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Les conséquences de l'érosion sur le site érode: les pertes de productivité

Le coût économique de l'érosion, sur le site même de l'érosion, peut s'exprimer en fonction de différents aspects.

LES PERTES DE SURFACE PRODUCTIVES ET LES AUTRES INCONVENIENTS POUR LA MISE EN VALEUR

Prenons l'exemple de la plantation d'ananas de la Salci à Ono, en Basse-Côte d'Ivoire. Le défrichement, puis le traitement motorisé d'une plantation industrielle de 1.000 ha a très vite posé des problèmes d'érosion qui furent jugulés par l'installation de pistes d'exploitation en courbes de niveau, de talus enherbés et l'alternance de bandes cultivées d'ananas d'âges différents et de pouvoir couvrant différent: il faut 6 mois pour que l'ananas couvre plus de 90 % du sol et le protège contre l'érosion. Mais, vers 1973, l'importation de Hawaï de nouvelles techniques de culture motorisées à partir d'une citerne avec un bras distributeur d'engrais, herbicides, nématicides, de 17 m de long, a nécessité la réadaptation de la plantation: suppression des talus et des chemins isohypses pour installer des bandes cultivées de 34 m de large, suivant plus ou moins les courbes de niveaux. Aussitôt, l'érosion ravinante s'est manifestée, interdisant le passage des gros engins sur des secteurs entiers retournant à la culture manuelle (peu rentable). L'estimation des surfaces perdues par érosion (ravines, déracinement de plants, enfouissement de plantes sous une couche de sable stérile, etc...) aboutit à un chiffre très supportable - à peine 2 % de perte de surface productive, mais la zone touchée, abandonnée par la motorisation est beaucoup plus importante, (70 ha rien que pour une ravine importante) et les retards à la production, se font sentir d'année en année. Une fois les rigoles tracées, les eaux de ruissellement repassent généralement par les mêmes chemins: les pertes en terre s'accélèrent donc avec le temps. Il est intéressant de noter que sur 1.000 ha de petites parcelles défrichées et valorisées manuellement par des petits planteurs africains, il n'y a jamais eu de problème d'érosion. La motorisation lourde réduit la capacité d'infiltration des sols, accentue le ruissellement qui se concentre sur les pistes avant de raviner les parcelles. Sous les tropiques, l'effet de l'érosion est très rapide, de l'ordre de 2 à 4 ans, alors qu'il faut 30 ans pour observer de telles réactions aux excès de la motorisation en Europe.

FIGURE 6

: Influence de l'érosion cumulée sur la productivité de sols de différents niveaux de fertilité (d'après Dregne, 1988)

Autre exemple. En Angleterre, Evans (1981) a étudié les manifestations de l'érosion sur une zone de 10 x 10 km au nord de Londres. Là encore, la surface touchée par l'érosion est modeste (2.9 %) mais concentrée en certaines zones du paysage: les fortes pentes cultivées par les paysans les plus pauvres. Ceux-ci, en effet, n'ont pas le choix de mettre au repos ou sous prairies permanentes, les fortes pentes bordant les plateaux loessiques: ils doivent assurer l'autosuffisance alimentaire ou tout au moins, des rentrées monétaires correspondantes. Or, les risques potentiels d'érosion sur ces fortes pentes, les dégâts en cas d'orages agressifs, sont bien plus grands que dans les terres de plateaux appartenant le plus souvent à des riches propriétaires. Il peut donc y avoir un lien entre les risques d'érosion, le niveau socio-économique des paysans, les terres fragiles et l'intérêt des paysans vis-à-vis de la lutte antiérosive.

LES PERTES DE RENDEMENT ET DE MARGES BENEFICIAIRES

Si les pertes de production (2 à 5 %) sont modestes et facilement compensées à l'échelle régionale par l'emploi de nouveaux intrants (engrais, drainage, mécanisation du travail du sol), la situation est bien différente pour un petit paysan. En effet, sur ces terres en pente forte, on peut trouver jusqu'à 10 % de surface perdue, 30 % de réduction de production et 50 % de baisse de revenus nets une fois les intrants remboursés. On observe donc que la marge bénéficiaire, celle qui est vitale pour sa famille, recule de façon très sérieuse. L'impact de l'érosion est donc plus important pour ce petit paysan qui va être marginalisé par manque de crédits, d'esprit d'initiative ou de savoir-faire. Il ne peut y parer, à moins de changer radicalement de système de production (production à haute rentabilité). Spirale d'appauvrissement pour les pauvres et recherche de solutions nouvelles pour ceux qui en ont les moyens !

LA DIVERSITE DES EFFETS DE L'EROSION SUR LA PRODUCTIVITE DES SOLS

Aux Etats-Unis, devant le coût du Service de Conservation des Sols et le faible impact de celui-ci sur les pertes en terre, on s'est demandé quelle a été l'influence de l'érosion sur la productivité des terres (justification du système de CES de Bennett). Sur les loess, sols profonds et homogènes sur plusieurs mètres, on a constaté que la productivité n'a guère diminué. Au contraire, car l'influence perverse de l'érosion (- 1 % de rendement) fut facilement compensée par l'apport de nouveaux intrants (Dregne, 1988) (figure 6). Par contre, les rendzines peu épaisses, les sols forestiers dont la fertilité est concentrée en surface et de nombreux sols tropicaux, perdent très vite leur capacité de production.

L'EROSION SELECTIVE DES PARTICULES FINES, DES NUTRIMENTS ET DES MATIERES ORGANIQUES

Si on compare la qualité des terres érodées et des eaux ruisselées recueillies à l'aval des parcelles d'érosion, au sol en place sur 10 cm et ceci en fonction du couvert végétal et de l'intensité des pertes par érosion (tableau 3), on observe (Roose, 1977):

- que les pertes en nutriments croissent parallèlement au volume ruisselé et érodé; les teneurs en nutriments décroissent moins vite que n'augmentent les volumes de terre et d'eau déplacés,

- on retrouve, proportionnellement, bien plus d'éléments nutritifs dans les eaux et les terres érodées que dans le sol en place (horizon: 10 cm); ceci est net pour le carbone, azote, phosphore, l'argile, les limons jusqu'à (50 microns) et encore plus flagrant pour les bases échangeables (14 à 18 fois plus sous culture); l'érosion en nappe est donc sélective vis-à-vis des nutriments et des colloïdes qui font l'essentiel de la fertilité des sols,

- la sélectivité de l'érosion en nappe est d'autant plus marquée que le volume érodé est faible, donc que l'on passe du sol nu à la culture et de la culture à la forêt.

TABLEAU 3 : Pertes sélectives par érosion en nappe sur une pente de 7 % à Adiopodoumé en fonction du couvert végétal (Côte d'Ivoire) (d'après Roose, 1977)


Erosion totale (kg/ha/an)

Indice de sélectivité par rapport au sol en place (10 cm)


Forêt

Culture

Sol nu

Forêt

Culture

Sol nu

Carbone total

26,4

855,6

2 725

12,8

2,1

1,5

Azote totale

3,5

98,3

259

22,5

3,1

1,9

Phosphore total

0,5

28,5

111

6,6

1,4

1,3

CaO échangeable

3,0

49,9

113

492

18,5

9,7

MgO échangeable

2,2

29,0

45

327

14,1

5,1

K2O échangeable

1,2

17,7

35

550

2,4

1,1

Na2O échangeable

0,6

9,5

15

849

15,4

5,6

CaO total

3,7

57,1

139

216

8,8

5,0

MgO total

2,3

39,0

78

60

5,8

2,7

K2O total

1,3

35,1

87

18

1,7

1,0

Na2O total

0,6

12,6

27

49

3,2

1,6

Argile 0-2 microns

64,5

5 142

18 275

5,9

1,2

1,1






1,5

1,2

Limons 2-50 microns

33,8

2 179

7 115

7,7

2,5

1,9

Sable fin 50-200 microns

1,7

5 174

23 135

0,1

0,6

0,6

Sable grossier 200-2000

0

19 305

89 375

0

0,9

0,9






1,1

1,2

Erosion total t/ha

0,11

32

138




Ruissellement m3/ha

210

5 250

6 300




• On observe d'abord que la somme des produits érodés est inférieure à l'érosion annoncée en bas de tableau puisqu'on n'a pas affiché les valeurs de Fe2O3, Al2O3 et SiO2 (argiles), ni surtout celle du résidu insoluble au triacide (sables quartzeux).

• La croissance des pertes chimiques est presque parallèle à celle des pertes en terre: elle est donc fonction inverse du couvert végétal. Les concentrations en éléments nutritifs dans les substances érodées baissent quelque peu lorsque l'érosion croît, mais cette diminution est sans commune mesure avec l'augmentation des pertes en eau et en terre.

• L'érosion ayant des répercussions à court et moyen terme, il faut distinguer les éléments nutritifs directement assimilables (échangeables) de ceux inclus dans les réserves minérales.

• La migration du carbone et du phosphore se fit essentiellement sous forme solide (terre de fond et suspension). Par contre, la migration de l'azote, des bases totales et surtout des bases assimilables, se fait exclusivement en solution.


Ceci s'explique aisément de deux manières (figure 7). D'une part, la compétence du ruissellement en nappe est faible car la vitesse de celui-ci est ralentie par la rugosité de la surface du sol, des tiges, des racines découvertes et de la litière. Le ruissellement en nappe ne peut évacuer que des matières légères, des matières organiques, les argiles et limons auxquels sont liés la majorité des nutriments. D'autre part, les sols forestiers, et dans une moindre mesure, les sols de savane, accumulent en surface des matières organiques et des nutriments. Les pluies battant la surface de ces sols, ce sont les premiers millimètres, les plus riches, qui sont érodés les premiers. Plus l'érosion croît, plus elle provient de rigoles et de ravines, plus les horizons profonds, plus ou moins pauvres, sont concernés, de telles sorte que les terres décapées sont moins sélectivement enrichies que si l'érosion est aréolaire.

LE COUT DES PERTES EN NUTRIMENTS

Un autre aspect des pertes économiques par l'érosion consiste à calculer la quantité d'engrais et leurs coûts, pour compenser les pertes en nutriments par érosion. Ceci a été calculé par Roose (1973 et 1977) en Basse-Côte d'Ivoire. Sous forêt dense humide secondarisée, les pertes chimiques par érosion sont faibles: 26 kg/ha/an de carbone + 3,5 kg d'azote + 0,5 kg de phosphore, et quelque kg/ha/an de bases. Ces pertes sont facilement compensées par les remontées biologiques (litières) et les apports de nutriments dans les eaux de pluie.

Par contre, sous culture extensive couvrant assez mal le sol, les pertes (kg/ha/an) en nutriments par érosion s'élèvent à 98 kg d'azote, 57 kg de chaux, 39 kg de magnésie et 29 kg de phosphore et de potasse. S'il fallait compenser ces pertes par des apports d'engrais, il faudrait 7 tonnes de fumier frais, 470 kg/ha de sulfate d'ammoniaque, 160 kg de superphosphate, 200 kg de dolomie et 60 kg/ha/an de chlorure de potasse. Pas étonnant dans ces conditions, que les sols de Basse Côte d'Ivoire soient épuisés après 2 années de culture traditionnelle, d'autant plus qu'il faut y ajouter les exportations par les récoltes et les pertes par drainage (800 mm par an).

Plus tard, Stocking (1986), se basant sur les données d'analyse des terres et des eaux recueillies sur parcelles par Hudson dans les années 1960, et sur la carte d'occupation des sols actuelle au Zimbabwé, a calculé que le pays perdait chaque année, 10.000.000 tonnes d'azote et 5.000.000 tonnes de phosphore du fait de l'érosion.

Heureusement, les nutriments qui sortent des parcelles ne sont pas définitivement perdus pour le pays: ils peuvent être récupérés sur les parcelles situées en aval, nourrir les poissons ou provoquer l'eutrophisation des rivières et des lacs ou encore se retrouver sur les riches terres alluviales ou colluviales. Il n'empêche qu'avant de mettre à exécution un projet de fertilisation minérale des champs, il faut d'abord prévoir l'arrêt des pertes par érosion, qui déséquilibrent terriblement le bilan chimique des sols cultivés (Roose, 1980; Roose, Lelong, Fauck et Pédro, 1984).

LES PERTES DE PRODUCTION DUES AU RUISSELLEMENT

La production de biomasse, dans les pays chauds temporairement arides, dépend de la fertilité du sol, mais encore plus de l'eau disponible au moment où la plante cultivée en a besoin.

FIGURE 7 : La sélectivité, danger de l'érosion en nappe

L'EROSION EN NAPPE EST DANGEREUSE, car:

• on la distingue mal: même si E = 12 t/ha/an = 1 mm de sol, elle est < à la respiration naturelle du sol;
• elle réduit très fort la capacité d'infiltration des sols (croûte de battance);
• elle enlève sélectivement les particules fines et légères (mat. organique, A + Lf).

DEUX RAISONS DE LA SELECTIVITE DE L'EROSION EN NAPPE:

1° L'énergie du ruissellement en nappe est trop faible pour déplacer les particules grossières: à cause de la rugosité de la surface du sol, la vitesse et la compétence du ruissellement en nappe restent faibles. Seuls les matières organiques, les argiles, les limons et les nutriments qui leurs sont associés quittent la parcelle; les sables rampent à la surface du sol et forment les sols colluviaux en bas de versant. Si l'érosion s'accélère, apparaissent des rigoles où l'érosion n'est plus sélective.

2° La surface du sol est généralement plus riche en matière organique, surtout sous forêt

figure

TROIS CONSEQUENCES:

1° Déséquilibre accéléré du bilan des nutriments (voir tableau 4);

2° Déséquilibre accéléré des matières organiques, d'où la dégradation de la structure, de la macroporosité et de la capacité d'infiltration

3° Squellettisation du sol par accumulation relative des particules grossières à la surface du sol.

CONCLUSION

L'érosion en nappe accélère la dégradation physique, biologique et chimique des horizons superficiels des sols cultivés.

Or, si on calcule, ne fut-ce que grossièrement, le bilan hydrique (Roose, 1980 ou Somé, 1990), on constate qu'en zone sub-équatoriale, le développement d'un ruissellement de 25 (ruissellement fréquent sous céréales, manioc et autres cultures vivrières) entraîne une réduction du volume d'eau qui draine au-delà des racines. Il y a donc une certaine compensation entre les pertes de nutriments par ruissellement et par drainage, mais on constate bien peu d'effets du ruissellement sur l'évapotranspiration réelle, la production de biomasse et les rendements des cultures.

Par contre, en zone semi-aride (pluie inférieure à 700 mm/an), le même pourcentage de ruissellement effectivement observé sous cultures vivrières et sous coton, entame non seulement la possibilité de drainage (donc l'alimentation des nappes), mais réduit également l'évapotranspiration réelle et donc le potentiel de production de biomasse (figures 8 et 9).

Dans la réalité quotidienne en zone aride, l'effet dépressif du ruissellement sur la production est encore plus grave si, du fait du ruissellement, l'eau stockée dans le sol vient à manquer en début de cycle de culture (retard des semis), en cours de floraison (peu d'épis fécondés) ou en fin de cycle (remplissage imparfait des grains) à cause d'une mauvaise maîtrise du ruissellement et du stockage de l'eau dans le sol (Nicou, Somé, Ouattara, 1989). En zone soudano-sahélienne, il faut souligner l'impact du ruissellement lors des premiers orages de début de saison des pluies qui nettoient la surface du sol des résidus organiques et des déjections animales accumulées tout au long de la saison sèche. Ces pertes d'éléments organiques entraînent une baisse notable de la productivité des terres sur les grands glacis des zones soudano-sahéliennes.

Un autre effet du ruissellement, général quel que soit le climat, c'est de réduire le temps de concentration des eaux pluviales, d'augmenter les débits de pointe (donc les transports solides et les dimensionnements des ouvrages) et de réduire les débits de base des rivières, en particulier en saison sèche où l'on a besoin de l'eau pour irriguer.

Les hydrologues, qui recherchent souvent des bassins à forte hydraulicité (c'est-à-dire, à fort écoulement après chaque pluie) pour alimenter les lacs, les réservoirs d'eau ou les villes, ont un point de vue très différent des agronomes qui recherchent pour leur part une meilleure infiltration, la meilleure évapotranspiration réelle pour assurer la meilleure production végétale. Hydrologues et agronomes sont par contre d'accord, pour rechercher des eaux claires et une distribution la plus étalée possible des débits tout au long de l'année, ce qui est conforme avec les principes d'un bon aménagement. Cependant, dans les zones arides, il faut quelquefois sacrifier certaines surfaces de versants servant d'impluvium pour assurer la croissance des cultures sur des surfaces restreintes (runoff farming) (Critchley, Reij, Seznec, 1992).

En conclusion, la lutte contre le ruissellement a des conséquences différentes selon le bilan hydrique (tableau 4). En région humide, la réduction du ruissellement entraîne une légère amélioration de l'ETR, mais surtout une augmentation du drainage, donc des risques de lixiviation - et du débit de base et d'étiage des rivières. Pour augmenter l'ETR, on peut faire appel à l'agroforesterie.

En zone semi aride (moins de 700 mm de pluie), la réduction du ruissellement augmente le stock d'eau disponible pour l'ETR et donc, la production de biomasse (et de rendement).

FIGURE 8 :

Schéma de bilan hydrique pour la région soudano-sahélienne de Ouagadougou (Burkina Faso)

TABLEAU 4 : Schéma de bilan hydrique moyen pour la région de Ouagadougou, savane soudano-sahélienne (d'après Roose 1980)

Mois

Pluie

ETP

Ruiss.

ETR (mm)

Drainage (mm)


(mm)

(mm)

(mm)

(1)

(2)

(1)

(2)

Janvier

0

187

0

0

0

0

0

Février

0

188

0

0

0

0

0

Mars

1

216

0

1

1

0

0

Avril

19

178

0

19

19

0

0

Mai

81

155

2

79

79

0

0

Juin

116

136

3

113

113

0

0

Juillet

191

129

5

129

129

57

0

Août

264

116

7

116

116

141

4

Septembre

151

126

4

126

126

21

21

Octobre

37

149

0

37

149

0

0

November

0

165

0

0

82

0

0

Décembre

0

160

0

0

0

0

0

Total

860

1

905 21

620

814

219

25

%

100

222 2,5

72

94,6

25,5

2,9


(1): brut
(2): corrigé

LA REDUCTION A LONG TERME DU POTENTIEL DE PRODUCTION DU SOL PAR L'EROSION

Le ruissellement et l'érosion peuvent avoir une influence néfaste immédiate sur les rendements des cultures en place. Ils peuvent aussi modifier progressivement les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques du sol (par érosion sélective des éléments les plus fertiles) et réduire les potentialités à long terme de certains sols, en particulier des sols peu épais (faible capacité de stockage de l'eau et des engrais) et des sols forestiers (dont la fertilité et les activités biologiques sont concentrées dans les horizons superficiels). On peut se demander s'il est possible de restaurer la productivité de ces sols en augmentant simplement la dose d'engrais (coût de la restauration des sols).

Au Nigéria, Lal (1983) a abordé le problème de l'impact de l'érosion sur la productivité d'un alfisol à la station IITA près d'Ibadan de trois façons:

- Sur 24 parcelles d'érosion (125 m2) de 1-5-10 et 15 % de pente, soumises à différents traitements de 1971 à 1976, il a mesuré différents niveaux d'érosion cumulée et calculé l'influence dépressive de l'érosion sur les caractéristiques de l'horizon superficiel, en particulier pour le carbone, l'azote, le phosphore assimilable, le pH et la porosité totale. L'analyse par régression multiple de l'effet de trois propriétés du sol sur les rendements en grain du maïs indique que les changements de caractéristiques du sol apportés par l'érosion ont un effet significatif sur les rendements en maïs.

Le rendement en grain de maïs (t/ha) diminue avec l'érosion cumulée (E en t/ha), mais augmente avec le taux de carbone organique (Co en %), la porosité totale (Po en %) et la capacité d'infiltration (Ic en cm/heure).

Cette régression semble montrer que la réduction de productivité du sol due à l'érosion peut être compensée essentiellement par l'apport de matières organiques et, secondairement, par des techniques culturales qui améliorent la porosité (la capacité de stockage de l'eau) et la capacité d'infiltration du sol.

- Après avoir obtenu des niveaux d'érosion variables sur les mêmes parcelles, Lal a suivi pendant quatre saisons culturales (1977-78) les rendements d'un maïs soumis au même traitement cultural et à un niveau moyen de fertilisation (40 + 80 N + 26 P. + 30 K par ha).

Comme prévu, l'érosion la plus faible a été observée sur les parcelles de 1 % de pente. Mais, malgré le faible taux d'érosion, ce n'est pas sur la pente de 1 % qu'on a eu les meilleurs rendements, mais bien sur des parcelles de 5-10 et 15 % de pente.

En moyenne, la production de maïs en grain a diminué au rythme de 0,26 - 0,10 - 0,08 et 0,10 t/ha par millimètre de sol érodé pour les parcelles de 1 - 5 - 10 et 15 % de pente, respectivement. Le taux de réduction des rendements pour une pente de 1 % est donc 2 à 3 fois plus élevé que sur les pentes plus fortes qui sont plus sérieusement érodées. Ceci peut s'expliquer par le fait que le ruissellement augmente fort sur ces parcelles de plateau dont l'infiltration se dégrade plus vite par la battance.

Il semble qu'au-delà du seuil de quatre millimètres (60 t/ha) d'érosion cumulée en six ans, les rendements en maïs diminuent rapidement. Le taux de tolérance serait donc de l'ordre de 10 t/ha/an d'érosion pour ce type de sol, mais il est difficile de généraliser car les taux de réduction de la productivité, en fonction de la diminution d'épaisseur du sol auraient pu être plus forts si on avait connu plus de stress hydrique pendant ces quatre campagnes agricoles.

- Pour accélérer les expériences, Lal a tenté de décaper mécaniquement la surface de parcelles de 1 % de pente situées juste à côté des parcelles d'érosion sur un sol ferrallitique sur nappe gravillonnaire vers 25 cm (paleustalf) en jachère arbustive depuis 15 ans.

FIGURE 9 :

Evolution du bilan hydrique sous végétation naturelle en fonction du climat (d'après Roose, Lelong et Colombani, 1983)

NOTES CONCERNANT LA FIGURE 9:

EFFETS DE LA LUTTE CONTRE LE RUISSELLEMENT EN FONCTION DU BILAN HYDRIQUE

EN ZONE SEMI-ARIDE

Du point de vue agronomique:

• augmentation

du stock d'eau disponible pour les plantes
de l'évapotranspiration réelle des plantes
de la biomasse et éventuellement ... des rendements

Du point de vue hydrologique:

• réduction

des débits de pointe des rivières
de l'écoulement total annuel
des transports solides

• stabilisation des ravines et des rivières

EN ZONE HUMIDE

Du point de vue agronomique:

• augmentation modeste du stock d'eau du sol disponible pour les cultures, de l'ETR, de la biomasse et des rendements

• augmentation importante des risques de drainage et de lixiviation des nutriments

• nécessité d'intensifier l'ETR (agroforesterie et cultures associées) pour éviter la lixiviation des nutriments et l'acidification du sol

Du point de vue hydrologique:

• réduction des débits de pointe de crues
• stabilisation des ravines et des rivières
• réduction des transports solides, mais
• augmentation des débits de base des rivières, des débits d'étiage ... et de l'eau utile

EN CONCLUSION:

L'amélioration de l'infiltration au champs sera d'autant mieux appréciée par les paysans qu'elle permet en zone semi-aride d'améliorer la production de biomasse.

Elle doit s'accompagner d'une intensification de la culture et d'une saine gestion des nutriments, surtout en zone humide (P > 1000 mm).

FIGURE 10 :

Rendement en mais grain pour différentes épaisseurs de décapage et trois niveaux d'apport azoté (station IITA d'Ibadan) (d'après Lal, 1983)

FIGURE 11

: Production de maïs grain en fonction du niveau de décapage mécanique et de la fertilisation minérale en vue de la restauration de la productivité (2ème récolte) (d'après Yost, El-Swaify, Dangler et Lo, 1983)

Le sol a été décapé sur 0 - 10 et 20 cm et soumis à trois niveaux de fertilisation (N = 0 -60 -120 kg/ha et P = 0 - 25 et 75 kg/ha) selon un dispositif "split plot": tous les traitements furent répétés trois fois et le maïs a été cultivé sans travail du sol.

L'analyse de la variance montre que le décapage a un effet dépressif significatif sur la hauteur des plants, la teneur en nutriments des feuilles et les rendements en grains et biomasse. Ce qui est assez surprenant, c'est que l'effet de l'apport d'azote n'est observable que sur les parcelles qui n'ont pas été décapées, ce qui implique que l'érosion accélérée peut réduire la productivité des sols peu profonds de façon irréversible (interaction négative de l'érosion sur les effets de la fertilisation minérale).

De plus, le taux de réduction de production en grain (0,13 et 0,09 t/ha/cm) et en paille (0,16 et 0,12 t/ha/cm de sol décapé) est nettement plus élevé pour le décapage des premiers centimètres de l'horizon superficiel et le serait sans doute encore plus, si on avait décapé moins de 10 cm à la fois.

L'apport d'azote et de phosphate a eu des effets positifs sur les teneurs en ces éléments dans les feuilles des plantes cultivées. Si le rendement en grain n'a pas augmenté de façon économique, c'est que d'autres facteurs ont été limitants, en particulier, la porosité, la structure et la capacité de stockage de l'eau des horizons profonds exposés à la battance des pluies.

Si sur un même sol peu profond on compare les pertes de productivité par décapage artificiel (0,013 t/ha/mm) et par érosion naturelle (0,26 t/ha/mm), on constate que les effets de l'érosion naturelle en nappe sont 20 fois plus graves que le simple décapage mécanique car l'érosion en nappe évacue sélectivement les éléments les plus fertiles: les matières organiques, les argiles et limons et les nutriments les plus solubles.

Lal en conclut que les études sur "parcelles décapées" ne donnent que des indications relatives sur les effets de l'érosion sur la productivité des sols, surtout s'ils sont superficiels (figure 10).

Un autre exemple a été donné sur un oxisol (tropeptic eutrustox, kaolinitic clayey) récemment défriché sur l'île de Oahu (Hawaï) (Yost, El-Swaify, Dangler et Lo, 1983). Les études préliminaires ont montré que ce sol avait une forte concentration de la fertilité dans les dix premiers centimètres ainsi que dans un horizon compact vers 35 cm. Il fut donc décidé d'évaluer l'effet néfaste du décapage des dix premiers centimètres et d'exposer le sous-sol aux caractéristiques physiques défavorables. Les trois traitements (décapage de 0 10 et 35 cm) furent restaurés avec trois niveaux de fertilisation (0 %, 50 % et 100 % des besoins pour atteindre la production maximale) (figure 11).

TABLEAU 5 : Trois niveaux de fertilisation sur des sols dégradés

Fertilisation Fo

N

P

K

Mg

Zn

Mo

chaux (kg/ha)

F1

110

50

0

20

5

1

0

F2

220

450

250

100

10

2

3 500

Les résultats montrent que le sol (oxysol) a un potentiel beaucoup plus élevé (11 t/ha) que celui d'Ibadan (alfisol) et la fertilisation (surtout N et P) a une influence très nette sur presque toutes les situations. Cependant, les rendements diminuent très fort lorsqu'on décape 35 cm de sol, probablement parce que le réseau racinaire s'est mal développé dans ce cas extrême.

Sans engrais (Fo), le rendement a chuté de moitié pour un décapage de 10 cm et de 9/10ème pour le décapage de tout l'horizon humifère. On retrouve l'existence d'un seuil au-delà duquel les rendements chutent brutalement, même si on ajoute des doses importantes d'engrais (110 N + 50 P) (tableau 5).

Le coût de la restauration du sol fortement décapé devient non économique (220 N + 450 P + 250 K + 3 500 CaO), car les propriétés physiques du sous-sol sont peu adaptées à la croissance des racines et le taux de fixation du phosphore par le sol est très élevé. L'impact économique de l'érosion est particulièrement important lorsque la restauration du sous-sol exige un fort investissement en phosphate et en chaux, syndrome fort fréquent dans les sols tropicaux.

Ces deux expériences, sur des sols tropicaux de niveau de productivité très différente, montrent bien à quel point l'érosion en nappe, peu apparente sur le terrain, peut avoir un impact grave à long terme sur la capacité de production des terres. Même si l'effet est modeste chaque année, cet effet dépressif s'accumule au cours du temps pour se manifester brutalement lorsque certaines propriétés du sol ont dépassé certains seuils de tolérance. Il s'agit:

- du taux de matières organiques (0,6 % selon Pieri, 1989) et d'argile (10 %),
- de la stabilité structurale et de la capacité d'infiltration,
- de la capacité de stockage de l'eau et des nutriments.

Un sol dégradé par l'érosion en nappe est un sol "fatigué" qui réagit peu aux apports d'engrais minéraux. C'est le cas des sols ferrallitiques peu profonds sur cuirasse ou nappe gravillonnaire et des sols à horizons compacts à faible profondeur.

Tous les sols cependant, ne sont pas des "ressources naturelles non renouvelables" ! On a vu au chapitre 2, à la section La restauration des sols et la réhabilitation des terres, qu'en respectant un ensemble de six règles (pas seulement l'apport d'engrais minéraux), il est possible de restaurer rapidement la fertilité de bon nombre de sols suffisamment profonds. Mais la restauration des sols a un prix d'autant plus élevé qu'on a tardé à protéger le sol: il s'agit de travailler le sol en profondeur, d'y apporter des matières organiques fermentées, des engrais et amendements, d'envahir la porosité induite par une abondante biomasse... et de protéger le sol contre le ruissellement.

Enfin, dans le cas très particulier des vieux sols ferrallitiques acides et complètement désaturés (ultisols), on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux accélérer leur érosion pour améliorer leur productivité. Mais à quel prix ! Il faut en effet considérer l'impact d'énormes quantités de matériaux stériles qui encombreraient les plaines plus riches et prévoir un investissement important pour restaurer la fertilité des sols rajeunis. Des expériences de formation de terrasses en gradin sur les flancs des collines du Rwanda ont montré que rien ne poussait sur ces terres remaniées jusqu'à l'horizon B sans un apport massif de fumier (30 t/ha) combiné à des amendements calcaires (3 t/ha de chaux tous les deux ans) et une fertilisation minérale complémentaire (50 N + 50 P + 50 K) (Rutonga, 1992).

L'érosion a donc une action sur le potentiel de production d'un sol. On constate, dans le cas de ce sol ferrallitique désaturé (alfisol), que si ce sol a été érodé, il n'est plus capable de stocker l'eau et les nutriments pour les fournir à la culture avec un débit suffisant en temps opportun. De même, il a perdu une partie des éléments biogènes contenus dans l'horizon humifère: la mise en disponibilité des éléments nutritifs contenus dans le sol par les microorganismes s'effectue mal ou plus lentement. Enfin, l'enracinement est rarement suffisant dans le sous-sol lorsqu'on a décapé l'horizon humifère.


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