Il est corpulent, il a les lèvres épaisses et ses yeux semblent avoir été maquillés. Sa tête est grosse comme une enclume aux motifs délicats. Son corps est d’un bleu chatoyant.
Dans cette créature, le somptueux rivalise avec le comique. Parfois appelé poisson à bosse, et plus majestueusement Napoléon, ce poisson est à la fois étonnant et à la fois cette espèce déformée et attachante. Mais ni son apparence intrigante ni son rôle dans le maintien des écosystèmes marins (il s'attaque aux animaux marins toxiques et aide au maintien en bonne santé du récif corallien) ne lui ont permis d’être protégé.
L’âge de sa maturité sexuelle est tardif et ce poisson se reproduit peu. Il faut attendre des années avant qu’il n’atteigne la taille du marché. Et quand il l’atteint, le marché est impitoyable. Il est considéré comme un met de choix en Asie de l’Est et l’appétit effréné des consommateurs a fortement diminué les stocks de cette espèce.
En 2004, la CITES a estimé que le commerce de ce poisson devait faire l'objet de contrôles. L'Indonésie, l'un de ses principaux habitats, a légiféré pour décourager la contrebande. Mais la loi est inégalement appliquée. Un seul kilo de Napoléon peut atteindre jusqu’à 850 dollars EU. Dans ces conditions, cette merveille turquoise pourrait bientôt appartenir au cabinet des curiosités.
Découvrez l’aquaculture fondée sur les captures (CBA, son sigle en anglais). Cette technique traditionnelle est relativement simple : les jeunes poissons nés en liberté sont capturés, puis transférés dans des fermes pour être élevés dans des conditions contrôlées. Une fois qu'ils ont atteint leur taille marchande, les poissons sont vendus pour la consommation humaine.
Cette technique est généralement associée au thon rouge, pêché et engraissé à des fins commerciales à destination du secteur de la restauration. Elle est également appliquée à des espèces de faible valeur, où le poisson reste local pour améliorer le régime alimentaire des communautés pauvres.
Mais dans certaines régions d'Indonésie, une nouvelle version de l’aquaculture fondée sur les captures a été mise au point. Les communautés insulaires sont invitées à prélever des spécimens jeunes de Napoléon, pratiquement au stade larvaire, lorsque les taux de mortalité sont naturellement élevés. Livré à lui-même, le Napoléon a un piètre bilan en matière de survie. Même dans les zones non exploitées, la densité de population adulte peut être très faible ; parfois deux pour 10 000 mètres carrés de récif.
"On dit qu'il ne faut pas pêcher un poisson avant qu'il ne se soit reproduit au moins une fois. Mais cette nouvelle pratique de la pêche en Indonésie vient bouleverser cette logique : on prélève des individus au stade où ils ont de forts risques de mourir en liberté et on les fait grandir", explique Kim Friedman, un océanographe de la FAO spécialisé dans la reconstitution des stocks épuisés.