Le labéo roho est la principale espèce élevée dans les systèmes de polyculture de carpes, ensemble avec les deux autres grandes carpes indiennes
viz., le catla (
Catla catla) et la carpe mrigal (
Cirrhinus mrigal). Sa niche alimentaire étant plus étendue (de l’entre-deux-eaux jusqu’au fond), cette espèce est généralement mise en charge à une densité relativement plus élevée que celle des deux autres espèces. En Inde, elle est aussi élevée en systèmes de carpiculture composée, incluant non seulement les trois grandes carpes indiennes mais aussi la carpe commune (
Cyprinus carpio) et deux carpes chinoises
viz., la carpe argentée (
Hypophthalmichthys molitrix) et la carpe herbivore (
Ctenopharyngodon idellus). Même dans cette combinaison à six espèces, le pourcentage de labéo roho est maintenu à 35-40 pour cent comme dans le système de polyculture à trois espèces. Au cours des dernières années, la préférence des consommateurs pour le labéo roho et la demande plus importante qui en a résulté ont aussi encouragé le système d’élevage à deux espèces, avec catla. Ce dernier type d’aquaculture est actuellement pratiqué dans 100 000 ha d’étangs, dans la région du Lac de Koleru en Andhra Pradesh, Inde, où plus de 70 pour cent du stock consiste en labéo roho.
Les trois grandes carpes indiennes, dont le labéo roho est la plus importante, sont également les espèces d’élevage dominantes dans d’autres pays tels que Bangladesh, Pakistan, République démocratique populaire lao, Viet Nam et Népal. Dans tous ces pays, la carpe argentée, la carpe herbivore et la carpe commune sont les espèces les plus communément élevées en aquaculture avec les trois grandes carpes indiennes.
Approvisionnement en juvéniles
Bien que la récolte d’alevins en rivières soit encore pratiquée dans quelques petites régions, c’est la reproduction induite du labéo roho qui a permis de répondre a presque toutes les demandes d’alevins dans tous les pays où il est élevé. Depuis le développement de la technologie en 1957, la méthode couramment utilisée a été la reproduction induite par hypophysation. Mais au cours de ces dernières années, l’on a également utilisé avec succès plusieurs formulations synthétiques commerciales de gonadotrophine purifiée de saumon et d’antagonistes de dopamine tels que Ovaprim, Ovatide et Wova-FH. Lorsque l’on utilise de l’extrait pituitaire, l’on injecte aux femelles une dose stimulante de 2 à 3 mg/kg de poids vif suivie, après un laps de temps de six heures, d’une seconde dose de 5 à 8 mg/kg; aux mâles l’on injecte une seule dose de 2 à 3 mg/kg au moment de l’injection de la seconde dose aux femelles. Lorsque l’on utilise des formulations synthétiques, une seule dose de 0,4 à 0,5 ml/kg (femelles) ou 0,2 à 0,3 ml/kg (mâles) est administrée.
Le type d’écloserie le plus communément adopté pour la production d’alevins est l’écloserie chinoise à composantes circulaires. Ce type d’écloserie est caractérisé par trois parties principales
viz., un bassin de reproduction, un bassin d’incubation/éclosion et un système d’emmagasinement /alimentation en eau. La profondeur de l’eau dans le bassin de reproduction est maintenue jusqu’à 1,50 m selon la densité des géniteurs; l’on recommande généralement 3 à 5 kg de géniteurs/m³. La proportion femelles:mâles est normalement de 1:1 en poids (1:2 en nombre). La grandeur et le nombre des bassins d’éclosion varie en fonction de la production requise et de la grandeur du bassin de reproduction. La densité optimale des œufs pour l’incubation est de 0,7 à 0,8 million/m³. En général, l’on obtient 0,15 à 0,20 million d’œufs/kg de femelle. L’élevage du frai se fait normalement en deux phases,
i.e. une première phase de 15 à 20 jours en nurserie pour la production de petits alevins, suivie d’une seconde phase de deux à trois mois pour la production de grands alevins.
Elevage de fingerlings
Production de petits alevins en nurserie
Les post-larves de trois jours, mesurant environ 6 mm, sont élevées jusqu’à la taille de 20 à 25 mm (petits alevins) en nurserie, dans de petits étangs de terre de 0,02 à 0,10 ha. Dans certaines régions, ce sont des bassins de briques ou de ciment qui sont utilisés comme nurseries. Bien que la mise en charge d’une seule espèce soit normalement recommandée, les pisciculteurs préfèrent souvent mélanger les trois espèces de grandes carpes indiennes. La préparation d’un étang de nurserie avant sa mise en charge devrait inclure l’élimination des plantes aquatiques et des poissons prédateurs, suivi d’un chaulage et d’une fertilisation avec engrais organiques et engrais chimiques. Les insectes aquatiques sont éliminés avant l’empoissonnement soit par l’application d’une émulsion d’un mélange savon-huile, soit par le passage répété d’un fin filet. En étangs de terre, les post-larves sont normalement stockées à la densité de 3 à 10 millions/ha; en bassins cimentés, l’on utilise une densité plus élevée (10 à 20 millions/ha). Normalement, les alevins reçoivent une alimentation supplémentaire composée d’un mélange de son de riz et de tourteau d’arachide (ou de moutarde) dans la proportion 1:1 (en poids). Le taux de survie varie entre 30 et 50 pour cent. Bien que les effets bénéfiques d’une bonne préparation des étangs de nurserie soient bien connus, certaines de ces activités sont souvent ignorées des pisciculteurs ce qui résulte en une mauvaise survie des alevins. Un autre facteur limitant la croissance et la survie des alevins est la non disponibilité d’aliments commerciaux, ce qui force les pisciculteurs à utiliser le mélange conventionnel de son et de tourteau.
Production de grands alevins
Les petits alevins (20 à 25 mm) produits en nurserie sont encore élevés pendant deux à trois mois, jusqu’à la taille de 80 à 100 mm (6 à 10 g) en étangs de terre de 0,05 à 0,20 ha. Ici, les labéo roho grandissent ensemble avec d’autres espèces de carpe à la densité combinée de 0,2 à 0,3 million d’alevins/ha, le labéo roho représentant 30 à 40 pour cent du total. La fertilisation des étangs avec des engrais organiques et des engrais chimiques, ainsi que l’alimentation supplémentaire avec le mélange conventionnel de son de riz et de tourteau sont la norme; cependant, les doses et formes d’application varient selon l’intensité d’élevage et la productivité inhérente des étangs. Au cours de cette phase, le taux de survie varie entre 60 et 70 pour cent.
Techniques de grossissement
La production de labéo roho de consommation se fait principalement en étangs de terre, normalement en systèmes de polyculture à trois espèces incluant les deux autres grandes carpes indiennes. Dans certains cas, elle se fait en un système de carpiculture composée, associant aux trois grandes carpes indiennes la carpe commune, la carpe herbivore et la carpe argentée en proportions variables, basées sur leurs habitats préférés et leurs niches alimentaires. L’adoption d’une carpiculture scientifique au cours de ces dernières années a permis d’obtenir des productions de 3 à 5 tonnes/ha/an. Cependant une telle pratique ne s’observe que dans un nombre limité de petites régions. Une très grande partie de la production est encore obtenue d’élevages extensifs où les intrants se limitent à la mise en charge et à la fertilisation et où de plus modestes niveaux de production (1 à 2 tonnes/ha/an) sont réalisés. En pratique la technologie d’élevage se caractérise par les activités suivantes: contrôle des poissons indésirables (prédateurs et rebut); mise en charge de grands alevins à la densité combinée de 4 000 à 10 000 ind./ha (30 à 40 pour cent de labéo roho); fertilisation des étangs avec des engrais organiques (e.g. bouses de vache, fientes de volaille) et avec des engrais chimiques; distribution d’une alimentation supplémentaire composée d’un mélange de son (riz ou blé) et de tourteaux (arachide ou moutarde); monitoring de la santé des poissons; et gestion de l’eau. La période de grossissement dure normalement une année au cours de laquelle le labéo roho atteint environ 700 à 800 g. Dans certains cas, les pisciculteurs pratiquent des récoltes partielles intermédiaires de poissons ayant atteint une taille commercialisable (>300 g). En Andhra Pradesh, dans la région du Lac Koleru, le centre de la carpiculture commerciale en Inde, l’on pratique communément un système d’élevage à deux espèces, labéo roho et catla; le labéo roho représente alors plus de 70 pour cent du stock. Dans ce cas, ce sont de grands alevins élevés à une forte densité pendant plus d’un an et pesant de 150 à 300 g chacun qui sont utilisés comme matériel de mise en charge. La taille usuelle des labéo roho récoltés atteint 1 à 1,5 kg après une période d’élevage de 12 à 18 mois. Des production de 6 à 8 tonnes/ha sont alors observées, le labéo roho contribuant environ 70 à 80 pour cent de la biomasse.
Bien qu’il soit recommandé d’utiliser de grands alevins (juvéniles) pour la mise en charge d’étangs de grossissement, le manque de ce type d’alevins oblige certains pisciculteurs à empoissonner leurs étangs avec de petits alevins ce qui résulte en un faible taux de survie et en une faible production. Ce sont les aliments supplémentaires qui constituent l’intrant principal, responsable pour plus de 50 pour cent du coût des frais variables du grossissement. Le coût accru des aliments commerciaux a obligé les pisciculteurs à plutôt utiliser le mélange conventionnel son-tourteau. Généralement distribué sous la forme d’une pâte, ce mélange provoque du gaspillage et une détérioration de la qualité de l’eau. Il faut donc insister sur une gestion judicieuse de l’alimentation afin d’améliorer la marge bénéficiaire. En cours de grossissement, en particulier en présence d’une forte densité d’empoissonnement, un ectoparasite (pou de la carpe,
Argulus spp.) a représenté un problème majeur pour le labéo roho en particulier, causant une diminution de la croissance et parfois des mortalités.
Le labéo roho forme aussi l’une des composantes importantes du système de carpiculture alimenté par eaux usées, pratiqué sur plus de 4 000 ha en West Bengal, Inde. Dans ce système cultural, caractérisé par de multiples mises en charge et de multiples récoltes de poissons de plus de 300 g, l’intrant principal fourni aux étangs d’élevage est constitué par l’eau obtenue après le traitement primaire d’eaux usées. Même en l’absence d’un apport d’aliments supplémentaires, ce système produit 2 à 3 tonnes/ha/an; avec une alimentation supplémentaire, cette production peut être augmentée jusqu’à 4 à 5 tonnes/ha/an.
Techniques de récolte
Les carpes étant élevées en étangs et en bassins qui sont généralement assez petits, l’engin convenant le mieux pour la récolte des poissons sont des seines opérées manuellement. La longueur de celles-ci dépend de la largeur de l’étang. Dans la plupart des cas, les poissons sont récoltés à la fin de la période d’élevage par seinages répétés. Cependant, dans certains cas, ceci est suivi d’une vidange totale des étangs. En petits étangs et en étangs d’arrière cour, l’on utilise souvent des éperviers pour des récoltes partielles. Dans les plans d’eau où l’on pratique de multiples mises en charge et de multiples récoltes, la récolte de poissons plus gros (300 à 500 g) débute généralement après six à sept mois d’élevage. Les poissons plus petits sont remis à l’eau pour continuer leur croissance. Dans le système de carpiculture alimenté par eaux usées, multiples mises en charge et multiples récoltes sont la pratique la plus courante.
Manipulation et traitement
Des grandes carpes indiennes d’élevage, c’est le labéo roho qui est l’espèce préférée. Sa commercialisation se fait principalement sur les marchés locaux où elle est vendue à l’état frais. Dans les grandes piscicultures commerciales où la récolte est très importante, les poissons, après un lavage complet dans de l’eau, sont empaquetés dans de la glace pilée (proportion 1:1) dans des cageots rectangulaires en plastique (généralement de dimensions 60 cm x 40 cm x 23 cm). Dans des pays comme l’Inde, où des labéo roho sont même transportés par route sur plus de 3 000 km, le transport sur de longues distances de ces poissons sous glace en camions calorifugés est communément pratiqué. A présent, la transformation après récolte de cette espèce et la production de produits à valeur ajoutée n’existe dans pratiquement aucun des pays producteurs.
Coûts de production
En général, les carpes sont des espèces de faible valeur dont le prix sur les marchés est de moins de 1 USD/kg au niveau du producteur; l’utilisation d’intrants majeurs tels que alevins, engrais et aliments supplémentaires, en plus des frais de main d’œuvre, est maintenue au minimum. En polyculture de carpes, l’aliment supplémentaire intervient pour plus de 50 pour cent du coût total des intrants; une gestion judicieuse des aliments est donc extrêmement importante si l’on veut améliorer les profits. En systèmes extensifs, pour une production de 2 à 3 tonnes/ha, le coût de production est d’environ 0,30 USD/kg; par contre, en système semi intensif, les coûts atteignent 0,5 à 0,6 USD/kg pour une production de 4 à 8 tonnes/ha.