Malgré le nombre important d'études ethnobotaniques réalisées dans de nombreuses régions de la République Démocratique du Congo, il y a peu d'information sur la commercialisation des PFNL dans les marchés congolais, produits qui sont pourtant largement utilisés et commercialisés. Toutefois, des études de marché préliminaires sur les PFNL commercialisés ont été effectuées récemment dans les marchés de Kisangani (province de l'Est) et de Beni (province du Nord-Kivu). Ces études ont commencé à fournir des données sur la commercialisation et la vente d'une vaste gamme de PFNL dans la République Démocratique du Congo et pourraient contribuer à mieux comprendre le secteur des PFNL et sa contribution possible à l'aménagement durable des forêts dans cette région .
Mots clés: République Démocratique du Congo, produits forestiers non ligneux, marchés
La République Démocratique du Congo (RDC) est le plus grand pays d'Afrique centrale, avec une superficie de 2.345.000 km2 et contient la part la plus importante de forêt tropicale non perturbée de tout le continent africain. Cependant, malgré son vaste territoire forestier, certaines zones sont significativement dégradées par l'exploitation commerciale du bois d'œuvre, la chasse et l'exploitation des PFNL. Il est nécessaire de développer un certain nombre de stratégies pour assurer la conservation de la région forestière.
L'exploitation durable des PFNL pourrait contribuer, non seulement à la préservation d' une part importante de la diversité biologique des forêts tropicales, mais également à l'amélioration du sort de nombreuses communautés locales, grâce à la création de revenus et à la distribution équitable des richesses de la forêt. Le secteur des PFNL en RDC suscite de plus en plus d'intérêt, tant pour sa contribution au bien-être des habitants des forêts que pour son potentiel commercial dans le développement de nouveaux produits médicaux, cosmétiques et alimentaires. Toutefois, avant de pouvoir réaliser ce développement, des informations essentielles de base sont requises, afin de déterminer quels sont les PFNL de valeur et comment ils peuvent contribuer à l'économie locale.
Pour cette raison, des études préliminaires évaluant le degré d'importance des PFNL dans certaines zones choisies ont été réalisées. Des études réitérées complémentaires fourniront davantage d'informations sur le secteur des PFNL et sur les effets des variations saisonnières. Les objectifs de ces études sont :
· Etablir un inventaire sur les PFNL vendus dans les marchés urbains;
· Identifier les réseaux de distribution des PFNL;
· Déterminer la partie des plantes utilisée ainsi que ses modes de préparation;
· Evaluer si l'exploitation des PFNL selectionnés est durable;
· Evaluer le potentiel (ou la nécessité) de domestication de certains PFNL.
Cette étude préliminaire a été réalisée dans les marchés urbains de Kisangani et Beni, situés respectivement dans les provinces de l'Est et du Nord-Kivu.
2.1. Kisangani
Kisangani est la ville la plus grande de la Province de l'Est et se situe au nord-est du bassin central du Congo (03°1'N; 25°11'E). Le climat y est chaud et humide tout au long de l'année. Kisangani se situe dans la région forestière de la plaine Congo-Guinéenne, représentative de la majeure partie du pays, bien qu'à proximité immédiate de la ville. Une partie importante de cette forêt est sévèrement affectée par l'expension urbaine.
La population de Kisangani comprend de nombreux groupes ethniques différents: les Baboli, Bowa, Wogenia, Bolengola, Mbole, Kumu, Yoka, Lokele, Topoke, Mashi, Ngombe, Turumbu, Songe, Babera, pour n'en citer que quelques uns. Pour les besoins de notre étude préliminaire, nous avons sélectionné trois marchés: le marché urbain de Makiso (ou le marché du 27 octobre), le marché de Tshopo et celui de Mangobo.
2.2. Le centre urbain de Beni
Beni est située dans la partie est de la RDC, à proximité de la frontière ougandaise, et est caractérisée par une intense activité commerciale transfrontalière. La population locale de Beni se compose de «Nandes», qui sont essentiellement des marchands. La végétation de cette région est une savane de montagne, mais une grande partie des produits vendus sur le marché de Beni viennent des forêts de plaine. La ville de Beni étant de taille plus réduite que celle de Kisangani, elle ne possède qu'un seul marché.
3.1. Etude de marché
Notre étude de marché à été réalisée selon la méthodologie décrite par Clark et Sunderland (voir dans la présente publication). De plus, des informations complémentaires ont été tirées de la documentation importante existant sur la consommation des PFNL dans les ménages. Nos sources comprennent :
· Une étude ethnobotanique sur Kisangani Wagenia, par Bodkan et Droogers (1975);
· Une étude sur la commercialisation des plantes dans les marchés de Kisangani, par Bagula (1977);
· Une étude sur les plantes médicinales utilisées à Kisangani, par Wome (1977);
· Une prospection floristique des plantes utiles aux Batiabetwa de l'Ile de Mbié à Kisangani, par Udar (1983);
· Une étude sur les fruits comestibles de la région de Kisangani, par Boelongandi (1984);
· Une étude sur les plantes purgatives utilisées à Kisangani, par Yekonda (1984);
· Une étude sur les plantes médicinales utilisées dans le traitement des maladies vénériennes à Kisangani, par Birandano (1981);
· Une étude sur les plantes alimentaires sauvages pour les Kumu de Masako, par Vasolene (1987);
· Une prospection des plantes alimentaires spontanées dans les sous-régions de Turumbu et Tshopo, par Liengola (1989);
· Une étude sur les plantes alimentaires spontanées vendues sur les marchés de Kisangani et leurs circuits de distribution, par Bhua (1991);
· Une recherche ethnopharmaceutique sur les plantes médicinales utilisées dans la médecine traditionnelle à Kisangani, par Wome (1985).
En outre, des enquêtes sur la consommation des ménages ont été entreprises à Epulu (situé dans la réserve faunistique d'Okapi), dans le but de comparer l'utilisation des PFNL entre les populations urbaines et rurales.
A partir de l'étude de marché préliminaire, on a pu identifier les PFNL les plus importants (tant pour leur abondance que pour leur qualité).
Tableau 1: Les principaux PFNL vendus sur les marchés de Kisangani et de Beni
Nom scientifique |
Nom local |
Partie utilisée |
Utilisation |
Marché |
Gnetum africanum |
fumbwa (Kikongo) |
Feuilles |
Légume |
Kisangani |
Piper guineense |
bokango (Nonde) toketu (Lokele) |
Fruits |
Médicament, condiment |
Beni et Kisangani |
Cola acuminata |
ngongoka (Nonde) libelu (Topoke) gbongbolia (Swahili) |
Graines |
Aphrodisiaque, médicament |
Beni et Kisangani |
Garcinia kola |
bobale (Topoke) olale (Lokele) |
Graines |
Aphrodisiaque, médicament |
Kisangani |
Aframomum spp. |
ndehe (Nonde) tondolo (Swahili) soso (Topoke) |
Fruits et graines |
Fruits comestibles, médicament |
Beni et Kisangani |
Scorodophloeus zenkeri |
bumba (Topoke) |
Ecorce |
Condiment |
Kisangani |
Pentadipletra brazzeana |
geene (Topoke) etekele (Lokele) |
Racines |
Médicament |
Kisangani |
Thaumatococcus danielii |
longodo (Ngelema) mangongo (Swahili) |
Feuilles |
Feuilles d'emballage, chaume pour les toitures |
Beni et Kisangani |
Elaeis guineensis |
nganzi (Swahili) |
Noix, jus |
Huile de palme, vin de palme |
Beni et Kisangani |
Raphia spp. |
mabondo (Swahili) |
Jus |
Vin de palme |
Beni et Kisangani |
Champignons |
buyoka (Swahili) |
La plante entière |
Aliments |
Beni et Kisangani |
4.1. Les condiments
Dans les deux marchés étudiés, on trouve un certain nombre de condiments. Les fruits frais de Piper guineense, souvent consommés crus en raison de leur goût épicé. On trouve aussi des fruits séchés qui sont ensuite moulus et passés au tamis: la poudre ainsi obtenue est ajoutée au thé ou au café, ou est utilisée pour l'assaisonnement des légumes. L'écorce de Scorodophloeus zenkeri, caractérisée par son odeur aillée (particulièrement forte après les pluies), est également souvent utilisée pour assaisonner les sauces.
4.2. Les fruits comestibles
Les fruits de Aframomum spp. sont comestibles quand ils sont frais et ont un goût à la fois sucré (l'endocarpe) et acide (les graines). Les graines sont aussi parfois utilisées comme condiment. Les graines de Cola acuminata et Garcinia kola sont prisées du fait de leurs propriétés aphrodisiaques et stimulantes. Les graines de Raphia sont bouillies et on consomme leur peau qui est jaune. Enfin, l'huile de palme de Elaeis guineensis est particulièrement appréciée par les habitants de Kisangani et Beni.
4.3. Les légumes
Les feuilles de Gnetum africanum, consommées en étant hachées menues et préparées comme un légume, sont disponibles dans les marchés tout au long de l'année (Bhua, 1991). Les jeunes pousses blanc-jaunâtres de Thaumatococcus danielli sont découpées avant la cuisson et peuvent être ajoutées à d'autres légumes pour remplacer des morceaux de macaroni. On utilise également les feuilles adultes de cette espèce pour l'emballage ou dans la construction de toitures. Enfin, on vend également de nombreuses espèces de champignons comestibles dans ces deux marchés.
4.4. Vin de palme
Une majorité de la population, aussi bien rurale qu'urbaine, apprécie le vin de palme alcoolisé. Celui-ci est tiré du palmier à huile Elaeis guineensis mais également à partir de certaines espèces de Raphia. Le vin de palme de Elaeis guineensis est obtenu grâce à l'abattage du palmier et l'extraction du jus directement à partir du bourgeon terminal feuillu, alors que pour les espèces de Raphia on incise le tronc à la base de l'inflorescence ou à la base de la gaine foliaire.
4.5. Plantes médicinales
Alors qu'au Cameroun et en Guinée équatoriale, de nombreux habitants des forêts récoltent eux-mêmes les plantes médicinales destinées à leur consommation (Sunderland et Obama, voir dans la présente publication), en RDC, ce sont principalement les guérisseurs traditionnels et les négociants en plantes médicinales qui se chargent de la récolte et de la vente des remèdes à base de plantes forestières. Une grande partie des guérisseurs traditionnels manifestent une certaine réticence à dévoiler les secrets de l'utilisation des plantes médicinales et ne veulent pas partager leurs bénéfices, par crainte de perdre leurs avantages liés à leur savoir, ainsi que le monopole du commerce des plantes médicinales dans les marchés de Kisangani et Beni.
4.6. Enquête sur l'utilisation des PFNL au niveau des ménages
Les résultats de cette enquête réalisée à Epulu ont indiqué que la population locale utilise une vaste gamme de PFNL à des fins alimentaires, médicinales, artistiques, ornementales, rituelles et magiques. A Epulu, plus de cent espèces sont utilisées par la population et en particulier les pygmées. La majorité de ces espèces ne sont pas présentes sur les marchés que nous avons étudiés.
L'étude de marché préliminaire sur les PFNL à Kisangani et à Beni a montré que les populations de ces villes connaissent et utilisent un grand nombre de PFNL. Cependant, comparés à leur utillisation dans la population rurale, ces produits restent sous-représentés dans les marchés urbains. Ce phénomène peut s'expliquer par les raisons suivantes:
· La population sous-estime la valeur marchande de la plupart des PFNL;
· Les PFNL n'ont pas assez de débouchés dans le commerce au détail (sans doute en raison des difficultés de transport);
· Le secteur n'est pas assez lucratif;
· La population exerce d'autres activités plus rentables;
· L'exploitation de PFNL demande beaucoup de travail et est confrontée à des difficultés liées au transport et à la transformation;
· Les lois sur l'exploitation des PFNL sont très restrictives;
· Il n'y a pas de techniques de conservation appropriées;
· La population a perdu ses coutumes ancestrales et son savoir sur l'utilisation des ressources naturelles de la forêt.
Certaines études, réalisées à Kisangani par exemple, ont montré que le commerce des PFNL n'est pas assez rentable, à l'exception de la vente de Gnetum africanum. Bhua (1991) n'a recensé que onze espèces alimentaires vendues dans les marchés de Kisangani et parmi celles-ci, l'espèce Gnetum africanum était la plus répandue. En revanche, Beni est le centre d'une activité commerciale non forestière importante, et le commerce des PFNL ne présente pas un intérêt suffisant pour la plupart des négociants.
Des études ultérieures de ces marchés permettront d'obtenir davantage de données quantitatives collectées sur les PFNL vendus dans les marchés de Kisangani et de Beni, ainsi qu'une meilleure connaissance des circuits commerciaux. En outre, la comparaison continue entre l'usage domestique des PFNL et leur vente dans les circuits officiels éclairera les raisons du développement limité du secteur des PFNL en RDC et pourrait donner quelques indications quant aux moyens de développer ce secteur, afin qu'il contribue davantage aux économies rurales et urbaines.
Baelongandi, L. 1984. Etude des plantes sauvages à fruits comestibles utiles à la population environnante de Kisangani. Monographie inédite, Fac. Sc., UNIKIS, 33 p.
Bagula, B.Z. 1977. Plantes commercialisées aux marchés de Kisangani. Mémoire inédite, Fac. Sc., UNIKIS, 73 p.
Bhua, D. N. 1991. Plantes alimentaires spontanées vendues aux marchés de Kisangani et l'étude de leurs circuits d'entrée. Monographie inédite, Fac. Sc., UNIKIS, 30 p.
Birandano, M. 1981. Les plantes médicinales contre les maladies vénériennes à Kisangani. Mémoire inédite, Fac. Sc., UNIKIS, 83 p.
Bokdam, J. & Droogers, A. F. 1975. Contribution à l'étude ethnobotanique des Wagenia de Kisangani, Zaire. Mededeling Landbouwhogeschool, Wageningen, 74 p.
Liengola, B. L. 1989. Contribution à l'étude des plantes alimentaires spontanées chez les Turumbu et les Lokele de la Sous-Région de la Tshopo (Haut-Zaire). Monographie inédite, Fac. Sc. UNIKIS, 43 p.
Udar, U. K. 1983. Contribution à l'étude des plantes utiles chez les Batiabetuwa à l'île Mbie (Kisangani). Monographie inédite, UNIKIS, Fac. Sc. UNIKIS, 49 p.
Vasolene, K. 1987. Plantes sauvages alimentaires chez les Kumu de Masako. Monographie inédite, Fac. Sc. UNIKIS, 38 p.
Wome, B. 1977. Plantes médicinales des Kisangani. Mémoire polycopié, Fac. Sc. UNAZA, (inédit).
Wome, B. 1985. Recherches ethnopharmaceutiques sur les plantes médicinales utilisées en médecines traditionnelle à Kisangani (Haut-Zaire). Thèse inédite, Fac. Sc. U.L.B., 561 p.
Yekonda, L. 1984. Les plantes purgatives utilisées dans la ville de Kisangani. Mémoire polycopié, Fac. Sc., UNIKIS, 59 p. (inédit).