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Les critères de succès des projets de conservation des sols

Au Séminaire de Porto-Rico en 1987, l'ensemble des 136 participants, chercheurs et développeurs ayant tous une expérience de conservation des sols en région tropicale à pente forte, ont discuté longuement des raisons de succès des projets de conservation des sols (Sanders, 1988; Hudson, 1991). Nous présentons ici nos conclusions intégrant d'autres expériences (Critchley, Reij, Seznec, 1992).

- Pas de recette universelle. Si les règles de conservation de l'eau et de la fertilité des sols sont valables partout, les conditions écologiques combinées aux conditions socio-économiques sont si variables qu'il faut bien se garder de vulgariser des recettes universelles. Il convient d'une part, d'étudier l'efficacité, le coût et les limites de chaque technique, ensuite de définir pour chaque pays des régions où les conditions écologiques sont globalement homogènes, et enfin, de proposer une palette de solutions en fonction des conditions locales de pente, de régime foncier, de possibilités économiques, de formation des chefs d'exploitation, de disponibilité en main-d'oeuvre et en matériaux.

- Tenir compte des priorités immédiates des paysans: augmenter la production, la sécurité, les revenus et le niveau de vie, valoriser le travail. Si la conservation des sols n'est conçue qu'en fonction des problèmes posés par les dégâts causés par les sédiments ou les inondations à l'aval, le paysan des hautes vallées ne se sentira pas concerné: l'Etat devra intervenir et prendre en charge l'équipement hydraulique rural. La conservation des eaux et des sols exige un rude effort pour structurer le paysage, gérer les eaux de ruissellement, modifier les techniques culturales et entretenir au fil des années les aménagements. Si les paysans remarquent que les terres continuent à se dégrader (par minéralisation des matières organiques et battance des pluies) et les rendements des cultures à décroître, ils vont vite renoncer à étendre, voire même à entretenir, les dispositifs antiérosifs qui exigent tant d'effort sans rien rapporter. Il est donc nécessaire de proposer des systèmes peu coûteux, efficaces pour gérer l'eau, mais aussi associés à un ensemble de techniques capables d'améliorer substantiellement les récoltes et les revenus nets des paysans, de réduire les risques ou de simplifier le travail (nouvelles cultures plus rentables, marché où vendre à des prix intéressants, graines sélectionnées, engrais, herbicides, pesticides). Les sols étant le plus souvent déjà pauvres et mal structurés, il faut prévoir la restauration rapide de sa fertilité (enfouir des matières organiques fermentées pour améliorer la structure, reconstituer son système poreux, améliorer sa capacité d'infiltration et de stockage de l'eau et des nutriments, corriger le pH et les carences du sol signalées par les plantes, nourrir la plante directement à son rythme si le sol a une capacité de stockage réduit, favoriser leur enracinement profond) en même temps, réduire au maximum les pertes d'eau et de nutriments par érosion et/ou par drainage profond.

- S'appuyer sur les méthodes traditionnelles: Trop souvent méprisées, il faut les étudier, évaluer leur variabilité d'un paysan à un autre, leurs limites, leurs potentialités économiques, les améliorations. On peut même en tirer des conclusions sur le milieu écologique, le bilan hydrique, les risques majeurs (en année très sèche ou en cas d'averses diluviennes). En effet, le paysan traditionnel ne peut se permettre le luxe de rater complètement une récolte: il intègre donc le fonctionnement du paysage en période exceptionnelle (Roose, 1990).

- Des programmes à long terme avec une grande flexibilité. Comme il s'agit de faire naître un changement profond de comportement (l'érosion n'est pas une fatalité, mais le résultat d'une gestion imprudente), il faut du temps pour convaincre, du temps pour mettre au point les techniques, du temps pour former les futurs responsables des communautés rurales. Déjà, certains financiers admettent qu'on ne peut exiger les mêmes taux de rentabilité immédiate ni la même durée des projets en vue d'améliorer l'environnement: il faudra encore faire admettre aux équipes d'évaluation qu'il est difficile de fixer une programmation de chaque opération alors qu'on ne peut savoir a priori, quelle est la combinaison de solutions partielles (le paquet technologique) qui remportera l'agrément de la population. De même, il suffit d'une campagne déficitaire en pluie pour retarder l'avancement du projet. Il faut donc prévoir des relais de financement et des rythmes différents d'évaluation pour les paysans et les techniciens locaux et d'autre part, pour les experts internationaux.

- Des projets modestes s'étendant progressivement (reproductibilité). Comme il est indispensable que la communauté rurale prenne en charge son environnement, il est plus sage de commencer modestement par des actions simples d'intensification de la production et de progresser en fonction de la participation paysanne à tous les stades de la mise au point de techniques, à leur réalisation, à leur évaluation, leur entretien et leur généralisation sur un versant, un terroir, une colline ou un petit bassin versant.

- La nécessité d'une sécurité foncière: un paysan qui loue sa terre n'est pas sûr de la garder, une fois aménagée ! Craignant une tentative d'appropriation, son propriétaire peut la lui reprendre, quitte à la louer plus cher à un concurrent. C'est un des graves problèmes posé par le développement des pratiques agroforestières.

Ce point de vue fut clairement démontré en Haïti lors d'une enquête sur un petit bassin près de Jacmel où les paysans choisissent d'améliorer d'abord le Jardin A, terre en bon état, bien couverte par un jardin multiétagé, entouré d'une haie protégeant du vol, la maison et les récoltes d'une terre en pleine propriété. Ce n'est que plus tard que les paysans ont accepté de s'occuper des terres les plus dégradées, exploitées sans aucun aménagement car louées à des propriétaires absentéistes.

En d'autres lieux (Yatenga au Burkina), on s'est aperçu que les cordons de pierres ou d'herbes et les arbres plantés en bordure des propriétés servaient bien plus, dans l'optique des paysans, à confirmer leur droit de propriété et à gérer l'eau et les nutriments qu'à protéger le sol contre l'érosion. Sans un accord avec le propriétaire, il est rare qu'un paysan soit motivé pour aménager une terre louée.

- S'appuyer sur les structures existantes. Créer une nouvelle structure entraîne le risque de ne pas écouter suffisamment les populations locales, méconnaître les coutumes et voir les dispositifs antiérosifs abandonnés à la fin du projet. Mieux vaut choisir soigneusement des ONG, des organisations locales et renforcer des structures ministérielles existantes (véhicules, formation des cadres, moyens de progresser par eux-mêmes): c'est le prix à payer pour assurer la durabilité des effets d'un projet.

- Tenir compte des systèmes de production locaux et des contraintes familiales. Il s'agit souvent, dans un premier temps, de comprendre l'organisation économique, sociale et politique d'un groupement paysan (village, quartier, etc...) d'en saisir les contraintes (disponibilité en travail, en énergie, en fumier, en intrants, possibilité de vendre les excès de production sur le marché ou de les transformer: élevage, artisanat, commerce).

Les femmes constituant plus de 50 % des actifs sur les chantiers de CES, il faut donc prévoir leur formation dans des groupements féminins. Il faut analyser les stratégies traditionnelles de gestion de l'eau, de la fertilité des terres, de la protection contre l'érosion ou l'acidification, choisir des représentants des groupes de paysans pour transmettre les messages, former les communautés, les entraîner progressivement à introduire des innovations techniques sans créer de tension entre des paysans "progressistes modèles" (souvent trop aidés pour rester représentatifs) et la masse des paysans prudents ou méfiants, suite à des expériences malheureuses.

- Intervenir à la fois sur l'agriculture, l'élevage et la production d'arbres. En général, les paysans s'intéressent d'abord à la production de plantes vivrières (pour assurer leur sécurité alimentaire), ensuite à l'élevage (c'est leur caisse d'épargne, leur réserve de liquidité en cas de besoin). A part les arbres fruitiers, les arbres ne sont pas cultivés: ils sont considérés en milieu traditionnel, comme un don de la nature que l'on exploite à mesure des besoins. La propriété de la terre, du bois, des arbres et des fruits des arbres n'est pas forcément liée à la même personne. Il est des pays où le service des Eaux et Forêts délivre des permis d'exploitation aux seuls bûcherons reconnus qui exploitent les arbres en fonction du marché de l'énergie (bois de feux) ou de la construction (perches ou poutres) de la ville proche sans tenir compte du propriétaire de la terre. On comprend alors que les propriétaires soient réticents à planter des arbres s'ils ne sont pas sûrs de pouvoir les exploiter. Si "seul le bois coupé en fagots a un propriétaire", on comprend mieux la dégradation du couvert arboré en Afrique de l'Ouest, puisque n'importe qui peut couper la cime pour donner du fourrage à son troupeau !

De même, la mise en défens partielle et temporaire des terres communales en parcours pour régénérer les herbes pérennes et arbustes fourragers relève du défi puisque les villageois voisins risquent d'y envoyer leurs bêtes affamées. Mais lorsque la densité de la population est forte ainsi que la pression foncière élevée, il vient un temps où les paysans comprennent que depuis qu'on a défriché tous les arbres, le microclimat est devenu plus sec, les dégâts par ruissellement plus importants (ravines) et l'eau devient une denrée rare en saison sèche. Mais pour pouvoir réintroduire les arbres (haies vives, lignes de contours, vergers), il faut maîtriser la divagation du bétail et mettre au point un système d'élevage plus intensif (stabulation à mi-temps avec parcours réduit au chemin de l'abreuvoir, à l'entretien des pistes et des forêts, au piquet sur les jachères). L'apport de litière sous les animaux, l'appoint en fourrage (résidus de culture) et en compléments minéraux exige certes, plus de travail, mais rentabilise mieux l'élevage (moins de perte, meilleure santé, viande de meilleure qualité), valorise la biomasse dispersée et améliore la production de fumier (en qualité et en quantité... jusqu'à 5 tonnes de fumier composté/exploitant/hectare/an au Rwanda et Burundi).

Les aménagistes traditionnels ont tendance à définir clairement les zones réservées à la culture, à l'élevage ou aux forêts. Or, il faudrait profiter des interactions positives entre les arbres, les cultures et l'élevage. Le bétail profite autant des résidus de culture que du parcours, en particulier dans les zones forestières. En zone méditerranéenne, les zones forestières ont besoin des troupeaux pour réduire les risques d'incendie en broûtant le sous-étage buissonnant. Par ailleurs, les arbres profiteraient bien d'une association avec les cultures: ils se développent mieux sur les sols profonds cultivés et sarclés que sur les sols épuisés trop dégradés pour rentabiliser une culture (voir les bois de village souvent très mal exploités car personne ne sait à qui appartient le bois). Les cultures ont besoin du fumier et en particulier de l'azote, du phosphore et autres nutriments prélevés sur un large territoire et rejetés par les animaux en stabulation (ou en parc de nuit). Les arbres peuvent favoriser les cultures, apporter de la litière, recycler les nutriments perdus en profondeur, réduire la vitesse du vent et les risques d'érosion éolienne. Si donc chaque terrain à une vocation principale, il faut valoriser toutes les interactions positives entre ces trois pôles de l'agriculture.

- Les subsides, l'aide alimentaire, les salaires. Il est maintenant admis que les incitations, les dons de nourriture, d'outils, de salaire, etc... toute gratification en échange d'une participation à un projet d'aménagement soient limités car ils entraînent souvent le désintérêt des participants dès que l'aide disparaît. En tous cas, sur les terres privées qui bénéficient de l'aménagement, l'aide doit être réduite au minimum (des engrais, des arbres et graines sélectionnées) et supprimée dès que les partenaires sont convaincus de leur efficacité. Cependant, il est des milieux très ingrats (Sahel), des familles nombreuses dépourvues de terres, des jeunes à la recherche de travail, pour lesquels le paiement d'une forme de salaire est indispensable si l'on a besoin de mobiliser une abondante main-d'oeuvre durant la saison sèche: sans cet apport indispensable à la survie du groupe, les adultes les plus capables émigrent à l'étranger pour valoriser au mieux leur travail - même dans ce cas, la gratification doit être réduite pour permettre aux participants de développer un sentiment de propriété vis-à-vis des aménagements au point qu'ils se sentent responsables de leur entretien, de leur respect. Par contre, il est bon de faciliter la tâche des paysans en fournissant à des prix subventionnés, des équipements leur permettant d'étendre plus vite les actions d'aménagement (pics, pelles, pioches, faucilles, engrais, brouettes, charrettes pour transporter les pierres).

- La formation des paysans et paysannes à des méthodes simples. Si on veut que les aménagements continuent à s'étendre une fois le projet terminé, il faut apporter un soin particulier au choix de méthodes simples, accessibles à tous les villageois après formation d'un de leurs délégués, sans aucun intrant que l'on ne puisse produire au village. Il faut que chacun puisse travailler sur sa terre à son rythme, quand il le veut.

Les projets introduisant du matériel lourd offrent la meilleure garantie d'un développement rapide des structures de DRS sur le terrain et d'un échec dès que le projet se termine (pas d'entretien par les paysans). En effet, cette approche court-circuite la phase de dialogue et les tests préliminaires d'évaluation de la faisabilité, de l'efficacité et de la rentabilité des méthodes chez le paysan.

- La conception des projets. Pour la préparation d'un projet, il passe actuellement deux à trois missions - trop pressées sur le terrain pour discuter avec les paysans de leurs problèmes et de leurs méthodes traditionnelles. Chaque mission rédige un rapport sans trop se préoccuper d'accumuler les informations récoltées par les précédents. Certains préconisent aujourd'hui de condenser les trois phases en une, de façon à ce que la même équipe ait le temps de bien s'insérer dans le pays et de récolter des informations de première main, directement sur le terrain.

- La recherche et le suivi-évaluation des projets. Il reste encore bien des points techniques à préciser dans le domaine de la lutte antiérosive, mais l'étude des interférences entre le milieu humain et les connaissances techniques (en particulier le coût économique de l'érosion) s'avère nécessaire. Les chercheurs ont malheureusement rarement les moyens de mettre en place des aménagements antiérosifs particuliers. Par contre, l'analyse diachronique d'aménagements plus ou moins anciens, le suivi et l'évaluation fréquente de nouveaux programmes peuvent cependant permettre de bien comprendre les contraintes techniques et humaines.

Etude de cas au Maroc: analyse socio-économique de la LAE dans le bassin du Loukkos

(d'après Omar Alaoui, 1992)

Une étude socio-économique des problèmes liés à la lutte antiérosive a été réalisée récemment dans le bassin du Loukkos par un bureau d'étude marocain (Agroconcept).

Voici, résumées, les principales conclusions relevées par un économiste de l'équipe:

LES RELATIONS THEORIQUES ENTRE LES ATTITUDES DES PAYSANS ET LES VARIABLES ECONOMIQUES

Aucune relation simple ne peut être dérivée théoriquement entre les attitudes des paysans et des variables économiques comme l'augmentation des prix, les subventions aux intrants, l'effet "risque" ou le mode de propriété. Seules, les enquêtes de terrain permettent de préciser l'effet de ces variables localement.

UNE ENQUETE DE TERRAIN SUR LES ATTITUDES DES EXPLOITANTS VIS-A-VIS DE LA DRS FRUITIERE

Importance du facteur local: les attitudes des chefs d'exploitation dans un même douar et dans un même finage sont assez homogènes. Sur 117 exploitants situés dans 22 douars enquêtés, 41 % des exploitants sont pour les banquettes fruitières, 48 % sont contre et 11 % sont neutres, mais à l'intérieur d'un même douar, la tendance est nette.

Pour expliquer cette attitude, les facteurs techniques (inadaptation des techniques, des espèces fruitières, des terrains) interviennent moins souvent que les facteurs liés à l'utilisation de l'espace (droit d'usage, propriétés, parcours, etc...).

L'Etat crée des structures physiques de lutte antiérosive. Par ailleurs, les paysans anticipent les actions futures de l'Etat: réduction des jachères, mise en culture de pâturages pour affirmer les droits de propriété, exploitation plus intensive des terres ou demande d'aménagements pour profiter des promesses de salaires.

LE COUT DE L'EROSION

Pertes potentielles en équivalent fertilisant:

680 DH/ha/an en 1978 au bassin du Tleta, soit 510 FF ou 100 US dollars (en mai 1992)

Les processus d'érosion opèrent par sélectivité décroissante des éléments les plus riches des sols. D'où on peut admettre avec les pédologues que:

Rt = le rendement de l'année en t/ha,
Ro = le rendement initial,


a = paramètre initial,
Pt = pertes en terre accumulées à l'année en t/ha.

Les coûts de l'érosion par perte de rendement varient entre 0 et 257 DH aux prix financiers de 1990 pour un taux d'actualisation de 0,08 et du coefficient "a" variant de 0,04 à 0,15 (tableau 6).

TABLEAU 6 : Coût de l'érosion agricole en DH/ha/an pour une rotation "céréale-jachère pâturée" sur des pentes moyennes


Erosion t/ha/an

Coût DH/ha/an


Min

Max

Min

Max

Beni Boufrah (Rif oriental)

0,4

2,7

37


MDA (Pré Rif)

0,3

44

0

257

Mokrisset (Rif occidental)

2,7

24

33

100

Pour:

taux actualisation = 0,08;
coefficient a = 0,04 à 0,15

FIGURE 13 :

Perte de production en fonction de l'érosion cumulée (d'après Alaoui Omar, Agroconcept, Rabat, 1992)

Ces résultats confirment les perceptions paysannes sur les faibles coûts moyens de l'érosion recueillie lors des enquêtes: les coûts de l'érosion sont faibles par rapport au coût des autres facteurs de production. D'ailleurs, la valeur des terres varie peu en fonction des facteurs liés à l'érosion (pente, aménagement DRS), mais beaucoup en relation avec les facteurs liés aux coûts de production (éloignement, statut, possibilité de mécanisation) et aux rendements (type de sol et de plantation) (figure 13).

Par ailleurs, les paysans ne considèrent pas l'érosion comme un phénomène certain et continu, mais comme un processus aléatoire lié à des circonstances climatiques exceptionnelles combinées à l'état de certaines parcelles à ce moment: ceci réduit encore le coût de l'érosion.

LES COUTS DES NUISANCES DE L'EROSION EN AVAL

Les coûts et les avantages liés à un site hydraulique se présentent sous la forme des courbes suivantes:

- la courbe des avantages croit avec le temps avec l'extension des utilisations qui valorisent les eaux,
- la courbe des coûts décroît avec le passage des investissements de construction à ceux d'entretien.

En théorie, un site caractérisé par une courbe très redressée doit être considérée comme une ressource non renouvelable.

Au Loukkos, deux simulations ont été faites de la gestion de la retenue:

- la première au rythme d'envasement annuel enregistré pour la période 1979-1990, soit 35 millions de m3/an,

- la deuxième, avec une augmentation de 50 % de ce rythme.

Le coût de l'envasement est alors calculé comme la différence des productions obtenues dans ces deux situations valorisées aux prix économiques.

Tant que la demande agricole ne dépasse pas un seuil (50 % de la retenue), la réduction de stockage par envasement se traduit par une fréquence accrue des déversements et une disponibilité plus grande des eaux qui dépassent la cote où le turbinage destiné à la production électrique est recommandé: c'est l'effet positif de l'envasement sur la production électrique (figure 14).

Avec la croissance de la demande agricole à l'horizon 2020, l'effet majeur de l'envasement devient la réduction de la fourniture agricole moyenne.

Ces courbes des coûts ont été obtenues en valorisant la production énergétique et l'eau d'irrigation à leur coût d'opportunité (0,7 DH/kwh): coût économique de la production énergétique de substitution et valeurs de la production agricole perdue (0,4 DH/m3).

FIGURE 14 : Le coût aval de l'augmentation du rythme de l'envasement (d'après Alaoui Omar, Agroconcept, Rabat 1992)

PROFIL TEMPOREL DES COUTS/AVANTAGES

LOUKKOS: COUTS AVAL DE L'AUGMENTATION

RT2 = site de stockage d'eau dont le rareté est plus grande qu'en RT1

TABLEAU 7: Coût de l'envasement

Valeur de m3 d'eau en irrigation (DH/m3)

0,4

0,8

1,0

Taux d'actualisation

0,12 à 0,08

0,12 à 0,08

0,12 à 0,08

Coût de m3 de sédiment (DH)

0,03 à 0,11

0,05 à 0,19

0,08 à 0,28

Si on ramène le coût de l'envasement au m3 de sédiments selon différentes hypothèses relatives au taux d'actualisation et au coût d'opportunité de l'eau, on obtient des indicateurs sur les coûts "aval" des pertes en terre utilisables dans la justification des investissements de conservation des sols. Tout investissement en lutte antiérosive peut être analysé en valorisant la totalité des mètres cubes stabilisés sur la période considérée aux coûts majeurs (tableau 7).

Compte tenu du site, cet indicateur est plus sensible au taux d'actualisation qu'aux autres paramètres.

Ceci indique que dans ce site, le choix des techniques mécaniques à effet immédiat (génie civil) n'est pas justifié par des raisons de lutte contre l'envasement, si elles sont plus coûteuses, ou moins fiables à moyen terme que les techniques de conservation biologiques à effet décalé dans le temps (ex. reforestation).

L'ANALYSE DES POLITIQUES AGRICOLES

La perte de compétitivité des productions des zones amont des bassins versants en face des produits des zones de plaine a souvent été identifiée par les historiens comme l'une des causes majeures des déplacements des populations et de la pression sur les ressources.

Si l'on souhaite réduire ces migrations, la spécialisation des économies montagnardes autour de leurs avantages comparatifs devient l'axe majeur de leur développement (exemple: tourisme, labels de qualité des produits montagnards tels que fromages, fruits, miel, etc...). (Seznec, 1992).

Une étude récente sur les soutiens octroyés à la production au Maroc en terme d'équivalent/subvention à la production (ESP), montre que les productions traditionnelles de l'agriculture des zones de piedmont et de montagne (orge, blé dur, oliviers et ovins) ont été beaucoup moins soutenues (ESP = 0 à 0,1) par la politique des prix que les productions modernes en irrigué (sucre, blé tendre, colza, betterave, élevage bovin de race pure: ESP = 0,3 à 1.5).

CONCLUSION : LES THEMES DE RECHERCHE A DEVELOPPER

- Améliorer les connaissances sur les systèmes d'utilisation de l'espace en montagne.

- Calcul économique de l'érosion en fonction des pertes de rendement en relation avec l'érosion cumulée.

- Effet des politiques agricoles sur l'aménagement intégré des bassins versants.

CONCLUSION: NECESSITE D'UNE ANALYSE SOCIOLOGIQUE ET ECONOMIQUE DES CRISES D'EROSION AINSI QUE DE L'ATTENTE DES PAYSANS

Au niveau mondial, les problèmes de dégradation des terres sont préoccupants, mais pas encore catastrophiques.

Cependant, localement, les pertes de rendement et de potentiel de production des terres réduisent à néant les profits des petits paysans ou entraînent une augmentation des risques de famine. Les famines réapparaissent un peu partout en Afrique semi-aride avec la forte pression démographique, la diminution des précipitations et les situations politiques instables. D'où, la migration des adultes de certaines régions (exemple, au sud du Sahel) pour assurer un complément de revenus pour alimenter leur famille. Il faudra en tenir compte car ces adultes vont manquer lors des programmes d'aménagement de terroirs où l'on fait appel à une abondante main-d'oeuvre locale.

L'impact de l'érosion sur la productivité des sols est très variable, suivant qu'il s'agit d'un sol profond homogène ou d'un sol où la fertilité est limitée aux horizons superficiels; des recherches sont en cours pour préciser sur quels sols les investissements en lutte antiérosive sont les plus rentables.

Les premiers résultats montrent clairement qu'il est plus rentable pour les paysans d'investir les crédits limités dont on dispose, pour aménager correctement les terres qui n'ont pas encore trop souffert. Cependant, jusqu'ici on a développé surtout la RTM et la DRS pour intervenir sur les zones très dégradées, abandonnées par les paysans, pour réduire les transports solides... et maintenir à grand prix la qualité des eaux nécessaires à l'irrigation des grands périmètres et à l'épanouissement des grandes villes.

Si on veut obtenir la participation paysanne, il est clair qu'il faut rentrer dans la logique paysanne (c'est à dire améliorer rapidement la productivité des terres et du travail), ou encore prévoir des incitations et compensations de l'Etat, face à l'effort fourni par les paysans pour atteindre des objectifs nationaux (stabilité du paysage et/ou qualité des eaux).

Des études complémentaires sont encore nécessaires pour étudier l'efficacité, la faisabilité et le coût comparatif des différentes méthodes de lutte antiérosive, et pour modéliser les aménagements les plus économiques pour chaque région.


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