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La bibliographie du déboisement tropical:
modèles géographiques et historiques1

T.K. Rudel, K. Flesher, D. Bates,
S. Baptista et P. Holmgren

Thomas K. Rudel, Kevin Flesher,
Diane Bates
et
Sandra Baptista
travaillent au Département d'écologie
humaine de l'Université Rutgers,
New Brunswick, New Jersey, États-Unis.
Peter Holmgren est Directeur de projet,
chargé du Programme d'évaluation des
ressources forestières, Département
des forêts de la FAO, Rome.

Résultats d'un inventaire bibliographique sur le déboisement tropical et analyse des modèles de causalité qui émergent de cette documentation, dans le cadre de l'Évaluation mondiale des ressources forestières 2000.

La littérature sur le déboisement tropical s'est enrichie à un rythme si accéléré au cours de ces 10 dernières années que les intéressés ont désormais du mal à suivre. Une cinquantaine d'études sur la déforestation des régions tropicales viennent s'ajouter chaque année à la documentation existante. Cette prolifération d'infor-mation n'est pas sans conséquences. L'absence de toute coordination dans la réalisation et la publication des travaux entrave les efforts déployés pour re-grouper les données en vue d'un examen plus suivi du problème du déboisement tropical, et compromet l'utilisation de cette documentation pour la mise au point de stratégies de lutte contre la déforestation.

Le présent article fait la synthèse des résultats d'un récent travail d'inventaire de la bibliographie sur le déboisement tropical qui a demandé huit mois d'efforts et a été mené dans le cadre de l'Évaluation mondiale des ressources forestières 2000, dont l'un des objectifs était d'étudier les changements survenus au niveau du couvert forestier dans le monde entier (voir encadré ci-dessous). L'article met en lumière les systèmes actuels d'information sur le déboisement tropical, et fait le point des modèles de causalité qui émergent de la documentation existante.

Évaluation mondiale des ressources forestières 2000

La FAO rend régulièrement compte de l'état des ressources forestières mondiales au titre de son Programme d'évaluation des ressources forestières. Son prochain rapport, l'Évaluation mondiale des ressources forestières 2000 (FRA 2000), examinera l'état des forêts de la planète à la fin du XXe siècle. Cette tâche est réalisée avec l'aide des donateurs, des partenaires et des pays membres, ainsi qu'en collaboration avec la Commission économique pour l'Europe pour la collecte d'informations concernant les pays industrialisés.

L'objectif de FRA 2000 est de constituer une source d'informations et de connaissances sur les ressources forestières mondiales. Elle doit favoriser le débat à tous les niveaux, de même que la prise de décisions touchant la gestion et la protection des forêts à l'échelle mondiale. Grâce à cet échange actif entre partenaires, FRA 2000 représentera une tribune pour la mise en commun en continu des informations et des connaissances. Elle aidera à mieux com-prendre les questions relatives aux forêts du monde, ainsi que leur importance pour notre survie.

Les résultats de FRA 2000, le plus souvent classés par pays, seront publiés tout au long de l'année 2000 sur le site Web du Département des Forêts de la FAO (http:// www.fao.org/forestry/fo/country/navœ world.jsp).

MÉTHODES D'INVENTAIRE

Constitution de la bibliographie

Pour une description efficace de la littérature sur le déboisement tropical, la première étape a été de constituer une bibliographie exhaustive sur le sujet. Les analystes ont commencé par une liste de 120 citations recueillies au début des années 90, qu'ils ont ensuite mise à jour et étendue jusqu'à la mi-2000 de la manière suivante:

La création de la bibliographie a été un processus boule de neige: la découverte de nouvelles publications a mené à celle d'autres articles jusque-là ignorés. En six mois, plus de 1 250 références sur le déboisement tropical ont ainsi été recueillies. Elles ont ensuite été cataloguées à l'aide du logiciel bibliographique ENDNOTE.

La bibliographie a alors été triée pour en éliminer:

Plus de 300 articles de ce type ont ainsi été supprimés de la bibliographie initiale. Une centaine d'autres, difficiles à obtenir mais qui semblaient toutefois apporter une précieuse contribution à la compréhension du phénomène du déboisement tropical, font donc encore l'objet de recherches.

Nouvelle carte du couvert forestier mondial élaborée par FRA 2000

Il est important d'être bien conscients des limites inhérentes à une telle tâche. De nombreux rapports sur les tendances de l'utilisation des terres ou sur le déboisement de certains sites, sont produits par des agents d'organisations non gouvernementales ou d'organismes gouvernementaux locaux et ne paraissent pas dans les revues spécialisées de portée internationale, faisant plutôt l'objet d'une divulgation à caractère local. À cette stratégie de recherche ont très certainement échappé la plupart de ces rapports dits de la «zone grise», parfois cités dans d'autres publications, mais néanmoins difficiles à retrouver par la voie des bibliothèques. Par ailleurs il existe une distorsion linguistique: l'étude considérait les articles publiés dans quatre langues (anglais, français, espagnol et portugais), mais dans la plupart des bibliographies les publications en langue anglaise sont prédominantes. Si d'un côté cet état de fait reflète le rôle prépondérant de l'anglais comme langue internationale de la science, il révèle peut-être aussi un accès limité à la documentation pertinente, surtout en Afrique francophone.

Codage des articles

Chacun des 825 articles inscrits sur la liste finale a été lu et codé de la manière suivante. Le continent, le sous-continent et le pays définis dans la référence ont été indiqués selon les codes en usage à la FAO. La deuxième inscription correspondait à l'échelle géographique du processus de déboisement illustré dans la référence: la déforestation concernait-elle une communauté isolée, une région au sein d'un pays, un pays, un groupe de pays, un continent ou l'ensemble des régions tropicales de la
planète? Un autre code représentait la dimension temporelle: à quelle(s) décennie(s) les événements indiqués dans la référence se référaient-ils?

Les articles ont également été codés en fonction de la méthode d'information utilisée pour en tirer des conclusions concernant le déboisement:

Le schéma de codage indiquait également si l'étude considérée comportait une estimation quantitative des changements (7) ou des pertes (8) survenus au niveau du couvert forestier. Lorsqu'un article s'appuyait sur plusieurs types d'information différents, ils étaient alors tous indiqués sur les feuilles de codage.

Schéma de codage utilisé pour indiquer les causes attribuées au déboisement

1. Exploitation forestière pour le bois d'œuvre

2. Pâturage extensif - bovins et autre bétail

3. Agriculture de plantation

4. Petite agriculture

5. Bois de feu (pour usage familial)

6. Construction de routes (voies ferrées comprises)

7. Exploitation minière

8. Aménagement hydroélectrique

9. Transformation industrielle

10. Conflits

11. Mécanismes du marché international

12. Politiques gouvernementales et

subventions publiques

13. Croissance démographique

14. Pauvreté ou niveau de revenu

15. Niveau d'instruction

16. Régime foncier

17. Dette publique

18. Colonisation

19. Urbanisation

20. Incendies

Les articles qui n'avaient pas comporté la collecte de données primaires dans ou sur une région forestière pluviale, étaient codés comme fondés sur des sources secondaires (catégorie 6). Ainsi, un article présentant un nouveau modèle de déboisement tropical, mais utilisant pour son analyse des données de recensement ou des informations sur le couvert forestier déjà recueillies, aura été codé comme basé sur des sources secondaires, au même titre qu'un article qui aurait tiré des conclusions fondées sur des taux de déboisement calculés dans un autre rapport.

Enfin, chaque référence a été catégorisée selon les causes de déboisement indiquées, sur la base d'une typologie de 20 causes différentes (voir encadré ci-contre). (Le plus grand nombre de causes indiquées pour une seule référence a été 14). Pour garantir une bonne adhérence aux thèses défendues par les auteurs, une cause n'aura été indiquée que lorsqu'elle était décrite et analysée dans le corps de l'article (et non pas seulement dans le sommaire ou dans l'introduction).

Le choix terminologique de l'auteur a indubitablement influé sur la manière dont certains articles ont été codés. Un analyste pouvait ainsi indiquer un programme de colonisation comme étant la cause principale du déboisement d'un site et peu parler en revanche de la façon dont la construction de routes dans le cadre de ce même programme avait contribué à accélérer le défrichage dans la région. Analysant la même situation, un deuxième auteur pouvait au contraire considérer la construction de routes comme la cause première du déboisement dans cette région. En pareil cas, les deux articles décrivant la même situation auront alors pu être codés différemment.

Le défrichage des forêts au profit de l'agriculture a été l'un des moteurs de la déforestation dans toutes les régions; ici, des arbres ont été abattus pour cultiver du riz, en Thaïlande

- FAO/10458/A. WOLSTAD

Par ailleurs, le recours à plusieurs codeurs (six personnes, tous étudiants diplômés ou collégiens s'intéressant à l'écologie humaine) a multiplié les possibilités de discordances au niveau du codage. Les codeurs ont reçu une formation spéciale afin de renforcer la fiabilité du codage. Pour mesurer l'ampleur de la marge d'erreur résiduelle, on a procédé à un test de fiabilité, en faisant lire les mêmes articles à deux codeurs, séparément, et en mesurant ensuite le degré de concordance. Le niveau de fiabilité a été assez élevé pour les sources d'information (90 pour cent), mais moins bon en ce qui concerne les causes du déboisement (64 pour cent). Ce résultat rend quelque peu aléatoire l'usage des données dans de petits échantillons, mais n'interdit pas leur utilisation dans des échantillons plus importants. Une autre source d'erreur potentielle au niveau de l'analyse, dérive de l'emploi d'un même terme pour indiquer des phénomènes différents. Ce problème est particulièrement évident avec les définitions du déboisement. Certains analystes ont qualifié de déboisée une zone ayant fait l'objet d'une exploitation sélective, même lorsque 40 à 50 pour cent de la couverture forestière avait subsisté. Selon d'autres auteurs, seule une diminution du couvert forestier d'origine à moins de 10 pour cent constituait une déforestation (définition adoptée par la FAO). Le terme déforestation/déboisement est parfois interprété aussi comme l'exploitation d'une forêt primaire - sans tenir compte de son éventuelle régénération en forêt secondaire.

À force d'abattre des arbres pour ramasser du bois de feu, cette colline a été déboisée, à Oxaca (Mexique)

- FAO/20302/J. SPAULL

Un problème analogue se pose lorsque les analystes étudient la croissance démographique. Les études conduites en Asie du Sud et en Afrique dénoncent souvent l'augmentation de la population comme l'une des causes du déboisement, indiquant généralement par là le taux élevé d'accroissement naturel parmi les populations déjà denses de petits exploitants sédentaires. En Amérique latine, les analystes citent parfois eux aussi la croissance de la population comme un facteur de déforestation, mais ils se réfèrent alors à l'immigration de populations relativement restreintes de colons vers des zones frontalières peu peuplées. De telles divergences d'interprétation semblent être le prix analytique quasiment inévitable des analyses fortement agrégatives. Les avantages compensatoires d'une telle échelle d'analyse se manifestent sous forme de modèles d'information et de discussion, que seule une analyse globale de la littérature sur le déboisement tropical peut faire apparaître.

L'ensemble de données constitué à partir des informations codées par ENDNOTE, a été analysé à l'aide du logiciel SPSS (Statistical Package for the Social Science) afin d'établir des corrélations. Ces analyses ont fait apparaître les modèles d'information et les conclusions ci-après.

RÉSULTATS

Systèmes d'information

La trajectoire de la masse d'informations sur le déboisement tropical suit un schéma identifiable. Tout au long des années 80, au fil de la prise de conscience du problème, le rythme des publications a augmenté, passant de huit publications en 1980 à 41 en 1989. Depuis 1990, il est resté relativement constant, oscillant entre 45 et 60 publications par an. La moitié des publications existantes ont paru depuis 1992.

Un peu plus des deux tiers des publications sur le déboisement tropical ont une référence géographique précise. Les pays sont inégalement représentés. Quant au reste des travaux publiés, ils traitent un aspect spécifique du problème, d'une manière sommaire et sans référence géographique, ou ont au contraire une couverture mondiale.

Modèles géographiques

Plusieurs modèles généraux émergent clairement de la répartition géographique des études menées dans les différentes régions forestières tropicales (tableau 1). Tout d'abord, et sans surprise, le nombre des études est plus ou moins en rapport avec la superficie des forêts pluviales d'un pays à l'autre; si les pays qui ont de vastes étendues de forêts tropicales sont fréquemment étudiés, en revanche ceux dont la couverture forestière pluviale est restreinte, le sont plus rarement. Le coefficient de corrélation entre la superficie des forêts pluviales et le nombre d'études sur le déboisement dans un pays est de 0,842 (p<0,001).

TABLEAU 1. Quelles ont été les régions étudiées?

Région

Pourcentage d'études

Pourcentage de forêts tropicales, 1990a

Taux annuel moyen de déboisement, 1981-1990 (%)

Amérique centrale

18,3

4,30

2,19

Amérique du Sud

36,0

48,19

0,97

Afrique de l'Ouest

4,4

5,95

0,85

Afrique centrale

3,7

14,08

0,57

Afrique de l'Est

8,4

8,61

0,73

Asie du Sud

4,7

6,07

1,43

Asie du Sud-Est

22,5

12,71

1,40

Océanie

1,9

0,09

0,20

a Données de la FAO (1993).

Les analyses tendent aussi à porter sur les régions où le taux de déboisement est le plus élevé (coefficient de corrélation = 0,402, p<0,01). Cette tendance explique probablement en partie le nombre disproportionné - par rapport à la superficie forestière - d'études sur le déboisement réalisées en Amérique centrale et en Asie du Sud-Est (voir tableau 1). La concentration des études au Costa Rica (0,08 pour cent des forêts tropicales, 3,66 pour cent des études), en Équateur (0,70 pour cent des forêts, 5,50 pour cent des études) et aux Philippines (0,46 pour cent des forêts, 5,19 pour cent des études) est en partie explicable en ces termes. Du point de vue de la gestion de l'information, ce modèle a l'avantage de fournir un maximum de données sur le processus de déforestation dans les zones où le taux de déboisement a été particulièrement élevé, malgré quel-ques exceptions, en Afrique centrale notamment.

Bien entendu, on peut présumer que d'autres facteurs que le couvert forestier et le taux de déboisement influent sur le nombre des études portant sur une zone géographique donnée - par exemple, des conditions de déplacement et de travail favorables au sein d'un pays, ou le fait que la région à l'étude soit située à proximité de centres de recherche. Pour des raisons assez évidentes, les chercheurs n'ont pas étudié les régions forestières tropicales en proie à des troubles civils. Ainsi, la recherche n'a pu découvrir aucune étude sur les tendances ou les processus de déboisement en Angola, en Guinée-Bissau ou au Mozambique, pays victimes de conflits intérieurs depuis les années 70. Dans les Amériques, les troubles civils expliquent aussi probablement, du moins en partie, la rareté des études sur le déboisement en Colombie, pays où le taux de déforestation est pourtant élevé, par rapport aux nombreuses publications concernant les pays voisins, Équateur, Panama et Costa Rica. Étant donné les difficultés rencontrées par les chercheurs locaux dans les zones de conflit, les méthodes de télédétection pour l'observation des processus de déboisement peuvent jouer un rôle particulièrement important dans de telles circonstances.

Tendances dans la méthodologie de recherche

Les méthodes de recherche employées par les analystes des processus de déboisement ont évolué au cours des deux dernières décennies (tableau 2). Les études à caractère général, basées sur des sources secondaires et sur les témoignages de première main de chercheurs locaux, étaient prédominantes dans les premières publications sur le déboisement. À partir des années 80 et au cours des années 90, les publications reposant sur des données de télédétection et d'enquête, et bénéficiant de financements importants, sont devenues plus fréquentes, tandis que le nombre des témoignages directs sur les processus de déboisement a fléchi. Celui des études exclusivement fondées sur des sources secondaires (et ne fournissant donc pas de nouvelles données, à proprement parler) a lui aussi légèrement diminué, même s'il demeure important (environ 46 pour cent des travaux de recherche publiés dans les années 90).

TABLEAU 2. Classement des études sur le déboisement tropical par source d'information primaire: évolution dans le temps (nombre d'études)

Décennie

Télédétection

Enquête

Observation directe

Source secondaire

Total

Avant 1980

7
8,0%

7
8,0%

34
38,6%

40
45,5%

88
100%

Années 80

27
8,2%

15
4,6%

101
30,5%

189
56,7%

332
100%

Années 90

47
16,7%

42
14,9%

55
19,5%

132
46,8%

276
100%

Total

81
11,6%

64
9,2%

190
27,3%

361
51,9%

696
100%

Considérant le degré de précision accru que les méthodes d'évaluation utilisant la télédétection, les enquêtes au niveau des ménages, et une combinaison des deux procédés, permettent d'atteindre, leur diffusion représente une avancée positive. La répartition géographique des études basées sur la télédétection est relativement vaste: 27 pour cent seulement des travaux concernent le Brésil, tandis qu'un grand nombre de recherches ont été conduites en Équateur, à Madagascar et aux Philippines.

Tendances des systèmes d'analyse: les causes du déboisement

L'inventaire de la littérature sur le déboisement tropical poursuivait un double objectif: définir la base de connaissances accumulée au fil des années et illustrer les modèles de causalité qui émergent de ces travaux. Les tableaux 3 et 4 récapitulent les informations recueillies concernant les causes du déboisement.

TABLEAU 3. Variations régionales des causes attribuées au déboisement (nombre d'études indiquant ces causes)

Causes

Asie du Sud-Est

Asie du Sud

Afrique de l'Est

Afrique centrale

Afrique de l'Ouest

Amérique centrale

Amérique du Sud

Total

Exploitation forestière

80
37,7%

12
5,7%

7
3,3%

6
2,8%

12
5,7%

32
15,1%

58
27,4%

212
100%

Pâturage

4
2,4%

7
4,2%

7
4,2%

1
0,6%

4
2,4%

57
33,9%

88
52,4%

168
100%

Plantations

33
25,0%

6
4,5%

8
6,1%

3
2,3%

9
6,8%

25
18,9%

46
34,8%

132
100%

Petite agriculture

77
25,2%

14
4,6%

27
8,9%

7
2,3%

14
4,4%

59
19,3%

102
33,4%

300
100%

Bois de feu

18
21,4%

11
13,1%

23
27,4%

4
4,8%

4
4,8%

9
10,7%

12
14,3%

81
100%

Routes

19
13,4%

2
1,4%

3
2,1%

1
0,7%

4
2,8%

29
20,4%

84
59,2%

142
100%

Croissance démographique

41
28,3%

9
6,2%

21
14,5%

7
4,8%

10
6,9%

22
15,2%

34
23,4%

144
100%

Programmes de colonisation

33
17,7%

2
1,1%

3
1,6%

1
0,5%

3
1,6%

43
23,1%

100
53,8%

185
100%

Expansion du marché

28
23,0%

4
3,3%

11
9,0%

3
2,5%

4
3,3%

27
22,1%

44
36,1%

121
100%

Politiques gouvernementales

54
24,8%

8
3,7%

16
7,3%

3
1,4%

5
2,3%

41
18,8%

90
41,3%

217
100%

Total

128
22,3%

27
4,7%

48
8,4%

22
3,8%

25
4,4%

106
18,5%

207
36,1%

563a
100%

a Le total ne comprend que les études ayant une référence géographique précise.

Il s'agit en effet d'une enquête d'experts, plutôt que d'une comparaison systématique des processus de déboisement directement observés, visant à déterminer une éventuelle variation dans le temps des modèles de causalité identifiés. Une interprétation prudente des résultats s'impose donc. Ceux-ci sont par exemple affectés par le rythme auquel les experts publient leurs travaux. Dans une démarche de ce type, le jugement des chercheurs ayant un plus grand nombre de publications à leur actif aura plus de poids que celui des experts dont les publications sont moins fréquentes. De même, la situation observée dans un pays souvent analysé comme l'Équateur pèsera plus lourdement dans la détermination des tendances régionales que celle d'un pays moins étudié tel que la Colombie. Toutefois, en raison de la difficulté d'effectuer l'analyse comparative explicite qui serait nécessaire pour produire un plus grand nombre de résultats comparables sur plusieurs pays et continents, la méthode employée ici pourrait avoir une certaine validité.

TABLEAU 4. Évolution dans le temps des causes attribuées au déboisement (nombre d'études indiquant ces causes)

Cause

Avant 1980

Années 80

Années 90

Total

Petite agriculture

56

193

150

399

Exploitation forestière

41

149

123

313

Pâturage

36

123

72

231

Colonisation

37

122

67

226

Population

27

106

83

215

Plantations

28

83

68

179

Expansion du marché

17

79

81

177

Routes

27

80

66

173

Bois de feu

11

77

52

140

Dette

0

28

18

46

Total

88

335

268

691

Certains analystes ont observé que les causes du déboisement tropical différaient considérablement d'une région à l'autre (Rudel et Roper, 1996). Le tableau 3 analyse cette éventualité en mettant en corrélation les causes attribuées au déboisement et la région sur laquelle les études ont porté. Le fait qu'un pourcentage indiqué pour une cause donnée diffère sensiblement de celui qui figure à la base du tableau (répartition des études par région), est révélateur de l'importance majeure de cette cause dans certaines régions par rapport à d'autres.

L'examen de la bibliographie révèle ainsi une influence particulièrement marquée de l'exploitation forestière sur les processus de déboisement en Asie du Sud-Est, tandis que dans les régions arides et densément peuplées d'Afrique de l'Est et d'Asie du Sud le principal facteur de déforestation semble être la demande de bois de feu. En Afrique et en Asie, la croissance de la population a plus d'effet sur le déboisement qu'en Amérique latine. Dans cette région, le défrichage des forêts tropicales serait plutôt lié aux programmes de colonisation et aux phénomènes associés, à savoir la construction de routes et l'expansion des pâturages. Il semble que la petite agriculture, les plantations, l'expansion du marché et les politiques gouvernementales aient contribué au déboisement dans une égale mesure dans toutes les régions.

La construction de routes et de ponts a été identifiée comme un important facteur de déforestation en Amérique latine, comme l'atteste cette photo prise en Amazonie équatorienne

- T. RUDEL

Le tableau 4 analyse l'évolution dans le temps de l'importance des facteurs du déboisement tropical. Certains d'entre eux semblent être restés relativement stables. L'exploitation forestière, l'expansion des plantations, la petite agriculture, la construction de routes, la croissance démographique et la demande de bois de feu figurent parmi les causes de déboisement aussi souvent dans les études réalisées à partir des années 90, qu'avant 1980. Plusieurs facteurs particulièrement déterminants en Amérique latine, comme le pâturage extensif, semblent avoir perdu en importance au fil des années. Cette tendance pourrait correspondre à un ralentissement de l'expansion de l'élevage bovin extensif au détriment des forêts, depuis la suppression par le Brésil des subventions aux entreprises du bassin amazonien à la fin des années 80 (Browder, 1994) - ou indiquer tout au moins un affaiblissement de l'intérêt des chercheurs pour ce sujet.

Le tableau 4 révèle une importance accrue de deux facteurs associés à la mondialisation. Dans les années 90, les chercheurs ont été plus nombreux à indiquer comme cause de déboisement l'expansion du marché dans l'espace (par suite de l'augmentation des populations urbaines, du développement des moyens de transport et de la recherche de matières premières dans des zones plus reculées). D'autre part, l'alourdissement de la dette extérieure qui a abouti à des accords d'ajustement structurel, a donné une nouvelle impulsion à l'expansion des cultures d'exportation au détriment de la forêt (Kaimowitz, Thiele et Pacheco, 1999). Il est bien entendu difficile de déterminer si cette évolution du schéma d'attribution correspond à une véritable modification de l'importance relative des causes ou s'il ne s'agit que d'un changement du degré d'importance de ces facteurs dans l'esprit des chercheurs. Une analyse plus approfondie de la variation dans les régions de l'importance relative des différents facteurs de causalité, pourrait permettre de répondre à cette question.

CONCLUSION

Le travail de recherche qui fait l'objet du présent article, révèle l'existence d'un grand nombre d'études scientifiques sur le déboisement tropical, mais aussi leur répartition inégale sur le plan géographique. Si une grande attention est accordée à l'Amérique centrale et à l'Asie du Sud-Est, l'Afrique centrale reste en effet peu étudiée. Les zones où le taux de déboisement est élevé sont analysées plus fréquemment, mais dans les régions où les troubles politiques sont importants les études sont plus rares.

Les tendances qui émergent de la documentation scientifique sur le déboisement tropical, paraissent à la fois inquiétantes et porteuses d'espoir. La répartition géographique des études dans les régions demeure inégale et entrave les efforts déployés pour évaluer la déforestation. Parallèlement, la diffusion de méthodes fiables de télédétection et d'enquête au niveau des ménages pour l'évaluation du déboisement, promet une meilleure compréhension de ce phénomène. Ces deux éléments ouvrent un nouvel horizon en matière de gestion de l'information. En révélant l'inégalité de l'information concernant le déboisement tropical entre les pays, la FAO espère inciter les chercheurs à combler ces lacunes analytiques, et stimuler ainsi l'étude des changements du couvert forestier tropical. 

Bibliographie


1 Cet article est une adaptation du Programme d'évaluation des ressources forestières, document de travail no 27, FAO, 2000.


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