Annexe 1
LA PECHE INDUSTRIELLE SUR LE LAC RUGWERO (1972)

1. INTRODUCTION

Cette étude a été faite sur les bases des investigations réalisées entre juillet et octobre 1972. Ces renseignements dérivent des évaluations subjectives, des observations directes et des enquêtes auprès des intéressés. A noter que les données précises sont très difficiles à obtenir dans cette branche où les centres d'activités sont très dispersés.

Ce rapport est une évaluation économique des pêches actuelles faite en Francs rwandais (FRw) ¹.

2. DESCRIPTION DU LAC

Le lac Rugwero est un lac peu profond (5 à 6 m) avec une superficie voisine de 100 km²; il se trouve sur la frontière entre le Rwanda et le Burundi. La partie rwandaise a une superficie de quelque 19 km². Ce lac est à 90 km de Kigali par la route.

3. DESCRIPTION DES PECHES

La pêche dans le lac Rugwero fournit la plupart des poissons (principalement Tilapia nilotica) vendus sur les marchés du Rwanda. La récolte est de 232 t/an environ. Approximativement 4 500 poissons sont débarqués chaque jour, avec un poids moyen de 0,140 kg (of. tableau 1 ci-après). Une centaine de pêcheurs travaillent en plein lac, tant dans la partie burundaise que rwandaise. Ils pêchent dans des pirogues en tronc d'arbre, pendant la nuit, avec des filets maillants flottant sur la surface. Chaque filet est de 50 m de long avec des mailles étendues de 76 ou 89 mm et une profondeur de 26 mailles. Il est estimé que chaque pêcheur emploie en moyenne huit filets. Certains pêcheurs amènent la récolte directement aux débarcadères, elle est aussi livrée en plein lac aux préparateurs ou aux autres commerçants. Sur les prises totales de 4 500 poissons/jour, approximativement 4 000 sont débarqués près de Nemba (Mugina et Giseke).

Après avoir été débarqués, les poissons sont nettoyés, séchés et fumés ou vendus frais aux transporteurs qui les amènent en paniers de 300 à 600 poissons, au marché de Kigali, après un voyage d'une journée ou d'une journée et demie.

¹ Un dollar E.-U. = 86 FRw (1.7.1973).

Tableau 1

PRODUCTION DE LA PECHE DANS LE LAC RUGWERO (1972)
(t/an = poids frais)

4. L'EMPLOI DANS L'INDUSTRIE DE LA PECHE

On observe quatre groupes de travailleurs:

• les pêcheurs
• les préparateurs
• les transporteurs/vendeurs
• les commerçants

L'industrie donne du travail, à plein temps, à environ 145 personnes. Effectivement quelques hommes travaillent à mi-temps et les bénéfices de l'industrie sont partagés entre 190 travailleurs environ.

Les pêcheurs:

Cent pêcheurs travaillent en même temps sur le lac; ils doivent être considérés comme permanents et sont basés aux deux débarcadères; il existe encore 80 pêcheurs qui vivent en camps temporaires sur les iˆlots. Ces derniers travaillent probablement les trois quarts de l'année. Ainsi, le travail est partagé entre 130 individus environ.

Les préparateurs - acheteurs:

Quinze hommes sont en permanence collecteurs de la récolte des pêcheurs en plein lac. Les poissons sont amenés à un des deux débarcadères où ils sont vidés et écaillés. Ensuite 75 pour cent environ sont séchés et fumés. Ces poissons sont alors vendus directement aux transporteurs. Les préparateurs forment une petite communauté stable vivant en permanence près des débarcadères.

Les transporteurs:

Une trentaine d'hommes transportent les poissons aux marchés (principalement Kigali). Les poissons frais et fumés sont transportés dans des paniers à l'arrière des bicyclettes. Le trajet dure une journée ou une journée et demie jusqu'à Kigali.

Il semble que les transporteurs travaillent pendant plus ou moins huit mois chaque année et sont remplacés par d'autres. Environ 45 personnes améliorent leurs revenus de cette manière.

Les commerçants:

Des marchands viennent parfois en véhicules acheter une petite quantité de poissons frais destinés à Kigali. Un autre véhicule vient trois fois chaque semaine acheter toute la pêche directement aux pêcheurs, pour la vendre aux camps militaires; il utilise un bateau à moteur.

5. PREPARATION DES POISSONS

Les installations pour la préparation des poissons aux débarcadères sont très primitives. Tous les nettoyages sont faits au bord du lac où les préparateurs sont assis dans la boue et travaillent en plein soleil. Les poissons qui sont vendus frais sont sommairement vidés et nettoyés en eau sale. Ils sont acceptés aux marchés au maximum 36 heures après; au delà, ils ne sont plus vendables.

Les poissons séchés-fumés sont nettoyés, vidés et écaillés (les ouïes ne sont pas enlevées). Ils sont disposés à même le sol pour sécher au soleil pendant 1 à 2 heures. Après être séchés ils sont tassés tête au fond, sur une grille placée audessus d'un foyer construit avec une touque de 200 l et des briques d'argile. Environ 600 poissons sont à moitié cuits fumés pendant 4 à 5 heures. Deux des trois fumoirs ont été construits par un commerçant qui faisait des essais de commercialisation au débarcadère en 1969. Les autres poissons sont fumés sur des feux dans des fossés. Les poissons séchés-fumés se conservent mal et ne sont acceptés au marché que pendant trois à quatre jours.

6. LES REVENUS

Les revenus nets des personnes qui vivent de l'industrie de la pêche sont donnés au tableau suivant:

Tableau 2
REVENUS NETS PROVENANT DE LA PECHE DU LAC RUGWERO (1972)

L'utilisation des chiffres minimaux et maximaux est due aux variations saisonnières des prises et du prix de vente des poissons.

En supposant que 145 hommes travaillent à plein temps on trouve un revenu moyen pour toute l'industrie de 1 274 FRw/homme/mois, ou un revenu total annuel de 184 775 FRw.

7. DEPENSES

Le tableau 3 donne les détails des dépensestotales occasionnées par la pêche, à l'exception de la vente du poisson. Ce tableau donne une indication sur le rôle de la pêche dans l'économie générale du pays. Il faut remarquer que le total de 1 238 700 FRw/ an n'inclut pas les taxes locales payées par les travailleurs ou le paiement des taxes sur le marché, 64 800 FRw/an.

Tableau 3

DEPENSES OCCASIONNEES PAR LA PECHE DANS LE LAC RUGWERO (1972)

8. LES PRIX DU POISSON

Ce dernier chiffre représente un prix moyen en tenant compte des fluctuations du marché.

9. DIMINUTION DE LA TAILLE DES POISSONS RECOLTES

L'état actuel de la pêche du lac Rugwero est le résultat d'une exploitation plus ou moins intensive depuis 1969. On a observé une diminution continue de la taille des poissons pris à cause de l'introduction de filets avec des mailles toujours plus petites Il apparaît que la maille utilisée en 1969 était de 4 pouces (101,5 mm maille tendue) et pendant les trois années suivantes la maille utilisée a diminué à 3 pouces et 3,5 pouces (76 et 89 mm). La diminution en taille des poissons récoltés est le résultat normal de l'intensification d'une pêche préalablement peu pratiquée.

10. IMPORTANCE DE LA REDUCTION DE LA TAILLE DES POISSONS

Il existe toujours le danger que la sortie des poissons d'un peuplement, avant qu'ils n'aient produit suffisamment de jeunes, sera suivie par un déclin catastrophique et quasi permanent de la population totale. Nous n'avons pas assez de renseignements sur la biologie des Tilapias du lac Rugwero, leur taille à maturité, leur groupement des tailles dans la population, pour être affirmatifs en cette matière. Nous espérons obtenir ces renseignements au cours des études suivantes. Il semble que la pêche actuelle amènera un déclin continuel de la taille des poissons récoltés; mais présentement la pêche n'apparaît pas être un danger pour la population totale.

L'offre de petits poissons sur les marchés produit inévitablement une résistance chez les consommateurs et une diminution des prix. Quand la taille des poissons est diminuée au point que les pêcheurs, les préparateurs et les transporteurs, estiment qu'il ne devient plus rentable de travailler, ils cessent l'exploitation de la population qui reste. Ces facteurs de régularisation sont automatiques.

11. CONDITIONS ACTUELLES DE LA PECHE

L'organisation actuelle de l'industrie est relativement satisfaisante tant sous l'aspect social qu'économique. Le système emploie beaucoup de main-d'oeuvre et n'exige que de faibles investissements financiers. Approximativement 190 hommes sont employés à mi-temps ou à plein temps, avec un revenu moyen de 1 274 FRw par mois de travail. Ainsi, les bénéfices de l'industrie sont dispersés parmi un grand nombre de gens avec comme avantage additionnel que le commerce provenant de l'industrie (of. tableau 3) bénéficie aussi à un grand nombre d'individus. Le système est stable, sauf l'exception mentionnée au paragraphe ci-dessus.

Il est peu probable que les prises soient augmentées par une intensification de la pression de la pêche (par l'amélioration des techniques, etc.) car certains signes révèlent que le stock est déjà utilisé à un niveau optimal, et même au-dessus (of. paragraphe 9). Des investissements ayant pour but l'amélioration des techniques seraient gaspillés.

12. PROBLEMES RELATIFS A L'INDUSTRIE

Les problèmes relatifs à l'avenir de la population, à la présence d'un produit ayant une taille plaisant aux consommateurs et à la conservation des stocks ont été considérés aux paragraphes précédents. Pour le moment le problème qui se pose est celui de la perturbation de la stabilité de cette industrie à la suite de l'arrivée de commerçants avec des véhicules et des bâteaux à moteurs. Ceci représente un élément nouveau comportant un investissement financier important. En outre, la pêche journalière est monopolisée trois fois par semaine, avec pour résultat que ces jours là il n'y a pas de travail pour les préparateurs et les transporteurs; si cette tendance continue on risque de voir disparaître le système actuel. Le risque le plus grand concerne l'ensemble des préparateurs qui travaillent à plein temps et qui n'ont aucun autre travail de remplacement. Si cette communauté devait être dispersée, les pêcheurs seraient obligés d'accepter un marché monopolisé par un ou deux commerçants.

13. PROPOSITIONS POUR L'AMELIORATION ET L'AVENIR DE L'INDUSTRIE

Le système actuel est efficace compte tenu des remarques faites plus haut. Le risque de fluctuations de la récolte existe cependant en raison de la surexploitation des ressources. Ces fluctuations peuvent être contrôlées de la manière suivante:

• réglementation des mailles des filets utilisés
• réglementation du nombre de filets utilisés par chaque pêcheur
• réglementation du nombre des pêcheurs sur le lac
• limitation des périodes de pêche (les faits biologiques montrent cette nécessité)
• limitation des lieux de pêche.

Chacun de ces contrêles peut servir à une exploitation plus rationnelle des ressources, mais il est actuellement impossible de les appliquer vu l'impossibilité de les faire respecter. Il est préférable, pour l'avenir des relations entre les pêcheurs et les autorités, qu'aucune loi ne soit instaurée tant qu'elle ne pourra pas être appliquée efficacement. Pour le moment, il vaut mieux laisser les forces économiques exercer elles-mêmes le contrôle des taux d'exploitations. Il faut se souvenir que toute législation pour être applicable devra être mise au point par les autorités rwandaises et burundaises.

14. AMELIORATION DU PRODUIT

Actuellement, les poissons séchés ou frais sont vendables aux marchés et il faut se souvenir que tout investissement fait dans le but d'améliorer le produit ne se traduira pas par une augmentation du prix.

Des essais sont en cours pour produire un poisson fumé pouvant se conserver environ six mois en magasin. Les essais ont démontré qu'il était possible de produire du poisson fumé répondant aux spécifications requises. Cependant une résistance s'est manifestée du côté des consommateurs parce que l'aspect du produit est différent de ce à quoi ils sont habitués. L'avantage d'un produit ayant une longue conservation est qu'en cas de prises excessives, le gaspillage est évité. Il y aurait également la possibilité d'utiliser les prises provenant des lacs éloignés des pistes, dont le ramassage et le transport aux marchés sont actuellement très difficiles.

L'amélioration de l'hygiène et des conditions de traitement autour des débarcadères reste à faire. Il est absolument impossible de produire un poisson bien conservé dans les conditions actuelles. Chaque amélioration des conditions de traitement, de même que l'assainissement le plus rudimentaire dépend de la coopération des préparateurs. Ce groupe est le seul qui soit permanent et le seul intéressé suffisamment dans l'industrie pour faire un “investissement pour l'avenir”. Les besoins minimaux pour ces améliorations à Nemba (Mugina) sont donnés au tableau 7. Le cas des préparateurs est examiné au paragraphe suivant.

15. CONTROLE DES PECHES PAR ORGANISATION DE L'ENSEMBLE DES PREPARATEURS

Récemment les préparateurs se sont trouvés en difficulté à la suite du manque de travail occasionné par la monopolisation de la récolte journalière. L'expert a assisté à une réunion tenue au débarcadère de Mugina pour discuter de la création d'une association des préparateurs et acheteurs à ce débarcadère. Mon opinion est que la création d'une telle organisation peut améliorer la stabilité économique de cette communauté et permettre une amélioration des conditions existantes. N'importe quel type de coopération économique entre travailleurs doit avoir une certitude de viabilité. En ce cas, il faudra que la coopérative reçoive le monopole du commerce du poisson sur le lac. L'acceptation des droits d'un monopole implique l'acceptation d'un contrôle de la part du Service des pêches.

Si un tel contrôle est admis et est obligatoire de la part de l'association, il permettra aussi au Service des pêches de faire un contrôle technique de la pêche (c'està-dire prises totales, taille du poisson, etc.). Il est recommandé que tout effort soit fait pour examiner les possibilités d'organisation de ce groupe.

16. CONCLUSIONS

• Les contrôles pour conserver les stades ne devraient pas se faire par l'imposition de règlements, en raison des difficultés qu'il y aurait à les faire respecter et la nature internationale du lac Rugwero.

• La communauté permanente des préparateurs de poissons doit être organisée avec le monopole du marché sur le poisson aux débarcadères. Le Service des pêches devrait participer à ce monopole pour créer un moyen de contrôle partiel de

• l'exploitation de la pêche.

• Pour améliorer la qualité du produit il faut améliorer les conditions des débarcadères et prévoir la formation des préparateurs de poissons.

Tableau 4

ANALYSE DU REVENU DES PECHEURS
(estimations)

Prises:	récolte totale moyenne		4 500 poissons/jour
	débouché aux débarcadères à Nemba		3 500           "
	débouché aux environs de Kibungo		500           "
	consommation locale		500           "
Main-d'oeuvre:	nombre de pêcheurs (total)		130
	nombre de pêcheurs travaillant en même temps		100
Revenus:	récolte moyenne/homme/jour		45 poissons
	prix d'un poisson (varie avec les saisons)		1,0–    1,5 FRw
	revenu moyen/homme/jour		45,0–  67,5 FRw
	revenu brut moyen/homme/mois		1 350–2 025 FRw
Dépenses:	dépréciation des filets a		528 FRw/mois
	dépréciation des pirogues b		100 FRw/mois
	dépenses totales/mois		628 FRw
Revenu net/homme/mois:		max:	1 397 FRw
		min:	722 FRw

^a Chaque pêcheur utilise une moyenne de huit filets à 200 FRw chacun, avec un amortissement sur trois mois.

^b Une pirogue coûte 2 400 FRw avec un amortissement sur deux ans.

Tableau 5

ANALYSE DU REVENU DES PREPARATEURS (QUI SONT EGALEMENT A CHETEURS DE POISSONS)
(Estimations)

Quantités traitées douze mois par an
Nombre de poissons/jour (moyenne)			3 500
Nombre de jours de travail chaque mois			18
Nombre de poissons chaque mois 3 500 × 18
	Total		63 000 poissons/mois
	composé de:
	poissons frais:		15 750/mois
	poissons fumés:		47 250/mois
Main-d'oeuvre:
Nombre de travailleurs en permanence			15
Nombre de poissons manipulés/homme			4 200 poissons/mois
Revenus:
Chaque poisson est vendu aux transporteurs avec un bénéfice de 0,5 FRw
Revenu brut moyen/homme/mois = 4 200 × 0,5		=	2 100 FRw
Dépenses:
Pour fumer 600 poissons le bois coûte			15 FRw
Chaque homme fume 3 150 poissons/mois
coût du bois			79 FRw/mois
coût d'une pirogue pour aller chercher le poisson 18 jours par mois: 18 × 10 =			180 FRw/mois
Dépenses totales/mois		=	259 FRw
Revenu net/homme/mois		=	1 841 FRw

Tableau 6

ANALYSE DU REVENU DES TRANSPORTEURS
(QUI SONT EGALEMENT MARCHANDS AUX MARCHES)
(Estimations)

Quantités transportées douze mois par an
Nombre de poissons/jour			3 500
Nombre de jours de travail/mois			18
Nombre de poissons/mois 3 500 × 18
	Total		63 000 poissons/mois
	composé de:
	poissons frais:		15 750/mois
	poissons fumés		47 250/mois
Main-d'oeuvre
Nombre total des transporteurs			45 hommes
Nombre de transporteurs travaillant en même temps			30 hommes
Chaque homme transporte			2 100 poissons/homme/mois
Revenu
Prix moyen de la vente d'un poisson			3,5 FRw
Revenu moyen brut/homme/mois			7 350 FRw
Dépenses
Coût du poisson au débarcadère			1,5–2,0 FRw/poisson
Coût de 2 100 poissons/mois			3 150–4 200 FRw
Sur la présomption que chaque homme fait
6 voyages/mois
6 jours au marché (taxe 30 FRw/jour)			180 FRw
6 voyages: pertes en poissons à 3,5 FRw/pièce			480 FRw
entretien d'une bicyclette			240 FRw
frais de déplacement			720 FRw
paniers/mois			15 FRw
dépréciation d'une bicyclette/mois 1			333 FRw
TOTAL			1 968 FRw
Dépenses totales		max:	6 168 FRw/mois
		min:	5 118 FRw/mois
Revenu net/homme/mois		max:	2 232 FRw
		min:	1 182 FRw

¹ Une bicyclette coûte 4 800 FRw; amortissement sur quatre ans.

Tableau 7

PROPOSITIONS POUR L'AMELIORATION DU DEBARCADERE DU LAC RUGWERO (MUGINA)