Foro Global sobre Seguridad Alimentaria y Nutrición (Foro FSN)

Groupe Interministeriel Français sur la Securité Alimentaire (GISA)

France

Ces commentaires ne préjugent pas de la position française sur le document final.

  1. Remarques générales

Cette première version  du rapport est riche et aborde les différents effets de la dynamique de développement des biocarburants sur la sécurité alimentaire. Elle permet de dresser un panorama général des différentes pratiques en matière de politique de développement des biocarburants et vise à en comprendre les limites du point de vue de la sécurité alimentaire, mais aussi social, environnemental et économique.

Le Comité de la sécurité alimentaire (CSA) a chargé le HLPE de « faire une étude documentaire comparative, fondée sur des données scientifiques, en prenant en considération les travaux issus de la FAO et du partenariat mondial sur les bioénergies (GBEP), des répercussions positives et négatives des agrocarburants sur la sécurité alimentaire ». Le rapport gagnerait à rendre davantage état des débats existants en complétant notamment les références à la littérature existante. En effet, ce rapport vise à éclairer les décideurs politiques regroupés au sein du CSA, il est nécessaire qu'il rende compte objectivement de l'état des débats et de la controverse.

La version V0 du rapport s'intéresse essentiellement aux aspects « macros » dans les différents domaines abordés (effet sur les prix, effet sur le foncier) qui ne permettent pas de conclure de l'ensemble des impacts sur la sécurité alimentaire au niveau local et international.

Le rapport invite à une meilleure prise en compte des questions de sécurité alimentaire dans la mise en place des politiques et des projets en faveur  du développement des biocarburants et insiste sur les risques que peuvent faire peser les biocarburants de première génération sur les marchés agricoles. Ce diagnostic général, devrait être complété par une analyse des expériences de développement des biocarburants s'inscrivant dans une démarche de développement rural au bénéfice des populations locales et d'analyser également les effets sur l'emploi, le revenu agricole et l'accès à l'énergie qui sont des aspects clés pour la sécurité alimentaire.

Concernant l'organisation du contenu, il serait intéressant de mettre en avant les principaux points de conclusions ou d'attention à la fin de chaque chapitre, sous forme d'un encadré conclusion afin d'en faciliter la lecture. Le rapport se termine par un chapitre thématique, il serait opportun d'ajouter une dernière partie perspective, recommandation ou conclusion.

 

  1. Remarques sur le contenu

 

  1. Chapitre 1 : Biofuels policies

Cette partie est importante car elle permet de dresser un panorama mondial des différentes motivations et stratégies adoptées par les gouvernements sur les biocarburants. Il serait intéressant ici de développer davantage les différents types d'outils mis en place dans les pays pour soutenir ou encadrer les filières biocarburants, et d'analyser leurs effets sur la dynamique des filières, les prix et la pression sur le foncier.

L’idée d’une typologie des situations nationales comme outil d’aide à la décision est intéressante et gagnerait à être plus développée en distinguant peut-être d’autres critères comme l'accès aux ressources naturelles, le niveau de sécurité alimentaire, l'existence d’un tissu industriel, les sources actuelles d’approvisionnement en énergie, le contexte climatique... Il est étonnant que les pays à haut revenu ne soient pas du tout mentionnés ici.

En Europe, ce qui est présenté comme une Directive (p.14) n’est à ce stade qu’un projet de la Commission Européenne.  Par ailleurs, la nouvelle proposition de la Commission ne consiste pas en l'imposition d'un plafond de consommation, mais d'un plafond sur le taux d'incorporation d'agrocarburants à base de matières premières comestibles.

  1. Chapitre 2 : Biofuels and the technology frontier

L'analyse des biocarburants de deuxième génération mériterait d'être davantage développée. En effet, la seconde génération de biocarburant est très hétérogène, son impact en terme d'utilisation des sols, de réduction des GES et ses rendements sont très différents. A titre d'exemple, le rapport pourrait étudier des solutions comme l'utilisation de la paille de riz dont une grande quantité est aujourd'hui brûlée dans les champs.

Enfin, l’utilisation des déchets alimentaires et industriels, déchets verts, déchets cellulosiques urbains dans une civilisation du recyclage systématique mériterait une évaluation quantitative, ainsi que les perspectives globales en termes de sobriété énergétique.

  1. Chapitre 3 : Biofuels, Food Prices, Hunger and Poverty

Sur la question centrale du nexus biocarburant – prix – faim et pauvreté (partie 3.1) la démonstration se base sur des moyennes mondiales alors que l'insécurité alimentaire dans le monde repose sur une conjonction de facteurs et de contraintes aussi bien internationaux que locaux.  Cette partie, fondamentale dans le rapport gagnerait à être davantage étayée et illustrée d'une analyse microéconomique des impacts des politiques de développement des biocarburants et des réponses adoptées par les populations les plus vulnérables confrontées à une forte augmentation des prix au regard notamment de leur situation (acheteur net d'aliments versus vendeur net).

Par ailleurs, sur la question clé de la réduction de la consommation alimentaire comme conséquence de l'augmentation de la demande en biocarburants, le document ne fait état que d'une partie des conclusions des travaux d'Edward et al (2011). En complément à ce que suggère le rapport, Eward et al. indiquent également que l'ajustement de la demande, par non remplacement d'un tiers environ des calories converties aux biocarburants[1], se ferait d'abord par une réduction de la demande pour l’alimentation animale plus que par la réduction de la consommation des populations en situation d'insécurité alimentaire[2].

De plus, la corrélation n'est pas systématique entre les marchés alimentaires mondiaux et les marchés de détails dans certains pays. Il conviendrait de compléter cette partie en prenant en compte les impacts de la production à grande échelle de biocarburants sur les prix et la disponibilité des denrées alimentaires au niveau national et local.

Par ailleurs, Il convient également de  prendre en compte les impacts des appropriations de terres à grande échelle (pour la production de biocarburants ou d'autres cultures), au niveau national et local, sur les prix et la disponibilité des denrées alimentaires. A titre d'illustration le développement dans une région d'une plantation de canne à sucre ou d'huile de palme de 50 000 à 100 000 ha dont la production est transformée puis exportée a nécessairement des impacts sur la disponibilité de nourriture, les prix et par voie de conséquence la situation alimentaire des foyers.

Concernant la question majeure de l'effet des biocarburants sur les prix des matières premières, si l'on peut aujourd'hui parler d'un consensus indéniable sur l'effet prix induit par le développement des biocarburants, la quantification de la part de responsabilité de ces derniers sur l'augmentation des prix internationaux est encore discutée. Le rapport devrait présenter une synthèse de la littérature économique et économétrique sur les relations entre prix des carburants, prix des biocarburants et prix des produits alimentaires   et rapporter l'état de la controverse.

En particulier le rôle des politiques de soutien devrait être complété en précisant davantage leurs effets potentiels sur les prix alimentaires en fonction du contexte d'application et des options politiques choisies : seuil d'incorporation des biocarburants, caractère contraignant ou non de ce seuil, seuil plafond ou seuil plancher, incitation fiscale...Ces éléments sont indispensables pour analyser le ratio et l'évolution des prix (alimentaire et pétrole) et le niveau de connexion des marchés (idem), et ainsi d'appréhender l'impact sur les marchés alimentaires.

Les auteurs s'intéressent principalement aux effets à court terme des biocarburants sur les marchés agricoles et analysent la situation récente des marchés. Une mise en perspective de l'évolution historique du niveau des prix agricoles ainsi que des prix des principales matières premières (pétrole, …) en valeur réelle permettrait de mieux déterminer  le poids des biocarburants comme déterminant du prix agricole. 

Concernant les éléments de prospective, les mutations en cours dans le monde des énergies fossiles gagneraient à être davantage pris en compte (gisements non conventionnels, schistes bitumineux, etc.), ainsi que les perspectives globales en termes de sobriété et d'efficience énergétique. Le document ne retient implicitement qu’un scenario de prix haut pour les carburants fossiles, or même si ce scénario est sans doute le plus probable, les autres « futurs alternatifs » gagneraient à être également évoqués car cela conditionne la rentabilité des biocarburants, l'impact des politiques actuelles et par conséquent leur développement et leurs effets sur la sécurité alimentaire.

Concernant l'importance attribuée aux autres facteurs la liste pourrait être complétée (les politiques de restriction aux exportations...). Par ailleurs, il nous semble que le document devrait rapporter davantage l'état de la bibliographie existante en dégageant les consensus et les controverses (la controverse sur le rôle de la spéculation n'est pas encore éteinte) avant, éventuellement de conclure (cf. les commentaires généraux ci-dessus).

  1. Chapitre 4 : Biofuels and land

Le rapport met l'accent sur la faible disponibilité réelle des terres, ce qui est une bonne chose. En effet, beaucoup de terres prétendument disponibles sont utilisées par les populations locales pour leur survie : cueillette, transhumance, collecte de bois de chauffe… Néanmoins, le rapport n'aborde pas le potentiel d'intensification de l'usage des terres agricoles comme piste de développement des biocarburants à usage local. Le développement d'agro-industries à grande échelle acquérant, dans un système de gouvernance foncière défaillant, de grandes superficies au détriment des communautés locales, est totalement différent de la plantation paysanne dont le producteur aura décidé lui même d'affecter une partie de ces terres à cette culture (en association avec d'autres cultures par exemple) et dont le débouché est assuré par une contractualisation (à l'instar d'autres cultures de rente comme le coton).

Les exemples sur le jatropha gagneraient à être développés. Il existe en effet divers systèmes de production du jatropha visant à favoriser la sécurité alimentaire dans la logique de l'introduction d'une nouvelle culture de rente et dont le carburant produit peut bénéficier à l'intensification de la production agricole (motopompes, motoculteurs …) et sa transformation (moulins …) permettant un gain de productivité et une meilleure valorisation. Il conviendrait de mettre en avant les différentes expériences qui présentent des résultats contrastés et restent encore à un stade embryonnaire.

Par ailleurs, il conviendrait d'étudier d'autres exemples d'introduction de biocarburants à l'échelle paysanne pilotés par des organisations paysannes pouvant fournir des perspectives intéressantes.

Enfin, la notion de réversibilité de l'usage de la terre devrait être davantage étudiée  afin de mieux évaluer  les impacts sur la sécurité alimentaire à moyen et long terme. A l'inverse les risques liés à la destruction de la biodiversité (déforestation de forêts primaires,…) présentent une irréversibilité totale.

  1. Chapitre 5 : Social implications of biofuels

Le rapport limite l'intérêt « social » aux besoins des communautés rurales en matière de cuisson, de chauffage et de gestion de l'eau. Il serait intéressant dans cette partie d'évoquer les perspectives de développement social, économique et territorial que peuvent offrir les biocarburants.

Concernant les schémas de certification définis au niveau européen, le rapport pourrait souligner la faiblesse suivante : l'article 18 de la directive EnR prévoit que lorsque la Communauté a conclu avec des pays tiers des accords bilatéraux portant sur des "sujets couverts par les critères de durabilité", la Commission peut décider que ces accords servent à établir que les biocarburants et bioliquides produits à partir des matières premières cultivées dans ces pays sont conformes aux critères de durabilité. Il n'y a actuellement aucun accord de ce type en vigueur, mais ce point de la directive pourrait présenter, s'il était appliqué et selon la façon dont il pourrait l'être, un risque de déprécier la mise en œuvre de la durabilité, de constituer un précédent, et de donner lieu à de la concurrence déloyale entre les biocarburants soumis de façon stricte aux critères de durabilité et ceux qui le seraient par ces accords.

III.   Références

Propositions de références supplémentaires :

Prise en compte des émissions liées aux changements d'affection des sols : De Cara et al, 2012 « Revue des études évaluant l'effet des changements d'affectations des sols sur les bilans environnementaux des biocarburants » qui réalise une méta analyse des estimations d’impacts ILUC/CAS dans plus de 485 références bibliographiques fournit le spectre des résultats mais explique surtout quelles hypothèses ou facteurs pris en compte ou non dans les modèles conduisent à des estimations hautes ou basses http://www2.ademe.fr/servlet/getBin?name=7AC5DFA02A2CE66DFDE000D7FA33AA56_tomcatlocal1333626720098.pdf

Rendements énergétiques des biocarburants de 2ème génération : l’étude de Taheripour et Tyner (2012) pointent des rendements énergétiques très hétérogènes et donc des effets en terme de réduction des GES très différents entre le myschantus, le switchgrass ou les résidus de maïs (tige) :

http://ageconsearch.umn.edu/bitstream/124407/2/AAEA_2012%20paper-taheripour%20tyner2.pdf

Les rapports de la Commission européenne, études et consultations publiques http://ec.europa.eu/energy/renewables/consultations/2010_10_31_iluc_and_biofuels_en.htm

dont l'étude IFPRI de David Labordes 2011

 

L'importance des contraintes (mandats, blend wall, etc.) et des régimes de prix des biocarburants et leur connexion variable avec les cours des carburants fossiles. Plusieurs études se sont attachés à cet aspects centraux (à titre d'exemple on peut citer Abbott, 2012 :  « Biofuels, Binding Constraints and Agricultural Commodity Price Volatility » dans lequel l'auteur distingue pas moins de 7 régimes successifs de prix depuis 2005, marqués par des coefficients de corrélation très contrastés entre prix du pétrole et prix du maïs. D'autres peuvent être aussi cités (Herlet et Beckman, 2011, « Commodity Price Volatility in the Biofuel Era: An Examination of the Linkage Between Energy and Agricultural Markets » ou bien Babcok, 2011 : « The Impact of US Biofuel Policies on Agricultural Price Levels and Volatility »)

« Biofuel and Food-Commodity Prices » : http://www.mdpi.com/2077-0472/2/3/272 qui indique notamment dans la revue de littérature : « Overall, this literature suggests that the linkage between ethanol prices and food prices is rather weak, and that the diffusion of shocks between fuel and food prices is very limited » sans toutefois conclure que les effets des biocarburants sur les prix sont nuls.

Sur la quantification de la part de responsabilité des biocarburants sur l'augmentation des prix internationaux : voir par exemple Hochman et. Al, 2012 : http://www.mdpi.com/2077-0472/2/3/272, Abbott, 2012, http://www.nber.org/chapters/c12808.pdf ou encore Serra, 2012 http://ageconsearch.umn.edu/bitstream/126057/2/Serra_2012.pdf ou bien MH Hubert, 2012 : « Nourriture contre carburant, quels sont les termes du débat » pour quelques articles récents résumant une partie de la littérature existante

Jatropha reality check, a field assessment of the agronomic and economic viability of Jatropha and other oilseed crops in Kenya, World Agroforestry Centre, Kenya Forestry Research Institute, Endelevu Energy, GTZ, Décembre 2009 : http://www.worldagroforestry.org/our_products/publications/details?node=... Cette même étude recommande d’ailleurs à tous les acteurs concernés ‘‘de réévaluer avec précautions leurs activités de promotion du jatropha en tant que source d’énergie prometteuse’’.

Sur la disponibilité des terres dans les pays en développement :

Gérard CHOUQUER, « L'Afrique est-elle disponible ? » Ce qu'on voit quand on regarde, Grain de Sel, 2012

"How much spare land exist ?" Bulletin of the international Union of soil Sciences n° 97, Young, A. 2000

"Is there really spare land, a critique of estimates cultivable land in developing countries'' environment development and sustainabiliy 1:3-18 Young, A. 1999

« A savoir » de l’AFD n°11 : « La situation foncière en Afrique à l’’horizon 2050 », janvier 2012 Alain DURAND-LASSERVE et Étienne Le ROY, comité technique “Foncier & développement ».


[1]Page 22, premier paragraphe dernière phrase (Roberts 2010)

[2]« This reduction is not mostly from people eating less: it is a shift of meat production from livestock fed on crops (mostly in EU) to livestock raised on ranches in more extensive countries. », Edwards et al