Droit à l'alimentation

Lawrence Haddad:Il est trop facile de dire « oui bien sûr, je suis pour les droits dans le système alimentaire / ODD » mais ensuite de ne pas y prêter beaucoup d’attention.

Experts' corner - 30.04.2021

Depuis septembre 2020, la Piste d’action 1 du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (SSA) a permis que soient mises de l’avant plusieurs propositions pour transformer les systèmes alimentaires à travers un large éventail de perspectives présentées via des forums ouverts, des enquêtes publiques pour identifier des solutions transformatrices ainsi qu’une plateforme communautaire.

Au cours de cet entretien, la FAO a demandé au Dr Lawrence Haddad, Directeur exécutif de l’Alliance mondiale pour une meilleure nutrition et Président de la Piste d’action 1 du SSA, pourquoi et comment le Sommet sur les systèmes alimentaires taille une place au droit à une alimentation adéquate. Il fait valoir qu’une vision holistique est nécessaire et appelle à une plus grande attention aux droits humains, y compris un suivi renforcé avec les indicateurs des ODD.


 La première vague de propositions a généré un grand nombre d’idées qui reflètent la diversité et la créativité des différentes parties prenantes. Parmi eux, quels domaines émergents peuvent contribuer à unir les efforts en vue d’améliorer l’accès à une alimentation saine et nutritive pour tous?

Lawrence Haddad : Dans un système visant l’amélioration de l’accès à des aliments sains et nutritifs, il faut envisager des actions dans tous les domaines : la production, l’approvisionnement, la transformation, le stockage et la distribution, les environnements alimentaires, la création de la demande, etc. Ces derniers s’appuient tous les uns sur les autres. Ce sont tous des maillons d’une même chaîne, et la chaîne n’est aussi solide que son maillon le plus faible.

il faut envisager des actions dans tous les domaines [..]. 
Ce sont tous des maillons d’une même chaîne, et la chaîne
n’est aussi solide que son maillon le plus faible.
 

Ce sont tous des maillons d’une même chaîne, et la chaîne n’est aussi solide que son maillon le plus faible.

Concernant la production, il existe plusieurs idées, mais la plupart tournent autour de la production d’aliments plus nutritifs, disponibles, abordables, réduisant les GES, promouvant la durabilité des terres, de l’eau, l’application de l’azote et du phosphore tout en favorisant la biodiversité, en générant des moyens de subsistance décents et en soutenant la résilience du système. Ainsi, par exemple, l’accent est mis sur les cultures sous-utilisées : les produits de base et les fruits, les légumes et les cultures arboricoles qui sont souvent cultivés par les femmes, peuvent être nutritifs, peuvent améliorer la biodiversité et peuvent, éventuellement, devenir plus rémunérateurs. Trop peu de R&D public est consacré à ces cultures – la tendance est plutôt dominée par les 3 grandes denrées de base, le riz, le blé, le maïs et trop peu sur le mil et le sorgho et sur les produits non essentiels riches en micronutriments, protéines et fibres.

En ce qui concerne les achats, nous avons besoin que les gouvernements créent des plates-formes de demande plus tangibles et des engagements d’achat d’aliments nutritifs en incorporant ces aliments dans les systèmes d’alimentation scolaire, de protection sociale, dans les filets de sécurité et le système de santé. Cela envoie des signaux puissants aux agriculteurs et aux PME du système alimentaire local. Trop souvent, les directives diététiques basées sur les aliments ne visent que les consommateurs, alors qu’elles doivent également servir de guides pour les marchés publics et pour la politique gouvernementale en général. Le Chili et d’autres fournissent des exemples d’idées transformatrices de modèles d’approvisionnement qui fonctionnent pour des aliments sains et nutritifs.

En ce qui a trait à la transformation, nous devons trouver des moyens de préserver les nutriments, puis éventuellement en ajouter, tout en évitant autant que possible les sucres ajoutés, les acides gras trans et le sel. Des moyens de séchage si peu coûteux; l’ajout de fer, de zinc et de vitamines A et D dans la fortification qui atteint les plus pauvres; et les règlementations sur les gras trans sont toutes importantes. Plusieurs facteurs changent la donne sur la technologie à petite échelle pour aider au séchage et à d’autres formes de conservation et une idée transformatrice fut élaborée sur la certification des nouvelles entreprises intégrant des préoccupations additionnelle au système alimentaire, en plus des dimensions ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) traditionnelles.

En ce qui concerne le stockage et la distribution, la Cool Coalition travaille à la mise à l’échelle d’un modèle intéressant de chaînes durables du froid, qui fonctionne pour les petits exploitants en plus d’avoir de multiples usages : pour la nourriture et les médicaments, tout en utilisant un modèle d’économie circulaire (aucune glacière ne doit voyager vide nulle part).

Sur les environnements alimentaires – où les consommateurs se retrouvent face à face avec les aliments – il y a un travail sur l’étiquetage qui est plus simple et combine les messages sur la santé et l’environnement, sur des espaces sûrs dans la main-d’œuvre pour l’allaitement maternel et sur les points de vente au détail qui encouragent les aliments sains par des promotions de prix et dans le positionnement des aliments en magasin.

En ce qui a trait à la création de la demande, un travail est effectué en lien avec des campagnes visant à créer une demande pour une alimentation saine, en particulier avec les jeunes, par exemple la promesse de jeunesse Act4Food, Act4Change qui est une potentielle idée transformatrice, avec 1 million de jeunes qui devraient être inscrits au moment du Sommet et plus de 100 millions d’ici 2030.

Il n’est pas toujours facile de générer des synergies entre des initiatives concrètes mettant des idées en mouvement et une vision holistique qui facilite un plan d’action d’intégration. Pensez-vous qu’une approche fondée sur les droits humains et, en particulier, le droit à une alimentation adéquate, peut contribuer à concilier ces deux tendances?

LH : Pour moi, les droits humains et le droit à une alimentation adéquate stipulent que toutes les initiatives concrètes doivent être centrées sur l’humain, doivent profiter aux plus vulnérables, doivent amplifier l’action et la voix, promouvoir la participation, rééquilibrer le pouvoir et renforcer la responsabilité.

"Les droits humains et le droit à une alimentation adéquate
stipulent que toutes les initiatives concrètes
doivent être centrées sur l’humain".
 

Les idées transformatrices de toutes les Pistes d’action ont été développées dans ce cadre. Elles essaient de changer ces dynamiques. Les Pistes d’action 1 et 3 se concentrent beaucoup sur l’autonomisation des agriculteurs, les Pistes d’action 4 et 5 se concentrent beaucoup sur l’autonomisation de ceux qui travaillent dans le système alimentaire et de ceux qui sont touchés par la faim et la Piste d’action 2 se concentre beaucoup sur l’autonomisation des consommateurs.

Toutes les Pistes d’action se concentrent sur la responsabilité : par exemple, la Piste d’action 1 travaille avec la FAO sur des indicateurs qui signalent plus clairement les violations des droits, la Piste d’action 2 suit plus précisément les pertes et gaspillage alimentaires, la Piste d’action 3 travaille sur les paramètres du sol, la Piste d’action 4 sur des salaires et des conditions décents, la Piste d’action 5 sur la capacité des porteurs d’obligations à répondre à la crise. Toutes les Pistes d’action travaillent sur le coût réel de la nourriture pour responsabiliser ceux qui génèrent d’importantes externalités en matière de santé, de climat, d’environnement et d’emploi. Enfin, toutes les Pistes d’action travaillent sur un rapport indépendant sur le compte à rebours jusqu’en 2030 qui tiendra toutes les parties prenantes responsables des engagements qu’elles ont pris lors du Sommet.

"Toutes les Pistes d’action travaillent sur le coût réel
de la nourriture  pour responsabiliser ceux qui
génèrent d’importantes externalités". 
 

Le droit humain à une alimentation adéquate s’étend à une multitude de dimensions complémentaires qui s’orientent vers une vision plus large. Comment cette perspective transversale peut-elle être prise en compte dans la lutte contre la faim et la malnutrition, et comment l’intégrer dans d’autres domaines pour parvenir au développement durable?

Je suis frappé par l’apparence aléatoire de l’apparition de « droits » dans les indicateurs des ODD. Il y a plusieurs indicateurs dans le Cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs et aux cibles du Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui mentionnent explicitement les droits (voir : 1.4.2, 4.7.2, 5.a.1, 5.a.2, 8.8.2, 10.3.1, 10.6.1, 14.b.1, 16.a.1, 16.b.1, 16.8.1, et 16.10.1), mais malheureusement pas dans l’ODD 2.

"Je suis frappé par l’apparence aléatoire de l’apparition
de « droits » dans les indicateurs des ODD".
 

Nous disons toujours que les droits sont indivisibles; vous ne pouvez pas choisir lesquels protéger, respecter et faciliter. Et pourtant, cela ne semble pas être le cas dans les ODD, où nous avons choisi lesquels inclure ou pas.

Pour les indicateurs qui ont conservé les droits, le moins que nous puissions faire est de développer un tableau de bord d’indicateurs de droits que nous pouvons examiner à travers les ODD par pays pour voir quels droits sont respectés et lesquels ne le sont pas. Il est trop facile de dire « oui bien sûr, je suis pour les droits dans le système alimentaire / ODD » mais ensuite de ne pas y prêter beaucoup d’attention. Les données seules ne changeront pas cela, mais c’est un début tangible.

  

À propos du Dr Lawrence Haddad

Le Dr Lawrence Haddad est devenu le Directeur général de GAIN en 2016. Auparavant, Lawrence était le co-président fondateur et l’auteur principal du Rapport mondial sur la nutrition de 2014 à 2016. De 2004 à 2014, Lawrence était Directeur de l’Institut des études en développement ( Institute of Development Studies, IDS). De 1994 à 2004, il a été Directeur de la Division de la consommation alimentaire et de la nutrition à l’institut internationale de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy Research Institute, IFPRI). De 2009 à 2010, il a été le représentant du Royaume-Uni au Comité directeur du Groupe d’experts de haut niveau (Hight Level Panel of Experts, HLPE) du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA). De 2010 à 2012, il a été Président de la UK and Ireland’s Development Studies Association. Économiste, Lawrence a terminé son doctorat en recherche alimentaire à l’Université de Stanford en 1988.

La Fondation du Prix mondial de l’alimentation a décerné le Prix mondial de l’alimentation 2018 à Lawrence Haddad et David Nabarro, ancien Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies.

Se réunir pour partager des réflexions

Tout le monde est encouragé à contribuer au Sommet. Il existe de nombreuses façons de s’impliquer, comme par exemple participer à un dialogue public. Ce sont des forums d’apprentissage et de conversations pour explorer les voies vers des systèmes alimentaires durables.

Le troisième Forum public de la Piste d’action 1 se tiendra le 4 mai 2021 et se concentrera sur le rôle que les États membres de l’ONU peuvent jouer par rapport aux idées transformatrices.

Le troisième Forum public de la Piste d’action 4 a eu lieu le 26 avril 2021, dont la présentation d’ouverture a été prononcée par Juan Carlos García y Cebolla, Chef de l’Équipe du droit à l’alimentation de la FAO. Il a souligné que pour qu’une approche fondée sur les droits humains soit concrétisée, il fallait un processus de suivi et des ressources à la fois humaines et financières. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible de déterminer si les projets, politiques et programmes progressent et, par conséquent, de garantir que les engagements en faveur du droit à une alimentation adéquate sont effectivement mis en œuvre.

Partagez