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Les risques: l'impact de l'érosion en milieu agricole

L'association - "montagne + forte pression de l'homme sur le sol" - est à l'origine de l'érosion chronique qui affecte les paysages andins. Tout au long de la dépression andine, on constate, sur quelques années seulement et à mesure que progressent les fronts de colonisation, la multiplication des formes d'érosion ainsi que l'extension des terres abandonnées.

FIGURE 83 : Erosion et conservation des sols en Equateur (Projet DNA-ORSTOM)

L'EQUATEUR:

- 270 000 km, > 10 . 10 HAB.
- 3 REGIONS NATURELLES

1, la Costa
2, la Sierra
3, l'Amazonie

L'EROSION EN EQUATEUR

LES PRINCIPALES UNITES MORPHO-PEDOLOGIQUES

relief

Caldera. neck2

Versants ravines cônes, 1,3,4

Glacis-terrasse 5

Horst, graben 6, 7

Volcan eteint 8

sols

cryandept orthent

dystrandept hydrandept

argiustoll hapludoll

haplustoll/ cangahua

cangahua durustoll

mat. org. %

9-12

6-15

5

3-4

<1

pH

5.5

5-6

>7 >7

7-8,5


CEC meq/100g

2 10

15-40

20-80

20-50

20-30

T/S %

10-80

2-50

30-100

100

100

granulo

SL

L

AL

AL

LSA

remarques

élem. grossiers

H% 50-250%

smectite


incure. CO3Ca

IMPORTANCE SPATIALE DE L'EROSION AGRICOLE (figure 83)

L'étude cartographique, réalisée conjointement par le Ministère équatorien de l'Agriculture et de l'Elevage (MAG) et l'ORSTOM, sur "Les principaux processus d'érosion en Equateur" (Almeida, De Noni et al., 1983.; De Noni, Viennot, 1986), permet d'évaluer que globalement 50 % (35% dans les Andes de 15% sur la Côte et l'Amazonie) de la superficie du pays est affectée par des processus de dégradation. Dans les Andes, région la plus dégradée, on doit distinguer les deux zones suivantes:

- le bassin intra-andin (1500-3000 m) où il ne reste que très peu de sols arables. Dans la partie nord et centre de ce bassin, on observe une formation remarquable par son extension et son épaisseur qui est une cendre volcanique indurée, stérile en l'état pour l'agriculture, appelée localement "cangahua". Cette formation affleure lorsque les sols et les cendres volcaniques ont été décapés par l'érosion;

- les hautes terres et les flancs extérieurs des Cordillères (3200 m-4000 m) où se développe une érosion active à mesure que se déplace le front de colonisation agricole, très actif depuis une vingtaine d'années. Dans ces régions, la couverture pédologique est encore continue mais présente localement des signes alarmants de dégradation.

PREDOMINANCE DE L'EROSION HYDRIQUE

Dans la Sierra, durant les 9 mois de culture, de septembre à mai, l'érosion hydrique est très active (l'érosion éolienne n'est pas considérée ici car elle est plus localisée et affecte peu les cultures). Les principales manifestations hydriques sont les suivantes (De Noni, Trujillo, 1989):

- le ruissellement diffus et concentré est le type de processus le plus généralisé quelle que soit l'origine géologique des sols: formations pyroclastiques du nord et d'une grande partie du centre de la Sierra et matériaux volcano-sédimentaires de la province de Loja, au sud. Les paysages soumis à ces processus présentent des sols peu épais aux horizons tronqués et griffés par des formes d'érosion en U ou en V selon les conditions de cohésion et de granulométrie du matériel. Rapidement, ces formes linéaires évoluent en "bad lands";

- le ruissellement associé à de petits mouvements en masse (15-20 % de pente). Ce processus est significatif des sols qui présentent une discontinuité texturale où on observe un matériau argileux d'origine volcanique, riche en montmorillonite, reposant en concordance sur une formation indurée de type "cangahua". Les processus se combinent pour modeler la surface du sol en abrupts d'érosion dont les plus hauts atteignent 3 à 5 mètres de commandement. C'est le cas dans la partie nord (Provinces de Carchi et Pichincha) et centrale (Province de Chimborazo) de la Sierra;

- les mouvements de masse sont localisés dans le bassin de Cuenca, plus précisément au Sud de celui-ci dans la zone de Cumbe où l'ensemble du paysage présente un aspect moutonné. L'érosion se manifeste par des loupes et des niches de solifluxion qui se développent sur des reliefs collinaires aux sols argileux non volcaniques.

TABLEAU 44 : Pertes en terre sur les parcelles de 50 m2 (période 1981-84 et année 1982)

Année

ALANGASI

ILALO


Mollisols et cangahua

Mollisols et cangahua

Cangahua


Divers traitements (maïs, pâturage)

Pâturage dégradé

Mais

Jachère


t/ha

t/ha

t/ha

t/ha

1981-84

62

314

631

71

1982

58

204

421

58

TABLEAU 45 : Pertes en terre et pluviométrie annuelles sur les parcelles de 100 m2



Année 86-87

Année 87-88



Pluie tot. annuel. Mm

Témoin cult. Cultivé

Jachère nue travaillée

Pluie tot. annuel. Mm

Témoin cult. Cultivé

Jachère nue travaillée

TUMBACO

Erosion t/ha/an

478

3.02

12.9

457

42.18

82.82


Coef. ruis. %


3.7

6.6


4.4

15.5

CANGAHUA

Erosion t/ha/an

366

3.8

56

308

6.89

83.6


Coef. ruis. %


1.6

5.9


1.9

11.1

MOJANDA

Erosion t/ha/an

588

1.15

5.9

547

0.52

96.94


Coef. ruis. %


0.9

2

23.3

1

8.4

RIOBAMBA

Erosion t/ha/an

537

1.44

56.9

532

52.2

198.7


Coef. ruis. %


0.9

23.3


15.5

21.3

DES PROCESSUS DE RUISSELLEMENT TRES ACTIFS

D'autres études réalisées, par le projet DNA-ORSTOM, sur des parcelles de ruissellement cultivées, de 50 m2 (10 m x 5 m) de surface, démontrent aussi l'importance de l'érosion anthropique. Dans le tableau suivant, nous avons regroupé, pour la période 1981-1984, les pertes en terre mesurées sur deux sites situés dans le bassin de Quito, à Alangasi sur 28 % de pente) et à Ilalo sur 33 % de pente (De Noni, Nouvelot, Trujillo, 1984 et 1986). Nous avons réservé une colonne à part pour l'année 1982 durant laquelle a eu lieu la majorité de l'érosion (tableau 44).

Depuis 1986, nous avons élargi notre champ d'action en installant des parcelles de ruissellement plus grandes (20 m x 5 m = 100 m2) et réparties sur plusieurs provinces du pays. Ce nouveau dispositif s'étend désormais sur environ 800 km du nord au sud de la Sierra, depuis la Province de Pichincha jusqu'à celle de Loja. Les parcelles sont de 2 types: parcelle nue travaillée selon le protocole de Wischmeier (Wischmeier et Smith, 78; Roose, 1968) et parcelle témoin des cultures et pratiques locales. La parcelle nue, modèle de "Wischmeier", n'est pas seulement une parcelle de référence à caractère scientifique et fondamental, elle reflète également, dans notre cas, des états réels du calendrier agricole: jachère pauvre en végétation herbacée et parcelle nue au moment du semis de l'orge. Pour la période 1986-88, les résultats sont donnés au tableau 45.

De ces résultats, on peut tirer les principaux enseignements suivants (De Noni, Viennot, Trujillo, 1989-90):

- l'érosion sur sol cultivé peut être spectaculaire: par exemple, sur les parcelles de 50 m2 l'érosion a dépassé 600 t/ha (période 1981-84) en monoculture du maïs;

- l'irrégularité inter-annuelle des manifestations érosives: à Alangasi et Ilalo, les pertes en terre observées en 1981-83-84 sont faibles par rapport à l'année 1982 où a lieu la majorité de l'érosion. Les résultats subissent également des variations considérables d'une année à l'autre sur les stations: c'est ainsi que par rapport à 86-87, on observe en 87-88, 16 fois plus de terre perdue à Mojanda et 7 fois plus à Tumbaco sur les parcelles Wischmeier, 32 fois plus d'érosion à Tumbaco sur la parcelle témoin;

- l'absence d'une époque érosive bien marquée dans l'année (les cinq pluies les plus érosives, sur un total d'une quarantaine de pluies érosives par année et par station, sont responsables d'une grande partie de l'érosion). Parmi ces pluies, les seules hauteurs ne permettent pas d'expliquer les pertes en terre. En calculant les coefficients de corrélation pour les années 86-87 et 87-88, nous notons que c'est avec l'IM15 ou l'IM30 que l'on observe les meilleures corrélations avec les poids de terre érodée bien que les intensités maximales présentent dans la Sierra des valeurs faibles à moyennes: 15 à 45 mm/h. Les valeurs "R" de l'indice d'érosivité sont ainsi modérées; ils dépassent rarement 100: 60 à Cangahua, 90 sur la station de Tumbaco et 100 à 110 à Mojanda et Riobamba. Cependant, toutes ces valeurs sont également soumises à des variations annuelles et peuvent être exceptionnellement plus élevées et intensément érosives. Sur la parcelle de Ilalo (50 m2), l'érosion dépasse les 400 t/ha/an en 1982; un IM15 de 90 mm/h étant responsable de 270t/ha/jour et un autre de 70 mm/h à 120t/ha/jour de terre perdue.

ABSENCE DE METHODE CONSERVATOIRE ET DEFICIT ALIMENTAIRE

L'histoire de l'utilisation du sol s'est soldée par l'individualisation de 2 types d'exploitants agricoles: de riches propriétaires, les "hacendados", et des paysans marginalisés, les "minifundistes"; ces derniers, pressés par une nécessité vitale de produire plus pour subsister et refoulés dans un milieu difficile, ont été obligés de forcer les conditions du milieu. De telle sorte qu'aujourd'hui, l'absence de pratiques antiérosives adaptées au milieu est flagrante tout au long de la Sierra (De Noni, Viennot, Trujillo, 1986). Par exemple sur les hautes terres densément cultivées des provinces de Chimborazo et de Cotopaxi, on peut observer quelques ouvrages sommaires de conservation des sols qui consistent en barrières vives et petites rigoles. Celles-ci, très superficielles (20-40 cm) et déclives (20 à 25 %) par rapport à un fossé conventionnel, ne peuvent canaliser les exécédents d'eau et évoluent rapidement en ravines. De même les haies vives, composées généralement de "sigses" (Gybernium), sont disposées de manière aléatoire par rapport à la pente dominante. En outre, ces ouvrages, qui bordent les parcelles, ne sont que rarement associés à des labours isohypses.

TABLEAU 46 : Evolution de la production agricole dans la Sierra de 1970 à 1985 (en tonnes)

CULTURES

1970

1975

1980

1985

Orge

79 087

62 801

24 350

26 723

Maïs

990

90 247

45 266

35 421

Blé

8 1000

64 647

31 113

18 464

Pommes de terre

541 794

499 371

323 222

423 186

TABLEAU 47 : Méthodes de conservation testées sur les parcelles améliorées de 1000 m2

Stations

Pente %

Cultures

Méthodes conservatoires

Pertes en terre t/ha/an

Coef. Ruissell. % annuel



86-87

87-88


86-87

87-88

86-87

87-88

TUMBACO

20

maïs

maïs

bandes enherbées avec 3 types de fourrage

1.08

0.42

1.5

0.8

CANGAHUA

20

maïs

maïs

murets de cangahua

0.45

0.33

0.1

0.5

MOJANDA

40

orge/pommes de terre/fèves

muret en mottes de terre et gros billons de quinoa

0.38

0.19

0.3

0.1

RIOBAMBA

20

pommes de terre/fèves/orge

bandes enherbées avec association de cultures (orge, fève)

0.43

7.6

0.3

6.2

On observe également un abandon ou une destruction systématique d'anciens ouvrages agricoles hérités des sociétés précolombiennes. Ces vestiges (P. Gondard, F. López. 1983), pour la plupart des terrasses en gradin, sont constitués par des talus de pierres ou de blocs de cendres indurées. A Pimampiro (Province de Imbabura), les talus sont volontairement abattus pour laisser la place à de grandes parcelles moto-mécanisées dans le sens de la pente. De même à proximité de Zhud (province de Cañar), dans une zone de colonisation récente et de moyenne propriété, de larges terrasses au profil concave, témoins de l'ancienne civilisation Canari, apparaissent sous la végétation arbustive ("chaparral") en cours de défrichement. A Punin et à Flores ainsi qu'à Colta et Chunchi (Province de Chimborazo), il existe également, dans des conditions de pente déjà forte (40-60 %) et à une altitude entre 3200 m et 3600 m, de véritables terrasses séparées par des talus de plusieurs mètres de haut. Une fois encore, les talus intermédiaires ont été abandonnés ou détruits et seuls sont conservés les talus qui servent de limites de propriété. Ceux-ci ne délimitent plus que des "pseudo-terrasses" excessivement larges et pentues, inadaptées aux conditions du milieu.

Pour survivre bien sûr, mais aussi avec l'espoir de s'insérer dans l'économie de marché, les petits paysans ont orienté "le minifundio" vers les cultures qui fournissent les principaux aliments de base de la nourriture locale: céréales (maïs, blé et orge) et tubercules (pommes de terre). Mais face aux contraintes naturelles, il n'a pas été possible de développer une agriculture rentable de telle sorte que la situation actuelle du "minifundio" est précaire: selon les régions, l'autosubsistance est à peine garantie; quant aux excédents de production, ils sont rares et tributaires d'une année culturale exceptionnelle. Les données du Ministère de l'Agriculture sur l'évolution de la production agricole au cours des 15 dernières années illustrent parfaitement cet état de crise (tableau 46).

On notera que la baisse de la production agricole est générale et vertigineuse pour toutes ces cultures entre 1970 et 1980. Elle est particulièrement spectaculaire pour le maïs et le blé qui sont traditionnellement les aliments de base de la population rurale.


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