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Foresterie méditerranéenne

PERSONNEL DE LA FAO 1

[1 Document de travail préparé pour la sixième session de la Sous-commission de coordination des questions forestières méditerranéennes de la FAO, Madrid, avril 1958.]

Comme conséquence de l'écologie et de l'action de l'homme, les forêts méditerranéennes sont composées de peuplements de faible densité et de croissance très lente. Le bois produit est dur lourd, de mauvaise forme, et peut être utilisé plus aisément comme bois de feu que comme bois d'industrie. Ces caractéristiques sont encore aggravées par la facilité de la propagation végétative, et la densité du sous-étage limite souvent la production de bois de service en quantité et qualité bien que les taillis produisant beaucoup de bois de feu aient souvent une productivité supérieure à celle de la futaie.

D'autre part, les conditions climatiques favorisent des productions telles que celles du liège, de la résine, des tanins et des essences, qui sont liées aux particularités de la reproduction et de l'anatomie des arbres plutôt qu'à leur capacité végétative 2.

[2 A. PAVARI: «Bases écologiques et techniques de la sylviculture dans les pays méditerranéens», Monti e Boschi N° 10, 1954.]

Alors que la demande mondiale en sciages et en pâte produits typiques des forêts tempérées, est en augmentation - souvent d'une façon spectaculaire - les débouchés pour les produits de la forêt méditerranéenne se ferment les uns après les autres; et c'est un des aspects les plus graves de la sylviculture méditerranéenne. Il est vrai que de nouvelles techniques vont permettre maintenant d'utiliser des bois de petites dimensions, mais il n'en est pas moins vrai que les forêts méditerranéennes ont une productivité très basse. On est alors conduit à se demander si un changement dans les méthodes de sylviculture ne pourrait pas remédier à la difficile situation actuelle de la forêt méditerranéenne, principalement en ce qui concerne la production de bois d'industrie.

Ce besoin de changement est évidemment ressenti d'une façon moins urgente dans les forêts situées dans les zones de transition vers des climats tempérés et humides. Dans ces régions, l'installation de forêts semblables aux forêts d'Europe centrale est assez aisée et, par conséquent, la transformation des peuplements en vue d'augmenter leur rendement en bois pour la construction et la pâte semble facile. La conversion des taillis en futaie, l'enrésinement, etc., sont des exemples de cette transformation déjà en cours un peu partout dans la région. Toutes les études sur les possibilités d'application aux forêts méditerranéennes de systèmes sylviculturaux dérivant de ceux appliqués en Europe centrale (par exemple, futaie régulière au lieu de jardinage) se révéleraient donc des plus utiles si on les limitait d'abord aux zones de transition vers les climats tempérés.

En ce qui concerne les forêts situées dans les zones eu-méditerranéennes ou les forêts des zones de transition vers l'aridité, un changement plus profond des méthodes sylvicoles actuelles est sans doute nécessaire. En fait, une conscience exacte des conditions spéciales de son milieu a conduit depuis longtemps le méditerranéen à transformer la forêt primitive en une forêt-parc, ou même en plantations d'arbres produisant principalement de la résine, de l'écorce, etc. Ces derniers types de forêts présentent des peuplements dont les formes diffèrent sensiblement de celles des forêts tempérées humides qui ont vu naître la sylviculture classique. La pleine utilisation de ce type de peuplement méditerranéen nécessite souvent une main-d'œuvre et des techniques empruntées à l'agriculture et c'est ainsi qu'une nouvelle sylviculture hautement intensive est née, se rapprochant assez des méthodes agricoles. Les techniques forestières dans les zones eu-méditerranéennes dépassent ainsi de beaucoup les limites autrefois adoptées par la sylviculture classique.

Il semble donc que le moment soit opportun pour examiner:

a) dans quelle mesure les méthodes de la sylviculture classique restent encore valables pour les forêts méditerranéennes;

b) les grandes lignes d'une nouvelle sylviculture méditerranéenne; et

c) comment appliquer ces nouvelles méthodes aux forêts méditerranéennes pour obtenir des produits de grande valeur.

Cette orientation de la sylviculture vers des traitements plus intensifs donnant une production de plus haute valeur n'est ni nouvelle, ni limitée strictement à la zone méditerranéenne.

Dans tous les pays européens, on constate de plus en plus que les types de forêts classiques ne satisfont pas entièrement aux besoins d'une économie en expansion 3. Des exposés soulignant que la forêt classique est une formation à croissance plutôt lente visant principalement à enrichir le sol, que sa régénération naturelle est souvent capricieuse, que sa production totale est relativement basse et peu variée, etc., commencent à apparaître dans les revues forestières européennes les plus sérieuses. C'est ainsi d'ailleurs que le Congrès international du peuplier, réuni à Paris l'année dernière, a examiné une résolution préconisant l'établissement d'un organisme international pour établir les lignes d'une sylviculture nouvelle intensive et hautement productive.

[3 Yves CLAUDEL: «Nos besoins en bois de papeterie nécessitent des techniques de production rapide», Revue forestière française, novembre 1957.]

Tout ceci indique les débuts d'une tendance nouvelle en sylviculture dans les pays tempérés humides. Il semble donc évident que la Sous-commission de coordination des questions forestières méditerranéennes, qui se préoccupe directement d'une sylviculture Lui doit faire face à des problèmes autrement graves que ceux de l'Europe centrale, doit adopter une position sur une question aussi importante que celle de l'orientation générale à, donner à la politique de production forestière de l'avenir. Afin de faciliter la discussion le Secrétariat a retracé ci-dessous les principales tendances que l'on peut discerner dans la sylviculture actuelle. Elles pourraient servir de base à l'examen des propositions figurant au paragraphe 6 ci-dessus.

LES TENDANCES DE LA SYLVICULTURE

On peut admettre que la sylviculture actuelle d'Europe centrale présente trois aspects qui pourraient être résumés comme suit:

La sylviculture classique

Ses principales caractéristiques sont: peuplements purs, équiennes, dans certains cas d'origine artificielle; coupes rases; préférence pour les éclaircies faibles; prépondérance donnée aux questions économiques et, par conséquent, une tendance à négliger certains types de forêts naturelles; établissement de plans précis et rigides; concepts d'âge et de rotation bien définis, notions de «forêt normale» 4. Dans ce type de sylviculture, le peuplement est la principale préoccupation du sylviculteur et les arbres ne sont considérés que dans la mesure où ils constituent les éléments d'un peuplement. On peut même dire que les mathématiques sont la ligne principale de pensée de ce concept - l'ordre doit régner dans la forêt - et que la dendrométrie est la science appliquée servant de base à la sylviculture.

[4 P. FOURCHY, «En Suisse, quelques aspects de la sylviculture contemporaine» Revue forestière française, mai 1952.]

Cette conception de la sylviculture peut être regardée comme classique puisqu'elle remonte au commencement du XIXe siècle. C'est sous les auspices de ce concept qu'est née la sylviculture en tant que science, et les noms de Hartig et Cotta lui sont étroitement associés. Les méthodes établies par ces deux forestiers se sont imposées au cours du siècle dernier et ce n'est qu'au XXe siècle que l'on commence à faire certaines objections à ces méthodes. On a souligné alors les inconvénients nombreux qui résultaient de leur application systématique: appauvrissement et dégradation des sols; perte de production; difficultés de régénération; attaques d'insectes; etc. La sylviculture s'orienta alors vers la biologie et une nouvelle tendance est alors apparue.

La sylviculture moderne

Rien ne peut mieux symboliser cette tendance que la devise: «Retour à la nature». Elle fut certainement encouragée par les évolutions qui eurent lieu dans les domaines de la phyto-sociologie et de la pédologie au début de ce siècle. Les sciences biologiques prennent alors la place occupée jusqu'alors par les mathématiques. L'étude de l'écologie, de la phyto-sociologie et de la pédologie devient la base de la sylviculture. La forêt n'est plus composée uniquement d'un ensemble d'arbres placés sur la même surface, mais elle devient un complexe de biocénoses en équilibre où tous les facteurs, même ceux qui apparaissaient comme peu importants auparavant, jouent leur rôle dans le comportement de l'ensemble. L'arbre en tant qu'individu se détache alors et devient le facteur décisif de la sylviculture. Comme Guinier l'a dit, «Comprendre la forêt, c'est comprendre l'arbre».

Cette sylviculture moderne se caractérise par dessus tout par un retour à la «forêt naturelle» (ce qui entraîne une certaine méfiance vis-à-vis des essences exotiques)' par une liberté complète vis-à-vis des plans ou schémas théoriques, par un traitement plus intensif, des rotations très courtes, des coupes soigneuses et précises, des opérations culturales fréquentes et répétées, etc. 5 On a dit que le sylviculteur moderne «façonne» réellement ses peuplements, en attachant une importance toute particulière à chaque arbre. Ceci n'est possible qu'avec une absence relative de prescriptions administratives et une grande liberté d'action donnée à «l'homme du terrain».

[5 Op. cit.]

Cette nouvelle tendance s'est répandue rapidement en Europe. Elle a été particulièrement accueillie en France, où les forestiers y étaient préparés par la phrase bien connue de Parades: «Imiter la nature, hâter son œuvre, telle est la maxime fondamentale de la sylviculture». Mais, même dans le pays de Cotta, cette évolution est apparue dès le commencement de ce siècle, principalement avec Mayr, dans son livre Waldbau auf Naturgesetzlicher (La sylviculture selon la nature). Dès le début, cette tendance a rapidement dominé la sylviculture européenne qui s'est alors enrichie de plusieurs méthodes importantes telles que le jardinage, le contrôle, etc., où le sens de la tendance moderne s'est cristallisé.

Comme on l'a déjà dit, cette évolution a été encouragée par le développement incessant des sciences biologiques. Ces développements sont toujours en cours et on peut s'attendre à ce que la sylviculture continue à évoluer avec eux. Un troisième type de sylviculture semble alors apparaître dont le développement peut être décisif, en particulier pour l'avenir de la forêt méditerranéenne.

La nouvelle sylviculture

La sylviculture la plus récente est, dans une très grande mesure, le résultat des besoins accrus en produits forestiers et des progrès de la sélection. Sur des sols pauvres, l'évolution naturelle conduit souvent, en effet, à des peuplements qui ont un rendement très bas. Par ailleurs, les forêts naturelles primitives disparaissent un peu partout à la suite de l'action de l'homme, ou bien leurs produits ne sont plus demandes. Dans de nombreux cas, le retour au «climax» en particulier, par des moyens naturels, n'est donc pas désirable.

Les progrès dans les domaines de la sélection par voie végétative et de l'hybridation permettent d'envisager une meilleure utilisation des sols par les arbres. L'utilisation de clones et d'hybrides sélectionnés dans la populiculture moderne, accompagnée d'un traitement intensif des peuplements. ont permis d'atteindre des rendements bien supérieurs à ceux de la forêt classique, soit en effet 10 à 12 fois les rendements de celle-ci. De même, l'introduction de types sélectionnés de saules, bien qu'encore dans une première phase expérimentale, semblerait permettre des rendements inespérés, presque incroyables jusqu'à maintenant. Evidemment, ces clones et hybrides sélectionnés sont très coûteux et ne peuvent être utilisés avec un profit maximum que sur des sols très bien préparés et avec un entretien intensif. Il semble que la sylviculture vise actuellement à adapter le milieu à l'arbre; et ceci conduirait en vérité au terme final d'une évolution dont les étapes pourraient être résumées comme suit: négation du milieu, soumission au milieu, adaptation du milieu. On se rend compte, en effet, de plus en plus, que la sylviculture moderne ne peut consister en un simple retour à la nature et qu'elle ne peut éviter d'établir des peuplements qui sont complètement différents des peuplements naturels, ni d'utiliser tous les moyens d'accroître les rendements (engrais, irrigation, travail du sol) 6.

[6 H. FRANZ: «Naturgemässe oder standsortgemässe Waldwirtschaft», Allgemeine Forstzeitung, Hochschule für Bodenkultur, Vienne XVIII, No 68, novembre 1957.]

Un type nouveau et intensif de sylviculture apparaît alors, basé sur l'écotype, le clone ou l'hybride, le peuplement n'étant alors constitué que des répliques d'un même arbre, et caractérisé par une intervention humaine presque constante. Sur ces bases, les caractéristiques de la nouvelle sylviculture sont alors évidentes: peuplements équiennes d'origine artificielle, essentiellement issus de plantations; travail intensif du sol, emploi d'engrais, élagages, coupes rases pour récolter les produits, etc.

Pour illustrer cette nouvelle tendance, on pourrait citer les activités de certaines sociétés papetières, par exemple la Spruce Falls Company à Kapuskasing, Ontario. Cette société, dont la production annuelle est de 300 000 tonnes de papier pour le New York Times a entrepris un important programme de reboisement pour couvrir ses besoins en bois. Ces travaux doivent être conduits dans les forêts naturelles de Picea mariana qui appartiennent à la société et dont les rendements ne permettent plus de satisfaire les besoins de l'usine. L'exemple du Japon est encore plus frappant. Bien que les forêts naturelles couvrent 61,8 pour cent du territoire national, le nouveau plan forestier de 5 ans de ce pays indique que la productivité forestière doit être élevée grâce à la régénération artificielle, et insiste sur les systèmes d'aménagement forestier intensif et le développement des projets d'amélioration des arbres forestiers.

Il est évident que les études poursuivies par Paterson et Weck 7 sur les relations entre le milieu naturel et la potentialité de la forêt, confirment dans une certaine mesure cette nouvelle évolution. Les conclusions de ces deux chercheurs distingués, associées aux résultats récemment établis par la recherche, à savoir que la productivité est pratiquement indépendante des méthodes d'éclaircir 8, nous permettent d'entrevoir le plafond de la production de la sylviculture naturelle. Paterson, par exemple, considère que la productivité des forêts naturelles dans les conditions très favorables des stations équatoriales avec une grande pluviosité, ne dépasse pas 17 mètres cubes par hectare, y compris les bois non utilisables, les racines, etc. Il semble donc qu'une énergie supplémentaire doive être fournie au complexe climat-sol si l'on veut en tirer des revenus supérieurs. L'agriculture n'a pas fait autre chose pour obtenir ses hauts rendements.

[7 S. S. PATERSON, The Forest Area of the World and its Potential Productivity, Department of Geography, Royal University of Göteborg, Suède, 1956.

J. WECK, «Le climat et la productivité potentielle des forêts». Forstarchiv N° 11, Hannovre, novembre 1957.

8 R. SCHOBER: «Deutung und Aussage der Durchforstungsversuche: II. Die Buchen-Durchforstungsversuche» Allgemeine Forstzeitschrift, Marsstrasse 22, Munich, N° 33-34, 21 août 1957.]

FIGURE 1. - Plantations artificielles d'espèces à croissance rapide (peupliers à Santa Fé, Grenade, Espagne).

Photo: Giordano

On peut alors se demander ce qu'il advient des préoccupations antérieures concernant la sensibilité aux maladies et la dégradation des sols dans les peuplements purs. En ce qui concerne la première préoccupation, on ne peut mieux faire que de citer le paragraphe suivant d'un pathologiste bien connu, M. T. R. Peace 9:

«L'auteur n'a pas l'intention de nier qu'en général la sensibilité d'un peuplement pur aux maladies est plus élevée que celle d'un peuplement mélangé de la même espèce. On pourrait toutefois utilement rappeler que la maladie la plus dévastatrice rencontrée jusqu'à maintenant, le chancre du châtaignier (Endothia parasitica), a détruit le châtaignier en Amérique principalement dans des peuplements mélangés. On peut dire que bien que toutes les cultures agricoles soient plus sujettes aux maladies que leurs homologues à l'état sauvage, le rendement en matières utilisables est toujours plus élevé quand il s'agit d'une culture bien conduite. Certains penseront que ces hauts rendements dépendent de l'emploi de méthodes modernes de lutte chimique contre les maladies qui, pour la plupart, ne sont pas applicables à la forêt, en dehors des pépinières. On ne peut toutefois pas se résigner à croire que nous sommes incapables de mettre au point des méthodes de lutte qui se situeraient entre les méthodes chimiques inapplicables, d'une part, et une foi servile dans la forêt mélangée naturelle, d'autre part. En tous cas, il n'est pas prouvé en Grande-Bretagne que les plantations pures aient conduit jusqu'à maintenant à des désastres irréparables. Dans l'opinion de l'auteur, de tels désastres ne semblent pas imminents.»

[9 T. K. PEACE, «Approach and Perspective in Forest Pathology», Forestry, Vol. XXX, N° 1, 1957.]

FIGURE 3. - Forêt naturelle méditerranéenne de pins (Pinus laricio à Chypre).

En ce qui concerne l'appauvrissement du sol, nous pouvons faire appel à Duchaufour 10, le pédologiste français bien connu:

«Le forestier dispose donc de deux moyens d'action pour orienter favorablement l'évolution du sol: un moyen naturel à longue échéance, par le maintien d'un peuplement biologiquement équilibré, assurant lui-même la conservation de sa fertilité: c'est celui qu'emploie la sylviculture forestière traditionnelle: il est très progressif, mais en général sûr. Un moyen artificiel, à efficacité plus immédiate, par l'utilisation combinée du travail du sol et d'engrais ou d'amendements: ce moyen d'action est plus rapide, mais aussi plus brutal, donc plus dangereux; il doit être mis en œuvre avec les garanties scientifiques nécessaires, donc après une étude complète du milieu.»

[10 PH. DUCHAFOUR: «L'action des divers types d'humus sur les processus d'entraînement dans le sol forestier», Revue forestière française, décembre 1957.]

On peut alors admettre que la sylviculture, telle qu'elle est décrite sous le présent titre, pourrait plus exactement être appelée: «culture d'arbres». Ceci ne veut pas dire, cependant, comme l'a indiqué M. Peace, que les nouvelles techniques forestières doivent être exactement les mêmes que celles employées en agriculture. Cela signifie simplement que la foresterie, comme l'agriculture, doit être améliorée par l'emploi des techniques basées sur les connaissances acquises sur la culture artificielle des arbres, afin d'atteindre une nouvelle étape où la croissance et la production des arbres sont supérieures à celles que l'on observe dans les peuplements naturels. Dans de nombreux pays, la foresterie repose largement sur l'utilisation des forêts existantes, plus ou moins naturelles, de même que dans certains endroits arriérés l'agriculture est basée sur l'utilisation d'une végétation herbacée existante, plus ou moins naturelle. Si l'on veut toutefois que le bois continue à occuper une place importante dans l'économie, il serait probablement sage d'envisager des améliorations au-delà de celles fixées par le simple jeu des forces naturelles.

On peut déduire de ce qui précède que les forestiers vont maintenant avoir à faire face à deux tâches différentes: l'une relative à la forêt naturelle et l'autre relative à la production et à la récolte de bois. En ce qui concerne la première tâche, il appartiendrait aux forestiers d'assurer le meilleur aménagement d'une réserve naturelle dont le bénéfice maximum doit être retiré quand elle existe encore. En ce qui concerne la deuxième tâche, une nouvelle méthode - la culture des arbres - semble s'offrir aux forestiers pour produire du bois répondant à la quantité, à la qualité et aux prix exigés par une économie toujours en expansion. A cet égard, de nombreuses techniques nouvelles doivent encore être mises au point.

LA SYLVICULTURE MÉDITERRANÉENNE

L'aménagement des forêts vise actuellement, pour une grande part, à économiser les pertes dans la forêt: ce but est atteint principalement par différentes méthodes d'exploitation qui permettent toutes aux feuilles mortes, aux fruits, aux écorces, aux branches et aux rémanents de rester sur le parterre de la coupe. C'est de la décomposition de ces résidus que le sol retirera les éléments essentiels qui permettent une sylviculture typique visant un rendement soutenu.

Dans la foresterie méditerranéenne, les graines, les branches, les écorces, etc., qui contiennent la plus grande proportion d'éléments minéraux, sont, au contraire, le plus souvent, retirées de la forêt. C'est la production de fruits, de fourrage, de résine, provoquant, de lourds prélèvements dans le sol, qui donne en effet à la sylviculture méditerranéenne ses caractères distinctifs.

Cette caractéristique fondamentale a nécessité des traitements très différents de ceux utilisés dans la sylviculture classique, et cette situation a été comprise depuis longtemps aussi bien par les forestiers que par les propriétaires forestiers de la, région méditerranéenne. Les premiers ont souvent attiré l'attention sur l'appauvrissement des sols de la forêt méditerranéenne qui résultait de l'enlèvement des feuilles et des fruits. En ce qui concerne les propriétaires forestiers, leur compréhension des conditions spéciales de la région méditerranéenne apparaît clairement dans les traitements intensifs actuellement conduits dans la plupart des encinares et montados de la péninsule ibérique, dans les meilleures châtaigneraies à fruits de l'Italie et dans les peuplements de chêne vélani en Turquie. Il convient de rappeler ici que le maintien du châtaignier comme élément important de la foresterie méditerranéenne résulte, pour une grande part, de l'application aux peuplements de châtaigniers de traitements caractérisés par un changement des méthodes de sylviculture pure et orientés vers une technique forestière intensive basée sur la culture d'arbres.

Il semble donc qu'une augmentation de la production spécialisée des forêts méditerranéennes dépend principalement de l'amélioration des méthodes de cultures d'arbres. La sélection et l'amélioration génétique de certains types, par exemple, ont été fréquemment indiquées comme étant parmi les techniques les plus prometteuses à adopter. Vieira Natividade 11 a souligné l'importance de la sélection des clones et de l'intensification de la recherche en matière de reproduction végétative en ce qui concerne le chêne-liège. Une meilleure connaissance des techniques d'élagage et du travail du sol utilisées de pair avec l'apport d'engrais et la lutte contre les maladies, est également urgente pour augmenter la production des glands dans les encinares 12. Le cas de la production de résine est certainement le même.

[11 V NATIVIDADE. La subéraie méditerranéenne - Situation et perspectives d'avenir, Lisbonne, 1956.

12 M M. BOLAÑOS «Consideraciones sobre los encinares de España», Instituto forestal de Investigaciones, Madrid, 1943.]

Mais l'augmentation de la production des produits dits «secondaires» n'est pas le problème principal qui se pose en sylviculture méditerranéenne. Obtenir des sciages et des bois à pâte de la qualité requise, et, par dessus tout, en quantité convenable, reste le besoin le plus urgent. Pour résoudre ce problème, l'expérience déjà acquise par les forestiers méditerranéens dans les cultures d'arbres, pourrait se révéler très utile. Le travail déjà entrepris en Italie pour la production simultanée de meilleurs bois et de meilleurs fruits dans les châtaigneraies par la culture des arbres semblerait montrer clairement la direction à suivre à l'avenir par la foresterie méditerranéenne.

L'avenir des forêts méditerranéennes naturelles

Si, en fait, l'ambiance méditerranéenne semble conseiller la culture d'arbres comme le moyen le plus valable d'augmenter et d'améliorer la production du bois, le problème de déterminer la politique à suivre en ce qui concerne les peuplements naturels actuels se pose encore. D'une façon générale, cette politique dé. pendra des rôles physique, économique et social que ces forêts jouent encore. Le rôle économique est évidemment sérieusement réduit. Le rôle de protection et, dans une moindre mesure en relation étroite avec les conditions locales, le rôle social, restent les seuls rôles le plus souvent. L'établissement de la politique à suivre dépendra grandement de la réponse à la question suivante: le rôle de ces forêts est-il actuellement suffisant pour qu'il soit justifié de maintenir leur aménagement actuel?

Si l'on juge que la réponse sera affirmative, il est alors essentiel que la recherche forestière méditerranéenne mette au point des méthodes qui permettraient d'évaluer, en termes aussi concrets que possible les avantages physiques et sociaux de ces forêts, afin qu'on puisse les opposer à ceux des autres formes compétitives d'utilisation des terres. Ceci présenterait un intérêt tout particulier, car cette évaluation influerait sur les solutions à donner aux problèmes actuels de la montagne méditerranéenne. Toutes les solutions possibles se situent entre celles qui visent à conserver la montagne comme une réserve forestière avec une petite industrie forestière complémentaire, et une agriculture et un élevage de subsistance pour une faible population, et celles qui visent à retenir la population actuelle à la terre par tous les moyens possible. Dans tous les cas, le rôle à attribuer à la forêt dépendra étroitement des résultats des recherches préconisées ci-dessus.

Si, au contraire, on pense que la réponse sera négative, la seule solution possible est alors de rendre à la forêt son caractère économique sans compromettre les bienfaits sociaux et physiques que l'on peut encore en retirer. Une augmentation dans le rendement de ces forêts pourrait en effet être obtenue par des méthodes de la sylviculture pure, telles que l'enrésinement, la conversion des taillis en futaies, etc. Malheureusement, les possibilités d'application de ces méthodes semblent être limitées, comme on l'a déjà indiqué, aux zones les plus humides, et la conversion des peuplements feuillus improductifs en des types de forêts désirés peut être plus coûteuse que l'établissement de plantations 13. Dans ces conditions, on peut se demander si la transformation en cultures d'arbres, jouant simultanément un rôle physique, économique et social, ne doit pas être l'idée centrale de toute politique forestière méditerranéenne. Il est probable que dans la région méditerranéenne ces plantations d'arbres seront seules capables de fournir les grandes quantités de bois homogène et facilement accessible qui, quelles que soient ses caractéristiques technologiques, constituera toujours, comme l'a si clairement démontré le Prof. Pavari, la base essentielle d'une industrie forestière puissante.

[13 «Le coût de la transformation des peuplements varie de 43,57 à 80,92 dollars par acre (environ 100 à 200 dollars par hectare) selon les méthodes adoptées pour lutter contre les feuillus. De tels coûts sont bien supérieurs à ceux des plantations. Les forestiers qui font l'acquisition de terrains pour les planter dans le but de produire des bois de pâte et des bois de sciage, doivent avoir ces coûts présents à l'esprit. Des champs récemment abandonnés où les broussailles n'ont cependant pas repris complètement possession du terrain, peuvent être plantés à un prix plus raisonnable et présenteront des problèmes d'aménagement moins importants». Bulletin No 408, West Virginia University Agricultural Experiment Station, octobre 1957.]

Malheureusement, dans la région méditerranéenne, les possibilités d'installation de plantations d'arbres peuvent être sérieusement entravées par la demande en terres agricoles résultant de la pression des populations. Ce grave dilemme montre clairement l'importance des problèmes auxquels doit faire face la forêt méditerranéenne autochtone.


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