Rencontre avec des femmes qui révolutionnent le secteur de la pêche au Pérou


Un programme soutenu par la FAO permet de donner un coup de main aux entrepreneurs novateurs.

Au Pérou, les activités des entrepreneurs du secteur de la pêche décollent grâce à un programme national novateur soutenu par la FAO et la Banque mondiale. ©FAO/Jordi Vaque

15/10/2020

Un matin, il y a cinq ans, la patronne de pêche péruvienne Karin Abensur a évalué ce qu’allaient lui rapporter les 800 kg de poisson pris pendant la nuit. «Je me suis dit, se souvient-elle, que j’obtiendrais au pire 6 soles (1,76 USD) par kg.» Mais, de retour au port de Pucusana, au centre du Pérou, après quatre heures en mer, elle fut bien déçue: on ne lui proposait que 1 sol par kg (environ 0,30 USD). «On m’a dit d’accepter, car personne ne me donnerait davantage.»

Cet épisode illustre la dure réalité à laquelle sont confrontées de nombreuses personnes qui, comme Karin, vivent de la pêche au Pérou. La valeur marchande d'espèces communes comme l'aiguillat commun et l’ange de mer, qui abondent le long des côtes péruviennes, est généralement faible. Après des études universitaires de marketing, Karin a réalisé qu'elle devrait faire preuve d'imagination si elle voulait vivre de la pêche, sa passion depuis toujours. Elle a alors lancé sans tarder sa nouvelle activité, qui consiste à transformer des poissons à faible valeur marchande en produits recherchés, comme le poisson découpé et préparé en vue de la confection de sushis.

L’engouement des Péruviens pour la cuisine asiatique lui a mis la puce à l’oreille.«On assiste à une véritable explosion des restaurants asiatiques à Lima, explique Karin. Beaucoup de gens veulent manger des sushis mais tout le monde n’en a pas les moyens.» 

Les ouvrières de son entreprise, Karin Ecofish, sont formées à des techniques de découpe innovantes qui permettent d’élaborer de nouveaux produits à partir du poisson pêché. Elles savent maintenant effectuer des coupes complexes, à la japonaise, qui permettent d’obtenir des prix plus élevés sur le marché. «Je m’efforce ainsi de créer des coupes de style asiatique, mais avec du bonito», précise Karin, faisant référence à un poisson local bon marché au goût similaire à celui du thon.

«Après avoir posé mes filets, pendant que j’attends, je joue de la quena (flûte traditionnelle des Andes) pour demander aux apus (esprits des montagnes) de m’accorder une bonne prise», explique la patronne de pêche Karin Abensur. ©FAO/Jordi Vaque

Avec son poisson durable pêché localement, Karin cherche à séduire non seulement les restaurateurs, mais aussi les consommateurs locaux. Pour inciter davantage de gens à manger du poisson, elle élargit sa gamme de produits et forme son personnel à la confection de croquettes et de bâtonnets de poisson pour les enfants, ainsi que de morceaux déjà découpés et faciles à griller lors des réunions familiales. 

À l’autre bout du Pérou, dans la région de Puno, une petite entreprise aquacole innovante et dirigée par une femme connaît un succès similaire. Sur les rives du lac Arapa, à environ 4 000 m d’altitude, Truchas Arapa produit des truites à la chair d’un rouge éclatant grâce à l’astaxhantine, un colorant naturel extrait de crustacés du genre munida. Ces derniers font souvent partie des captures accessoires et sont abandonnés sur le rivage, où ils pourrissent. Grâce à l’incorporation de ce colorant dans l’alimentation des truites d’élevage, celles-ci changent de couleur, sont plus attrayantes aux yeux des consommateurs et ont une valeur marchande plus élevée, ce qui améliore la rentabilité de l’activité. Le succès de ces truites est tel qu’elles sont maintenant proposées au menu de l’un des restaurants les plus réputés de Lima.

Directrice commerciale de Truchas Arapa et originaire de la région, Reyna Callata travaille depuis toujours dans l’aquaculture. Elle dirigeait auparavant son entreprise familiale, qui produit et commercialise des truites provenant de différents endroits de la région de Cusco.

«Nous avions besoin de faire un bond en avant et nous voulons poursuivre notre développement. Nous étions certaines que cette truite unique en son genre, saine et riche en protéines, serait très demandée et que des prix plus justes entraîneraient la création d’emplois dans la région.»

Marisol Churacutipa est responsable du volet technique du projet. Embauchée comme ouvrière, elle est devenue cheffe de la production et responsable de la transformation des truites. Pour elle, le succès de cette entreprise dirigée par des femmes dépasse le seul cadre économique. 

«Beaucoup de gens sont fiers de voir que des femmes sont capables de mener à bien un projet pas seulement dans leur foyer, mais à bien plus grande échelle. Il s’agit d’un projet qui donne des résultats, qui crée des emplois non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes», souligne-t-elle. 

Ces projets sont seulement deux exemples parmi les 800 activités sélectionnées dans le cadre du Programme national d'innovation dans les secteurs de la pêche et de l'aquaculture (PNIPA) du Gouvernement péruvien. Lancé en 2017 et financé par la Banque mondiale, le PNIPA a été conçu par la FAO. À la demande du Gouvernement péruvien, la FAO continue à le soutenir de diverses façons, telles que la mise en œuvre d’un dispositif concurrentiel d’octroi de subventions pour financer les techniques d’élevage innovantes, l’amélioration de la gouvernance du secteur halieutique et le recours à des plateformes numériques pour suivre les résultats du programme.

Le PNIPA s’appuie sur les connaissances ancestrales des communautés de pêcheurs et aide celles-ci à protéger les ressources halieutiques, à accéder à de nouveaux marchés et à créer des conditions d’existence plus durables. Il permet de mettre en avant l’innovation, non seulement en soutenant l’entrepreneuriat, mais aussi en incitant les femmes, les communautés autochtones et les jeunes à proposer leurs idées et à participer. Il devrait soutenir 2 000 initiatives d'ici à la fin de 2022.

Grâce à l’ajout d’un colorant naturel qui donne aux truites davantage de goût et de valeur, l’entreprise de Marisol Churacutipa et Reyna Callata remporte un grand succès. ©FAO/Jordi Vaque

Le PNIPA ne vise pas que les pêcheurs. Il permet aussi d’établir des réseaux entre chercheurs, restaurateurs, entrepreneurs et experts dans le but de mettre en place un secteur halieutique et aquacole qui soit durable et rentable dans l’ensemble du pays. Dennis Escudero, expert de la FAO en investissements, souligne l’importance de l’approche participative du PNIPA: «Les communautés trouvent elles-mêmes des solutions novatrices. Le programme finance des initiatives suscitées par les besoins réels de différentes chaînes d’approvisionnement.»

Une fois un projet sélectionné par le biais d’un processus de mise en concurrence, les bénéficiaires versent une contribution financière initiale et les fonds du PNIPA couvrent le reste. Cette approche renforce la participation des bénéficiaires et leur appropriation du projet. Outre le financement, le programme permet d’organiser de nombreux ateliers et événements destinés à renforcer les compétences, notamment dans le domaine de la commercialisation. 

Innovation, innovation encore, innovation toujours: l’innovation est fondamentale si l’on veut créer des conditions d’existence durables, dans le cadre du changement climatique actuel, et réaliser les objectifs de développement durable. Le soutien apporté aux entrepreneurs locaux et aux idées novatrices dans des secteurs traditionnels tels que la pêche et l’aquaculture a eu une incidence incroyable au Pérou et améliore la vie des femmes et des hommes dans l’ensemble du pays.

Note de la rédaction: Cet article a été écrit avant que la pandémie de covid-19 ne frappe le Pérou.


Pour en savoir plus 

5. Gender equality, 8. Decent work and economic growth, 9. Industry innovation and infrastructure, 14. Life below water