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2. OBSERVATIONS, TRAVAUX ET REALISATIONS

2.1 Centre d'adaptation piscicole de Kigembe (C.A.P.)

Au moment de son arrivée dans la République du Rwanda en septembre 1967, l'expert a trouvé le Centre d'adapatation piscicole abandonné. La pisciculture, au sens strict du terme, n'était pas opérationnelle. Le Centre servait d'entrepôt rural et de base pour toutes sortes d'autres activités du Ministère de l'agriculture (élevage, soins vétérinaires, apiculture et exploitation forestière).

Le Centre disposait de 32 grands étangs de production et de 40 petits pour la reproduction ou le repeuplement. Durant le projet, le gros oeuvre de béton et la maçonnerie des étangs ont été réparés, quatre auges construites pour y abriter temporairement les poissons adultes et les alevins. Les vannes de prise ont été changées et réparées pour augmenter les arrivées d'eau dans les étangs. En outre, une source a été captée et une canalisation de 2 km ½ installée pour avoir de l'eau potable et l'eau pure nécessaire au transport des alevins. En cours de projet, des bâtiments ont été réparés et remis en service, des silos à fourrages construits et d'un accès facile depuis les étangs de production.

Le C.A.P. de Kigembe est administré par le chef des services agricoles du district de Butare. Comme il n'y avait pas sur place de fonctionnaire des pêches, l'expert a pris la direction de la station piscicole, où il s'est employé à faire l'inventaire des reproducteurs et à les sélectionner. Puis il a transporté les espèces qui se prêtaient à l'élevage dans les étangs communaux existant dans le pays.

Les espèces destinées à l'empoissonnement étaient les suivantes: Cyprinus carpio (carpe normale, introduite en Ouganda en 1965), Tilapia melanopena (espèce du genre Tilapie introduite au Congo en 1950), Tilapia nilotica, Tilapia macrochir (variété de l'espèce du Congo), Serranochromis macrocephala (introduite du Burundi en 1965), puis ultérieurement Clarias carsonii (poisson-chat indigène).

En 1968, quand M. Ruremesha fut affecté à Kigembe, l'expert put développer la pisciculture dans le pays en se livrant à un travail de vulgarisation, qu'il limita au Rwanda central, c'est à dire au territoire compris en gros dans le triangle Butare-Gisenyi-Byumba-Kigali, où les deux-tiers de la population sont consommateurs de poisson. De plus, les nombreuses vallées bien pourvues d'eau en permanence se prêtent admirablement à la pisciculture, alors qu'il existe une grosse pénurie de protéines animales et que les grandes pêcheries naturelles se trouvent à des distances considérables.

En avril 1971, les étangs du groupe scolaire de Butare furent confiés à l'administration du Ministère de l'agriculture et de l'élevage: M. Kayigiri fut désigné pour diriger les opérations de cet ensemble, qui couvre 10,5 ha. La remise en activité et le réempoissonnement sont toujours en cours. A l'origine, les étangs ne contenaient aucun poisson.

2.2 Elevage de la carpe

2.2.1 Supports divers de frayères

On avait remarqué à la station piscicole expérimentale de Kajansi, en Ouganda, que les insectes et les têtards s'attaquaient aux alevins de carpe. Les étangs avaient eté entourés de tôle ondulée pour empêcher les grenouilles Xenopus de pénétrer dans les étangs frayères. Nous avons estimé urgent d'essayer la méthode “Kabakan” d'élevage de la carpe pour intensifier la production d'alevins et d'estivaux.

Divers matériaux qu'on pouvait se procurer sur place ont été expérimentés pour fabriquer des claies servant de frayères artificielles: (a) des moustiquaires en tulle de nylon tendues sur des cadres de bois; (b) des nattes tressées avec du Cyperus papyrus; (c) des bottes de graminées Themeda; (d) un lichen, Usnea barbata, qu'on trouve dans la forêt vierge de la Crête Congo-Nil.

L'expérience fut répétée plusieurs fois, chaque fois avec deux femelles et deux mâles sélectionnés, pour la fraye et l'incubation. Trois à quatre jours avant l'expérience, on prépara deux petits bassins adjacents (l'un de 12 m2 pour la fraye, l'autre de 30 m2 pour l'incubation). On calcula le nombre total d'oeufs pondus, d'après celui déposé sur un échantillon de 10 cm × 10 cm (voir Tableau 1).

Le taux élevé de survie doit être imputé aux conditions d'hygiène très strictes maintenues dans les étangs et sur les supports.

Le bassin de ponte avait été soigneusement nettoyé d'herbes aquatiques et rempli deux heures seulement avant d'y lâcher les géniteurs sélectionnés et d'y placer les claiesfrayères. Le bassin d'incubation avait été préparé dix jours avant la fraye. Dans aucun des deux bassins, on n'observa d'organismes prédateurs au moment de la ponte et de l'incubation.

Les résultats de ces expériences ont montré que les matériaux naturels employés comme supports donnaient les taux de ponte les plus élevés. Nous n'avons utilisé cette méthode qu'à Kigembe, car elle était d'une application difficile dans les conditions rurales.

2.2.2 Densité de repeuplement

Le meilleur taux d'empoissonnement pour la carpe s'est trouvé voisin de 200 estivaux de 6 cm par are, dans les étangs sans alimentation de complément. Au début de 1968, des piles de compost ont été placées dans un angle de l'étang, constituées de cageots de bambou remplis de feuilles et d'autres matières végétales, à demi-submergées. Nous avons eu alors de bons résultats avec une densité d'empoissonnement de 250 alevins par are.

Il a été observé que la carpe, associée en pisciculture avec Tilapia et Serranochromis, avait un taux de croissance supérieur, notamment pendant la saison des pluies où la température de l'eau baisse.

2.2.3 Expériences d'alimentation

Au début du projet, il n'était pas possible de se procurer de produits, dans le voisinage du C.A.P. de Kigembe, pour servir d'alimentation complémentaire bon marché des carpes et autres poissons. En juillet 1969, à la fin de la récolte de riz à Kabuyi, près de Kigali, six tonnes d'issues de riz furent cédées gratuitement par l'équipe chinoise (Taiwan) d'assistance agricole et transportées à Kigembe, soit à une distance de 155 km. On commença des essais d'alimentation sur quatre étangs, de 40 ares chacun. Deux étaient empoissonnés seulement de carpes, les autres de carpes et de Tilapia melanopleura (voir Tableau 2).

Les issues résultant de l'usinage du riz n'étaient disponibles que pendant les trois mois consécutifs à la moisson, à la fin de la grande saison sèche. Occasionnellement, on put se procurer du son de blé dans un moulin de Ruhengeri: le transport en camion d'un chargement de 6 tonnes (coût $18) revenait à $0,40 le km pour un voyage circulaire de 400 km. Au taux de conversion observé de 7 kg de nourriture pour un gain de 1 kg de poisson, l'opération n'était pas rentable et dut être abandonnée.

2.3 Elevage du Tilapia

On a utilisé jusqu'à la mi-1968 la méthode mixte d'élevage du Tilapia, qui consistait à mettre des poissons d'espèces, d'âges et de tailles différents dans des étangs d'une superficie supérieure à 20 ares. Mais les poissons insuffisamment alimentés devenaient chétifs et ne grandissaient pas, même en leur fournissant un supplément de nourriture avec du compost. Aussi cette méthode fut-elle abandonnée. Le taux de production n'atteignit que 450 kg an toutes tailles, 45% des poissons seulement parvenant à un poids commercial (200 à 250 g).

Le compost, qui était mis dans des cages de bambou pour éviter qu'il ne s'émiette partout sur le fond de l'étang, se composait de feuilles de bananiers, d'herbes et de végétaux aquatiques (feuilles de nénuphars, Potamogeton, Myriophyllum etc.).

On entreprit donc ensuite l'élevage séparé, par classes d'âge, en l'adaptant aux conditions du milieu.

L'empoissonnement initial a commencé avec des jeunes de même âge ayant 6 cm de long (5 g). Après plusieurs essais, le taux optimum de densité, dans les conditions prévalant à Kigembe, s'est trouvé être de 2 000 alevins de 6 cm (et d'environ 5 g) pour les espèces Tilapia melanopleura et Tilapia macrochir en monoculture. Au bout de onze mois, les poissons capturés pesaient 225 g (pour une longueur de 24 cm) et la récolte atteignit 216 kg pour un étang de 40 ares (soit environ 574 kg/ha et par an).

La croissance des espèces du genre Tilapia a été retardée à la fin de chaque saison des pluies (novembre et juin), car la température de l'eau tombait au dessous de 17 °C et les poissons cessaient de se nourrir. Pour y obvier, on eut recours à un système différent de vidange. On installa une seconde rangée de planchettes dans les moines des étangs de Kigembe: en enlevant seulement la rangée inférieure, on put ainsi vidanger les couches d'eau du fond qui sont les plus froides. De cette façon, on a pu maintenir la température de l'eau, dans le fond de ces étangs, à 5 °C de plus que dans les autres.

Le système des moines, où l'on emploie des canalisations de béton préfabriquées, est trop coûteux pour pouvoir être adopté dans les zones rurales. Pour un tuyau d'environ 0,45 m de diamètre et d'1 m de long, le prix de revient équivaut à peu près à ce que gagne un paysan africain en un an: il ne pouvait donc être question d'utiliser les moines dans les étangs de la brousse.

Le système des vannes est plus facile à fabriquer avec des briques cuites et des morceaux de roche qu'on trouve sur place: il faut seulement un peu de ciment qui est importé d'Ouganda. Au prix de 7 fr.RW (soit 0,07 dollar1) le kg en sac de 50 kg, le ciment représente la plus forte dépense (il faut compter 4 à 5 sacs de ciment à 3,50 dollars, soit de 14 à 17,50 dollars). Les briques reviennent à 1 ou 2 fr.RW. pièce, le coût de la main d'oeuvre est négligeable car le système d'entr'aide communal est fourni des amis ou des voisins. Le système de vannes, qui comprend les fondations, deux murs trapézoidaux, deux portes et quatre murs de soutien, a été construit pour 3 200 fr.RW. (32 dollars) en 250 occasions environ. La hauteur de l'ouvrage est habituellement de 2 m, les fondations sont longues de 8 m.

A Kigembe, deux étangs ont été mis hors d'usage à la suite de l'affaissement des tuyaux de vidange qui s'enfoncèrent dans le sol, provoquant la submersion du bâtardeau de fond, puis sa rupture. C'est un accident qui peut arriver facilement, car les tuyaux de vidange ne reposent pas sur une base et sont simplement attachés aux deux côtés de la structure cimentée. Dans le cas d'une vanne, la base ne s'enfoncera pas aussi aisément dans un sous-sol alluvionnaire imprégné d'eau, qui est celui de tous les fond de vallée où l'on aura habituellement ces bassins à édifier.

Lorsque les bâtardeaux se rompent, on les répare en pratiquant une fouille et en remblayant, avec la main d'oeuvre disponible. L'ouvrage de maçonnerie de la vanne est exécuté par des volontaires français qui travaillent maintenant au Centre à des tâches techniques de réparation et de construction. Il n'y avait pas de crédits prévus pour cela, mais on a institué un fonds de roulement grâce aux bénéfices de la station de Kigembe.

1 1 dollar = 100 fr.RW.

2.4 Clarias carsonii (Boulenger) -1903

Clarias carsonii est la plus grosse des deux espèces de silures - poissons-chats que l'on trouve à l'état naturel dans les eaux du plateau du Rwanda. Ce poisson, très apprécié des Africains, est extrêmement robuste et peut survivre une vingtaine d'heures hors de l'eau, comme l'a constaté l'expert en plus d'une occasion, en le recouvrant d'herbes mouillées au fond d'un panier. Ce poisson se rencontre dans les petits cours d'eau du voisinage, où on peut facilement l'attraper dans des nasses. A Kigembe, on l'a souvent trouvé au moment de la vidange dans les étangs, où il s'introduisait par les arrivées d'eau; aussi, a-t-on décidé d'en tenter l'élevage.

L'estomac des Clarias carsonii d'une taille inférieure à 7 cm contenait seulement des copépodes et des cladocères, mélangés à de la matière végétale qu'on n'a pas pu identifier. Chez les individus de 9 cm jusqu'à la taille maximum (39 cm) rencontrée, l'estomac ne contenait que des insectes parfaits et des larves, principalement ceux et celles de Chaoborus et de Povilla. Dans les étangs, ces poissons mangèrent immédiatement des Haplochromis nubilis, morts mais frais, ainsi que d'autres petits cichlidés recueillis et triés au moment de la vidange de l'étang pour en faire la récolte. L'expert a essayé un moyen d'alimentation complémentaire, en disposant sur le bord intérieur des digues et au contact de l'eau des bottes de papyrus à l'intérieur desquelles on attache des morceaux de viande de poule d'eau. Cette viande attire les mouches, dont les asticots fournissent en tombant dans l'étang une nourriture aux poissons. En pourrissant lentement, les papyrus attirent les Chaoborus et Povilla, que l'on peut attraper facilement à l'état de mouches adultes ou de larves.

Sur plus de 300 spécimens capturés à l'état naturel et examinés, nous n'avons trouvé aucune trace de poisson dans les estomacs. Toutefois, au cours de nos expériences en étang où nous avons jeté du menu fretin, celui-ci a été immédiatement consommé, ce qui indique une tendance carnivore chez les plus gros individus (au dessus de 27 cm).

Les alevins de Clarias carsonii s'élèvent dans des sillons de 1 m de long sur 0,10 m de profondeur que l'on creuse dans le fond de l'étang, le long des bajoyers de la vanne, à environ 0,40 m sous la surface. Les oeufs ont entre 4 et 5 mm de diamètre.

Après la ponte, les parents protègent leurs oeufs contre les prédateurs. L'éclosion a lieu au bout de trois à quatre jours, du moins dans les conditions prévalant à la station de Kigembe. Pour la vente, ces poissons atteignent en 8 mois la longueur commerciale de 0,28 m.

A Kigembe, nous avons élevé Clarias carsonii en monoculture dans deux étangs de 35 ares chacun. Habituellement, ces étangs étaient vidangés tous les six mois après l'empoissonnement, mais, dans ce cas, la vidange a été effectuée tous les trois mois. Entre février et novembre 1970, soit sur neuf mois, nous avons fait deux récoltes qui ont produit au total 869 poissons (d'un poids de 248 g et d'une longueur de 28 cm, en moyenne), soit 410 kg/ha et par an. Outre une quantité inconnue de nourriture naturelle en larves d'insectes, cette récolte avait consommé un complément de 1 200 kg de poissons de rebut provenant des autres étangs au cours de l'année.

Dans les conditions existant au Rwanda, l'élevage de Clarias carsonii dans des retenues d'eau devrait être rentable moyennant une bonne exploitation. A l'état frais, ce poisson de 28 cm vaut de 34 à 37 fr.RW. (soit de 0,34 à 0,37 dollars), un peu plus que le Tilapie (0,35 dollars ou 35 fr.RW. en moyenne). Il se transporte vivant jusqu'à des marchés éloignés, en le mettant en paniers sous des herbes mouillées.

2.5 Etangs et autres bassins à poissons

Au cours du projet, nous avons remis en activité de nombreux étangs du Rwanda central, simplement en adaptant des planchettes aux canalisations de vidange, notamment dans deux étangs d'1 hectare.

A Mubutu, dans le paysanat du Mayaga, après avoir repeuplé les étangs en estivaux de T. melanopleura et de T. macrochir (dix kg pour chaque espèce) et avoir introduit 120 Serranochromis, le tout en provenance du C.A.P. de Kigembe, nous avons utilisé les étangs à des démonstrations de pisciculture pour la population locale.

Près de Shyogwe, dans le district de Gitarama, une retenue de 8 ha ½, nouvellement édifiée pour fournir de l'eau potable au Mayaga, a été mise en charge avec 80 kg de Tilapia melanopleura de 6 cm de long, pour empêcher la croissance d'algues filamenteuses et d'autres végétations aquatiques nuisibles. Plus tard, on y a ajouté 20 kg de Serranochromis macrocephala (de 7 à 9 cm) pour enrayer la pullulation des tilapies. Commencée en novembre 1970, la pêche produisit environ 500 kg de poisson qui fut vendu aux missions et sur les marchés du voisinage. La mise en exploitation du vieux réservoir d'irrigation de Nyabisindu (7 ha de superficie) démarra après que la pêche expérimentale aux filets maillants et aux nasses eût donné de bons résultats. Le commissaire de district prêta son concours pour faire réparer le déversoir.

Près de Cyangugu, à mi-chemin de l'embranchement des routes vers Nyamasheke et Gikongoro-Butare, un étang de démonstration d'1 ha a été remis en service en mettant des planchettes dans la canalisation du moine et en réempoissonnant avec Tilapia nilotica et Clarias lazera capturés dans le lac Kivu tout proche. De nouveau, nous avons donné des instructions sur l'utilisation et l'exploitation de cet étang, en collaboration avec le chef local ou “bourgmestre”. Actuellement, ce grand étang a une production de 900 kg/ha et par an et sert de centre de démonstration pour les villages voisins.

A Rubengera, dans le district de Kibuye, près de la Mission anglicane du même nom, quatre étangs à poissons voisins, abandonnés depuis environ sept ans, ont été pourvus de nouvelles vannes dont les portes de ciment ont été imaginées par l'expert et fabriquées sous la direction de spécialistes de la Mission suisse d'aide bilatérale et agricole. Ce genre de portes était nécessaire pour remplacer les planchettes, vu la difficulté de se procurer du bois. Les travaux étaient encore en cours au moment du départ de l'expert, mais, 2 hectares ½ d'étangs étaient déjà prêts à entrer en production. La mise en charge se fera avec des Tilapia nilotica et des Clarias lazera pris au filet at aux nasses dans les petits fonds du lac Kivu.

Les étangs de barrage ne conviennent pas au Rwanda, comme l'ont prouvé les huit bassins de ce type, complètement envasés, dans les districts de Butare, Gitarama et Ruhengiri.

Dans la région très montagneuse du Rwanda central, coupée de centaines de vallées qui descendent de la Crête Congo-Nil, les crues subites en saison des pluies et les éboulements de terrain, mal retenu sur les pentes par des terrasses défectueuses, provoquent l'ensablement des bassins.

De meilleurs résultats ont été obtenus avec les étangs dont le fond suit la courbe de niveau et où l'eau est amenée d'une rivière par un canal. On en a la démonstration avec la grande station d'élevage de Kigembe et avec la Concession piscicole du groupe scolaire de Butare: toutes deux ont résisté, bien qu'elles aient été abandonnées pendant vingt ans.

Quant à l'étang du barrage d'Ishanga, entre Kabgaye et Biyama, devenue très peu profond en raison de l'envasement continu, après étude, nous avons conseillé au responsable agricole du district de Gitarama de changer le système actuel et d'édifier une série d'étangs épousant les courbes de niveau, alimentés par de l'eau amenée de deux ruisseaux voisins.

Le coût de la main d'oeuvre pour la construction d'étangs varie, de 38 600 à 42 500 fr.RW. (travaux de terrassement et maçonnerie avec des briques fabriquées localement). Ce prix a été calculé en prenant pour base des ouvrages exécutés près de Kigembe, dans les mêmes conditions qu'à Ishanga où le travail avait été effectué sous la direction de l'expert en utilisant les paysans intéressés, leurs familles et leurs amis, selon les coutumes d'entr'aide communautaire du Rwanda.

Pour le projet de rénovation des étangs d'Ishanga, on prévoit huit étangs de 40 ares chacun (3,2 ha). Si l'on prend pour base l'estimation la plus élevée de 42 500 fr.RW. par ha, la construction reviendrait au total à 136 000 fr.RW. (1 360 dollars).

Les frais de fonctionnement et les recettes ont été estimés comme suit pour Ishanga:

Amortissement sur 10 ans des frais de construction (3,2 ha)fr.RW.13 600
Intérêt-  6 800
Entretien-  2 000
Alevins et transport (par 2 000 ha)-  1 600
Totalfr.RW.24 000
Recettes provenant de la vente du poisson (à raison de 700 kg/ha/an à 30 fr.RW.)fr.RW.67 200
Bénéfice netfr.RW.43 200

La pisciculture en eaux retenues dans des bassins peut se pratiquer toute l'année, tandis que la production agricole (haricots, patates douces et sorgho) ne dure que six mois. A noter qu'il conviendrait d'utiliser comme engrais, et aussi comme aliment de complément pour les poissons, un compost de feuilles de bananiers, d'herbes et d'autres matières végétales empilées dans des cageots de bambou. L'ensemble des étangs d'Ishanga est situé près de la grand'route Kigali-Butare qui passe par Gitarama, à seulement 10 km au nord: aussi, les conditions se prêtent-elles très bien à la vente du poisson sans frais excessifs de transport. L'affaire serait donc économiquement parfaitement viable.

2.6 Vulgarisation de la pisciculture

Le C.A.P. de Kigembe est la seule station, actuellement, qui puisse servir à promouvoir la pisciculture, spécialement dans le centre du pays.

Comme il n'existe pas de service des pêches, l'administration qui en est responsable est le Département des eaux et forêts au Ministère de l'agriculture et de l'élevage.

Mais il serait très souhaitable qu'un fonctionnaire principal des pêches, ayant pleine responsabilité envers le Gouvernement pour l'administration de la pisciculture et des pêches intérieures, soit affecté à ce Ministère.

Un organisme devrait être créé aux fins de développer la pisciculture et les pêches en général, qui serait chargé de faire des démonstrations sur le terrain et dans les écoles d'agriculture, ainsi que de la formation et de la vulgarisation. L'expert a formé du personnel en nombre suffisant pour donner des cours de pisciculture dans trois écoles (Butare, Murambi et Kibuye). L'organisme recommandé choisirait les emplacements des étangs, préparerait les plans de construction et d'amenée d'eau, procurerait les poissons pour leur mise en charge. En outre, il donnerait des conseils sur l'alimentation et procéderait aux recensements pendant l'élevage et les périodes de récolte.

Le système actuel ne semble pas satisfaisant, qui consiste à confier les responsabilités en matière de pêche aux chefs des services agricoles de district, déjà surchargés des tâches administratives qui incombent à leur seule fonction agricole.

2.7 Les pêches dans les lacs du Rwanda

La pêche au Rwanda se limite à dix lacs et à la rivière Nyabarongo. Exception faite du Kivu, tous ces lacs sont situés sur le plateau du Rwanda. Les abondantes ressources halieutiques de la rivière Akagera, au nord des Chutes de Rusumu dans le district de Kibungo, ne sont pas exploitées par les Rwandais.

Sur ce territoire appelé Rusumu/Migongo, il existe une industrie de la pêche, qui exploite environ 50 espèces de poissons appartenant à une douzaine de familles, et qui est entre les mains d'une centaine de pêcheurs et d'intermédiaires tanzaniens. Ceux-ci exportent le poisson séché et fumé, dont 80% est constitué de Tilapia et 20% de Clarias, à raison de 700 tonnes par an de poisson frais. L'effort de pêche (et la pression qui en résulte) est faible, avec 140 jours par an (à 4 heures par jour) de pêche pour 50 pirogues, soit 28 000 heures de pêcheurs par an, pour une superficie exploitable de 30 km2 pour les lacs, plus 25 km2 pour les marais et la rivière Akagera. Les engins utilisés sont des filets maillants de 50 m de long et de 5 m de hauteur, avec une maille de 5 à 7 cm en fil de 210/4 deniers provenant des fabriques de filet de Kampala (Ouganda) ou de Dar-es-Salaam (Tanzanie). Les filets sont attachés à des perches enfoncées dans le fond et sont très “pêchants”, surtout pour le Tilapia et le Clarias.

En quatre occasions, deux fois en saison des pluies (mai 1969 et avril 1970) et deux fois en saison sèche (décembre 1967 et janvier 1969), l'expert a pêché tout près des autochtones avec des filets de nylon vert à un seul fil (de 40 m × 4 m; 140 deniers), en surface, puis en profondeur dans le fond du lac. Dans tous les cas, il a pris environ 80% de plus de poisson que les pêcheurs locaux, et pas seulement des Tilapia et Clarias, mais aussi des Schilbe mystus et Bagrus docmac capturés en eau profonde. Les lacs de la région Rusumu/Migongo communiquent avec la rivière Akagera, laquelle mène aux parcs nationaux de Kagera (mais où l'interdiction de pêcher est sévèrement contrôlée par les gardes), puis au lac Victoria en Tanzanie. Le potentiel des pêches dans la région de Rusumu/Migongo est estimé en gros à 1 200 tonnes par an, le renouvellement des stocks étant toujours assuré dans les lacs.

Les lacs du plateau rwandais et le Kivu comptent 500 pêcheurs à plein temps et 2 000 pêcheurs-cultivateurs à temps partiel. Dans les lacs et les rivières du plateau, on ne trouve que cinq espèces de poissons, parmi lesquelles Tilapia melanopleura et Tilapia nilotica ne sont pas indigènes. La production totale de ces lacs est de 1 339 t/an, dont 80 t pour le lac Kivu.

Les filets de pêche se limitent à des filets maillants qui sont importés d'Ouganda. Les embarcations sont de petites pirogues creusées dans un tronc d'arbre, de 3 à 7 m de long. Le poisson sec ou fumé, provenant du Burundi, trouve un débouché facile au Rwanda central. Il n'éxiste ni aversion ni restriction religieuse qui s'oppose à la consommation de poisson.

Si la pêche était pleinement développée et s'il existait l'infrastructure nécessaire, le Rwanda central constituerait un excellent débouché avec ses 2,8 millions d'habitants et ses 275 marchés permanents.

De toute évidence, l'infrastructure manque, en effet, pour desservir l'industrie de la pêche. Le Gouvernement ne saurait s'occuper pour le moment de promouvoir les transports ni la vente du poisson. Et pourtant, le développement des pêches est pour lui une question absolument prioritaire: c'est pourquoi, nous avons suggéré de créer un organisme national qui en serait chargé, afin d'améliorer la situation actuelle. Son rôle consisterait:

  1. à assurer tout le travail de vulgarisation et à restaurer définitivement les stations de pisciculture de Kigembe et Butare;

  2. à mettre des engins et des embarcations plus appropriés à la disposition des pêcheurs, à organiser la vente et, peut-être, des coopératives de pêche sur les lacs éloignés.

Cet organisme disposerait d'un fonds de roulement pour financer l'équipement. Il travaillerait en étroite coopération avec l'aide bilatérale comme l'Organisation belge d'assistance technique, la CEE et la Mission agricole suisse de Kibuye, sur le lac Kivu.

Ces missions d'aide bilatérale ont du personnel sur place qui participe au développement rural et entretient des relations de travail avec la population de ces zones. Le Tableau 3 montre les quantités de poisson des lacs, disponibles à la vente.

2.8 Formation du personnel

En dehors de la formation du personnel de contrepart donnée en cours de mission au C.A.P. de Kigembe, des séminaires de travaux pratiques ont été organisés pour des stagiaires des trois écoles d'agriculture suivantes:

  1. l'Institut pour la formation des cadres, de Murambi, près de Gitarama;

  2. la Section agronomique du groupe scolaire, de Butare;

  3. la Mission agricole suisse, de Kibuye.

Ces stagiaires étaient destinés à travailler dans des opérations de mise en valeur rurale qui, dans bien des cas, comprenaient la pisciculture. Les séminaires sur le terrain consistaient en démonstrations pratiques où étaient expliquées les techniques de construction des étangs, l'exploitation piscicole (multiplication et élevage des différentes espèces de poissons) et les méthodes de récolte.

Ces séminaires de travail, auxquels prirent part les stagiaires les plus qualifiés, ont abouti à la construction, par ces derniers et par les missions de développement communautaire, de huit étangs de démonstration adaptés aux conditions locales. En collaboration étroite avec les fonctionnaires des services agricoles, les chefs de communautés et les experts des organismes d'aide bi-latérale associés au développement communautaire, les populations locales ont été initiées à l'utilisation et à l'exploitation des étangs, les méthodes d'alimentation complémentaire des poissons recevant une priorité élevée.


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