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3. OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS

3.1 Introduction

Cette section concerne l'essentiel des observations et analyses effectuées par la mission durant son séjour en Tunisie. La première partie de ce chapitre contient un résumé de la situation actuelle du secteur aquacole en Tunisie, comprenant une analyse du marché du poisson et autres produits marins, ainsi qu'une étude concernant les facteurs de production indispensables à des activités aquacoles. La première partie du chapitre résume donc le milieu dans lequel devraient se développer des activités aquacoles.

La deuxième partie de cette section résume les observations des membres de la mission au sujet des sites potentiels pour l'aquaculture qu'ils ont visités. Cela concerne l'examen des techniques d'élevage, les aspects micro-économiques des élevages possibles, avant d'aborder la question de l'ordre de grandeur des activités éventuelles.

3.2 Situation de l'aquaculture en 1981–1982

En 1981, l'ONP a produit 127 tonnes de moules (Mytilus galloprovincialis) et 12 tonnes d'huîtres creuses (Crassostrea gigas) dans les installations conchylicoles de Bizerte. Cela a été la seule vraie production aquacole en Tunisie. Depuis quelques années l'ONP et l'INSTOP ont également effectué des déversements d'alevins dans certaines retenues de barrage à l'intérieur du pays. L'ONP a effectué quelques pêches dans ces retenues à partir de 1979, capturant selon les années entre 4,9 et 20,7 tonnes de poisson par an. En ce qui concerne les captures totales dans les barrages durant les années 1980 et 1981 (28 721 kg de poisson), 54 pour cent des pêches étaient des barbeaux (faune autochtone) et 44 pour cent consistaient de mulets, y ayant été déversés auparavant comme alevins, après leur capture en zones côtières.

Toutes les autres activités relatives à l'aquaculture ne concernent que les domaines de la recherche et de l'expérimentation. Les efforts pour mettre au point des techniques et méthodes d'élevage de crevettes, loups, daurades, soles, mulets, tilapia et carpes communes n'ont pas encore abouti à des élevages économiquement rentables.

En ce qui concerne le développement de l'aquaculture en Tunisie, jusqu'à présent toutes les activités ont été concentrées dans les zones côtières et le potentiel des eaux continentales n'est pratiquement pas exploité.

Depuis 1982, c'est le Ministère de l'Agriculture, à travers l'INSTOP et l'ONP, qui mène toutes les activités aquacoles en Tunisie, aussi bien celles relatives aux recherches que celles qui concernent la production.

Le personnel, les installations et le budget mis à la disposition de ces deux organismes gouvernementaux sont insuffisants pour mener à bien des actions de vulgarisation et de développement de l'aquaculture. Sur un total de 35 à 40 personnes travaillant actuellement dans le domaine de l'aquaculture (INSTOP et ONP), huit seulement sont des professionnels. Ils disposent de:

  1. bassins en voie d'aménagement dans la lagune de Khniss, à Monastir;

  2. l'écloserie marine de Ghar El Mehl;

  3. les installations conchylicoles à Bizerte (15 tables de chacune 800 m2);

  4. la station piscicole d'El Akarit de 3,6 ha (eaux saumâtres);

  5. la station d'eau douce d'Aïn Sallem (abandonnée depuis plusieurs années);

  6. des petits bassins dans les installations de l'INSTOP à Salambô.

La disponibilité d'alevins pour les élevages n'est assurée qu'à très petite échelle, d'une manière très irrégulière et seulement pour quelques espèces.

L'écloserie de Ghar El Mehl produit expérimentalement, chaque année, entre 20 000 et 100 000 alevins de loups (Dicentrarchus labrax) et de daurades (Sparus aurata) et quelques milliers d'alevins de soles (Solea vulgaris), ainsi qu'une petite quantité de post-larves de crevettes. Ces quantités sont loin de suffire aux besoins actuels des recherches et ne permettent évidemment pas de lancer un programme de production de ces espèces.

Actuellement, il n'existe pas de station d'alevinage permettant la production d'alevins de carpe commune et de tilapia, et le stock de reproducteurs de ces espèces est très réduit.

3.3 L'environnement économique

Le milieu économique détermine le développement des activités aquacoles: les possibilités de vente (ou la nécessité de l'auto-consommation ou les possibilités de troc) constituent les stimulants; la disponibilité des facteurs de production en détermine la faisabilité.

Le marché - la demande - et la disponibilité des facteurs de production seront analysés dans les sections qui suivent.

3.3.1 La consommation et le marché du poisson

Le tunisien mange annuellement entre 2 et 14 kg de poisson. La plus grande partie du poisson est vendue à l'état frais. La consommation annuelle par individu est la plus faible à l'intérieur et la plus élevée en ville.

Les quelques 50 à 60 000 tonnes (poids débarqué) annuellement disponibles pour le consommateur tunisien ne constituent pas plus qu'un septième à un dixième de la consommation totale de produits d'origine animale. Cela s'explique en partie par le fait que les prix moyens du poisson sont élevés et pratiquement au même niveau que la viande de boeuf.

Les services gouvernementaux ont un rôle prépondérant dans le marché du poisson en Tunisie, car ils déterminent les prix et un organisme étatique (Office National des Pêches) s'occupe de la distribution d'une grande partie des captures.

Les espèces susceptibles d'être élevées n'occupent qu'une faible partie du marché local et, à part les moules, sont des espèces nobles dont les prix sont hors de portée de la majorité des consommateurs.

En effet, l'étude de marché, effectuée par la mission, révèle que:

  1. plus de 80 pour cent du poisson débarqué en 1981 en Tunisie (environ 57 000 tonnes par an) avaient, au prix du marché de gros à Tunis, une valeur inférieure à 1 dinar tunisien par kilo;

  2. le poisson est surtout consommé par la partie de la population économiquement la plus favorisée. En 1981, les dépenses pour achat de poisson de 45 pour cent de la population ayant les revenus les plus bas ne représentent, en valeur, que 10 pour cent de la valeur totale des ventes des poissons dans le pays.

Partant de ces observations, la Mission a fait les constatations suivantes:

  1. le prix de gros de 1 dinar tunisien le kilo de poisson (qui est celui de 80 pour cent du poisson débarqué), est inférieur au prix de revient qui a été retenu pour la plupart des espèces prises en considération pour l'élevage (loup, daurade, mulet et crevettes), à l'exception des moules (prix de gros 0,200 dinar tunisien le kg) et le poisson d'eau douce (0,200 à 0,250 dinar tunisien le kilo);

  2. l'exploitation des eaux douces (retenues de barrages et lacs collinaires) permettrait d'augmenter la disponibilité de poisson dans la partie du pays où la consommation actuelle est la plus basse. La promotion de l'aquaculture en eaux douces pourrait donc donner des résultats relativement importants;

  3. seulement l'élevage de moules et l'exploitation systématique des retenues de barrage (tonnage provenant en grande partie d'empoissonnements à faire) pourraient fournir du poisson à un prix de revient qui le rendrait accessible à ceux dont le pouvoir d'achat est faible, particulièrement les ruraux.

Pour plus de détails, voir annexe 4.

3.3.2 Les facteurs de production

Un développement de l'aquaculture en Tunisie fera appel à des hommes (aquaculteurs, entrepreneurs, ouvriers, vendeurs de poisson, etc.) et nécessitera des sites convenables, les alevins, des aliments pour les élevages, du capital, des engrais (fertilisants), de l'énergie.

La plupart de ces facteurs de production existent en assez grandes quantités en Tunisie, mais sont utilisés dans beaucoup d'autres activités économiques, souvent associées avec l'agriculture ou la pêche.

a) Les aquaculteurs: font une très importante exception à cette règle, car il n'y a actuellement qu'environ une dizaine de tunisiens avec une bonne expérience en matière d'aquaculture. Le manque de personnel bien formé et expérimenté en aquaculture est un des facteurs qui freinera le développement de l'aquaculture. Tant qu'il n'y aura pas plus d'aquaculteurs expérimentés, le progrès sera lent. Si on veut maximiser l'utilisation d'hommes y compris des gens sans travail, des entrepreneurs et d'autres dans un développement de l'aquaculture, il est essentiel de donner la priorité à la mise en oeuvre de systèmes d'élevage qui ne nécessitent pas continuellement une assistance et une intervention de personnes hautement qualifiées dans des techniques d'aquaculture. Les systèmes d'élevage doivent donc être simples et à la portée de l'homme moyen.

b) L'aliment artificiel, ajouté, en aquaculture, à la nourriture naturelle se trouvant dans l'eau, dans les élevages semi-intensifs ou intensifs, est composé d'à peu près les mêmes ingrédients que les aliments utilisés pour l'élevage du bétail et du poulet.

Actuellement, la demande d'aliments composés pour le bétail et la volaille est supérieur aux disponibilités. Une grande partie de la production de l'élevage provient de pâturages naturels. Les aliments manufacturés dans le pays, 400 000 à 500 000 tonnes par an, sont fabriqués presque exclusivement à partir de matières premières importées. La capacité actuelle de production est largement suffisante pour couvrir les besoins de l'aquaculture dans les années à venir. L'industrie des aliments pour bétail est actuellement dispersée dans tout le pays (plus de 120 usines). Jusqu'à présent, la politique gouvernementale a consisté à subventionner fortement la fabrication d'aliments pour bétail. Il est à prévoir que le prix de ces aliments augmentera, mais cela n'affectera pas tellement la valeur compétitive du poisson.

Des sous-produits agro-industriels sont disponibles localement, mais ne sont pratiquement pas utilisés actuellement (des déchets d'abattoir, tels que sang, os et contenu de panse; des déchets de brasserie, tels que drêches et levure de bière; des déchets de poisson et de conserveries de thons et de sardines). Tous ces sous-produits sont disponibles et pourraient être utilisés pour préparer des aliments pour poisson à des prix économiques.

Pour plus de détails voir annexe 5.

c) Les capitaux. Le secteur privé, surtout étranger, envisage des investissements dans l'aquaculture tunisienne et des pourparlers à ce sujet sont en cours. Les projets concernent principalement l'élevage d'espèces nobles (ou d'espèces de luxe, en partie pour l'exportation), dont les prix de vente sont élevés (loups, daurades, soles).

Des organismes de crédit existent et l'obtention de prêts pour lancer des exploitations aquacoles ne devrait pas poser de problèmes.

Par contre, les budgets prévus au Sixième Plan Quinquennal (1982–86) pour le développement de l'aquaculture ne s'élèvent qu'à 0,45 millions de dinars tunisiens et ne concernent que les recherches en aquaculture. Un tel budget ne permettra pas d'entreprendre les actions indispensables au développement de l'aquaculture en Tunisie: création d'un service de vulgarisation, mise en oeuvre d'élevages pilotes, création du Centre National de développement et de Vulgarisation de l'Aquaculture (CNDVA) à Monastir, etc.

d) L'énergie et les engrais: ne paraissent pas être des facteurs limitants pour le démarrage de l'aquaculture en Tunisie.

3.4 Développement de la conchyliculture

3.4.1 Introduction

En Tunisie, la conchyliculture consiste en l'élevage de moules et d'huîtres. L'exploitation des palourdes (clovisses), même si elle est plus importante (en tonnes commercialisées et en ce qui concerne le nombre de personnes actives) que celle des huîtres et des moules, n'est qu'une activité de collecte et n'a pas encore fait l'objet d'élevage. Pour cette raison, la plus grande partie de cette section sera consacrée aux moules et aux huîtres, élevées à Bizerte.

La conchyliculture a commencé à Bizerte pendant la période coloniale. En 1963 des plateformes ont été construites à Menzel Jemil. Depuis, la gestion de l'élevage a changé de main plusieurs fois, mais la production est restée à un niveau assez bas par rapport aux potentialités des sites dans le lac de Bizerte. La technologie d'élevage reste, grosso modo, celle introduite en 1963. Actuellement la production annuelle est de l'ordre de 100 à 130 tonnes de moules et de 15 à 20 tonnes d'huîtres creuses.

Etant donné que la conchyliculture est actuellement la seule activité d'aquaculture commerciale en Tunisie, la mission s'est consacrée à l'identification des moyens pour stimuler ces élevages.

3.4.2 Exploitation conchylicole de l'Office National des Pêches à Bizerte

Situation début 1982. Actuellement l'ONP gère à Menzel Jemil, un parc conchylicole de 15 tables, chacune de 800 mètres carrés. Les mollusques sont suspendus à ces structures. Cette technique d'élevage est bien adaptée aux faibles variations de marées dans la lagune. Les installations terrestres sont composées d'un bâtiment situé en bordure immédiate du lac, d'un appontement d'une longueur de 300 mètres à l'extrémité duquel a été installé un local de travail couvert de 200 m2. La direction régionale de l'ONP, qui gère les installations, dispose aussi de deux barques à moteur, d'une camionnette, d'une machine à laver les moules et d'autre petit matériel.

Le personnel de l'exploitation est composé d'employés permanents, agents de l'ONP, et d'ouvriers temporaires embauchés en fonction des besoins. En mai 1982, l'exploitation employait 25 personnes.

Le budget annuel de l'opération conchylicole de Bizerte est de l'ordre de 40 000 dinars tunisiens pour les charges correspondant aux salaires des ouvriers, les frais de fonctionnement et l'entretien des véhicules et des installations.

Les moules (Mytilus galloprovincialis) sont élevées à Menzel Jemil suivant la méthode dite “en suspension”. Les différentes phases de l'élevage sont les suivantes: captage du naissain, mise en élevage, récolte, expédition - ventes - épuration. Le cycle d'élevage complet est de 14 à 18 mois. Les moules, avant de passer en station d'épuration (à Gammarth, au nord de Tunis), sont lavées et triées.

L'élevage de l'huître creuse (Crassostrea gigas) nécessite l'importation de naissain, généralement de France. L'élevage se fait en deux phases: prégrossissement et grossissement. Le cycle d'élevage, à partir d'un naissain de quelques millimètres, est d'à peu près un an.

Avec l'aide des responsables de la station conchylicole, la mission a étudié la situation actuelle de l'exploitation (voir annexe 7 pour une description détaillée du centre). De cette étude, il ressort que durant les années récentes, les recettes des ventes ont été inférieures au budget de l'Etat destiné à couvrir les dépenses courantes d'exploitation (sauf des salaires des fonctionnaires en poste). D'autre part, les tables installées à Menzel Jemil ne sont pas pleinement utilisées. Leur capacité de production étant de 500 à 600 tonnes/an (de moules et d'huîtres), la production n'atteint que 120 à 150 tonnes/an.

Les explications les plus souvent avancées par l'ONP à propos de la stagnation des ventes de mollusques, est que la population tunisienne, en général, ne mange ni moules, ni huîtres et que les restaurateurs et hôteliers ne sont pas intéressés du fait qu'ils n'ont pas confiance dans la qualité hygiénique des produits (possibilités d'intoxication des clients).

Il est vrai que la population locale n'a jamais pris l'habitude de manger des moules et des huîtres, car elle n'a pratiquement pas eu l'occasion d'en consommer du fait que ces produits ne sont pas régulièrement mis en vente chez les détaillants. L'ONP ne vend ces mollusques qu'au Centre d'épuration de Gamarth et au parc conchylicole à Menzel Jemil.

L'ONP n'a pas encore lancé de programmes de promotion en Tunisie afin d'augmenter la consommation locale des moules et des huîtres et n'a pu obtenir des conventions d'achat avec des importateurs en France ou en Italie.

Il n'est donc pas surprenant que les ventes de moules et d'huîtres n'ont pas augmenté. L'expérience d'autres pays démontre que, pour avoir une importante industrie d'élevage de mollusques, il faut avoir un secteur qui se consacre à la préparation des produits pour les hôtels et pour les restaurants, car il est pratiquement impossible d'assurer dans de bonnes conditions la distribution et la vente de toute la production à l'état frais. Un tel secteur de préparation des mollusques manque actuellement en Tunisie.

En conclusion, durant les dernières années, l'ONP n'a pas utilisé pleinement les installations existantes pour faire du parc conchylicole de Bizerte une exploitation rentable. A noter cependant que les responsables de l'exploitation ont à plusieurs reprises essayé d'améliorer l'écoulement de leurs produits sur le marché de Bizerte, en fournissant des moules et des huîtres directement aux restaurants et hôtels et, également en approvisionnant des points de vente au détail. Ces initiatives n'ont malheureusement pas augmenté fortement les ventes de moules à Bizerte. Une meilleure coordination entre les responsables du parc conchylicole et le service commercial du siège de l'ONP à Tunis devrait permettre non seulement d'augmenter l'écoulement des moules et des huîtres, mais également d'améliorer la rentabilité de l'exploitation de Menzel Jemil.

3.4.3 Les moules

La mytiliculture tunisienne est caractérisée par: (i) la disponibilité de naissain dans la lagune de Bizerte; (ii) une très faible utilisation d'énergie (carburant et électricité) et l'emploi d'une main d'oeuvre non qualifiée; (iii) la production d'un aliment riche à un prix relativement bas, permettant une consommation quotidienne.

La Tunisie est autonome dans sa production de moules. Le naissain des Mytilus galloprovincialis ne doit pas être importé car il se capte dans la lagune de Bizerte. La technologie d'élevage n'utilise qu'une proportion très réduite de matériaux ou d'équipements importés. Les activités manuelles nécessaires à l'élevage sont simples, et rapidement maîtrisées même par une main d'oeuvre n'ayant aucune formation. Cependant, il est indispensable que l'on respecte certaines normes d'hygiène (zones de stabulation non polluées et présence d'épurateurs) et que la commercialisation se fasse dans de bonnes conditions.

La moule, qui fait partie des organismes marins les plus productifs de protéines nobles, n'utilise qu'un aliment naturel qui ne coûte rien. Par conséquent, les coûts de production se bornent aux frais d'installation, de l'entretien d'une infrastructure fixe, de préparation du naissain sur les cordes, de contrôles périodiques, de nettoyage et de transport. Il en résulte qu'une grande partie des frais de production consiste en salaires. Cela signifie que les autres coûts de production, dans un parc bien géré, et dans des conditions d'environnement propices, seront bas par rapport aux salaires. Les moules devraient donc être, en Tunisie, un produit à la portée de toute la population.

La mission a effectué une étude sur les possibilités de mettre sur pied des unités de production conchylicoles au niveau des villages (conchyliculture familiale). Il ressort de cette étude (voir annexe 8) que les salaires, dans une exploitation familiale - et donc des salaires imputés - représentent entre 30 et 50 pour cent du prix de revient à la sortie du parc conchylicole. Ce prix de revient laisse prévoir que les moules peuvent être produites à un prix inférieur à celui des loups, des daurades et des mulets.

En Tunisie, le marché pour les moules se limite, pour le moment, surtout à la population d'origine européenne, soit par ventes directes, soit par les restaurants. Cependant, les connaissances concernant la consommation de mollusques sont assez réduites. Néanmoins, il est clair qu'à moyen terme, les possibilités d'exporter des moules n'existent presque pas. Un programme d'augmentation des ventes doit viser le marché constitué de milliers de touristes qui séjournent chaque année dans le pays et le marché populaire tunisien.

3.4.4 Les huîtres

L'élevage de l'huître creuse (Crassostrea gigas) se trouve dans une situation bien différente de celles de l'élevage des moules: (i) le cycle d'élevage de l'huître n'est pas autonome car il faut importer le naissain et (ii) forte dépendance des marchés d'exportation pour une relance de la production.

A part l'importation du naissain, la technologie d'élevage des huîtres est semblable à celle des moules: faible usage d'énergie et une forte utilisation de main-d'oeuvre locale non qualifiée. Cependant, la productivité (et surtout la relation poids du produit en gros, poids de la chair d'huître) est telle qu'il est peu probable que les huîtres deviendront un produit de grande consommation pour les couches de la population à bas revenus.

Il y a dans des pays d'Europe septentrionale une demande très forte pour les huîtres. Cependant, le marché Européen est en train d'atteindre la limite de saturation, en particulier du fait de l'augmentation rapide de la production française. Pour l'huître creuse, il faut donc surtout envisager des marchés non approvisionnés par une production locale (l'Italie, par exemple). Le marché tunisien est constitué principalement de la partie de la population jouissant de hauts revenus et des touristes. Par des campagnes de promotion et des conventions de livraisons aux restaurants et hôtels, on pourrait atteindre, assez rapidement, une consommation annuelle d'environ 200 tonnes pour les touristes et le double pour le marché local.

Bien que l'analyse économique de la mission indique que des entreprises villageoises pourraient fournir des huîtres à un prix de revient significativement plus bas que le prix actuellement pratiqué par l'ONP (D.T. 0,750 par kg), les caractéristiques du marché actuel ne laissent pas prévoir une augmentation considérable du volume des ventes.

L'huître plate (Ostrea edulis) est une espèce locale et, théoriquement, il doit être possible de la cultiver à partir du naissain ou de petites huîtres collectées sur place. Cette espèce n'a cependant pas encore été élevée expéritalement par l'ONP, dans la lagune de Bizerte. Neanmoins, s'il s'averait possible d'élever des huîtres plates à Bizerte, les possibilités d'exportation seraient meilleures que celles de l'huître creuse, surtout les exportations vers la France du fait de l'effondrement de la production bretonne traditionnelle.

3.4.5 Les palourdes

La production actuelle de palourdes en Tunisie provient exclusivement de la pêche, à pied ou en barques, sur les plages à faible profondeur de la côte orientale et dans certaines lagunes (Tunis, Bizerte). Une première forme d'aquaculture est apparue avec le semis des jeunes palourdes, trop petites pour être vendues. La commercialisation ne présente aucune difficulté, en particulier à l'exportation vers la France, l'Italie et l'Espagne.

3.4.6 Entreprises conchylicoles villageoises

L'étude du parc conchylicole de Bizerte démontre que la technologie est maîtrisée mais que les moyens de production ne sont pas pleinement utilisés. Il semble donc évident que le marché fait défaut.

Pour créer un débouché pour les mollusques on pourrait procéder de trois manières différentes:

  1. lancer des campagnes de promotion pour la consommation (dans le pays et à l'étranger) des produits tunisiens;

  2. créer une industrie de transformation des produits et améliorer les circuits de distribution et de commercialisation.

Ces deux points feront l'objet des recommendations exposées à la section 4.3.3 de ce rapport. Le troisième type d'action consiste à trouver des producteurs désireux de se lancer dans l'exploitation d'un type de conchyliculture qui serait rentable. C'est cette dernière alternative qui fait l'objet de l'analyse de la présente section. Cette analyse est basée sur les résultats de l'enquête effectuée par la mission et dont le rapport se trouve à l'annexe 8. Les observations et conclusions de ce rapport sont résumées ci-après.

3.4.6.1 Le milieu

Durant les 15 dernières années, dans le Gouvernorat de Bizerte, les emplois dans les secteurs de l'industrie et dans les services ont augmenté, alors que le pourcentage de la population active totale se trouvant dans l'agriculture et la pêche est en forte diminution. Néanmoins, l'industrie et les services n'ont pas pu absorber tous les ouvriers et pêcheurs qui ont cessé leurs activités traditionnelles. Il y a un sous-emploi et emploi marginal considérable (estimé à un quart de la population active) dans le Gouvernorat de Bizerte et, en plus, une migration de la main d'oeuvre locale qualifiée vers les pays européens.

Une partie de la population est à la recherche d'un emploi et l'administration locale a déjà identifié le secteur aquacole comme étant une des alternatives de création d'emplois dans le gouvernorat.

Dans le village de Menzel Abd-el-Rahman, il y a un intérêt et une capacité de se lancer dans des entreprises conchylicoles, du fait qu'il s'y trouve des ouvriers qui ont déjà travaillé dans les installations de l'ONP à Menzel Jemil. L'administration du village estime que quelques 500 familles ont besoin d'un revenu additionnel ou alternatif et d'une forme d'emploi supplémentaire. Les chefs du village sont d'avis qu'un nombre considérable de familles locales seraient intéressées par la mytiliculture.

Actuellement, l'ONP ayant le monopole de l'exploitation aquacole dans la lagune de Bizerte, la population locale ne peut pas profiter de cette possibilité d'une activité rémunératrice. Il reste à résoudre le problème épineux de l'accès des populations riveraines, aux sites favorables à la conchyliculture, dans la lagune de Bizerte.

3.4.6.2 L'analyse économique

L'analyse économique des alternatives d'élevages de moules et d'huîtres par des entreprises familiales se trouve à l'annexe 8. Cette analyse démontre que:

  1. Avec le système actuel d'élevage, au coût actuel des facteurs de production et au prix actuel des moules et des huîtres, l'engraissement du naissain d'huîtres est extrêmement rentable. Par contre, la mytiliculture se révèle moins avantageuse;

  2. L'élevage simultané d'huîtres et de moules permettrait une utilisation régulière de la main d'oeuvre disponible dans une famille moyenne;

  3. La main d'oeuvre que peut habituellement fournir une famille locale, permet de pratiquer l'ostréiculture et la mytiliculture, séparément ou en polyculture, sur une plateforme de 800 mètres carrés.

En fin de compte, il semble donc que du point de vue technique et économique, un programme de développement d'entreprises conchylicoles familiales se justifierait. Néanmoins un programme de ce genre ne peut réussir que s'il va de pair avec une campagne de promotion visant l'augmentation de la consommation des moules et des huîtres.

3.5 La pêche aux bordigues

Les lagunes de la Tunisie présentent, à première vue, les seuls sites pour un développement de la mariculture. Actuellement, leurs ressources halieutiques sont exploitées principalement par l'utilisation de bordigues. Une mariculture éventuelle dans ces lagunes devrait donc co-exister avec l'exploitation des bordiques et la pêche qui s'y pratique actuellement. Les principales caractéristiques des lagunes tunisiennes sont données au tableau 2.

Des bordigues sont installées dans les lagunes de Tindja, Tunis, Khniss (Monastir) et El Biban. Elles sont toutes gérées par l'ONP, qui assure aussi la commercialisation des captures. En effet, l'ONP a le monopole de fait de l'exploitation de la pêche dans des lagunes où des bordigues sont installées.

Les captures de bordigues durant les années 1979, 1980 et 1981, dans les quatre lagunes concernées, se trouvent au tableau 1.

Tableau 1 - Production des bordigues (tonnes)

 TindjaTunisKhnissBibanTotal
       197929288  6262585
       19807218712116497
       19815916610386621
Moyenne annuelle53214  9291568

Source: Service des statistiques de l'ONP

Les bordigues fournissent donc annuellement entre 500 et 600 tonnes de poissons (mulets, loups, anguilles, daurades, soles). Les captures réalisées à Tindja et à Khniss ne représentent que 10 pour cent du total et 90 pour cent des captures concernent la lagune de Tunis et celle de Biban.

Presque toutes les espèces commerciales qui se trouvent dans les lagunes se reproduisent en mer, et elles sont capturées dans les bordigues, surtout durant leur migration de reproduction. La gestion des bordigues se fait donc en grande partie en fonction de ses migrations.

La production lagunaire dépend de la quantité d'alevins qui remontent dans la lagune (recrutement naturel) ou que l'on y déverse (recrutement artificiel ou repeuplement). Le recrutement naturel est très aléatoire.

La pêche à l'aide de bordigues est une méthode maîtrisée depuis des dizaines d'années et il est peu probable qu'une modification du schéma d'exploitation, tel qu'il est pratiqué actuellement, puisse augmenter les captures sans aboutir à une surexploitation.

Pour augmenter la production lagunaire, tout en évitant une surexploitation, il faudrait augmenter les stocks exploitables et modifier le peuplement. Une manière de le faire est d'y déverser des alevins ou juvéniles d'espèces choisies et aussi d'empêcher d'autres espèces, moins intéressantes, de pénétrer dans la lagune.

La lagune de Khniss à Monastir offre la possibilité d'y faire un tel essai et la mission a fait une proposition dans ce sens. La construction de deux digues transversales, équipées de portes permettant l'entrée et la sortie des eaux, doit améliorer la circulation et l'échange des eaux de la lagune. La partie entre les digues, environ 47 hectares (voir figure 16.1), serait ensuite ensemencé avec des espèces choisies (peut-être mulets et crevettes). L'annexe 16 sur le Centre National de Développement et de Vulgarisation de l'Aquaculture fournit plus de détails sur ce programme d'aménagement.

Lors des reconnaissances de sites valables pour une mariculture extensive, la mission a retenu deux sites où il serait techniquement possible d'installer d'autres bordigues: la connection nord-est de l'île de Djerba (vieux point romain) et la lagune Rass Dimasse. N'ayant pas fait d'investigations détaillées, la mission ne peut pas se prononcer définitivement sur l'opportunité socio-économique de telles initiatives. Il est cependant douteux que l'installation d'une bordigue à Rass Dimasse soit économiquement faisable, car il faudrait y construire une digue assez importante, permettant l'implantation de la bordigue (voir figure 2).

LA LAGUNE DE RAS DIMAS ECHELLE 1/63320

LEGENDE

FIGURE 2.DIGUE
FIGURE 2.BORDIGUE
FIGURE 2.

FIGURE 2.

Tableau 2

Caractéristiques des principales lagunes de Tunisie

Source: Rhouma, A. (1979)

NomProfondeur (m)Salinité
(g/1)
Principales espèces pêchéesSurface
(ha)
moyenne des prises annuelles totales(T)moyenne des prises/ha/an
(kg)
Observations
Ichkeul1 –  33–40muges - loups - anguilles soles …12 000119 022    9,9En relation avec le lac de Bizerte par l'oued Tindja (5 km)
Bizerte1 –1234–38coquillages muges - daurades..15 000--Centre conchylicole de l'ONP
Ghar El Mehl1 –  230–45muges - daurades - soles - anguilles …  3 000  35 444  11,8Siège de l'écloserie polyspécifique de l'INSTOP
Tunis1 –  238–50 et plusmuges - anguilles - loups daurades  4 200574 000136,6Milieu pollué (eaux d'égoûts, ulves)
Kelbia1 –  34–80muges - anguilles - carpestrès variabletrès variable-Se déssèche en grande partie durant les étés chauds
Khniss0–2,537–38Sparidés - muges - soles loups - anguilles, liches..    350    9 296  26,5Aménagé pour l'engrais des poissons
El Biban1 –  638–45espèces typiquement marines30 000      318  10,6Le littoral marin avec lequel il communique est nettement moins profond

3.6 Développement de la mariculture

3.6.1 Introduction

Le contexte tunisien

Les autorités tunisiennes responsables de l'aquaculture et de la pêche sont confrontées, comme dans de nombreux autres pays, aux problèmes de l'augmentation de la production, en poissons, mollusques et crevettes, des plans d'eau existants, aussi bien en ce qui concerne les eaux côtières, les eaux saumâtres que les eaux continentales. C'est, au fond, un problème économique: l'effort à faire pour capturer d'avantage doit coûter moins que la valeur des captures additionnelles. Ce problème se pose en particulier pour les lagunes (lacs), sites prioritaires pour la mariculture.

L'intensification de la production lagunaire peut-être obtenue de différentes façons: par une intensification de l'effort de pêche, par l'amélioration des conditions du milieu, par l'augmentation du recrutement (par voie naturelle ou par repeuplement), ou par des élevages dans la lagune.

Actuellement, l'homme n'intervient presque pas dans les lagunes. Il se limite à capturer une quantité des poissons, soit par la pêche traditionnelle, soit par les bordigues

Définition des méthodes d'élevage

La mariculture comprend un grand nombre de méthodes d'élevage des poissons, mollusques et crustacés et de culture de plantes aquatiques. Ces méthodes diffèrent les unes des autres par leur intensité et leur efficacité.

Les différentes alternatives de développement de l'aquaculture (extensif, semi-intensif et intensif) doivent être étudiées dans le cadre des réalités socio-culturelles et socio-économiques de la zone ou de la région où l'on envisage des actions de vulgarisation de l'aquaculture. Le choix des méthodes d'élevage doit se faire en fonction de ces réalités.

Le développement de l'aquaculture est évidemment lié au choix de la combinaison des facteurs de production (ou à la fonction de production, pour utiliser un terme plus technique). Dans les pays moins industrialisés de grandes surfaces d'eau sont exploitées en utilisant une main d'oeuvre nombreuse. Par contre, dans des économies plus avancées, les opérations sont de plus en plus mécanisées, tant en ce qui concerne les activités courantes d'un élevage, que le processus de construction des installations nécessaires à l'élevage (étangs, bassins, cages). Cette tendance est plus ou moins modifiée par la disponibilité générale des terrains (personnes/hectare cultivable), et liée à une réduction de la taille des unités d'élevage (diminution des volumes d'eau employés), et à une utilisation plus intense d'aliments artificiels.

Pour ce qui suit, la nourriture des organismes aquatiques cultivés sera le critère principal pour différencier la mariculture extensive, semi-intensive et intensive.

Mariculture extensive: consiste en l'élevage de poissons, de mollusques ou de crevettes, basé uniquement sur l'alimentation naturelle (productivité naturelle) et sans autre contrôle du milieu que celui qu'implique la délimination physique d'un volume d'eau (par des digues ou par des barrières de filets). Cependant, la productivité naturelle des eaux peut éventuellement être augmentée par la fertilisation.

Mariculture semi-intensive: se distingue du système extensif par l'addition d'aliments artificiels à la nourriture naturelle se trouvant déjà dans l'eau et, souvent par une gestion de l'eau plus intensive que celle qui résulte normalement des conditions hydrauliques naturelles.

Mariculture intensive: est celle ou toute la production dépend de la nourriture artificielle et tous les éléments nécessaires à la croissance des espèces élevées y sont ajoutés. Ce type de mariculture est souvent lié à une utilisation très intense de l'eau.

Les espèces

Toutes les espèces marines n'ont pas été adaptées à ce système de mariculture. Celles qui sont actuellement élevées le sont souvent parce que leur cycle d'élevage a été facilement maîtrisé et parce que ce sont des poissons recherchés par les consommateurs. Des informations sur la biologie des espèces marines cultivables en Tunisie se trouvent dans les annexes 6, 9 et 10.

Les systèmes et installations utilisés en mariculture

L'élevage en enclos paraît être la méthode aquacole la plus apte à intensifier la production des lagunes. Entre les diverses constructions possibles pour contrôler l'accès à des eaux peu profondes, l'enclos est souvent la structure la moins coûteuse.

L'absence de prédateurs et d'autres poissons de peu de valeur commerciale qui se nourrissent des mêmes aliments que le poisson introduit dans l'enclos, ainsi que la possibilité de récolte presque complète des poissons, font que dans ces élevages en enclos, la production additionnelle du volume d'eau de l'enclos compense les frais additionnels occasionnés par la construction de l'enclos, par la collecte (ou l'achat) des alevins, par l'introduction des engrais, et par le gardiennage.

Les élevages en cage, en étang et en raceway sont des méthodes d'élevage plus avancées, du fait que l'éleveur a, de plus en plus, des possibilités de contrôler le milieu. Dans le raceway, les poissons reçoivent toute la nourriture dont ils ont besoin sous forme d'aliments fabriqués et l'éleveur a souvent la possibilité de contrôler complètement l'eau. Ce sont donc des méthodes d'élevage intensives.

Les possibilités d'utiliser chacun de ces systèmes et installations en Tunisie ne sont évidemment pas les mêmes pour des raisons de disponibilités et coûts des divers facteurs de production. Le succès d'un programme visant l'introduction d'une ou plusieurs de ces méthodes dépendra fortement des facteurs tels que:

  1. les besoins d'un personnel ayant la formation technique requise pour lancer la production;

  2. l'importance des investissements nécessaires;

  3. la taille minimum rentable des unités de production.

Très souvent - mais pas toujours - les besoins en crédits, et la capacité de gestion, ainsi que la quantité minimum de production augmentent de manière concomitante avec l'intensité de l'élevage. C'est-à-dire, plus l'élevage devient intense, plus il est indispensable de disposer de fonds et de personnel bien formé.

Séquence d'analyse des possibilités de développement de la mariculture

Les trois facteurs essentiels au développement aquacole tunisien, à savoir: connaissances techniques, capacité de gestion et moyens financiers, sont des facteurs de production très recherchés, évidemment dans tous les secteurs de l'économie. Il a donc paru essentiel d'étudier les alternatives de développement aquacole en prenant en compte les disponibilités de ces facteurs et en débutant avec ceux qui font le moins appel aux facteurs de production hautement demandés dans d'autres secteurs de l'économie. En effet, en agissant ainsi on a, a priori, plus de possibilités d'identifier des activités rentables dès le début de l'analyse. Cette procédure contribuera à identifier les activités aquacoles qui, dans l'ensemble, produiront un maximum avec les facteurs de production disponibles.

L'élevage extensif et semi-intensif se fera essentiellement dans des plans d'eau existants. C'est dans cette optique que la mission a effectué des tournées sur le terrain pour vérifier les possibilités de développer la mariculture extensive et semi-intensive dans les lagunes et les zones littorales protégées.

3.6.2 Revue des efforts consentis pour lancer la mariculture

Durant les dix dernières années, des efforts ont été faits pour lancer la mariculture en Tunisie. Ces actions concernent la construction d'une écloserie marine polyvalente à Ghar-El-Mehl; le grossissement de mulets dans des étangs dans la lagune de Tunis et l'élevage intensif de loups et de daurades dans des étangs construits à l'intérieur de la lagune de Khniss. Il y a également eu des essais, peu documentés d'ailleurs, d'élevage de crevettes dans la lagune El Biban, mais qui n'ont pas donné les résultats escomptés.

L'historique de ces efforts de développement de l'aquaculture en Tunisie et la situation actuelle des installations sont résumés ci après.

Ghar-El-Mehl

L'écloserie de Ghar-El-Mehl fut crée en 1973 par une compagnie privée, puis rachetée par l'INSTOP en 1977. L'écloserie a été conçue principalement pour la production de post-larves de crevettes et d'alevins de poissons. La production potentielle annuelle de l'écloserie, en alevins et post-larves de 90 à 120 jours, était de l'ordre de 250 000 alevins de loups et daurades, de 100 000 alevins de soles et de 1 million de post-larves de crevettes.

Les installations de Ghar-El-Mehl se trouvent en bordure de la lagune Sidi Ali El Mekhi et couvrent une superficie d'environ 5 ha. L'écloserie a été décrite en détail par Rhouma et El Ouaer (1978). La description des installations actuelles se trouve à l'annexe 11.

Les activités de l'écloserie sont orientées surtout vers la mise au point et l'amélioration des techniques d'induction de la ponte et de l'élevage larvaire du loup (Dicentrachus labrax), de la daurade (Sparus aurata), de la sole (Solea vulgaris) et de la crevette royale (Penaeus kerathurus).

L'élevage du loup a débuté en 1974–1975 et celui de la daurade en 1977. Les techniques utilisées dans l'élevage de la crevette royale sont inspirées des techniques japonaises. Néanmoins, la production des post-larves a été interrompue.

Les techniques, mises au point dans d'autres pays, ont donc été testées à l'écloserie de Ghar-El-Mehl et les résultats obtenus ont prouvé qu'elles sont valables pour la Tunisie. L'existence de cette écloserie n'a cependant pas provoqué l'implantation d'élevages commerciaux.

Lors de la visite de la mission, il a été constaté que le fonctionnement de l'écloserie était handicapé par:

Des propositions pour remédier à cette situation se trouvent à l'annexe 11.

Essais d'élevage de mulets, en étang, dans la lagune de Tunis

Les élevages expérimentaux de mulets en étang, dans la lagune de Tunis, ont commencé en 1973, dans le cadre des activités du projet PNUD/FAO “Recherche et prospection pour le développement de la pêche”. Une partie de la lagune avait été endiguée pour permettre d'y construire deux étangs (1,5 ha et 0,33 ha), avec une profondeur d'eau allant de 0,50 à 1,25 m (Pillai, 1975).

Les résultats de ces essais d'élevage ont été décrits par Pillai (1975). Il souligne les problèmes de pollution (liés à l'eutrophisation de la lagune de Tunis) et la forte prédation exercée par les anguilles sur le stock de mulets en étangs, ce qui rend aléatoire l'élevage de mulets en étangs dans la lagune de Tunis.

Début 1982, ces étangs existaient toujours mais les digues s'étaient effondrées à certains endroits et les étangs ne sont plus utilisés pour la mariculture.

La lagune de Khniss

La lagune de Khniss a une étendue d'environ 170 ha. Elle communique avec la mer par deux chenaux de 20 à 30 mètres de largeur: la bordigue nord et la bordigue sud. Au moment des marées basses, la profondeur de la lagune est très faible (0,75 m en moyenne, selon Pillai, 1976).

Le projet aquacole initial d'exploitation de la lagune de Kniss avait 3 objectifs:

La production escomptée était de 7 tonnes pour la pêche, 40 tonnes pour les coquillages et 18 tonnes pour les 2 premiers bassins (Hadj Ali, 1981).

Dix bassins ont été construits dans la partie nord-ouest de la lagune. La surface totale sous eau est d'environ 5,4 ha, composée de sept étangs d'une superficie de 0,66 hectares, et de trois étangs de 0,25 ha chacun. Les étangs ont été dragués à 2 mètres de profondeur (Rhouma et El Ouaer, 1978). Actuellement ils sont passablement ensablés. Les étangs communiquent avec le chenal axial de la lagune pour l'alimentation en eau et sont pourvus de dispositifs pour empêcher la sortie des alevins par des portes grillagées. Les étangs ont été réalisés par creusement et enrochement avec des blocs de relativement fortes dimensions (Billard et Ledoux, 1978).

Des trois activités initiales, seule la pêche aux bordigues s'est poursuivie, produisant 5 à 10 tonnes de poisson frais par an. La conchyliculture s'est limitée à une petite expérience vite abandonnée, sans en avoir tiré des résultats valables (Hadj Ali, 1981).

Les résultats de ces élevages intensifs en étangs n'ont pas été publiés. En 1978, Billard et Ledoux rapportaient que les expérience d'élevage de muges laissaient espérer une production d'environ 2,5 tonnes/an dans un étang d'environ 0,5 hectares, soit une production de 5 tonnes/ha/an.

Actuellement, l'exploitation des étangs se heurte aux difficultés suivantes:

  1. l'impossibilité de vider les étangs du fait que les digues ne sont pas étanches;

  2. courant d'eau réduit dans les étangs et risques d'accumulation de déchets;

  3. difficultés de pêcher aux filets;

  4. contrôle imparfait des prédateurs (notamment les anguilles).

Il est donc évident que l'on ne peut pas espérer une reprise des activités aquacoles rentables dans la lagune de Khniss, sans y faire de gros investissements. Etant donné l'importance accordée par le gouvernement au développement de l'aquaculture à Monastir, la mission a consacré une bonne partie de son temps à étudier des solutions aux problèmes posés. Ces propositions sont contenues dans l'annexe 16.

3.6.3 La mariculture extensive

Etant donné que la production de la mariculture extensive dépend étroitement de la productivité naturelle des eaux, l'intérêt de l'éleveur est de s'arranger de telle façon que son investissement soit le plus petit possible par rapport au volume d'eau contrôlé. L'expérience acquise dans d'autres régions du monde démontre que dans la majorité des cas, les élevages extensifs se font dans de grandes unités. Cependant, plus l'élevage est grand, plus la gestion devient difficile et coûteuse.

Théoriquement, une grande partie des poissons présents dans les lagunes tunisiennes pourraient être élevés en mariculture extensive. La croissance des espèces cultivées dépendra entièrement de la production naturelle (augmentée éventuellement par la fertilisation). Du fait de leur chaîne alimentaire courte (réduction au minimum des pertes d'énergie résultant du passage d'un chaînon de la production au chaînon suivant), l'élevage extensif de poissons herbivores, planctonophages, microphages et détritivores est plus intéressant que celui de poissons carnivores (voraces) même si leur prix n'est plus qu'un tiers ou un quart de celui des poissons alternatifs carnivores. Donc, comme à Tunis le prix du mulet représente de 40 à 50% du prix du loup, le mulet est plus intéressant dans les élevages extensifs que le loup. Le mulet pourrait même faire l'objet de polyculture avec les crevettes, si toutefois on peut disposer de post-larvae en nombre suffisant.

Les étangs et les enclos sont des unités d'élevage qui conviennent pour la mariculture extensive. Leur utilisation va être discutée ci-après.

Les étangs

Le succès commercial d'un élevage extensif de poissons ou de crustacés dans des étangs dépend étroitement de:

  1. l'investissement par rapport à la production obtenue et au volume d'eau utilisé (contrôlé);

  2. la qualité de l'eau;

  3. le contrôle des poissons et/ou des crustacés élevés (et l'élimination des prédateurs et poissons indésirables).

Le succès économique d'un élevage de cette nature dépend donc étroitement des facteurs locaux. Cependant, la prédiction des résultats est compliquée par le fait qu'actuellement il n'y a pas, en Tunisie, des maricultures extensives en étang. Les résultats obtenus en 1974–75 dans la lagune de Tunis ne peuvent pas servir de référence étant donné les caractéristiques limnologiques de cette lagune, à l'époque des essais.

Les frais de construction de digues dans les lagunes sont élevés. La mission les a estimés à environ 100 D.T. par mètre linéaire, mais pour les experts tunisiens ce chiffre paraît trop bas. Pour pouvoir amortir cette somme, il est essentiel d'identifier des sites ayant des caractéristiques physiques avantageuses. L'idéal, du point de vue du moindre coût, est la lagune étroite où il est possible d'implanter de grands étangs en construisant seulement des digues transversales. La mission a seulement trouvé un site de cette nature, dans la lagune de Khniss où les constructions proposées par la mission représentent un investissement d'environ D.T. 2 700 par hectare, soit un amortissement (dépréciation et intérêt) de 250 D.T. par an/hectare. Donc, pour que cet investissement devienne payant, la production de la lagune, qui est actuellement de 50 à 60 kg/ha/an, devrait atteindre au moins 300 kg/ha/an (étant donné le prix du mulet).

Etant donné que la mission n'a pas visité la totalité des côtes tunisiennes, il n'est pas exclu qu'il y ait d'autres sites où des mêmes étangs pourraient être construits.

Les enclos

Les avantages des enclos sont doubles: un investissement par mètre linéaire qui n'est que de 5 pour cent de celui des digues d'étangs et, deuxièmement, cette structure permet d'éviter les difficultés liées aux élevages dans des étangs n'ayant qu'un faible taux de renouvellement des eaux.

Ces avantages sont obtenus au prix d'un moindre contrôle sur les poissons prédateurs/compétiteurs, car ils peuvent entrer dans les enclos en tant qu'alevins. L'élevage en enclos dépend nécessairement de la disponibilité d'alevins d'une certaine taille minimum qui doit les empêcher de s'échapper des enclos.

A noter cependant que les enclos sont assez vulnérables, particulièrement en cas de mauvais temps (effets des vagues) et requièrent une main d'oeuvre assez importante pour les travaux d'entretien.

Utilisant un coût d'enclos de 4 D.T. par mètre linéaire, des enclos d'un hectare pourraient être économiquement intéressants si la production de mulets (avec utilisation d'engrais) pouvait atteindre un rendement de 1 000 kg/ha/an et, si l'unité commerciale familiale comprenait 4 ou 5 enclos d'un hectare chacun. Dans ce cas, l'entreprise familiale serait obligée d'utiliser de la main d'oeuvre temporaire au moment de la récolte.

Actuellement on ne dispose pas en Tunisie de données permettant d'évaluer si un élevage de mulets en extensif, avec engrais, donnant un rendement de 1 000 kg/ha/an est raisonnable.

Cependant, l'alternative des enclos pour des élevages extensifs est intéressante à divers points de vue. C'est un type d'élevage pour lequel la Tunisie dispose de grandes surfaces (Bizerte, Ras Dimasse, Brou Grara, El Biban) et des baies protégées (îles Kerkennah), où on pourrait envisager l'implantation d'enclos.

Conclusions

La mission estime que la mariculture extensive en Tunisie a ses meilleures chances de réussite en pratiquant l'élevage de mulets en enclos. L'élevage de mulets ou de crevettes en étang sera plus difficile à développer, tant pour des raisons économiques que du fait d'un manque de sites convenables, et d'un manque de post-larves de crevettes.

Le principal problème concernant l'élevage de mulets en enclos est d'identifier l'unité de production familiale minimum rentable et de mettre au point un schéma d'élevage à vulgariser.

3.6.4 Mariculture semi-intensive

L'élevage semi-intensif peut se faire, comme pour les élevages extensifs, dans des enclos et dans des étangs. Cependant, pour les élevages semi-intensifs, les cages sont aussi des alternatives valables.

L'accès à de grandes surfaces d'eau devient moins important au fur et à mesure que l'élevage devient plus intensif. Ainsi, techniquement, l'élevage semi-intensif peut se pratiquer dans plus d'endroits que l'élevage extensif.

En élevage semi-intensif on donne des aliments et on augmente ainsi les coûts de production par rapport à l'élevage extensif.

Les espèces qui conviennent en élevage semi-intensif sont les mêmes que celles utilisées en élevages extensifs. Les plus intéressantes, vu leur prix sur le marché tunisien, seraient les mulets, le loup, la daurade et les crevettes.

La disponibilité d'alevins de daurade en milieu naturel n'est pas suffisamment connue. Même si les techniques de maturation sexuelle des reproducteurs et la reproduction en captivité sont relativement bien maîtrisées, l'élevage larvaire est encore au stade expérimental et ne permet pas d'obtenir des larves en grandes quantités avec un taux de survie satisfaisant. De ce fait, les coûts de production restent encore trop élevés.

Si la maturation et la ponte en captivité de Penaeus kerathurus et de P. japonicus est au point, il n'en est pas de même en ce qui concerne l'alimentation artificielle qui n'est pas encore complètement maîtrisée. Les coûts de production sont encore trop élevés, notamment dans les conditions climatiques de Tunisie qui ne permettent pas de produire plus d'un cycle par an.

Restent donc à considérer les élevages semi-intensifs du loup et des mulets. Le choix entre ces deux espèces doit se faire en tenant compte des conséquences socio-économiques de l'élevage de chacune de ces espèces.

La rentabilité des élevages semi-intensifs s'obtient essentiellement en additionant trois types de coût: (i) frais des structures; (ii) frais des aliments, et; (iii) frais de main-d'oeuvre pour l'élevage.

La structure du marché de poissons et mollusques est telle que l'aquaculteur ne peut pas faire autre chose que de l'accepter. Ses possibilités d'influencer les prix, actuellement, sont presque nulles. Il est donc essentiel de minimiser les frais. Il peut essayer de minimiser chacun des trois types de coûts et il se rendra compte qu'il y a une possibilité de substitution entre ces trois catégories de frais. Par exemple, en utilisant plus d'aliments il pourrait réduire le volume d'eau contrôlé (pour une quantité de poissons donnée) et ainsi réduire les frais des structures. Il pourrait aussi installer les “demand-feeders” et ainsi réduire les frais de main d'oeuvre.

L'investissement, dans des structures d'élevage, est donné au tableau 3. Pour pouvoir comparer les frais, les investissements ont été évalués pour un volume d'eau standard: 1 000 mètres cubes.

Tableau 3 Investissement et amortissement (dépréciation et intérêt) pour des structures d'élevage aquacole, ramenées à 1 000 mètres cubes

 Investissement DTAmortissement annuel DT
Enclos140 à 45050 à 150
Etang1 000 à 2 70090 à 240
Cages8 000 à 12 0004 000 à 5 000
Raceways280 00040 000

Source: Evaluation par la mission

D'un point de vue strictement économique, le tableau montre clairement l'intérêt qu'à l'entrepreneur d'essayer d'abord d'élever ses poissons, ou en étang, ou en enclos, en considérant uniquement les structures d'élevage.

Les mulets, en tant qu'herbivores et mangeurs de fond, ont un avantage sur le loup qui se nourrit de petits poissons, mollusques et de crevettes (Barnabé, 1980). En captivité, le loup a besoin d'une alimentation contenant jusqu'à 30% de protéines. Plus l'élevage est extensif, plus le mulet, en tant qu'herbivore, est avantagé par rapport au loup, du fait que dans un espace donné, la production naturelle d'organismes végétaux est 8 a 10 fois plus élevée que la production naturelle animale.

D'un autre côté, plus la densité de poisson, par mètre cube, est élevée et plus la nourriture devient importante, ce qui fait augmenter les coûts.

Pour l'analyse des frais de main-d'oeuvre, même familiale, on a considéré trois types d'exploitations familiales: l ha d'enclos pour l'élevage de mulets; 2 ha d'étangs à mulets; 10 cages, de 40 m3 chacune pour l'élevage du loup.

Les dépenses de main d'oeuvre concernent essentiellement le gardiennage, le personnel nécessaire à la distribution des aliments, à l'entretien des installations et la main-d'oeuvre chargée de la pêche ou de la collecte des produits (poissons, mollusques et crevettes).

Un service de garde et de surveillance est indispensable si l'on veut éviter les vols et le braconnage. Il faut prévoir deux personnes en permanence. Elles peuvent également s'occuper de la distribution des aliments et de certains travaux d'entretien. Une main-d'oeuvre temporaire est cependant nécessaire au moment de la récolte. En principe, c'est la pêche dans les enclos qui nécessite le plus d'ouvriers (5 à 6 personnes, au maximum).

Les besoins de main-d'oeuvre sont assez similaires dans les trois types de mariculture familiale. Néanmoins, compte tenu de la production escomptée, il semble que les frais (effectifs ou imputés) par kg de poisson produit seront les moins élevés pour la production en étang.

L'analyse des trois catégories de frais des élevages, par rapport à la quantité produite, donne les résultats suivants:

  1. frais de structures (investissement): les enclos et les étangs sont considérablement moins coûteux que les cages;

  2. aliments: les poissons herbivores ont un avantage qui augmente de plus en plus quand l'élevage est plus extensif;

  3. frais de personnel: ont tendance à être plus élevés, par kg de poisson produit, pour les enclos, que pour les étangs et les cages.

3.6.4.1 Les mulets

La mission a considéré deux formes d'élevage de mulet: en enclos et en étangs. Etant mangeur de fond, le mulet s'élève difficilement dans des cages flottantes.

L'élevage en enclos, pour lequel a été évaluée la rentabilité économique, se base sur les hypothèses suivantes:

L'analyse donnée en annexe 12, section 1, montre qu'un élevage de ce type procure suffisamment de revenus pour une famille. L'analyse montre aussi que l'essentiel des coûts est représenté par ceux concernant l'aliment et la main-d'oeuvre familiale. Agrandir les enclos ou établir des unités plus grandes que celles analysées ne permettra que de faire des économies réduites. Il est essentiel de définir par un essai pilote, quelle serait l'unité maximum que pourrait gérer une famille (ou un groupement de familles).

Il y a déjà eu, en Tunisie, des essais d'élevage de mulets en étang. L'expérience à El Akarit est décrite en Annexe 15.

Du fait que l'eau des lagunes peut être pompée, on peut envisager la construction des étangs, dans un sol argileux, sur le bord des lagunes. Cette hypothèse a été analysée par la mission (voir annexe 12 section 2). L'unité proposée est composée de quatre étangs, chacun d'un demi hectare de surface. Pour le reste, les caractéristiques de l'élevage sont forts semblables à ceux décrits pour l'élevage en enclos. La mission a identifié les alentours de la lagune de Hergla comme ayant des sites possibles pour un élevage de ce type. Voir figure 3 (Sebkhet Halk el Mennzel).

L'analyse (détaillée en annexe 12) donne à croire que cette forme d'élevage pourrait aussi devenir rentable, même en payant deux ouvriers salariés.

Etant donné la simplicité de l'élevage du mulet, et la disponibilité des alevins, des aliments et des sites, il semble à la mission que l'élevage semi-intensif de mulets pourrait se développer sur certaines parties des côtes de la Tunisie.

Il est important de noter que:

  1. l'investissement initial est considérablement plus bas pour les enclos que pour les étangs:

  2. la construction d'étangs suppose des droits d'accès aux sites, alors que l'installation des enclos n'interfère pas avec des droits d'accès aux terres cultivables.

Il semble donc qu'un effort concentré sur des enclos aurait plus de possibilités de succès qu'un effort sur des étangs.

3.6.4.2 Le loup

L'élevage de loups se fait à petite échelle sur la côte française de la Méditerranée et en Italie, mais n'a pas encore atteint le stade commercial. Durant les dix dernières années, des entreprises privées, principalement françaises, ont tenté de s'établir en Tunisie, espérant avoir une meilleure croissance des loups qu'en France, en bénéficiant des températures plus élevées des eaux tunisiennes.

L'élevage est possible techniquement, mais les méthodes doivent encore être améliorées. Actuellement des recherches sont en cours pour réduire les coûts par unité produite. Cela peut se faire, d'une part en trouvant des matériaux (d'infrastructures physiques) et de la nourriture moins coûteuse, et, d'autre part en améliorant la survie des poissons. En effet, les alevins et la nourriture constituent les éléments les plus importants du prix de revient du loup d'élevage. Les problèmes à étudier concernent la production des alevins et l'alimentation.

Les alevins de loup, en milieu naturel, ne se trouvent pas en quantités susceptibles d'être capturées économiquement. L'éleveur de loup est donc confronté avec le problème de la reproduction artificielle, l'élevage larvaire et le pré-grossissement du loup. Les techniques sont maîtrisées mais les mortalités sont encore très élevées. En effet, il est admis que pour obtenir 125 000 alevins de 60 jours (0,25 grammes) il faut disposer de 3 millions d'oeufs.

En écloserie, les mortalités de larves de loup atteignent en moyenne 70 pour cent à la fin du premier mois, après l'éclosion. A 50 jours d'âge, les mortalités atteignent 81 pour cent. Entre le 50ème et le 90ème jour, les mortalités sont encore de 37 pour cent (Girin, 1979).

Les postes principaux dans le prix de revient d'un alevin de loup (de 60 jours) sont les amortissements des installations et le personnel, suivi de l'énergie. Dans une écloserie commerciale, le personnel et les installations sont des frais fixes. Ils ne varient pas avec le nombre d'alevins produits. Il est donc évident que le succès financier d'une écloserie est lié à sa pleine utilisation. Une écloserie construite pour une production de 500 000 alevins (de 60 jours), qui ne réussit pas à produire plus de 100'000 alevins, aura effectivement un prix de revient par alevin 5 fois plus élevé que prévu.

Du fait que la période de ponte du loup est limitée à quelques mois de l'année, il est difficile d'utiliser pleinement les écloseries. Cette période peut être élargie en utilisant des géniteurs dont la période de reproduction a été décalée, mais, de toute façon, la période de ponte ne dépassera pas 5 à 6 mois par an.

LAGUNE DE HERGLA

ECHELLE 1/50.000

LEGENDE

FIGURE 3.ROUTE
FIGURE 3.ETANG PERMANENT
FIGURE 3.ETANG PERIODIQUE
FIGURE 3.FALAISE
FIGURE 3.
SUPERFICIE PERMANENETE DE LA LAGUNE1300 HA
SUPERFICIE PERIODIQUE DE LA LAGUNE1950 HA

FIGURE 3.

Les coûts de production des alevins de loup restent encore très élevés, particulièrement du fait qu'il est nécessaire d'alimenter les alevins d'aliments vivants (rotifères, artemia) qu'il faut nourrir d'algues cultivées. Ces méthodes d'alimentation ne sont pas encore applicables à l'échelle industrielle.

Comme le signale Lucet (1982) dans une étude récente, plusieurs écloseries à vocation commerciale sont actuellement productives en Méditerranée: G.A.E.C. de Balaruc et écloserie de Martigues en France, écloserie de PALESTRINA en Italie du Nord, MARSALA en Sicile, et plusieurs projets en cours (“Méditerranée pisciculture” sur l'étang de Leucate en particulier). Certaines d'entre elles “tournent” techniquement parlant depuis quelques années, aucune ne peut présenter actuellement de compte d'exploitation positif, malgré une valeur élevée de l'alevin de loup due à une demande qui va en augmentant.

Pendant la période durant laquelle la mission a visité la Tunisie, le prix de marché pour les alevins de loup était de 1,50 à 2,00 francs français par alevin de 2 grammes. Cela correspond à un prix en Tunisie d'environ D.T. 0,100 par alevin. Ce prix est très proche du prix estimé des alevins figurant dans un avant-projet d'un élevage de loups et de daurades, élaboré par une société française, début 1982.

La mission estime qu'il est peu réaliste d'espérer qu'une écloserie installée en Tunisie pourra produire, dans les deux ou trois prochaines années, des alevins de 2 grammes pour un prix inférieur à 0,100 D.T. par alevin.

La mission a étudié en détail les possibilités d'utiliser des sous-produits agro-industriels se trouvant sur place pour fabriquer des aliments pour poissons en Tunisie. Cette étude complète se trouve en Annexe 5.

En ce qui concerne l'aliment pour mulets, le spécialiste attaché à la mission est d'avis qu'un aliment, dans les conditions économiques de mi-1982, pourrait être fabriqué à un coût d'environ 0,070 D.T. le kilo. Cette fabrication reste cependant très liée à la disponibilité des déchets de poissons, ou des poissons de rebut, à un prix relativement bas (0,033 D.T. le kilogramme). Dans les conditions actuelles, ces ingrédients pourraient être obtenus à ce prix pendant au moins une partie de l'année. Cependant, pour une production piscicole plus importante, il faut s'attendre à une augmentation considérable du coût. Néanmoins, pour l'analyse qui suit, nous avons retenu ce prix.

L'annexe 12, section 3, concerne l'évaluation de rentabilité économique d'une unité familiale d'élevage de loups en cages. L'unité fonctionnerait dans les conditions suivantes:

  1. il est supposé qu'il y a une écloserie (gouvernementale ou privée) prête à vendre des alevins de 20 à 25 grammes à un prix de 0,300 D.T. la pièce;

  2. les mortalités ne seraient que de 15% pendant une période d'élevage de 15 mois. A noter que les mortalités atteignent parfois 25 pour cent (Lucet, 1982);

  3. à la récolte, il y aurait 15 kg de poisson par m3;

  4. le poids moyen des loups en cages passerait de 25 à 330 grammes en 15 mois d'élevage;

  5. les mulets seront vendus sur le marché de Tunis.

Dans ces conditions, l'élevage reste très marginal, comme on peut le constater au tableau 3.2 de l'annexe 12. Il n'est pas certain que les recettes du marché local couvriront toutes les dépenses relatives à ce type d'élevage. Une production visant les marchés italien ou français pourrait contribuer à obtenir des prix plus hauts et l'activité pourrait alors devenir rentable.

3.6.4.3 Conclusions

Les conclusions les plus importantes qui se dégagent de l'analyse des possibilités de mariculture semi-intensives sont les suivantes:

  1. Il y a des possibilités d'établir des unités de production semi-intensives, non seulement rentables, mais également acceptables du point de vue social, et qui pourraient s'installer sur une grande partie des côtes tunisiennes. Ces possibilités semblent plus grandes pour les élevages de mulets que pour des élevages de loups;

  2. pour l'élevage des mulets, les enclos, à première vue, sembleraient plus intéressants que les étangs.

De plus, l'intérêt pour le mulet se justifie en partie du fait que le cycle complet d'élevage (y compris la capture des alevins) peut se faire par la population côtière. Il n'y a pas besoin d'une intervention, ou de la présence des techniciens d'aquaculture hautement qualifiés pour assurer le fonctionnement d'une unité familiale d'élevage de mulets en enclos. Enfin, il y a plus de 80 000 hectares de lagunes en Tunisie, dont une grande partie a une profondeur comprise entre un et deux mètres. Dans ces lagunes, ainsi que dans les iles Kerkennah, il y a des sites qui conviennent à l'installation d'enclos. Par contre, les sites où des cages pourraient être installées sont beaucoup moins nombreux.

3.6.5 Mariculture intensive

Dans ce type de mariculture, toute la production dépend des apports de nourriture artificielle. Ce type d'élevage est associé à une gestion intense de l'eau et à un stockage très dense de poissons par mètre cube d'eau. Vu le prix élevé sur le marché des espèces telles que le loup et la daurade seraient en mesure de couvrir les frais de l'aliment.

Les élevages en cages d'espèces carnivores peuvent être classés parmi les élevages intensifs, mais ce sont les raceways qui sont des systèmes d'élevages intensifs par excellence. Un raceway se distingue principalement par sa forme étroite et par des possibilités de gestion complète de l'eau.

Les responsables tunisiens attachent une grande importance à l'installation d'élevages de loups en raceways. C'est la raison pour laquelle la mission a étudié plus particulièrement et analysé en détails ce type d'élevage intensif. En annexe 16, fig. 16.6, se trouvent les plans d'une unité de cinq raceways en béton qui pourrait être construite en bordure de la lagune de Monastir. L'estimation du coût de cette unité se trouve en annexe 16b.

Une installation complète de 5 raceways avec un volume d'eau de 635 mètres cubes coûterait 180 000 D.T. En y incluant seulement les installations strictement nécessaires pour l'opération des raceways eux-mêmes, le coût par mètre cube d'eau est d'environ 280 D.T. et l'amortissement annuel de l'ordre de 40 D.T. Si les raceways pouvaient supporter une charge de 30 kg par mètre cube au moment de la vidange annuelle, l'investissement serait de l'ordre de 1,000 D.T. à 1,300 D.T.

En comparant l'élevage en raceways avec l'élevage en cages, on se rend compte que le coût des cages n'est que de 8 D.T. à 12 D.T. par mètre cube, contre environ 280 D.T. par mètre cube de raceway. L'amortissement annuel des cages (entre 4 à 5 D.T. par mètre cube) est également plus bas que celui des raceways (40 D.T. par mètre cube). Il y a aussi le fait que le raceway, par sa dépendance de la circulation d'eau pompée, expose l'élevage à des risques additionnels (panne d'électricité, panne des moteurs diesel) qui n'existent pas en élevages en cages.

La mission est donc d'avis que, dans la situation actuelle des connaissances techniques et du fait des prix unitaires, il n'y a pas de raison de croire que l'élevage de loups en raceways devrait, à long terme, se montrer plus rentable que l'élevage en cages.

Le gouvernement tunisien désire remettre en production les étangs construits à Monastir. La mission estime que la seule manière de le faire d'une façon adéquate est d'y élever des mulets en intensif avec alimentation artificielle des poissons, mais après aménagement des étangs (amélioration de la circulation d'eau). Ce type d'élevage est décrit plus en détails à l'annexe 12 (section 4) et ne concerne que le cas précis des étangs de Monastir. Ailleurs, il est préférable d'élever les mulets en semi-intensif.

3.7 L'exploitation piscicole des eaux continentales tunisiennes

3.7.1 Production et consommation des poissons d'eau douce

Les eaux continentales tunisiennes, eaux douces et eaux saumâtres, pourraient produire annuellement une quantité non négligeable de poisson, destiné tout particulièrement aux régions éloignées de la côte, où le ravitaillement en poisson de mer est inexistant ou très irrégulier.

On entend souvent dire en Tunisie que le poisson d'eau douce ne se mange pas. Cela n'est pas entièrement vrai, même si les consommateurs, particulièrement en zones côtières, ont une préférence pour le poisson de mer.

Il y a très souvent, du moins dans les bureaux de Tunis, un préjugé défavorable vis-à-vis du poisson dit “d'eau douce”. C'est une des raisons pour lesquelles les efforts de développement de l'aquaculture dans les eaux continentales des années 1966–1976 ne se sont pas poursuivis et n'ont pas connu le succès escompté.

Le tunisien de la côte préfère le poisson de mer, ce qui est normal, mais ne consommerait pas de poisson d'eau douce. Sans doute parce qu'il ne le connaît pas et que le long de la côte, il trouve, dans pratiquement toutes les agglomérations, une gamme de poissons de mer dont les prix d'achat au détail sont accessibles à toutes les bourses. Il n'empêche que, depuis 1969 jusqu'à présent, on a trouvé sur les marchés de Tunis et autour des lagunes de Bizerte et d'Ichkeul, des consommateurs qui ont acheté des carpes communes et des barbeaux.

L'ONP, qui détient actuellement le monopole de l'exploitation des eaux douces, a vendu à plusieurs reprises, au marché de gros à Tunis, du poisson d'eau douce capturé dans les retenues de barrage et dans les lacs collinaires (4,9 tonnes en 1979; 20,3 t en 1980 et 7,9 t en 1981). Il est cependant probable que la production des retenues est plus importante que ne le font penser les statistiques de l'ONP.

Le commerce actuel du poisson d'eau douce est caractérisé par des prix relativement bas. En 1981, les barbeaux se vendaient, au marché de gros de Tunis, à un prix allant de 0,120 dinar tunisien à 0,600 par kilogramme (Ruckes, comm. person., 1982). Les carpes communes et les tilapia ne se vendent qu'en quantités infimes et ne passent pas par le marché de gros de Tunis. D'autres informations à ce sujet se trouvent en annexes 13 et 14.

Lors de l'élaboration de projets de développement d'élevages en eau douce, il est donc indispensable de tenir compte de l'étroitesse du marché actuel pour ces espèces.

3.7.2 Possibilités d'exploitation des eaux continentales

Les sources d'approvisionnement en poissons d'eau douce et d'eau saumâtre (eaux continentales) sont les cours d'eau ou oueds, les lacs salés (sebkhas et chotts), les sources et réservoirs des oasis, les retenues artificielles ou barrages, les retenues collinaires, les petits étangs, les forages (artésiens ou pompés) et les étangs de pisciculture de la station expérimentale de l'Oued El Akarit. Ces différentes sources potentielles de productions piscicoles ont été décrites en détail dans les annexes 13 et 15. Pour diverses raisons, les oueds, certains lacs salés et les bassins de stockage d'eau d'irrigation n'ont pas été retenus comme sources de production.

Les cours d'eau sont généralement des torrents ou oueds, qui sont en eau au moment des pluies et des crues. Ce sont alors de violents torrents, charriant des eaux boueuses. Après les crues ils s'assèchent complètement. Les oueds ne sont donc en eau qu'une courte période de l'année, à part certains oueds de la région nord-ouest, en aval d'Aïn Draham (pluviométrie moyenne: 800 à 1 500 mm/an). Les oueds tunisiens n'offrent pratiquement pas d'intérêt du point de vue piscicole. Les déversements d'espèces introduites effectués dans les années soixante, dans certains oueds, n'ont d'ailleurs pas été des réussites.

Les lacs salés (Sebkhas et chotts) ne présente qu'un intérêt secondaire, du fait de l'irrégularité de leurs approvisionnements en eau et de leurs assèchement périodiques.

Les bassins de stockage d'eau d'irrigation se remplissent et se vident, parfois entièrement, d'une manière en fonction des besoins en eau d'irrigation. Dans ces conditions, il n'est pas possible d'y envisager des élevages de poissons.

Il existe actuellement en Tunisie des possibilités de développement de la pêche et de l'aquaculture dans les barrages ou retenues artificielles et dans certaines retenues collinaires. La pisciculture est aussi possible dans les réservoirs d'oasis et dans des installations utilisant les eaux de forages.

En plus de la pêche, ces retenues collinaires conviennent sur le plan technique, pour y faire des élevages intensifs de poissons en cages flottantes. En principe, on pourrait également considérer les retenues et barrages comme étant propices à l'implantation d'élevages extensifs en enclos. Malheureusement, du fait des variations parfois importantes du niveau des eaux et également à cause des fortes pentes des berges de ces plans d'eau, il n'y a pratiquement pas de sites qui permettraient l'installation d'enclos.

Actuellement la contrainte la plus significative relative au développement d'une activité piscicole est l'absence d'un marché significatif pour les poissons d'eau douce. Les quantités vendues sont très faibles et les prix sont bas. Ces faits conduisent à la constatation qu'il n'y a pas de stimulants pour un développement de la pisciculture en eau douce. Il semble néanmoins que l'on pourrait sensiblement augmenter la consommation des poissons d'eau douce, à un prix abordable pour les habitants de l'intérieur du pays, en développant la gestion de la pêche dans les barrages.

Avant de discuter plus en détails les contraintes et possibilités de la pisciculture en eau douce, le rapport identifie les grandes lignes d'un programme pour le développement de la pêche dans les barrages et retenues collinaires.

3.7.3 Possibilités de production de pêche dans les barrages et retenues collinaires

3.7.3.1 Importance de la production

Il y avait, début 1982, 15 retenues artificielles en Tunisie, dont deux barrages en construction (Sidi Salem et Sidi Saad). La superficie totale de ces retenues est de 18 208 ha (voir inventaire des barrages en annexe 13, tableau 1).

La liste des principales retenues collinaires et leurs caractéristiques se trouvent en annexe 13, tableau 2. Comme on peut le constater, on ne dispose que de très peu de données permettant d'élaborer un programme de développement de la pêche et de l'aquaculture dans ces retenues. Il est cependant évident que pratiquement toutes ces retenues collinaires pourraient produire du poisson, mais qui devrait être commercialisé dans les environs immédiats de ces retenues. Cela donnerait l'occasion aux habitants de s'approvisionner assez régulièrement en poisson, ce qui n'est pas le cas actuellement.

L'ensemble des retenues de barrage et des retenues collinaires couvre environ 18 400 ha. A condition de réussir les déversements, qui devront s'échelonner sur 3–4 années, et en tablant sur une possibilité de capture de 50 kg de poisson par ha/an, à partir de la cinquième année après le début des empoissonnements, la production annuelle des 18 400 ha pourrait atteindre 920 tonnes.

Néanmoins, pour obtenir cette production il faut: (i) stocker des barrages et retenues pas encore empoissonnés avec des poissons appropriés (une dizaine de barrages); (ii) contrôler la pêche et la capture des poissons tels que les mulets et les carpes chinoises pour pouvoir organiser efficacement les opérations de repeuplement et (iii) vulgariser la technologie de la pêche parmi les populations locales.

3.7.3.2 Espèces à stocker

Toutes ces retenues sont peuplées d'espèces autochtones, les barbeaux étant généralement l'espèce dominante. Dans certaines de ces retenues, on a déversé des espèces introduites en Tunisie à partir de 1964–65: black-bass et truites arc-en-ciel dans le barrage Ben Métir; carpe commune dans le barrage Kasseb; carpe commune et black-bass dans le Mellègue; carpes communes, tanches et truites arc-en-ciel dans le barrage Nebhana. En 1968, dans le même barrage, l'ONP a immergé dans des boîtes incubatrices flottantes, 30 000 oeufs de sandre (Lucioperca lucioperca) et en 1975 on y aurait capturé des sandres de 62 cm (Zaouali, 1979). En plus de ces espèces exotiques, il faut ajouter les déversements de plusieurs espèces de mulets dans les barrages Mellègue et Nebhana et quelques saupes (Boops boops) introduites accidentellement au Nebhana, et qui se trouvaient vraisemblablement mélangées avec les alevins de mulets lors de l'alevinage.

Aucune de ces espèces introduites ne se retrouve dans les captures effectuées dans ces barrages les dernières années, à l'exception des mulets et de quelques carpes communes.

Par contre, les mulets se sont établis dans les barrages Mellègue et Nebhana et constituent une partie relativement importante des captures effectuées les dernières années, dans ces deux plans d'eau.

Sur la douzaine de retenues collinaires existantes en Tunisie, à notre connaissance, seulement trois retenues ont été empoissonnées (Nacherine, Beni Atta et Chaab ed Doud) et il n'y a eu que quelques essais de pêche par l'ONP dans deux de ces retenues (Nacherine et Nechma).

Le choix des espèces à déverser est d'une importance capitale, notamment au point de vue de la reproduction. Certaines espèces s'adapteront au milieu lacustre et même s'y reproduiront (carpe commune, par exemple); d'autres espèces, par contre, s'acclimateront parfaitement et auront une croissance normale, mais ne se reproduiront pas en eau douce (les mulets, par exemple). Les modalités d'empoissonnement des retenues seront donc différentes, selon la biologie des espèces choisies.

Des renseignements détaillés sur la faune ichthyologique des eaux continentales tunisiennes se trouvent en annexe 14. Des recommendations au sujet des espèces à déverser dans chacune des retenues ont été données dans la même annexe. Les espèces retenues comprennent: Mugil cephalus, M. labrosus, T. nilotica, T. mossambica et les carpes suivantes: commune, argentee et herbivore (grass carp).

3.7.3.3 Alevins à stocker

Les espèces choisies pour les stockages dans les barrages et retenues collinaires peuvent être divisées en deux groupes: celles qui, une fois introduites dans les plans d'eau vont normalement s'y établir, évitant ainsi la nécessité d'un restockage; et, celles qui ne se reproduisent pas dans les barrages et pour lesquelles un programme continu de production d'alevins et leur stockage est nécessaire. Dans cette dernière catégorie se trouvent les carpes chinoises et les mulets; dans la première catégorie se trouvent les tilapias et, vraisemblablement la carpe commune.

Dans le passé, l'ONP a organisé la capture des alevins de mulet pour le stockage des retenues. La mission est de l'opinion que ce type d'activité se développera sur la côte dans les années à venir pour fournir des alevins de mulets aux mariculteurs. Il paraît probable que les alevins de mulets nécessaires pour le programme de stockage des barrages pourraient être achetés à des pêcheurs d'alevins professionnels.

Il serait possible d'obtenir de la station El Akarit une certaine quantité d'alevins de tilapia et de carpes communes pour le stock initial qui a été recommandé avec ses espèces dans les barrages de Mellègue, Nebhana, Kasseb et Bou Heurtma.

La seule alternative actuelle pour la production d'alevins de carpes chinoises est la station piscicole d'Aïn Sallem (Béja). Mais cette station a été abandonnée, et étant donné les problèmes pratiquement insurmontables de l'approvisionnement régulier en eau de la station, l'impossibilité de l'agrandir et l'état de délabrement de ces installations, il serait sans doute préférable d'abandonner ce site et de construir une nouvelle station, en aval d'une des retenues de barrage existante ou en construction, si le gouvernement décide de mettre en oeuvre, d'une manière systématique, un programme de stockage des barrages. La station d'El Akarit n'est pas équipée pour l'exécution d'un tel programme d'alevinage.

3.7.3.4 Vulgarisation et pêches

Il devrait être possible de mettre au point la gestion de la pêche des retenues et barrages de manière à créer une source locale d'approvisionnement en poissons et de donner des possibilités d'emplois aux populations établies aux environs des retenues de barrage, des retenues collinaires et des petits étangs naturels.

Néanmoins pour y arriver il est essentiel que le Gouvernement:

  1. élabore une législation de manière à retirer à l'ONP le monopole de fait de la pêche, tout en permettant l'accès à la profession des riverains des retenues;

  2. trouve une possibilité de fournir aux pêcheurs des prêts remboursables pour permettre l'acquisition d'engins de pêche et d'embarcations;

  3. mette en place un service de vulgarisation.

Le service de vulgarisation pourrait être chargé de:

  1. contrôler l'émission des permis de pêche payants;

  2. former des pêcheurs locaux;

  3. entreprendre des pêches expérimentales;

  4. essayer et préconiser des engins de pêche appropriés.

3.7.4 Les possibilités de développement de la pisciculture

Tout comme ne mariculture, les possibilités d'élevage en eaux douces (ou légèrement saumâtres) ont été examinées en fonction des méthodes d'élevage: extensif, semi-intensif et intensif.

3.7.4.1 Pisciculture extensive

La pisciculture extensive peut se faire en étangs ou en enclos. Comme cela a été analysé dans les paragraphes précédents (section 3.7.3) çes barrages et retenues collinaires de la Tunisie ne se prêtent pas, en général, à des élevages en enclos.

En ce qui concerne les étangs, ils représentent un investissement trop grand pour pouvoir justifier ensuite un élevage extensif. Les productions obtenues dans la majorité des cas ne seront pas suffisantes, même pas pour couvrir les amortissements des étangs. Donc, la mission ne prévoit pas un développement, dans le futur immédiat, d'une pisciculture extensive dans les eaux continentales de la Tunisie.

3.7.4.2 Les élevages semi-intensifs

Nous considérons ici l'élevage en cages et l'élevage en étangs avec nourriture supplémentaire comme des technologies semi-intensives. Les espèces à considérer sont les mêmes que celles qui ont été retenues pour les stockages; c'est-à-dire les carpes, les mulets et les tilapias.

Les élevages semi-intensifs peuvent se faire en eau douce mais également en eau saumâtre.

(i) Les élevages semi-intensifs en eau douce

Des sites propices à l'installation d'étangs pour l'élevage en eau douce pourraient être trouvés:

Du simple point de vue technique, il serait possible d'installer des cages flottantes dans les retenues de barrage et dans les retenues collinaires.

La mission est de l'avis que les élevages semi-intensifs de carpes et de tilapias en étangs d'eau douce ne sont actuellement pas économiquement justifiables. Plusieurs éléments contribuent à cette conclusion: les coûts de construction élevés des étangs, le prix élevé de la nourriture artificielle, et, les prix de vente relativement bas des poissons d'eau douce. L'élevage des mulets pourrait devenir une exception à cette règle. Les élevages pilotes de mulets proposés pour la station Oued El Akarit ont pour but de tester cette hypothèse.

D'autre part, dans le sud tunisien, l'eau douce est relativement rare et très demandée pour les besoins humains et pour l'irrigation et ne peut généralement pas être utilisée pour des élevages en étangs. Les responsables des programmes d'irrigation, pour éviter au maximum les pertes par évaporation, ont de plus en plus tendance à éviter les canalisations et les réservoirs à ciel ouvert et à utiliser des tuyaux. En plus, l'utilisation d'eau douce pour la pisciculture pourrait rencontrer des objections de la part des populations locales.

Vu la demande actuelle pour le poisson d'eau douce, il n'y a pas de stimulants pour commencer des élevages de carpes ou de tilapias en cages. Néanmoins, étant donné les investissements relativement faibles requis par un élevage en cage, il pourrait être utile à long terme d'entreprendre quelques essais pilote d'élevage de tilapias et de carpes en cages. Le but de tels essais serait d'établir les productions possibles sous les conditions locales. Ces expériences pourraient être entammées dans les retenues collinaires Nacherine, Ben Otta ou Chaab ed Doud.

(ii) Les élevages semi-intensifs en eau saumâtre

Le sud tunisien abrite de grandes nappes phréatiques dont une partie est constituée d'eau salée. Il y a une variation de salinité et de température d'une nappe à l'autre. Quant la salinité est inférieure à 6 g de résidu sec/litre, l'eau peut encore servir à irriguer certaines cultures. Il y a cependant des forages dont les eaux ont une salinité supérieure à 6 g/litre et il est possible de les utiliser pour l'élevage de poissons, comme cela a été fait à la station expérimentale de l'Oued El Akarit (voir Annexe 15 pour une description de la station). Les essais d'élevage de mulets, de carpe commune et d'autres espèces (loups, daurades, etc…) qui y ont été menés depuis 1973, ont démontré que des étangs, alimentés par un puits artésien dont l'eau est trop salée pour l'irrigation (résidu sec supérieur à 6 g/litre), peuvent produire du poisson.

Bien que, depuis 1973, plusieurs essais d'élevage de mulets et de carpes communes, ont été réalisés à la station El Akarit, aucun de ces essais n'a été suivi de manière à obtenir toutes les données indispensables pour évaluer la rentabilité économique de ces élevages et leur faisabilité technique.

Néanmoins, la mission considère que l'élevage semi-intensif des mulets en étangs (mono et polyculture) dans une installation telle qu'El Akarit pourrait vraisemblablement se justifier. Les essais prévus a la station (voir annexe 15) fourniront les données techniques et économiques indispensables à une évaluation économique de ce type d'élevage.

3.7.4.3 Les élevages intensifs

Nous ne considérons ici que les élevages en raceways avec des changements d'eau pouvant parfois atteindre plusieurs renouvellements par heure. Cette technologie d'élevage permet dans les cas les plus extrêmes, de contrôler complètement l'environnement (température et volume de l'eau, recyclage, épuration, etc…) mais nécessite en revanche une alimentation complète des poissons élevés.

Les possibilités d'élevages en raceway ne dépendent pas, comme pour des élevages en étangs ou en enclos, des qualités du sol (imperméabilité, fertilité, etc…) mais uniquement de la quantité et qualité d'eau disponibles. Il en résulte que l'on peut installer des raceways dans de nombreux endroits.

En Tunisie, les élevages en raceways pourraient présenter un intérêt dans les zones où l'approvisionnement en poisson de mer n'est pas assuré régulièrement, comme c'est le cas dans les oasis du sud tunisien. Dans ces sites, l'installation de raceways permettrait la mise en valeur de forages existants, dont la salinité trop élevée rend l'eau impropre à la consommation humaine et à l'irrigation des cultures. Compte tenu de la salinité des eaux de ces forages, seules des espèces telles que certains tilapia, les mulets et la carpe commune pourraient y être élevées.

En Annexe 12, section 5, se trouve une analyse économique d'une unité hypothétique de production intitulée: "Elevage de mulets dans des raceways alimentés à partir d'un forage. La production annuelle prévue pour cette petite unité est de 1 250 kg.

L'analyse démontre que cet élevage pourrait devenir économiquement intéressant. Le facteur décisif reste l'investissement. Dans les comptes de l'unité, les frais courants sont de l'ordre de 0,650 à 0,750 dinar tunisien par kilogramme. Ces frais varient peu avec la taille de l'opération. La clé de la rentabilité réside donc dans les frais fixes liés à des investissements. S'ils peuvent être maintenus au-dessous d'un certain niveau (disons aux alentours de 0,300 dinar tunisien par kilogramme produit) l'élevage devient alors économiquement valable.

La gestion d'une installation d'élevage en raceway nécessite des connaissances techniques concernant la reproduction des espèces cultivées, l'alimentation des poissons, les maladies, etc… C'est une technologie avancée qui n'est pas à la portée du petit paysan. Il en est de même, mais à un moindre degré, pour les élevages en bassins en béton. Comme il n'y a pas encore eu d'expériences dans ce domaine en Tunisie, la mission préconise l'installation d'une unité pilote qui serait gérée par l'Etat. Pour permettre de tester l'élevage en bassins en béton et en raceways, cette unité pilote devrait être implantée en un encroit tel que l'Oued El Akarit.

La mission n'a pu faire le relevé des forages en exploitation ou non exploités. Il n'est donc pas possible dans ce rapport de dire quelle pourrait être l'ampleur d'un programme d'élevage semi-intensif (en étangs) ou intensif (en raceways) basé sur l'utilisation de l'eau des forages.

Seulement dans la région de Tozeur, il y aurait une soixantaine de forages d'eau douce avec des débits de 4 à 4,5 m3/seconde (Essid Habib, comm. pers., 1982). Une partie de ces forages pourrait alimenter des petites piscicultures en raceways ou en bassins. Dans certains cas, on pourrait installer les exploitations piscicoles (raceways) juste à la sortie du forage et donc en amont des parcelles irriguées. Cette eau, après son passage dans les installations piscicoles, pourrait être récupérée, pratiquement en totalité, pour l'irrigation, à condition évidemment d'avoir une salinité inférieure à 3 – 6 g de résidu sec par litre.

La réutilisation de forages fermés pose certains problèmes. Selon Zebidi et El Batti (1980), la durée de vie moyenne d'un forage crépiné exploité est d'une vingtaine d'années, dans des conditions normales. Cependant, cet âge peut être plus réduit dans le cas de certaines eaux aggressives (nappes de Sfax, par exemple) ou chaudes (sud tunisien) ou encore, quand le forage a fait l'objet d'un captage défectueux à l'origine.

Quand un forage n'est pas exploité, ses performances se dégradent petit à petit, par colmatage, généralement des parties crépinées. Dans le cas d'une réutilisation d'un forage fermé, il est par conséquent nécessaire d'effectuer une auscultation préliminaire de l'ouvrage par un test de pompage pour vérifier les performances initiales. On pourra alors décider, soit de mettre le forage en exploitation, soit de procéder à des traitements. Une attention particulière sera réservée, dans ce cas, aux forages dont l'âge approche une vingtaine d'années, afin d'éviter de faire des interventions inutiles (Zebidi et El Batti, 1980).


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