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Formation forestière en Afrique tropicale

J. WYATT-SMITH

M. WYATT-SMITH est actuellement conseiller forestier au ministère du développement outre-mer du Royaume-Uni. En qualité de directeur du projet pour la FAO, il a dirigé le département des forêts de l'université d'Ibadan, Nigeria, créé au titre d'un projet FAO/PNUD. Le présent article a été présenté à un séminaire FAO sur l'éducation et la formation forestières en Afrique tropicale qui s'est tenu à Accra, Ghana, en 1969.

CE DOCUMENT fait état de certaines particularités communes aux pays tropicaux et passe en revue les possibilités d'emploi en foresterie, les fonctions et l'organisation d'un service forestier, les programmes d'enseignement et les différentes formations aux niveaux supérieur, technique et subalterne en matière forestière. Examinant la valeur et les applications pratiques de la formation reçue, il propose trois remèdes principaux:

1. Dans les programmes futurs d'enseignement, envisager les problèmes à partir des besoins fonctionnels réels de la formation, plutôt que des structures existantes pour décider de la création des différents postes et des qualifications minimales exigibles aux différents niveaux d'entrée.

2. Reconnaître que, dans les pays en voie de développement, la foresterie est en fait une technologie appliquée: le besoin est moins d'accroître les connaissances que de modifier les techniques existantes pour les adapter aux conditions locales et d'appliquer ce que l'on sait déjà.

3. Considérer la formation du personnel des divers niveaux comme un tout.

Introduction

Dans la plupart des pays (et ceux d'Afrique tropicale ne font pas exception), les services forestiers se sont au début préoccupés surtout de contrôler les ressources forestières naturelles, qui diminuent rapidement au fur et à mesure des défrichements. Leurs responsabilités se sont ensuite élargies pour répondre à plusieurs besoins:

1. Nécessité de mesures énergiques pour régénérer les ressources existantes.

2. Nécessité de créer un domaine forestier là où il avait disparu depuis longtemps.

3. Obligation de protéger les ressources en terres et en eaux.

4. Nécessité de réserver des espaces verts situés dans leur environnement naturel; la destruction ou la perturbation d'une partie du système écologique entraînaient souvent des répercussions imprévues et fâcheuses, la végétation naturelle constituant un potentiel incalculable de matériel génétique.

Les forestiers ne sont clone plus confinés au rôle de gendarmes et de percepteurs: ils représentent un rouage important de l'organisation intégrée, nationale et supranationale, destinée à servir l'humanité.

Indépendamment des conditions inhérentes à chaque pays, le niveau du développement forestier varie énormément. Champion (1965) a néanmoins dénombré quelques traits communs aux pays tropicaux qui méritent d'être répétés:

1. Sous-développement des forêts, voies de communication, moyens de transport et même souvent cartographie.

2. Personnel insuffisamment qualifié et peu instruit.

3. Difficultés de protéger la forêt, de jure et de facto.

4. Complications dues aux différentes formes de propriété et à la prévalence des droits d'usage.

5. Pressions exercées sur les terres forestières pour d'autres usages.

6. Pressions politiques poussant à l'accélération de l'exploitation.

7. Bas niveau du développement industriel et de la mécanisation.

8. Marchés locaux restreints, en raison du niveau de vie peu élevé.

9. Manque de connaissances de base sur la forêt, notamment sur son contenu et sur la manière de la régénérer.

10. Caractères climatiques extrêmes (chaleur, humidité, aridité).

D'après ce qui précède, on se rendra compte que les possibilités d'emploi en foresterie sont, ou du moins devraient être, nombreuses à tous les niveaux. De plus, la foresterie présente l'avantage particulier d'offrir essentiellement ces emplois dans le secteur rural, où vivent 90 pour cent et plus de la population des pays en voie de développement. Par conséquent, le travail forestier est capable d'enrayer la tendance générale à l'exode rural avec tous les problèmes qui s'y rattachent. Les emplois dérivés de la foresterie concernent non seulement les différentes opérations forestières et les plantations, mais aussi les industries forestières primaires.

Possibilités d'emploi

Quels sont ces emplois? Pour le forestier de formation supérieure, il existe de plus en plus de postes de rang élevé dans les services forestiers de l'Etat, occasionnellement dans les services administratifs (tels que la planification foncière et l'utilisation des terres) et, enfin, des ouvertures dans l'agriculture de plantation. Ail faut se souvenir que, du moins en pays tropical humide, beaucoup de produits agricoles traditionnels proviennent de l'arboriculture: pour remplir les postes de direction sur ces plantations, une formation forestière est souvent aussi bonne, sinon meilleure, qu'une éducation agricole. Très peu de forestiers de formation supérieure se sont placés dans l'industrie forestière, et ce pour plusieurs raisons: la plupart sont boursiers de l'Etat et restent donc liés envers celui-ci; mais, surtout, l'enseignement qu'ils ont reçu ne les prépare pas à des emplois dans cette industrie, même pour l'exploitation forestière. Les industries sont davantage intéressées par les candidats qui ont reçu une formation d'ingénieur, d'économiste ou même du type «cadre» ou commercial, avec ou sans qualification supérieure.

Pour le personnel subalterne, il reste toute la série des postes qui relèvent de l'exploitation forestière, de l'abattage, du traitement et de la commercialisation. Ces emplois peuvent être techniques ou non, opérationnels ou d'encadrement à tous les échelons, occasionnels ou à plein temps, contractuels ou permanents.

Un niveau minimal d'instruction est souvent exigé pour les différents postes, notamment dans les services gouvernementaux: mais cette qualification ne représente qu'un seuil garantissant que l'employé sera capable de comprendre ce qu'on lui demande et de remplir son poste de manière satisfaisante. Malheureusement, on l'oublie trop souvent et les candidats considèrent qu'un niveau donné de formation équivaut presque à un droit à certains postes, au lieu d'être la condition minimale. Ail se peut qu'un forestier de formation supérieure diplômé dans un rang médiocre, n'obtienne pas d'emploi; mais il ne faut pas oublier que le niveau académique d'instruction n'est qu'un des critères. Ail y en a d'autres, tels que la conscience, le caractère personnel, les moyens physiques et un tempérament adapté à la vie en forêt (Champion, 1965). Ces qualités sont aussi importantes sinon plus, en particulier dans les pays en voie de développement où l'écart entre les villes et les zones rurales, du point de vue du développement, est particulièrement marqué.

Fonctions d'un service des forêts

Ce document a été rédigé dans le contexte des pays en voie de développement d'Afrique tropicale, où les intérêts forestiers coïncident plus souvent avec ceux de l'Etat qu'avec ceux du secteur privé et commercial puisque la terre appartient en général à l'Etat et aux collectivités, plutôt qu'aux entreprises privées ou aux particuliers.

Un des rôles de l'Etat est de s'assurer que les forêts et les terres incorporées sont exploitées scientifiquement en vue de produire des biens et des services, souvent de façon continue, pour le plus grand intérêt du pays et de ses populations dans le présent et dans l'avenir. D'où la nécessité d'une planification rationnelle de la terre et de son utilisation, de la mise en valeur et de la protection des ressources naturelles, sous le triple aspect économique, écologique et social. D'autre part, à de rares exceptions près, les gouvernements des pays africains ne participent pas eux-mêmes aux opérations commerciales, laissant ce soin à l'entreprise privée. Aussi l'exploitation, le traitement, et la commercialisation du bois sont-ils en général dévolus au secteur privé, le gouvernement se bornant à surveiller l'ensemble, à percevoir les taxes forestières et à s'assurer dans la mesure du possible que l'industrie se développe conformément à l'intérêt national le mieux compris. En dehors de ses services d'inspection, l'Etat est souvent sollicité néanmoins de prendre l'initiative et de préparer le terrain pour la création ou l'adoption de nouvelles techniques, la mise au point de produits forestiers secondaires, la création d'établissements pour la formation de personnel local pour que le pays puisse pénétrer dans les marchés et s'établir face à une concurrence très vive.

En ce qui concerne l'aménagement scientifique des forêts et des terres incorporées, les gouvernements doivent se préoccuper de plusieurs ressources naturelles importantes, dont la première est la terre elle-même, les autres étant le bois et les produits forestiers classiques, l'eau, la faune sauvage, le milieu en tant que lieu de tourisme et de récréation et, dans beaucoup de pays africains, le pacage. Pour chacune de ces ressources, les gouvernements devront garder une optique nationale et coordonner leurs interventions, sans tenir compte des limites artificiellement imposées pour des buts particuliers.

Organisation d'un service des forêts

C'est généralement d'un service des forêts que relèvent les fonctions que nous venons de définir, mais devant la spécialisation toujours plus poussée et le développement grandissant, bien des pays ont créé des services spécialement chargés de certains aspects comme la chasse ou la faune sauvage. On doit s'attendre à voir cette tendance continuer, le service des forêts revenant à sa fonction qui est essentiellement la production du bois. Cependant, quelle que soit la situation à cet égard, l'Etat aura besoin pour mettre en valeur ces ressources, d'hommes ayant une grande ampleur de vues et une formation appropriée pour mener à bien des programmes coordonnés. Les spécialistes eux-mêmes seront plus valables si leurs vues ne sont pas trop étroites.

Les effectifs d'un service des forêts, du moins sur le papier, dépendront de l'étendue de ses fonctions et de la facilité avec laquelle elles pourront s'exercer, mais aussi des charges financières qu'elles représentent et des fonds disponibles, ainsi que de l'importance que le gouvernement attache à ces fonctions. Personne ne peut travailler utilement au-delà d'un certain nombre d'heures par jour, bien que le rendement puisse varier énormément selon les capacités naturelles et acquises, selon l'organisation du travail et la réussite des efforts collectifs.

A l'intérieur d'un service, il s'établit une hiérarchie en pyramide, où le poste de rang le plus élevé se trouve au sommet, chacun étant chargé de fonctions différentes. En général, un certain niveau d'instruction est exigé pour chaque grade, le personnel entrant dans la pyramide à divers niveaux. Toutefois, l'expérience, la capacité et la durée de service sont autant de facteurs dont on tient compte, le personnel pouvant avancer à l'ancienneté et même passer d'un grade à l'autre. Ail n'existe pas de division absolue du point de vue fonctionnel, entre le sommet d'un grade donné et l'échelon inférieur du grade suivant: autrement dit, les fonctions se confondent entre les membres anciens les plus expérimentés dans un grade et les recrues du grade immédiatement supérieur. Il semble que, dans les pays en voie de développement, ce problème soit actuellement inévitable; mais, heureusement, il sera dans une large mesure résolu une fois atteinte la saturation des postes supérieurs et une bonne répartition par classe d'âge - autrement dit, dès que le programme d'enseignement aura franchi sa phase actuelle d'évolution rapide.

Sur le terrain, le service forestier compte habituellement trois catégories de personnel: supérieur, technique, subalterne. Dans la pratique, dans de nombreux pays en de développement, les catégories sont au nombre de quatre: supérieure, technique, subalterne et main-d'oeuvre. Or, à tous les niveaux, des travailleurs qualifiés sont nécessaires, qu'ils soient payés à la journée ou au mois, qu'ils soient occasionnels ou permanents. Salaire mensuel et poste permanent ne doivent être que des stimulants pour améliorer la qualification et non une récompense à ceux qui ont reçu une formation professionnelle.

La terminologie des différents grades varie de pays en pays. De conservateur adjoint des forêts à conservateur en chef, les grades sont habituellement réservés aux diplômés de l'université. Chaque pays est en général divisé en un certain nombre de circonscriptions territoriales, où le jeune conservateur adjoint est responsable de toute la pratique forestière, y compris l'administration et le personnel. Ses fonctions sont les suivantes:

1. Il doit être pleinement conscient du rôle de la foresterie comme forme d'utilisation de la terre, dans la perspective générale socio-économique de sa circonscription, de son pays et, dans une certaine mesure, du monde.

2. Il doit aussi être capable d'utiliser les données pertinentes et d'évaluer les techniques forestières lors de l'élaboration, de l'administration et de l'exécution des opérations forestières.

3. Il doit être à même de déterminer, conseiller et formuler une politique forestière.

Plusieurs de ces circonscriptions territoriales sont groupées sous l'autorité de conservateurs, et enfin, à l'échelon central, du conservateur en chef des forêts lequel relève du ministre compétent. Outre ces circonscriptions territoriales, il existe différents postes de recherche ou de spécialisation comme le génie forestier, l'utilisation de la forêt et les plans généraux d'exploitation.

Les circonscriptions territoriales se subdivisent en secteurs plus petits sous la responsabilité d'un technicien, capable d'assister son supérieur dans l'encadrement quotidien de toutes les missions forestières pratiques, telles que les inventaires ou dénombrements, les opérations courantes de sylviculture et de dendrométrie, les aménagements de pépinières, les mesures de protection et de police, les procédures normales de collecte des impôts et redevances, la rédaction des rapports, la tenue des archives et la marche courante d'un petit bureau. Il peut même être appelé à surveiller les opérations d'abattage, de débardage et de sciage mais, dans ce cas, une formation spéciale est nécessaire. En bref, ces assistants doivent avoir acquis une formation technique et savoir l'utiliser de façon satisfaisante; en outre, ils ont dû recevoir un enseignement leur permettant de comprendre les techniques qu'ils utilisent, pour les appliquer correctement et pour les modifier éventuellement, selon les besoins locaux. Ils doivent en outre posséder eux-mêmes un haut degré de qualification pratique, puisqu'il entre dans leurs responsabilités de former les ouvriers forestiers et les catégories de non-techniciens.

Ces cadres techniques forment l'ossature de tout service forestier - on ne s'en rend pas toujours suffisamment compte. Plusieurs de ces cadres sont souvent groupés sous l'autorité d'un technicien de grade plus élevé. De plus, le personnel de ces catégories peut recevoir des missions spéciales, indépendantes des circonscriptions territoriales, comme par exemple un programme de plantations. Ce personnel doit, en général, avoir reçu une éducation secondaire.

Les catégories techniques immédiatement inférieures, qui comprennent notamment les brigadiers et gardes forestiers, sont dans bien des cas les gendarmes de la forêt et les contremaîtres indispensables à la plupart des tâches d'inspection ou d'exécution pour l'aménagement et l'exploitation des forêts. Ils doivent être suffisamment instruits pour savoir lire et écrire des rapports simples. Ils sont secondés par des travailleurs forestiers occasionnels ou permanents, illettrés ou non, souvent tout à fait incompétents. Cependant, il faut les former pour leur permettre d'exécuter des travaux qualifiés, ou semi-qualifiés, de la façon la plus économique et la meilleure; notamment, ils doivent savoir se servir non seulement des outils manuels, mais aussi d'autres équipements plus complexes qu'ils auront à entretenir en bon état; enfin, ils doivent comprendre le pourquoi de leur travail et les problèmes qu'entraîne son exécution. Par conséquent, la hiérarchie, si l'on exclut les emplois industriels, se présente comme suit:

1. Les forestiers de niveau supérieur et tout le personnel spécialiste nanti d'un diplôme universitaire (ingénieurs des eaux et forêts ou ingénieurs forestiers, spécialistes et chercheurs).

2. Les forestiers du niveau technique (forestiers, agents techniques, assistants forestiers).

3. Le personnel subalterne (brigadiers et gardes forestiers, personnel sur le terrain).

4. La main-d'œuvre forestière non technique permanente ou occasionnelle.

De plus, il faut mentionner les postes de grade supérieur au ministère, les professeurs et autres pédagogues qui peuvent être ou non des forestiers, mais qui, de toute façon, sont parfaitement au courant des questions forestières et devraient être bien plus conscients de la fonction importante des forêts qu'ils ne le sont en général.

Le nombre de chaque type ou catégorie de personnel dépend, ou du moins devrait dépendre, des besoins réels; mais, dans plusieurs pays, il y a une tendance à créer des postes selon la loi de Parkinson avant de songer aux besoins, en accordant souvent plus d'attention aux niveaux supérieurs qu'aux niveaux moyens ou inférieurs. C'est une réaction naturelle, mais contre laquelle on doit réagir. Dans les pays en voie de développement, la foresterie est en fait une technologie appliquée: aussi est-il probable que l'on assisterait à des progrès plus rapides sur le terrain, si l'on se concentrait davantage sur la base de la pyramide et si l'on pourvoyait les emplois supérieurs par promotions au mérite. Non que l'auteur recommande de restreindre les activités des échelons supérieurs, mais c'est une question de mesure. D'autre part, on ne se préoccupe pas suffisamment de réduire ou de redistribuer le personnel lorsque les conditions changent (King, 1965).

Il n'existe pas de règles absolues pour fixer les effectifs de cadres forestiers supérieurs, pas plus que ceux du personnel subalterne. La FAO a essayé de définir une méthode pour déterminer le nombre optimal dans les différentes catégories; d'une manière générale, on a proposé que, dans les opérations sur le terrain, pour chaque forestier de niveau supérieur, il y ait de 6 à 9 techniciens, 45 à 49 subalternes et 180 à 480 ouvriers, selon les opérations et le genre de foresterie (Richardson, 1967).

Il est toutefois parfaitement clair que, quels que soient les effectifs jugés nécessaires dans chaque catégorie pour chaque pays et pour chaque opération, on ne saurait espérer un travail efficace que si les forestiers de formation supérieure sont secondés par des effectifs suffisants de personnel subalterne qualifié. Si ces deux conditions ne sont pas remplies (nombre et qualification), les coûts de chaque opération seront vraisemblablement disproportionnés. Une formation satisfaisante du personnel à tous les niveaux est donc essentielle: on doit la considérer dans son ensemble.

Structure de l'enseignement

Les forestiers du cadre supérieur sont formés à l'université ou dans un institut d'enseignement supérieur pendant trois ans ou davantage, à l'issue de l'enseignement secondaire du deuxième cycle. Jusqu'à il y a peu de temps, seuls les pays développés pouvaient assurer cette formation. Le personnel technique de niveau intermédiaire est formé dans les écoles forestières locales en deux ou trois ans d'études succédant à une instruction secondaire de premier cycle. Le personnel technique de niveau subalterne reçoit habituellement une formation professionnelle minimale dans les écoles du service pendant six mois au plus et le plus souvent beaucoup moins à l'issue de l'enseignement primaire. Quant aux ouvriers forestiers, ils ne bénéficient d'aucune autre formation professionnelle que d'instructions initiales très brèves qu'on leur donne sur le terrain avant le démarrage de toute opération, ou encore de l'expérience qu'ils acquièrent «sur le tas» (les ouvriers expérimentés étant réengagés, autant que possible, d'une année sur l'autre pour les mêmes opérations). En plus de l'enseignement normal, des stages spécialisés de brève durée et des cours de recyclage sont souvent organisés pour toutes les catégories de personnel.

On admet en général, quand c'est économiquement réalisable, qu'il y a grand avantage à dispenser la formation supérieure avant diplôme dans l'environnement socio-économique où pratiquera ultérieurement le futur ingénieur. D'un autre côté, on reconnaît également que, dans la conjoncture actuelle, l'enseignement supérieur (avant ou après le diplôme) a toutes les chances d'être meilleur à l'étranger dans les écoles forestières de création ancienne, dans les organismes de recherche et autres institutions, dans les services forestiers et l'industrie.

Jusqu'ici, nous n'avons guère fait allusion à la formation de ceux qui procèdent à l'abattage et au débardage du bois, ou qui travaillent dans les industries forestières primaires. La plupart du temps, ces ouvriers sont recrutés au niveau d'instruction générale voulu et reçoivent leur formation professionnelle sur le tas, soit en forêt, soit à l'usine. Dans le domaine technique, beaucoup suivent des cours du soir (quand ils existent) pour obtenir des certificats agréés.

Apparemment, dans beaucoup de pays en voie de développement, la formation des ouvriers forestiers est minime: or, ce sont eux qui sont, de loin, le maillon le plus important dans beaucoup d'opérations, surtout quand on considère la dispersion du travail en forêt et l'encadrement très réduit qui en résulte. En fait, c'est lui qui sème les plantations, c'est lui qui assure un grand nombre d'opérations sylvicoles. Des cours sur le bon emploi des outils manuels et sur leur entretien correct sont souvent donnés au personnel technique, mais combien de fois ce savoir est-il transmis aux ouvriers forestiers? Très peu souvent, de l'avis de l'auteur, sauf de façon toute fortuite.

Programmes d'enseignement et genre de formation

FORMATION SUPÉRIEURE ET UNIVERSITAIRE

Dans les premiers temps, la formation supérieure était en quelque sorte un apprentissage auprès d'un maître connu. Ensuite furent créées des écoles spéciales souvent situées dans une circonscription forestière. Habituellement, les étudiants avaient déjà un diplôme scientifique et étaient désignés pour le service des forêts; ils suivaient des cours où l'on insistait sur le côté pratique de leur travail et, en général, sur les besoins du moment. En Inde, aujourd'hui, la formation forestière reste du ressort du département forestier de Dehra Dun; elle s'adresse à des candidats sélectionnés qui sont déjà diplômés en agriculture, en biologie ou en sciences naturelles.

On s'est rendu compte aujourd'hui que la foresterie moderne, avec ses à-côtés sociaux et économiques importants et ses relations avec d'autres disciplines, nécessite une vaste formation générale. Les futurs cadres supérieurs forestiers ne doivent donc pas rester isolés pendant leur formation, mais au contraire être formés en milieu universitaire, malgré le risque (ou en tout cas la tendance) que les cours s'orientent vers la théorie et soient, de l'avis de bien des forestiers praticiens, trop éloignés des réalités pratiques. D'un autre côté, il faut bien reconnaître que, si l'on veut entretenir un courant de progrès et encourager les idées nouvelles parmi les étudiants, il n'est pas payant, à long terme, de donner une formation universitaire en vue d'un emploi spécifique.

Il faut donc chercher une solution d'équilibre, en remettant l'acquisition de nombreuses aptitudes pratiques jusqu'après l'obtention du diplôme supérieur au moment où l'étudiant est bien certain que la carrière forestière représente celle de son choix. Rappelons qu'à l'université d'Oxford en Angleterre, où beaucoup de forestiers des pays tropicaux ont reçu leur formation, on inaugurera un programme de ce genre à partir de 1970. Une quatrième année de cours centrés sur l'aménagement, mais nettement orientés vers l'économie forestière et comprenant un projet spécial de plan général d'exploitation, s'ajoutera au programme de trois ans de sciences botaniques. Le classement de sortie se fera sur la base de la quatrième année, les étudiants ayant suivi une formation forestière pendant leur troisième année de diplôme.

Il est très difficile, sinon pratiquement impossible, d'arriver à un équilibre satisfaisant entre l'enseignement de la biologie et des sciences naturelles et les impératifs de l'économie, de la gestion et du rôle social de la forêt. Mais faut-il même l'essayer? Du point de vue d'un service des forêts, il pourrait apparaître souhaitable d'avoir des ingénieurs disposant d'une vaste culture générale, plutôt que des forestiers stéréotypés, pour assurer un progrès continu. Après tout, c'est le service des forêts qui est responsable de ses multiples fonctions, et non chaque forestier individuellement (Wyatt-Smith, 1968). Dans cette ère de spécialisation qui est la nôtre, aucun ingénieur ne saurait posséder des connaissances assez larges et assez approfondies pour faire face à toutes les situations; toutefois, il peut et il doit être formé à réfléchir, à évaluer et à décider quels spécialistes consulter le cas échéant. Sisam (1946) a proposé, pour les pays en voie de développement, un excellent programme d'enseignement forestier supérieur, échelonné sur quatre ans: les principaux changements préconisés seraient d'orienter les étudiants, dès avant leurs troisième et quatrième années, vers les questions d'utilisation de la terre, vers la coordination et l'intégration des différentes disciplines intéressant les ressources naturelles (ce qui, dans l'esprit de l'auteur, développerait davantage l'intérêt pour la foresterie) et enfin, bien avant la quatrième année, vers la technologie du bois, dont une bonne partie pourrait être enseignée dès la première ou la seconde année du programme de quatre ans. Sisam estime aussi qu'on devrait insister davantage qu'on ne semble le faire sur la faune sauvage, l'eau, l'aménagement pastoral et touristique, qui sont d'autres aspects importants de la fonction des forestiers dans beaucoup de pays en voie de développement, et enfin sur l'économie forestière. Un trait important du programme de base de Sisam réside dans la spécialisation, au cours de la quatrième année, dans l'une des deux voies: foresterie ou produits forestiers. C'est là un aspect, espère-t-il, que le département forestier de l'université d'Ibadan sera capable d'inaugurer dans un avenir pas trop lointain.

Ce programme de Sisam sur quatre ans peut se comparer à bien des égards avec celui d'Ibadan, échelonné sur trois ans auxquels s'ajoute l'année propédeutique d'enseignement scientifique. Sans doute est-il passible des mêmes critiques que ce dernier: il est extrêmement difficile d'enseigner suffisamment en profondeur, en deux années d'études, la foresterie pratique au niveau du cadre supérieur; d'ailleurs, Sisam lui-même a suggéré qu'il serait préférable de prolonger sur cinq ans l'enseignement forestier.

Cette objection est particulièrement valable si l'on considère le plan d'exploitation, excellent exercice qui donne à l'étudiant une expérience valable de l'analyse des problèmes réels, tout en lui permettant d'appliquer, d'une façon pratique et coordonnée, les connaissances qu'il a acquises au cours de l'enseignement théorique. Malheureusement, les cours académiques correspondants sont souvent donnés en même temps que les caractéristiques du plan d'exploitation. Cependant, il semble absolument essentiel que, dans les pays en voie de développement où l'on pratique une foresterie extensive, où les communications sont plutôt médiocres et la surveillance habituellement impossible, les ingénieurs forestiers, lorsqu'ils ont quitté l'université et qu'ils entrent au service des forêts, soient en mesure de mener immédiatement à bien un projet technique simple, avec toute la compétence voulue.

Mais, avec le programme de trois ans, on peut se demander s'ils possèdent une formation suffisante pour remplir cette mission de façon satisfaisante. Une année d'expérience pratique avant l'université procurerait probablement ce qui leur manque: elle représenterait assure-t-on parfois, un préliminaire indispensable à l'enseignement théorique. En outre, cela permettrait aux jeunes frais émoulus de l'école secondaire de décider s'ils ont ou non la vocation de forestier. Malheureusement, c'est une thèse très difficile à faire valoir car on risquerait de diminuer le nombre d'étudiants optant pour la foresterie, sujet déjà trop peu populaire parmi les étudiants qui passent du secondaire à l'université. La plupart des forestiers supérieurs nés dans les pays en voie de développement semblent oublier qu'ils ont déjà cette formation pratique, car ils ont servi pendant plusieurs années dans les rangs des techniciens où ils ont fait leurs premières armes - mais les carrières ne se déroulent plus de même aujourd'hui.

On estime en général que le premier diplôme de foresterie devrait embrasser un champ d'études assez large et que les connaissances spécialisées ne devraient venir que plus tard. D'autre part, on admet qu'un forestier de niveau supérieur doit être habitué, par sa formation, à chercher continuellement à se perfectionner: autrement dit, il doit savoir réfléchir.

A cette fin, nombre d'universités exigent des candidats au diplôme qu'ils travaillent en profondeur sur un petit projet. C'est un excellent exercice, malheureusement il est souvent difficile d'empêcher les étudiants d'y passer trop de temps au détriment de leurs autres études.

FORMATION TECHNIQUE

A bien des égards, la formation technique est la plus importante de toutes, puisque, s'il est privé d'assistants compétents et bien formés, l'ingénieur des eaux et forêts sera incapable d'opérer avec efficacité et que le programme mené sur le terrain par les agents techniques subalternes, les gardes forestiers et les ouvriers risquera alors d'être mal organisé et exécuté.

L'importance et la valeur de ce personnel sont reconnues depuis longtemps, aussi beaucoup de pays en voie de développement ont-ils créé de bonne heure d'excellentes écoles forestières. Un programme de deux années d'études est la norme pour assurer la formation des techniciens à l'issue des études secondaires et après une courte période d'entraînement pratique préalable. Plus tard, une fois expérimentés, ils suivent un cours de perfectionnement d'environ un an.

L'objectif principal de cette formation, qui est de produire des techniciens de niveau moyen, a été clairement défini par Goodwin (1965): «Un technicien forestier doit être capable de diriger les ouvriers chargés d'exécuter d'une manière efficace une ou plusieurs opérations forestières.» Goodwin ajoute que «pour assurer un encadrement satisfaisant, le technicien doit maîtriser pour chaque opération: a) l'adresse manuelle; b) la compétence technique; c) l'aptitude au commandement; d) la compétence administrative. Le technicien forestier doit donc connaître concrètement tous les genres de travaux et disposer de qualités de commandement».

Bien que les conditions forestières et, par conséquent, les exigences techniques diffèrent d'un pays à l'autre, y compris le niveau d'instruction exigible, les matières enseignées présentent incontestablement des analogies dans les matières enseignées dans les écoles d'Afrique tropicale. Partout, l'objectif recherché est de produire des techniciens praticiens et la plupart des pays y ont apparemment bien réussi. Cependant, quelques pays semblent avoir éprouvé des difficultés à laisser la vedette à l'enseignement pratique, en étant portés à consacrer davantage de temps qu'il n'était souhaitable ou nécessaire à l'enseignement des matières scientifiques fondamentales et de la foresterie théorique. Toutefois, il est difficile de généraliser à cet égard, étant donné la diversité des conditions d'un pays à l'autre.

Un fonctionnaire de la FAO fait une démonstration sur le terrain aux étudiants d'Ibadan.

Ces techniciens forestiers devront certainement acquérir des connaissances pratiques en matière de cartographie, relevés topographiques, dénombrement et mensuration, travaux simples de génie forestier, protection contre l'incendie, plantations et aménagement forestiers, régénération et entretien, aménagement des pépinières, utilisation et entretien des véhicules et des outils, importantes essences forestières à tous les stades du développement, enquêtes et répression des délits forestiers, abattage, délivrance des permis de coupe et collecte des impôts et redevances, législation forestière. Ils devront avoir aussi des notions de relations publiques, être aptes à commander et à diriger un bureau.

L'efficacité du programme de formation est cependant sévèrement compromise dans plusieurs pays, car, outre les abandons en cours d'études, les rangs des techniciens s'amenuisent: les meilleurs lauréats se dirigent vers l'université, et les éléments les plus qualifiés font l'objet de promotions accélérées et passent dans la catégorie supérieure. Ceci est la conséquence, d'une part, du manque général de cadres supérieurs aptes à remplir les postes disponibles, d'autre part, des bourses accordées aux meilleurs des jeunes techniciens issus d'un enseignement secondaire, pour leur permettre de poursuivre des études supérieures. En d'autres termes, on ignore les bénéfices à court terme pour chercher des avantages à moyen ou à long terme. Malheureusement, ces derniers ne sauraient être garantis si le fonctionnement du service des forêts est compromis, fut-ce dans une faible mesure, par un regrettable affaiblissement de l'encadrement technique dont l'importance est primordiale. En effet, dans la plupart des pays, on n'attend pas des jeunes diplômés issus de l'université qu'ils travaillent autant sur le terrain que les techniciens.

Selon Richardson (1967), le besoin le plus urgent des services forestiers est de réduire l'écart qui existe actuellement dans le statut et dans la rémunération entre les cadres supérieurs et les techniciens. Par rapport à l'économie des pays en voie de développement et au rôle que peuvent jouer les diverses catégories de personnel, les cadres sont surpayés et les techniciens sont exploités. Cette vue est tout à fait réaliste et il serait certainement opportun que bien des pays africains d'expression anglaise se rendent compte que leur premier besoin est de caractère technique et pratique, et acceptent leurs meilleurs techniciens comme ingénieurs débutants (ou, selon la terminologie française, comme ingénieurs des travaux) et donnent la priorité à la création de ce cadre plutôt qu'à l'accroissement du nombre de conservateurs adjoints des forêts. Dans le contexte d'un pays africain en voie de développement, ce personnel remplit souvent les mêmes tâches essentielles que beaucoup de chefs de district dans le cadre de la commission forestière britannique; les gouvernements devraient en prendre acte, sans pour autant les expédier à l'université.

FORMATION DU PERSONNEL DE TERRAIN

Dans bien des pays, il ne semble pas qu'on ait suffisamment mis l'accent sur la formation du personnel sur le terrain, d'où un fardeau excessif pour les cadres techniques et supérieurs. La formation professionnelle se limite en général à ceux qui sont en réalité des techniciens subalternes, ou ayant reçu une instruction primaire ou même secondaire, incomplète, chargés du travail courant de police et de protection de la forêt, d'administration et d'opérations sur le terrain. On leur fait suivre en général des cours pendant deux ans, après une formation pratique de six mois sur le terrain, la moitié du programme étant consacrée à des exercices en forêt, des travaux pratiques et des tournées d'inspection. Les niveaux subalternes (gardes forestiers) encadrent les équipes d'ouvriers forestiers, mais il est rare qu'ils soient suffisamment instruits et, très fréquemment, ils se révèlent inefficaces. Ail souhaitable d'intensifier la formation du personnel subalterne de terrain et d'élever dans plusieurs pays le niveau d'instruction exigé. Avec l'amélioration des moyens pédagogiques dans les pays en voie de développement, cette condition devrait être réalisable. Les délégués au séminaire à l'intention des directeurs des écoles forestières de niveau technique en Afrique, qui s'est tenu en octobre 1965 à Abidjan, ont recommandé une instruction générale secondaire de deux ans au minimum FAO 1965). Si cet objectif était atteint, on aurait alors toutes les raisons d'espérer que le personnel de terrain pourrait fournir davantage de candidats de niveau technique. En outre, la confiance qu'on peut placer en ce personnel, ainsi que son ardeur au travail, sont des qualités essentielles (Champion, 1965).

A l'heure actuelle, une partie du temps de formation est consacrée à des cours de base comme l'anglais, les mathématiques et la culture générale - qui doivent relever de l'éducation nationale et non du service des forêts. La formation est, ou plutôt devrait être, orientée surtout vers les notions élémentaires de botanique, la connaissance des arbres, l'aménagement des pépinières, la cartographie, les inventaires, le travail de plantation, les opérations d'entretien de la forêt et des routes, la protection contre l'incendie, le génie civil, et des notions d'administration telles que la prise de notes et la rédaction de rapports, l'emploi et l'entretien corrects des outils et de l'équipement.

FORMATION DES OUVRIERS FORESTIERS

Les travailleurs forestiers sont pour la plupart des employés occasionnels engagés sur place; heureusement, on les recrute souvent pour des opérations saisonnières identiques d'une année à l'autre. On les choisit habituellement pour leur zèle, leur connaissance de la région, la confiance que l'on peut avoir en eux et leurs qualités physiques. Ail serait certainement souhaitable, dans la mesure du possible, de constituer un cadre permanent d'hommes bien entraînés, auxquels on donnerait régulièrement des cours de brève durée, de façon à assurer qu'ils restent aptes aux tâches manuelles qu'ils exécutent. Toutefois, des effectifs de ce cadre permanent seraient nécessairement très peu nombreux, car la plus grande partie des travaux sont saisonniers.

FORMATION DES SPÉCIALISTES

Au niveau le plus élevé du personnel, la spécialisation a normalement lieu quelques années après le diplôme universitaire, après une expérience du travail en forêt. Faute d'institutions post-universitaires dans les pays d'Afrique, la spécialisation est acquise à l'étranger. Cependant, il serait bien préférable qu'elle se situe en Afrique ou du moins en milieu tropical. Toutefois une fois formé sur place, le forestier a certainement intérêt à voyager à l'étranger, se mêler à des gens de sa profession et prendre contact avec les pratiques forestières d'un pays développé. La foresterie est une discipline qu'on ne peut guère maîtriser avec des livres. Dans le Commonwealth, le cours d'un an organisé à Oxford, à l'intention des forestiers qui ont cinq ou six ans d'expérience pratique, s'est révélé très utile, - de même que les nombreux stages spécialisés organisés périodiquement dans plusieurs centres des pays développés. Mais il devrait y en avoir davantage.

D'habitude, chercheurs et spécialistes sont recrutés parmi les forestiers de formation universitaire ordinaire particulièrement doués dans le domaine de la spécialisation. Selon Richardson (1967), ce système est responsable de la qualité médiocre de la recherche et représente un pur gaspillage. Pour former un bon chercheur, il faut en général un minimum de neuf ans d'université (dont quatre pour la foresterie, deux pour la spécialisation et trois pour l'apprentissage de la recherche). Seuls, les plus doués des lauréats sont capables d'absorber les études nécessaires de spécialiste. A l'heure actuelle, peu de pays en voie de développement peuvent se permettre de se priver de leurs meilleurs éléments pendant qu'ils se spécialisent, de leur offrir les moyens nécessaires à leur retour au service des forêts, ou de renoncer à leurs services sur le terrain ou dans l'administration. Mieux vaut, le plus souvent, recruter un chercheur qui a décidé d'appliquer ses connaissances à la foresterie, en lui donnant la formation forestière postuniversitaire indispensable (Wyatt-Smith, 1968).

Aux autres niveaux, de brefs cours spécialisés et stages de recyclage sont organisés à l'étranger et localement, selon les circonstances. Tous ces cours mettent l'accent sur l'aspect pratique de la foresterie.

Qualité de la formation

Nous avons déjà évoqué la qualité de la formation, des lacunes et insuffisances que l'on constate justifient que l'on y consacre un chapitre à part.

FORMATION SUPÉRIEURE

Au départ, la plupart des programmes ignoraient l'importance du facteur humain dans le développement rural ainsi que l'aspect économique de la foresterie. Ce dernier point exige une connaissance pratique de l'économie forestière. Quant au facteur humain, il est particulièrement vital pour le développement rural des pays africains, bien plus encore qu'en Europe ou en Amérique du Nord. Dans le domaine spécifique de la foresterie, le système taungya de plantation est un exemple remarquable de l'importance des études socio-économiques. Au cours de ces dernières années, la plupart des universités ont modifié leurs programmes pour y inclure ces cours.

On sait depuis longtemps qu'il était essentiel d'insister sur la formation pratique des forestiers de niveau supérieur: une période minimale de travaux pratiques est habituellement exigée pour le diplôme. Toutefois, le responsable des ressources naturelles rencontre des problèmes très divers; la formation donnée est donc nécessairement très générale et, dans la plupart des universités, se concentre dans les deux premières années sur des matières fondamentales, notamment la biologie. Cependant, il est devenu évident que les aspects essentiellement forestiers ne peuvent être bien traités en une seule année (notamment le plan d'exploitation); on admet généralement aujourd'hui que pour former un cadre supérieur quatre années au minimum sont nécessaires après le diplôme d'études secondaires, les deux premières pour les matières fondamentales et les dernières pour la foresterie proprement dite (Champion, 1965). Le plan d'exploitation, nous l'avons dit, est un exercice des plus importants où les étudiants doivent affronter un problème pratique et utiliser au mieux les connaissances acquises, en produisant individuellement des solutions réalistes. Cela est pratiquement impossible avant que soient achevés les cycles de conférences, comme on le demande lorsque la durée des études ne dépasse pas trois ans.

FORMATION DE NIVEAU TECHNIQUE

La plupart des pays africains en voie de développement ont compris l'importance de la formation technique et ont créé des écoles forestières. Selon Williamson (1964), qui a visité 14 pays africains, la formation technique est d'un niveau assez satisfaisant dans presque tous les pays. En outre, les moyens matériels, les méthodes de formation, le niveau des étudiants et les procédés de sélection suscitent beaucoup d'éloges et peu de critiques.

S'il y a cependant une critique à avancer, c'est qu'on devrait mettre davantage l'accent sur les relations publiques, la gestion du personnel et l'analyse des postes et moins insister sur la politique forestière, l'utilisation, le génie forestier et les industries forestières.

FORMATION DU PERSONNEL DE TERRAIN

L'importance de cette formation n'a pas été partout suffisamment soulignée et les hommes ne sont pas toujours aussi efficaces qu'ils le pourraient. Nous avons déjà signalé qu'on pourrait y remédier, là où c'est nécessaire, en exigeant un niveau d'instruction plus élevé.

FORMATION DES OUVRIERS FORESTIERS

La formation des travailleurs forestiers dans beaucoup de pays est très insuffisante. Cela résulte souvent de l'insuffisance pédagogique, de l'inaptitude à organiser et du manque de connaissances de ceux qui sont chargés de cette instruction. Ail faudrait assurer davantage de cours de brève durée et une surveillance effective bien plus étroite.

FORMATION DE SPÉCIALISTES

Cette formation est assez largement ouverte grâce à l'aide multilatérale et bilatérale: elle est en général bonne, mais pas toujours justifiée, soit qu'elle ne soit pas vraiment nécessaire, soit que le candidat ait été mal choisi. On doit se souvenir que, dans les pays en voie de développement, la foresterie est essentiellement une technologie appliquée et que, comme l'a suggéré Richardson (1967), dans beaucoup de ces pays, l'adaptation des pratiques et des techniques déjà mises au point d'après les recherches faites ailleurs est probablement bien plus urgente que de nouvelles découvertes; le développement mérite une priorité plus élevée que la recherche.

Application pratiqué

Ce sujet comporte deux aspects, selon qu'on considère les effectifs formés ou le genre de formation reçue. Dans la plupart des pays, on manque de personnel qualifié de tous les niveaux pour que la foresterie puisse efficacement jouer le rôle qui lui incombe mais on n'utilise pas toujours au mieux le personnel dont on dispose. En raison du manque général de personnel qualifié, il arrive souvent que les gens formés dans un domaine donné trouvent ailleurs un poste qu'ils estiment leur convenir davantage: il est tout à l'honneur de la formation forestière que tant de forestiers, pourvus de qualifications supérieures ou techniques, occupent autre part des postes où ils réussissent et où ils sont aussi bien, sinon mieux payés. D'autre part, bien qu'à la requête du gouvernement du Nigeria un département forestier ait été créé à l'université d'Ibadan en 1963 pour former 14 diplômés par an destinés aux services forestiers locaux et bien que ce chiffre n'ait été atteint qu'en 1969, certains diplômés, et non des plus médiocres, ont déjà beaucoup de difficultés à obtenir une affectation dans les cadres forestiers. La création de nouveaux emplois n'augmente pas au rythme prévu.

Plusieurs des meilleurs techniciens se sont dirigés vers l'université; certes, c'est là un gain pour la foresterie de niveau supérieur, mais aux dépens du cadre technique, peut-être même au détriment de la foresterie si l'on ne réussit pas à les remplacer.

Nous avons déjà mentionné le mauvais emploi d'une grande partie des diplômés qui ont reçu une formation spécialisée. Champion (1965) cite le cas d'un spécialiste revenu dans son pays pour donner des conférences sur le génie forestier après avoir étudié la génétique forestière pendant deux ans. Dans un pays africain, pourtant à court de forestiers de niveau supérieur, un ingénieur diplômé des forêts enseigne l'écologie dans une école vétérinaire. Ail y a certes bien des explications à ces absurdités apparentes, mais c'est en général parce que des considérations de statut, de promotion et de rémunération prennent le pas sur l'objectif fonctionnel de la formation; il y a en outre une tendance à récompenser les longs et loyaux services par une période de formation outre-mer, au lieu de donner à un candidat plus jeune l'équipement intellectuel qui valorisera son travail futur (Champion, 1965).

Sans doute la plupart des cadres supérieurs pourraient fort bien se passer des cours de cartographie et d'une bonne partie des cours de génie forestier, du moins s'ils sont secondés par des techniciens expérimentés. C'est parce que, trop souvent, on manque de techniciens qu'il y a ambivalence dans l'enseignement. En outre il est rare qu'un conservateur des eaux et forêts ait besoin, de nos jours, de connaître en détail les questions de génie forestier: les services forestiers ont le plus souvent des spécialistes dans ce domaine ou bien, ils peuvent s'adresser au ministère des travaux publics. La taxonomie peut aussi être réduite au minimum. Les ressources naturelles continuent d'être exploitées partout où elles existent. Mais afin d'accroître la productivité à l'hectare et de satisfaire le besoin de matière première homogène pour l'industrie, on assiste à une progression en flèche de la régénération artificielle et des plantations. Certes un forestier doit connaître les différentes essences locales qui ont une valeur économique: mais cette connaissance peut s'acquérir plus aisément sur le terrain. La connaissance taxonomique superficielle que l'on acquiert à l'université n'est pas d'une grande utilité aux forestiers sur le terrain et le temps passé à enseigner cette discipline pourrait être mieux employé.

D'autre part, si l'enseignement donné au forestier de niveau supérieur ne s'appesantit plus sur la cartographie, sur certains aspects du génie forestier ni sur la botanique forestière, on devrait s'assurer autant que possible que ces matières sont suffisamment couvertes au niveau de la formation technique.

Remèdes suggérés

La principale réforme suggérée serait d'envisager les problèmes du point de vue des besoins réels, plutôt que de l'organisation existante, pour décider de la création des différents postes et du niveau d'instruction minimal exigible aux différents niveaux d'entrée. En effet, il n'est pas toujours vrai que l'organisation qui existe dans un pays repose sur les besoins.

Deuxièmement, il faut reconnaître que la foresterie, dans les pays en voie de développement, est une technologie appliquée: il s'agit non pas d'accroître les connaissances mais d'adapter les techniques courantes aux conditions locales et d'appliquer les connaissances existantes.

Troisièmement, la formation du personnel à tous les niveaux doit être tenue pour un problème d'ensemble.

Si l'on accepte les trois principes ci-dessus, les autorités compétentes consacreront sans aucun doute beaucoup plus d'efforts à la formation des praticiens et techniciens forestiers (ouvriers forestiers, personnel de terrain et techniciens) qu'à celle des cadres supérieurs, des chercheurs et des spécialistes. Richardson (1967) a chiffré les besoins d'encadrement de la main-d'œuvre pour les opérations sur le terrain, en publiant les statistiques de 1965 pour le Kenya et l'Ouganda. Ces chiffres montrent clairement que c'est à ce niveau surtout que l'on manque de personnel qualifié; mais il n'en serait pas moins nécessaire d'accroître aussi les effectifs.

Si l'on forme suffisamment de techniciens et de main-d'oeuvre qualifiée, on pourra réduire la part de la cartographie, de la botanique et du génie forestier dans la formation forestière de niveau supérieur, ce qui laisserait des heures de cours libres pour donner plus d'importance aux questions socio-économiques et à tous les aspects de la gestion, y compris les auxiliaires modernes, en plus de cours de biologie et de sciences naturelles.

Si l'on admet que la foresterie dans les pays en voie de développement est surtout une technologie appliquée et qu'il s'agit surtout aujourd'hui d'appliquer sur le terrain des connaissances qui existent déjà, on peut espérer que les gouvernements feront une plus large place au personnel de ce niveau, à savoir les techniciens du rang le plus élevé ou ingénieurs des travaux, et créeront aussi de nouveaux barèmes de traitements qui faciliteront le recrutement de ce cadre technique, si important du point de vue national. Dans le contexte des pays en voie de développement, où les bons techniciens font prime, on devrait encourager par tous les moyens le personnel le meilleur à rester plutôt que de le pousser à entrer à l'université.

Type d'exploitation forestière

Enseignement supérieur

Enseignement technique

Enseignement professionnel

Main-d'oeuvre

Foresterie de production

1

7

49

392

Création de ressources

1

8

48

240

Foresterie de production (Chiffres relevés au Kenya)

22 (1)

197 (8)

499 (22,5)

?

Foresterie de production (Chiffres relevés en Ouganda)

9 (1)

37 (4,1)

86 (9,5)

?

NOTE: les chiffres entre parenthèses représentent le coefficient d'encadrement observé.

Si cette réforme était associée à une formation pratique intensive au niveau des écoles professionnelles et des ouvriers forestiers, il en résulterait pour la foresterie des progrès considérables et bien des problèmes que posent actuellement les programmes à tous les niveaux seraient résolus. A l'heure actuelle, faute d'aborder les programmes comme un tout intégré et de s'attacher suffisamment à l'analyse des problèmes, on se contente de surcharger les programmes de formation des techniciens comme des cadres supérieurs, ce qui provoque des chevauchements et doubles emplois regrettables. Ceci peut et devrait être évité.

Références

CHAMPION, H.G. 1965 Tropical forestry education. Proc. Duke University Tropical Forestry Symposium. School of Forestry, Duke University, North Carolina. Bull 18, 78-97.

FAO 1965 General report. Proc. Seminar for Principals of Technical Level Forestry Schools in Africa, Abidjan, Côte-d'Ivoire, octobre 1965.

GOODWIN, J.F. 1965 Curricula and syllabuses at technical level forestry schools with particular reference to the needs of developing countries. Proc. Seminar for Principals of Technical Level Forestry Schools in Africa, Abidjan, Côte-d'Ivoire, octobre 1965.

KING, K.F.S. 1965 Some aspects of administrative organisation. Obeche, Journ. of Tree Club, University of Ibadan, 11-16.

RICHARDSON, S.D. 1967 Manpower and training requirements in forestry development planning. FAO, FO: IWP/67/1, 18 janvier 1967.

SISAM, J.W.B. 1964 Basic curriculum for forestry and forest products colleges/faculties/departments in developing countries. Proc. FAO Advisory Committee on Forestry Education, First Session, Venezuela, février 1964.

WILLIAMSON, J.Q. 1964 Education et formation professionnelle en Afrique. Unasylva, Vol. 18(75), 22-24.

WILSON, F.B. 1968 Education and training for agricultural development. Proc. Sixth Cambridge Conference on Development Problems - The rural base for national development, 22-38.

WYATT SMITH, J. 1968 Education in forestry with particular reference to professional training in developing countries. Document présenté à la Ninth Commonwealth Forestry Conference, India, janvier 1968.


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