) des ressources. Il est indispensable d'utiliser ces outils si nous voulons éviter que les bonnes intentions provoquent en fin de compte la dégradation des ressources. Si l'exploitation durable des PFNL est possible en théorie, elle souvent est plus difficile à mettre en pratique. On oublie souvent de préciser que des habitats qu'il faut conserver en priorité, caractérisés par une riche biodiversité, une croissance lente, et des espèces particulières requièrent une intensité d'aménagement impossible à réaliser avec les contraintes économiques qui caractérisent bon nombre de services en charge de conservation.

Tous les groupes intéressés: utilisateurs des ressources, acteurs du développement rural ou gérants des parcs nationaux, ont intérêt à gérer activement la situation, en éliminant ou en supprimant graduellement les méthodes de récolte destructrices au profit d'alternatives durables, avant l'apparition de la surexploitation, plutôt que d'attendre que les ressources soient dévastées pour agir en connaissance de cause. Comme l'a bien exprimé Marilyn Hoskins (1990) dans son article consacrée à la foresterie et à la sécurité alimentaire:

«Toutes les recherches et aménagements réalisés par des étrangers ne doivent pas oublier que ces activités vont et viennent, alors que la sécurité alimentaire et la conservation de la planète et de ses ressources relèvent du long terme et sont une question de vie ou de mort pour les populations rurales concernées.»

Point 3: La complexité liée à l'application des programmes augmente de manière exponentielle avec le nombre d'espèces et le nombre d'utilisateurs.

L'interface nature/culture entre les forêts africaines de montagne et les communautés environnantes est une situation très différente et plus complexe à gérer. En premier lieu, la redistribution des ressources concerne une vaste gamme de produits forestiers non ligneux et les revenus tirés de l'écotourisme (dont la visite des gorilles, plutôt que leur chasse). Ensuite, en raison de la complexité structural et de leur grande biodiversité, ces forêts connaissent une situation d'exploitation des ressources très différentes de celles d'autres zones protégées en Afrique. Par exemple, Muir (1990) a démontré, lors de son expérience sur le terrain avec des coupeurs de bois dans la forêt de montagne au sud de l'Afrique, que la culture de sources alternatives de bois et matériels utilisés dans la construction en dehors des forêts indigènes pouvait être plus de 10 fois moins coûteuses qu'un programme de contrôle intensif visant l'utilisation durable de cette ressource sauvage.

Dans les parcs de savanes en Afrique du sud, on récolte de préférence les plantes poussant dans les zones humides ou dans des prairies déjà exploitées. Comme exemple, citons les roseaux Phragmites australis et le chaume de l'espèce Cymbopogon validus. Contrairement aux forêts, les types de végétation des zones humides et des prairies exploitées ont une distribution étendue, une faible diversité des espèces, et une production importante de biomasse composé de plantes annuelles. Ces dernières résistent aux effets de la récolte et sont couramment utilisées dans la fabrication des cases (Cunningham, 1985, Shackleton, 1990). La meilleur période pour organiser la récolte des roseaux et du chaume se situe entre la fin de l'automne et l'hiver, pour éviter de perturber la nidification des oiseaux. De même, les espèces les plus couramment récoltées dans la savane africaine sont les espèces de chaume communes et à croissance rapide ou les espèces ligneuses sur les terres en friche, telles que Acacia karroo, Acacia nilotica, Dicrostachys cinerea (Fabaceae) et Euclea divinorum (Ebenaceae) dont la récolte fait partie de la stratégie d'aménagement des parcs de savane.

Alors qu'on dispose de nombreuses informations sur les espèces de roseaux et de chaume, les données sur les arbres forestiers de la forêt africaine de montagne (abondance, productivité, et biologie des populations), y compris pour les espèces commerciales les plus importantes, sont encore incomplètes. Ce manque d'informations est pire encore pour les quelques centaines d'espèces représentant les «produits mineurs» de la forêt africaine de montagne. L'interdiction d'accéder aux ressources végétales de la forêt constitue un problème important au niveau local car ces ressources sauvages fournissent à la population locale des produits essentiels, tels que des matériaux d'artisanat et de construction, du combustible, des médicaments, des compléments alimentaires ou du miel. La question qui se pose, après avoir identifié les ressources, est de savoir si, oui ou non, les utilisations qu'on en fait sont durables ? Dans le cadre de notre étude sur le Parc national de Bwindi, qui se base sur des enquêtes ethnobotaniques de la forêt, les marchés et les ménages, nous avons classé les ressources de plantes sauvages en 3 catégories:

D'abord, la catégorie des espèces dont l'exploitation a un faible impact et une valeur élevée. L'impact est faible car la récolte est réalisée par des utilisateurs spécialisés et porte sur de petites quantités de matériel végétal (en particulier lorsqu'il s'agit de feuilles, de fruits ou de fleurs). Cette catégorie comprend également l'exploitation non commerciale de plantes médicinales par des guérisseurs traditionnels ou des sages-femmes, l'usage de plantes utilisées dans la médecine vétérinaire, l'exploitation occasionnelle de l'arbre Polyscias fulva par des forgerons traditionnels, le prélèvement du matériel nécessaire à la vannerie et l'apiculture. Toutes ces utilisations ont un faible impact écologique mais une valeur sociale élevée, étant donné qu'elles concernent une grande partie des communautés.

Des rencontres avec les apiculteurs ont permis l'application de règlements acceptées par les parties concernées et imprimés sur les cartes de membres de la «Société d'apiculture», demandées par ce groupe d'utilisateurs de la forêt. Jusqu'à présent, On estime que près de 500 apiculteurs inscrits dans 4 sociétés d'apiculture communales gèrent environ 3000 ruches dans des zones d'aménagements polyvalents. En outre, le projet DTC offre un soutient aux apiculteurs dans la transformation et dans la vente du surplus de miel. Les premières enquêtes ethnobotaniques réalisées auprès de guérisseurs traditionnels et fabricants de paniers ont été suivies par un travail d'évaluation rurale participative, réalisé auprès de trois communes, dans le but d'exploiter des espèces sélectionnées. Toutes ces activités entrent dans le cadre des accords de gestion forestière conjointe, développés dans chacune des 3 communes et signés par les sociétés forestières et l'Uganda National Parks. Ces accords prévoient également le libre accès à certains sentiers forestiers et à une source d'eau chaude réputée pour ses vertus purificatrices et spirituelles.

La deuxième catégorie nécessite un aménagement contrôlé et adapté, lorsque la demande pour des besoins de subsistance est élevée par rapport à la ressource ou lorsqu'un système d'exploitation commerciale sélectif commence à se mettre en place. Cette catégorie comprend la gestion saisonnière ou de rotation, pratiquée par des exploitants spécialisés dans la récolte de bambou des montagnes Synarundinaria alpina, de la plante grimpante à croissance lente Loesneriella apocynoides (Celastraceae), de plantes médicinales telles que Hallea rubrostipulata (Rubiaceae) dont l'écorce fait l'objet d'une exploitation commerciale à petite échelle et de l'espèce des forêts secondaires, Rapanea melanophloeos (Myrsinaceae) utilisée dans la sculpture du bois .

La troisième catégorie est une catégorie de substitution, lorsque l'accès aux ressources est interdit de manière continue à cause de l'impossibilité de les exploiter de manière durable, que ce soit en raison de leur complexité, d'une forte demande ou d'un taux de croissance limité. Dans tous ces cas, il vaut mieux mettre l'accent sur des récoltes alternatives à l'extérieur du parc protégé.

On considère que cette catégorie comprend certains types d'utilisations du bois tels que les "beer boats" (grume creusée en forme de pirogue et qui est utilisé pour la fermentation de la bière), tuteurs, poteaux de construction et bois de feu, à cause de la combinaison des impacts passés: une forte demande et un personnel limité pour la surveillance ou la gestion d'espèces à usages multiples, dans une forêt irrégulière et très diversifiée. Pour les forestiers, dont le principal objectif est la production de bois d'œuvre feuillus, les jeunes plants des espèces protégées representent la régénération du bois d'œuvre. Pour les communautés rurales, ils représentent également une source de "beer boats" (> 50 cm D1.3), de matériaux de construction (5-15 cm D1.3) ou de tuteurs (1,5-5 cm D1.3), dont le bois très dense est prisé en raison de sa résistance aux attaques des parasites foreurs et aux infections fongiques. Cependant, il convient de souligner que ces espèces ne se limitent pas à avoir un intérêt immédiat pour les populations locales, mais qu'elles constituent la couverture forestière du prochain siècle. C'est pourquoi il est important de les protéger si l'on veut éviter que la forêt disparaisse.

L'utilisation de solutions alternatives pour la réalisation de "beer boats", de tuteurs et de matériaux de construction a été recommandée, du fait de leur utilisation généralisée, du volume important exploité, de l'attention portée sur les feuillus et des problèmes déjà apparus dans d'autres forêts de montagne et littorales. Il a également été reconnu que le succès de la conservation de la forêt et la résolution des conflits entre les utilisateurs dépend étroitement de la manière dont est effectivement réalisée la culture des arbres. Des pénuries de bois de feu, de poteaux de construction et de tuteurs ont été remarqués dans la région du DTC et il est probable que cette pénurie s'étende bientôt aux grands arbres, pour la construction des "beer boats". Les populations locales s'occupent de comprendre les raisons de cette pénurie et proposent des solutions. La culture d'arbre est déjà largement répendue dans la région du DTC. L'herbe à éléphant (Pennisetum purpureum) et des arbres (surtout l'eucalyptus) sont également plantés pour les tuteurs, alors que des boutures de Ficus ont été plantés pour les "beer boats". Dans un site au moins, des espèces de bois d'œuvre feuillues ont même été plantées, dont Entandrophragma (Meliaceae) qui atteint un diamètre de 90 cm en moins de 40 ans. De telles initiatives locales devraient être soutenues et encouragées.

Par exemple, lors d'une récente enquête réalisée dans la région du DTC, les espèces les plus prisées pour la construction sont l'eucalyptus (pour 88% des personnes interrogées) et l'Acacia mearnsii (pour 49% des personnes interrogées), respectivement plantées par 77% (soit 92 personnes) et 36% (soit 43 personnes) des personnes interviewées. Lors d'observations sur le terrain, nous avons remarqué que de nombreuses maisons de la région de DTC ont été construites à partir de ces espèces de bois (surtout l'eucalyptus) et que le recours aux espèces exotiques augmente lorsqu'on s'éloigne de la forêt. Actuellement, on a développé 125 pépinières d'arbres sur site agricole, dans lesquelles on a privilégié, en se basant sur les préférences des agriculteurs locaux, les parcelles boisées d'eucalyptus et l'espèce agroforestière Sesbania sesban, espèce fixatrice d'azote et utile pour les tuteurs. En outre, on a maintenu deux pépinières d'arbres indigènes où 5000 arbres ont été distribués l'année dernière. Les animateurs locaux pour la vulgarisation de la conservation, employés par le CARPE, assistent également les agriculteurs locaux avec des essais de variétés de haricots grimpants, l'aménagement de plantations de bananes, la conservation du sol et la croissance des légumes, avec comme objectif une production agricole durable.

Point 4: Tout programme sur la conservation ou l'exploitation des PFNL doit tenir compte des besoins et des usages spécifiques des populations pygmées (Baka, Mbuti, Batwa,..) qui sont les habitants ancestraux de ces forêts.

Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, les pygmées constituent un groupe important d'utilisateurs des ressources forestières. Non seulement, ils sont très impliqués dans la vente de viande de brousse, dans des échanges "protéines contre amidon" avec les agriculteurs, mais ils sont également impliqués, à l'échelon le plus bas, dans le réseau de commercialisation du bois d'œuvre et des PFNL tels que l'écorce de Pausinystalia johimbe, les feuilles de Gnetum, les tubercules forestiers (par exemple les ignames de l'espèce Dioscorea) et les fruits forestiers (Irvingia spp., Ricinodendron heudelotii). Deuxièmement, les pygmées accordent une importance religieuse et culturelle aux espèces de cette région dépassant parfois la valeur commerciale ou d'échange de ces produits (par exemple, Dioscorea). Troisièmement, c'est la survie culturelle des pygmées qui est en jeu. Dans le Parc national de Bwindi, les Batwa (ou les "Abayanda" comme ils s'appellent eux-mêmes) ont été confrontés dans leur histoire à l'empiétement des agriculteurs bantous sur leurs territoires (Taylor, 1993). Ces derniers ont défriché la forêt pendant des siècles pour pratiquer l'agriculture et il existe aujourd'hui une forte opposition contre l'accès des Batwa à ces terres agricoles. Qui plus est, les ressources de gibier, qui représentent une source majeure d'échanges, ont été surchassés, le bois d'œuvre surexploité et les pygmées n'ont plus le droit de jouir d'une grande partie des zones forestières où ils pratiquaient traditionnellement la cueillette. L'aménagement à usages multiples a tenu compte de bon nombre de leurs besoins spécifiques, tels que les abeilles sans dard, les ignames et les fruits forestiers. Bien que des recherches étendues ont déjà été réalisées dans les forêts tropicales de plaine de la région du CARPE (par exemple par l'Université de Kyoto, Hart et Hart, 1986, et al.,), il est nécessaire d'étendre les programmes de conservation et d'exploitation des PFNL qui prennent en compte le rôle et les besoins spécifiques des pygmées.

Point 5: La plupart des PFNL ayant une valeur économique sont déjà commercialisés par la population locale bénéficiant de l'accès aux marchés. Toutefois, il existe encore quelques ressources sauvages dont la population ne connaît pas la valeur économique, mais qui ont néanmoins un potentiel commercial important dans les marchés internationaux, avec la plus-value du "produit vert" par une meilleure commercialisation. La commercialisation de ces produits peut contribuer de manière significative à l'amélioration des conditions de vie des communautés forestières, ainsi que de celles vivant à proximité des forêts, mais il est nécessaire d'établir des régimes fonciers forts et des programmes de contrôle simples et efficaces, avant d'envisager leur commercialisation à grande échelle.

Par exemple, les PFNL sauvages, identifiés lors de notre enquête dans le Parc national de Bwindi au début de 1992, sont Carapa grandiflora et Allanblackia stuhlmannii, tous deux sources d'huiles ou de graisses végétales. Ces deux genres se trouvent dans la région étudiée par le CARPE. Dans la région amazonnienne, l'huile de graines de Carapa est un produit aux vertus médicinales importantes et qui fait l'objet d'une exploitation commerciale, alors que dans l'Est de la Tanzanie, les fruits d'Allanblackia sont exploités à des fins commerciales depuis des années pour la fabrication de savon. Cependant, il s'agit de cas classiques d'arbres tropicaux qui produisent une quantité réduite de fruits de très grande taille et dont la régénération peut être sérieusement interrompue à cause des récoltes commerciales (voir par exemple Peters, 1994).

Point 6: Il arrive trop fréquemment que les personnes impliquées dans les programmes d'aménagement des PFNL estiment qu'une fois le travail de terrain terminé, une exploitation durable se mettra en place, et négligent de prendre en compte les coûts liés au suivi du programme. Il est essentiel de contrôler le succès de l'application des programmes d'aménagement multiusages des ressources. Mais pour que les contrôles soient durables, il faut également qu'ils soient solides, pragmatiques et peu coûteux. Avant d'entreprendre toute activité de surveillance, il faut d'abord déterminer ce qui doit être suivi, à quelle échelle (paysages, populations, individus), à quel niveau de détail et par qui. Après avoir sélectionné quelques espèces clés pour le contrôle au niveau des populations, il est ensuite important d'établir des parcelles permanentes pour un contrôle à long terme.

Lorsque le Parc national de Bwindi avait encore le statut de réserve forestière, la loi forestière ougandaise de 1964 prévoyait une exploitation limitée des ressources végétales forestières dont certains "produits forestiers mineurs". La cueillette était soumise à l'obtention d'un permis pour fournir des rentrées financières au gouvernement et faciliter le contrôle. Ce système s'est arrêté avec la période de troubles politiques et économiques qui a agité le pays. Durant cette période de crise, le pouvoir d'achat du personnel de la réserve a chuté dramatiquement (Howard, 1991), de sorte que le contrôle de l'état pour les bois d'œuvre et les "produits forestiers mineurs" n'était plus assuré. On estime qu'en 1983, un nombre de 140 à 280 personnes étaient impliquées dans le sciage de long et un nombre de 100 à 200 personnes étaient impliquées dans la recherche d'or dans les rivières et vallées de la forêt de Bwindi (Butynski, 1984). On estime qu'au total, seul 10% de la réserve est restée intacte, alors que 61% a été surexploitée par les scieurs de long et 29% a été dépouillée des meilleurs arbres de feuillus suite à des coupes sélectives (Howard, 1991). En outre, Butynski (1984) a estimé entre 10 à 20 le nombre de personnes se rendant quotidiennement dans la forêt pour pratiquer l'apiculture, la recherche de ruches sauvages et entre 25 et 50 le nombre de personnes venant collecter du bois de feu, du bambou ou des matériaux de construction.

De nombreux pays caractérisés par une riche biodiversité n'ont pas les moyens financiers nécessaires pour contrôler les ressources de manière adéquate. Par exemple, une conservation in situ efficace du rhinocéros noir coûterait environ 400 $ par km2 (Martin, 1993). John Hall estime que la surveillance des réserves nécessite en général 2 gardes forestiers pour une superficie de 500 ha (soit 4 gardes pour 10 km2) (Hall, 1983). Dans la plupart des cas, tant les fonds que le personnel sont insuffisants pour assurer une surveillance efficace. Situé sur un terrain boisé et accidenté, le Parc national de Bwindi, dont la superficie est de 330 km2, possède un total de 30 gardes, au lieu des 130 estimées nécessaires par Hall (1983). La mise en pratique d'un programme d'exploitation durable du bois d'œuvre nécessiterait encore davantage de personnel. Dans la forêt montagneuse d'Afrique du Sud, caractérisée par une biodiversité relativement faible et par l'exploitation d'un seul produit (le bois d'œuvre) et de quelques espèces, une équipe composée d'un forestier et de deux employés (se limitant à marquer les arbres de diamètre > 30 cm) suffit à peine pour couvrir une zone de 5 ha par jour (Seydack et al.; 1995). C'est pourquoi, lors de la conception de programmes de conservation des zones protégées et des terres qui les entourent, il est important de tenir compte des institutions locales, des régimes fonciers et des systèmes de gestion des ressources.

Point 7: La "gestion des ressources" est en fait, en grande partie, une "gestion des personnes", car le comportement humain y tient souvent une place plus importante que les ressources elles-mêmes. Pour que les bons résultats de la science se traduisent par de bonnes pratiques de gestion, il faut que les plans d'aménagement ou de réglementation soient jugés acceptables par la population. L'absence de régimes fonciers bien définis, les prix élevés des PFNL et des méthodes de récolte potentiellement destructrices (écorce, racines ou tubercules) peuvent avoir des conséquences dramatiques. Des prix bas, avec un régime foncier sûr, signifie peu de revenu à conserver pour le long terme. Le défi est de concevoir et permettre une situation caractérisée par un régime foncier sécurisé et des prix élevés, avec un plan d'aménagement pratique des ressources.

La sécurité des régimes fonciers est un ingrédient indispensable pour un aménagement des ressources et un programme de conservation réussis. Qu'il s'agisse d'une zone de propriété privée, d'un Parc national, ou d'une zone communale, il est important de ne pas tomber dans le piège des hypothèses trop simplistes ou d'une simple classification des différents types de régimes fonciers. Ceci est particulièrement important pour une grande partie d'Afrique, tout comme dans de nombreuses régions tropicales ou sub-tropicales, où les communautés locales ou indigènes disposent d'un ensemble de règles complexes contrôlant l'accès aux terres communautaires et qui ont été à leur tour superposées par le contrôle de l'état (voir l'exemple des Parcs nationaux ou des réserves forestières). Enfin, il existe souvent une grande différence entre les régimes fonciers et les droits d'accès aux ressources.

En ce qui concerne le Parc national de Bwindi, les étapes principales dans l'instauration d'un régime foncier stable et accepté par les utilisateurs des ressources fut: l'établissement de zones à usages multiples, aux frontières claires et reconnues par tous (Scott, 1992); l'identification et le classement des individus dans des petits groupes d'utilisateurs locaux (artisans en vannerie, apiculteurs, herboristes, etc.), dans l'optique d'une participation communautaire; l'octroi de permis aux individus reconnus comme "ayant droit" par les autorités du Parc national et la signature d'un contrat écrit entre les communautés et l'Uganda Wildlife Authority, définissant clairement les obligations respectives. Notons que ces principes forment également la base de tout programme d'aménagement à assise communautaire réussi (voir encadré 1).

Il y a 8 ans, lors d'une réunion rassemblant quelques centaines de villageois, le chef de la paroisse de Mpungu a présenté une lettre au nom de la communauté, exprimant son opposition à la création d'un parc national en demandant pourquoi les Ougandais devraitent payer de leurs souffrances la création d'un parc national. Quelques années plus tard, en avril 1994, le même représentant a exprimé une toute autre opinion lors de la signature du mémorandum en présence du directeur des Parcs nationaux de l'Ouganda: « je vous prie, monsieur le directeur, de bien vouloir accepter nos remerciements et notre gratitude pour ce nouveau concept de l'Uganda National Parks. Nous avons pu bénéficier d'une zone du parc pour y cueillir l'insuli (Smilax kraussiane) et des plantes médicinales. Nous étions fortement opposés à la création d'un Parc national, mais nous avons changé radicalement d'avis en constatant tous les aspects positifs. Désormais la forêt de Bwindi est devenu "notre" Parc national et est un patrimoine important à conserver ».

Point 8: Les inventaires sont une étape importante pour le classement des espèces prioritaires. De plus, ils constituent un élément important du travail en réseau, idéalement géré par une équipe multidisciplinaire, ou plus souvent par des chercheurs et assistants conscients des enjeux économiques, écologiques et culturels/institutionnels locaux.

Encadré 1: Classement des espèces prioritaires basé sur les enquêtes ethnobotaniques

Les forêts de plaine et de montagnes sont des écosystèmes dynamiques ayant une grande diversité d'espèces et de formes de vie, ainsi qu'un nombre important d'utilisateurs. De même, les communautés rurales sont des groupes complexes ayant leurs propres hiérarchies socio-économiques et politiques, leurs groupes d'utilisateurs, leurs rivalités et intentions non avouées. Plus la diversité des espèces est importante, plus il en résulte de nombreuses utilisations possibles des ressources sauvages et de nombreux utilisateurs. La première étape pour comprendre cette complexité est d'effectuer un travail de terrain avec les utilisateurs des ressources, dans les forêts et les communautés environnantes, afin d'identifier à la fois les espèces et les groupes d'utilisateurs. C'est tout autant une méthode qu'un processus vers une plus grande crédibilité et une meilleure communication au niveau local.

La réalisation d'inventaires sur les espèces de faune ou de flore constituent souvent la première étape dans l'identification des composantes biologiques propres aux zones protégées. Les acteurs de la conservation manquent souvent de temps. Ils doivent faire faces à des pressions sur les zones protégées pour prendre des décisions. Dans la plupart des pays tropicaux, y compris l'Ouganda et la majeure partie de la région du CARPE, les experts, qu'ils soient biologistes ou taxonomistes, sont rares. Vu la situation, il est essentiel de se baser sur l'apport des connaissances taxonomiques traditionnelles. Ce recours aux connaissances traditionnelles sur les ressources permet d'établir des inventaires, qui seront suivis par l'identification des échantillons récoltés. Dans notre exemple, des inventaires sur les plantes et les insectes comestibles, établis avec la collaboration de la population locale, ont été menés en parallèle avec des discussions sur les enjeux écologiques et sociaux de ces ressources ou des sites ayant une valeur culturelle importante. Des discussions séparées ont été menées avec des groupes d'utilisateurs spécialisés (apiculteurs, sages-femmes, fabricants de paniers en bambou) et avec les habitants de Batwa. Elles portaient sur les espèces utilisées, les espèces les plus appréciées et leur disponibilité en dehors des parcs nationaux (Cunningham, 1992, Cunningham et al.; 1993; Scott, 1992).

Les communautés locales ont souvent de bonnes raisons de se méfier des intentions des programmes de conservation. Dans le passé, celles-ci se sont trop souvent traduites par des évictions, la perte de ressources et de nombreuses tracasseries, à tel point que les bénéfices pour les communautés ont été somme toute peu nombreux. C'est pourquoi il peut être très important d'établir des réseaux, afin de gagner davantage de crédibilité auprès des responsables locaux. Cela demande du temps, de la transparence, de la patience et de la conscience. Les membres de ces communautés ont une bonne perception de la nature humaine et se posent des questions telles que: quelle est l'attitude des gérants des parcs nationaux ? Quelle est leur connaissance des ressources ? Dans notre exemple, il a fallu plusieurs sessions de discussions, étalées sur une période de 9 mois, pour comprendre que la population de la commune de Mpungu, à proximité du Parc national de Bwindi avait la plus grande confiance dans les "Stretcher Societies", comme organisation clé pour créer les Sociétés forestières (Wild et Mutebi, 1996).

Point 9: Bien que les modèles prédictifs (point 2) offrent un premier niveau d'approximation sur les stratégies susceptibles de réussir ou d'échouer, les programmes d'aménagement à usages multiples (y compris les PFNL) doivent être développés au cas par cas. On ne peut EN AUCUN CAS se contenter de "recettes miracles" basés sur des critères socio-économiques ou écologiques.

L'utilisation gérée des ressources dans les parcs nationaux et les zones tampons qui les entourent est devenue une stratégie courante pour désamorcer les conflits liés à l'utilisation des terres. Dès les années 40, des arrangements prévoyant le partage des ressources ont été crées en Afrique, dans le but de résoudre le problème des coûts occasionnés par le manque à gagner. Quarante ans plus tard, ceux-ci sont maintenant appelés Programmes intégrés de conservation et de développement ("Integrated Conservation and Development Programmes", ICDP) (Wells et Brandon, 1992). Bien que ce concept soit déjà bien établi, Wells et Brandon (1992) n'ont trouvé que très peu d'exemples d'utilisation des ressources dans les zones tampons, à la frontière des régions protégées, au cours de leur étude sur les 23 ICDP les plus prometteurs. Cependant certains ICDP réalisés au Zimbabwe et en Zambie sont bien documentés (Martin, 1986; Lewis et al., 1990). Il s'agit surtout de programmes réalisés dans les régions de savane ayant une biomasse de gibier importante, une faible densité de population, peu de terres potentiellement arables et, dans quelques cas, infestées par les mouches tsé-tsé. Dans ces régions de savane, l'accent a été mis sur le tourisme, la chasse aux trophées et les battues pour la viande de gibier. (Martin, 1986; Bell, 1987).

Des approches innovantes et décentralisées pour la conservation des ressources en dehors des zones protégées ont une possibilité de réussir et de s'étendre. Parmi celles-ci, citons trois exemples: le CAMPFIRE (Programme d'aménagement de zones communales pour la connaissances des communautés indigènes), organisé au Zimbabwe (Martin, 1984; Child, 1996); la vallée de Luangwa (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1990) , et les programmes de gestion forestière conjointe, appliqués en Inde et au Népal (Poffenberg et al., 1992; Fischer, 1995). D'abord isolés et peu développés, ces programmes ont gagné de l'expérience et des connaissances générales de base qui ont été plus largement appliquées, parfois dans des circonstances socio-économiques ou écologiques très difficiles.

Figure 1: Panneau de signalisation indiquant une parcelle boisée réservée à l'agroforesterie communautaire (Photo: T. Sunderland).

L'exemple du Mont Kilum au Cameroun, illustre bien la transposition aveugle d'une recette de gestion forestière conjointe du Népal aux montagnes d'Afrique. Caractérisées par une densité de population élevée et un environnement très différent de celui des régions concernées par cette gestion conjointe au Népal et en Inde, les forêts de montagnes du Cameroun abritent 23 espèces endémiques d'oiseaux, rendant cette région prioritaire pour la conservation des oiseaux en Afrique (Collar et Stuart, 1988). De nombreuses espèces rares telles que les barbets, les pics et les calaos se nourrissent de bois mort, avec des populations limitées par la disponibilité des sites de nidification. Considérée comme une application réussie de gestion forestière conjointe (Fischer, 1995), l'accord réalisé au Mont Kilun, grâce à une approche participative impliquant la communauté locale et prévoyant la récolte de bois mort dans cette région petite et très importante de forêts de montagne africaine, promet d'être un désastre en terme de conservation. En effet, l'arrangement réalisé dans le cadre du programme de gestion forestière conjointe a non seulement conduit à la récolte de bois mort tombé par terre, mais également à l'abattage d'arbres de très grande taille tels que le Nuxia congesta, dont certains ont un diamètre supérieur à 70 cm. Cela a provoqué la disparition d'une importante niche écologique contenant des sites de nidification et abritant des espèces d'oiseaux rares, de petits mammifères et de reptiles dans la réserve forestière. Comme on pouvait s'y attendre d'après les informations existant à ce sujet, il aurait mieux valu se concentrer davantage sur l'identification et l'utilisation de sources de bois de feu alternatives, à partir d'exploitations agricoles ou de bosquet d'arbre ayant la propriété d'être de bon combustibles. Malheureusement, une fois la gestion forestière conjointe sortie de sa boîte de Pandore, il est fort difficile de faire marche arrière.

Point 10: la prédiction de la durabilité de l'exploitation requiert à la fois une évaluation des facteurs biologiques influençant la résistance ou la vulnérabilité des ressources aux effets de la récolte et une analyse des facteurs économiques influençant la demande. La réalisation d'enquêtes ethnobotaniques dans les marchés locaux constitue également une étape importante dans ce processus.

Du point de vue de l'aménagement des ressources, les enquêtes ethnobotaniques doivent se concentrer sur la promotion et la vente des plantes sauvages, et cela, pour de nombreuses raisons. La première raison est que la vente commerciale ou le troc reflète la demande. En effet, lorsque la demande pour une espèce ou pour une catégorie de ressource est élevée, comme pour le combustible, les fibres utilisées dans la fabrication de paniers ou les plantes médicinales est élevée, cette ressource sera vendue dans de nombreux marchés. Inversement, une espèce ou une catégorie de plantes pour laquelle la demande est faible sera moins commune sur les marchés. Les espèces les plus utiles seront vendues fréquemment par davantage de vendeurs et sur un plus grand nombre de marchés que les espèces pour laquelle la demande est faible. A ce titre, la réalisation d'études de marché systématique constituent un moyen utile, non seulement pour classer les espèces vendues sur le marché mais également pour les mettre dans un ordre hiérarchique reflétant leur popularité et leur utilité. Cependant, certaines espèces parmi les plus populaires et les plus utiles ne se trouvent plus sur les marchés suite à leur surexploitation.

La deuxième raison est que les prix reflètent le rapport entre l'offre de la ressource et la demande. Les espèces les plus communes au niveau local sont rarement vendues sur les marchés locaux, si ce n'est en gros pour être transformés ou vendus au détail ailleurs. Lorsqu'une espèce populaire devient rare, que ce soit en raison de sa distribution géographique ou suite à la surexploitation, il arrive le plus souvent que la vente se fait à partir des régions riches en ressources vers des contrées où la demande est importante alors que l'offre est faible voire inexistante. Lorsque la ressource devient plus rare, son prix augmente. Dans l'absence d'alternatives, le prix augmente encore plus et la tentation de pousser de plus en plus loin l'exploration pour trouver des espèces devenues rares devient plus importante. L'amélioration des routes et des frais de transport moins élevés réduisent les coûts. Ainsi, il est possible d'intervenir des deux côtés de la chaîne de commercialisation tout en la rendant plus rapide. D'une part, la baisse des coûts de transport permet à la population rurale de se rendre dans des centres urbains plus importants pour y vendre leurs produits; d'autre part, l'amélioration des routes permet aux étrangers d'avoir accès aux ressources végétales présentes dans les zones les plus lointaines. Il faut préciser que les étrangers ont souvent un pouvoir d'achat plus élevé que les populations locales vivant dans les régions éloignées riches en ressources. Si cela se produit et si les régimes fonciers commencent à être destabilisés, la ruée vers les ressources les plus demandées s'accélère.

Les enquêtes ethnobotaniques réalisées sur les marchés locaux fournissent des moyens grâce auxquels nous pouvons sélectionner les espèces prioritaires au niveau local ou international. Cette sélection s'effectuera à travers les étapes suivantes :

Encadré 2: Facteurs déterminant la réussite de l'aménagement communautaire des ressources naturelles

Un régime foncier sécurisé: un programme réussi d'aménagement et de conservation des ressources dépend d'un régime foncier basé sur le long terme, qu'il s'agisse de terres ou de ressources privées ou communes.

4. LES RAPPORTS ENTRE LES RESSOURCES ET LES GROUPES D'UTILISATEURS

Valeur et rareté des ressources: il doit s'agir d'une ressource rare, vulnérable à l'impact des activités humaines et importante pour le groupe d'utilisateurs. Le risque de surexploitation est d'autant plus grand que le groupe d'utilisateurs ne fait pas le lien entre l'impact des activités humaines (par exemple la chasse excessive) et l'appauvrissement du stock de ressources.

La taille du groupe d'utilisateurs: lorsqu'il ne comprend qu'un petit nombre d'utilisateurs, la situation est plus contrôlable que dans les groupes comprenant un plus grand nombre d'utilisateurs. Cependant, le groupe doit être suffisamment important pour qu'il ait une influence sociale.

Identité du groupe: Plus le groupe est clairement défini, plus le programme a des chances de réussir (par exemple les groupes locaux d'apiculteurs, d'herboristes, de sages-femmes ou de fabricants de paniers).

Localisation des utilisateurs de ressources: la situation est idéale lorsque les utilisateurs vivent à proximité des ressources ou lorsqu'il s'agit de communautés mobiles ou semi-nomades qui fréquentent régulièrement la région riche en ressources. Dans les deux cas, le travail de surveillance s'en trouve facilité et il est plus aisé d'empêcher les étrangers de rentrer.

L'homogénéité de la communauté: le contrôle social sur l'utilisation des ressources a plus de chance d'exister dans les communautés homogènes que dans les communautés hétérogènes.

Des terres et des ressources à usages multiples et de multiples utilisateurs: plus le nombre d'usages et d'utilisateurs pour un type d'environnement ou de ressources est élevé, plus la gestion devient complexe et source potentielle de conflits. L'aménagement communautaire des ressources naturelles est plus facile dans des sites où les ressources ont un nombre plus réduit d'utilisations plutôt que dans des sites à usages multiples.

5. LES INSTITUTIONS LOCALES

Le système de valeurs religieuses ou rituelles largement acceptés: celles-ci contribuant à maintenir la pression sociale pour des actions encourageant le sacrifice individuel à court terme en faveur de l'intérêt du groupe à long terme. C'est un moyen important pour maintenir le contrôle social dans des petites communautés où le contrôle politique hiérarchique est faible.

Des dirigeants dont le pouvoir est héréditaire ou qui sont désignés pour une longue période plutôt que des "hommes forts" temporaires: les dirigeants dont le pouvoir est héréditaire bénéficient souvent d'un pouvoir rituel et en continuité avec celui des ancêtres ce qui permet un contrôle des ressources plus efficace que lorsqu'il s'agit de meneurs populaires dont le pouvoir repose souvent sur l'ostentation des richesses et la distribution prodigue des ressources. Dans les deux cas, le contrôle de l'accès aux ressources est un moyen de maintenir un pouvoir politique. La différence se situe au niveau de l'échelle de temps: dans le cas d'un pouvoir politique temporaire, la motivation est moindre de laisser pour le futur des ressources prisées non exploitées.

Les règles régissant l'utilisation des ressources: ces règles doivent être développées à travers un processus impliquant la participation des locaux et doivent être simples, pratiques, applicables, respectées, appropriées et acceptées par tous.

Le maintien des obligations: des accords mutuels doivent être réalisés sur l'utilisation des ressources et des mesures dissuasives doivent être prises contre les individus qui exploitent les ressources au détriment de l'intérêt du groupe.

Les "fraudeurs" doivent être identifiables: les personnes essayant d'abuser du système doivent être facilement identifiables. Cela est plus facile lorsque les limites entourant la zone d'exploitation des ressources sont clairement définies et contrôlables et lorsque le groupe d'utilisateurs vivant à proximité de celles-ci est réduit et identifiable.

La résolution de conflits: des mécanismes efficaces doivent être établis pour résoudre les conflits. Ceux-ci peuvent être internes, par exemple la résolution des conflits exprimés à travers l'accusation de sorcellerie, grâce à des rituels de purification ou d'actions thérapeutiques.

Des punitions en cas d'infraction aux règles: celles-ci doivent faire l'objet de consensus. L'idéal est d'établir une échelle mobile des mesures punitives, mais les infractions les plus graves doivent être punies de manière exemplaires en terme social ou matériel.

Point 11: Lorsqu'on se penche sur les impacts écologiques, il faut voir au-delà de la plante individuelle, comprendre les impacts et mener des contrôles à l'échelle de la population, de la dynamique forestière, ou de l'écosystème forestier dans son ensemble. Il faut également être sélectif dans le choix de la population végétale à contrôler.

Dans les habitats caractérisés par leur diversité et leur dynamisme où plusieurs centaines d'espèces sont exploitées, il faut, en tenant compte des limites imposées par le temps et l'argent, choisir avec attention où l'étude détaillée devra se focaliser au niveau de la population végétale. Les premières étapes dans ce processus consistent à établir une sélection des espèces les plus prisées et utilisées en grandes quantités, ou les espèces les plus commercialisées. En termes d'aménagement des ressources et de surveillance, les espèces prioritaires sont celles qui font l'objet d'une exploitation destructrice, et plus particulièrement les espèces les plus rares, caractérisées par une croissance lente, un habitat spécifique et dont on exploite les racines, l'écorce, le tronc ou la plante entière. D'autre part, ce processus met également en évidence les ressources potentiellement résistantes à une exploitation continue, ainsi que celles qui sont plus impopulaires, rarement utilisées et dont la priorité est moindre pour un travail quantitatif à l'échelle de la population des espèces.

Si la réaction des végétaux aux impacts causés par l'exploitation fournit des informations intéressantes, il est toutefois essentiel de ne pas se fier uniquement à une analyse des méthodes de récolte destructrices au niveau des individus. L'impact des récoltes doit être plutôt évalué au niveau de la dynamique de la population de l'espèce considérée. Les populations de plantes exploitées doivent être évaluées en fonction de la façon dont elles sont influencées par les perturbations ou les successions.

Point 12: les programmes polyvalents réalisés dans les zones protégées doivent tenir compte des impacts écologiques de l'exploitation.

Cet enjeu est particulièrement important dans les forêts protégées de montagnes et littorales, caractérisées par une petite taille et la proximité d'une abondante population rurale. Le prélèvement de quantités importantes de gibier et de bois mort est sources d'impacts écologiques complexes. Dans l'exemple du "Bwindi Impenetrable National Park", l'exploitation du bois de feu était interdite dans les zones à usages multiples, mais était prise en considération dans le développement d'alternatives (la production de bois dans des systèmes agroforestiers et la construction de réchauds économes en combustible), hors de la zone protégée. Les impacts écologiques causés par l'abattage des arbres morts dans la région du Mont Kilum au Cameroun (voir point 10) est un excellent exemple où ce type d'alternative a été ignoré.

Point 13: la formation et l'engagement de personnel, local issu des communautés à proximité du parc, est un élément essentiel pour la réussite des programmes, en fournissant des bénéfices importants, tirés de l'existence du Parc et un personnel stable, particulièrement utile en période de troubles politiques.

Cet aspect a été insuffisamment pris en compte dans de nombreuses régions protégées en Afrique, y compris en Ouganda. La citation suivante résume bien la situation :

«Les véhicules, infrastructures et consultants à court terme, fournis par de grandes organisations internationales, ne font pas un projet de conservation. En revanche la réussite d'un projet de conservation dépend de l'engagement de personnes motivées. Le recrutement de personnel local ayant démontré des qualités de responsable et une grande motivation, et bénéficiant d'une formation sur le tas les rendant aptes à gérer leur ressources naturelles, s'est avérée la meilleure formule pour garantir une stratégie de conservation à long terme dans des conditions difficiles. La coopération de quelques individus particulièrement motivés avec une organisation non gouvernementale (indépendante par rapport à toute pression politique) est la meilleure garantie d'une réussite de ces programmes à long terme dans des pays caractérisés par une instabilité politique et peut-être même partout ailleurs (Hart et Hart, 1997)».

La nécessité de former du personnel local trié sur le volet à la gestion des zones protégées est illustrée en Afrique centrale par deux exemples. Un des meilleurs critères de réussite des stratégies de conservation est de mesurer leur pérennité dans le chaos des conflits civils. Des exemples récents sont les programmes de conservation dans les régions du Rwanda et de l'ex-Zaïre (actuellement la République Démocratique du Congo) deux pays touchés par la guerre civile (Hart et Hart, 1997; Fimbel et Fimbel, 1997). Ces exemples d'Afrique centrale illustrent la nécessité d'offrir une formation adéquate à un personnel local bien choisi (gardes-forestiers, personnel technique, chercheurs professionnels et gestionaires), afin qu'ils puissent être responsables des programmes de conservation. Les organisations internationales non-gouvernementales ont un rôle clé à jouer dans ce processus, surtout en ce qui concerne le soutien à la formation.

Dans les deux exemples cités ci dessus (le Rwanda et le Zaïre), le financement international a été interrompu et le personnel étranger a fui ou a été évacué suite aux conflits, dans ou autour de la région du projet de conservation de la forêt de Nyungwe au Rwanda et dans les quatre «World Héritage Sites» au Zaïre. Le maintien de ces aires protégées pendant la période de conflits n'aurait pas été possible sans la population locale impliquée dans ces projets. Cette leçon importante que nous pouvons tirer des deux exemples est particulièrement bien résumée dans le cas du Rwanda où la forêt de Nyungwe, un ICDP et une région de conservation prioritaire ont pu être préservés en dépit de la situation d'anarchie et des saisies de terres. Quatre personnes appartenant au personnel local, dotées de qualités exceptionnelles de responsable, ont continué leur travail de collecte et de gardien des données du projet et ont maintenu le contact avec les personnes habitants à proximité du parc et avec les représentants des administrations locales. Des 45 personnes composant le personnel local, toutes issus de villages autour du parc, 40 personnes sont restées et ont continué à patrouiller la forêt sans percevoir de salaires et dans l'absence d'instructions des anciens superviseurs et cadres supérieurs ayant fui la région.

4. Conclusion

Le programme CARPE couvre un territoire très vaste et relève de nombreux défis. Il s'agit d'une région vitale pour la conservation du patrimoine forestier et qui a réellement besoin d'un soutien concret. Un des avantages majeurs d'une initiative réellement nouvelle comme le CARPE, est de pouvoir bénéficier de leçons en recherche, conservation et développement, tirées à partir d'autres programmes de conservation de la forêt africaine, et également à partir des recherches menées par les écologistes, anthropologues et économistes dans d'autres régions forestières tropicales. J'espère sincèrement que ce programme sera fructueux et qu'il pourra contribuer à long terme à la conservation du patrimoine forestier de ces régions.

Remerciements

Je tiens à remercier le programme CARPE et de l'USDA, pour avoir financé ma participation à cette réunion, et en particulier Terry Sunderland et Marc Buccowich pour leur invitation. Cette vue d'ensemble sur les leçons apprises du cas d'étude du Parc national de Bwindi a pu être réalisée grâce au soutien du programme DTC/CARE, (qui m'avait chargé, au début de 1992, de mener des enquêtes et de formuler des recommandations pour l'usage multiple des parcs nationaux) et, par la suite, grâce au soutien du WWF/UNESCO/Kew «People and Plants Initiative» (qui ont financé les étudiants de l'«Institute for Tropical Forest Conservation» dans le Parc national de Bwindi en Ouganda). En particulier, je tiens à témoigner ma gratitude à Jacob Bandusya, Z. R. Bukenya, Dominic Byarugaba, Onesimus Muhwezi, Maud Kamatenesi et Alan Hamilton, pour leur compagnie et leur participation dans des discussions stimulantes sur le terrain durant les six dernières années.

Références

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