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Biotechnologie et biodiversité

On entend généralement par biotechnologie “toute technique qui utilise des organismes vivants afin de constituer ou de transformer un produit, d'améliorer des plantes ou des animaux, ou encore de faire la synthèse de micro-organismes en vue d'utilisations spécifiques”. Les techniques biologiques modernes offrent des perspectives prometteuses dans le domaine de l'amélioration de la qualité et de l'accroissement de la productivité, de l'agriculture, de la foresterie et des pêcheries. Les matériaux génétiques en provenance de plantes, d'animaux et de micro-organismes qui pullulent dans les forêts, les champs et les mers des pays en développement constituent des matières premières stratégiques dans la mise au point, à des fins commerciales, de nouveaux produits pharmaceutiques agricoles et industriels. Alors que les richesses génétiques étaient jusqu'ici considérées comme un patrimoine relativement inaccessible, elles deviennent actuellement, surtout dans les forêts tropicales humides, une monnaie fort prisée.

On compare souvent l'introduction des biotechnologies modernes dans les pays en développement à la révolution verte. Cependant, alors que la révolution verte a consisté à introduire de nouvelles variétés, principalement de blé et de riz dans certaines régions sélectionnées, les biotechnologies peuvent potentiellement affecter toutes les espèces végétales, ainsi que les poissons et le bétail, dans tous les coins du monde. Alors que la révolution verte avait été en grande partie introduite dans les pays en développement par les institutions internationales, la révolution génétique, quant à elle, est essentiellement le fait du secteur privé, et s'accomplit sous l'égide des grandes sociétés transnationales. A quelques exceptions près, les capacités techniques et scientifiques en biotechnologie sont concentrées dans les pays industrialisés. Par conséquent, la recherche biotechnologique n'a pas en général, pour premier objectif, de répondre aux besoins ou de défendre les intérêts des agriculteurs pauvres de régions déshéritées. L'émergence de ces nouvelles techniques est prometteuse, en ce qu'elle peut permettre d'accroître la production alimentaire et la production agricole dans les pays en développement, mais elle risque également d'accentuer les inégalités en chassant les produits agricoles traditionnels, en accélérant l'appauvrissement génétique et en créant de nouveaux dangers écologiques.

La biologie moléculaire est l'instrument le plus percutant de la biotechnologie. Dans ce domaine, qu'on appelle généralement génie génétique, les généticiens peuvent transférer des gènes entre des espèces non apparentées, conférant à ces plantes, animaux et micro-organismes “transgéniques” des propriétés qu'ils n'auraient probablement jamais pu acquérir dans la nature. A ce jour, on peut encore compter sur les doigts de la main le nombre d'organismes issus des travaux de génie génétique qui sont en vente dans le commerce, mais des centaines d'autres produits sont en préparation.

Les généticiens peuvent concevoir des variétés culturales contenant des gènes insecticides naturels, des poissons dotés d'hormones de croissance humaine, et des variétés d'arbres à croissance accélérée. Il faut souligner cependant que le génie génétique consiste essentiellement à combiner et à apparier des gènes appartenant à des espèces distinctes. Il ne peut toutefois pas créer du matériel génétique, ni remplacer le matériel perdu, ni éliminer la nécessité de conserver des ressources vivantes.

La biologie moléculaire a un rôle important à jouer dans l'identification et la conservation de la biodiversité. Les traceurs moléculaires, par exemple, peuvent aider à mesurer le degré de diversité d'une espèce et à identifier les gènes susceptibles d'intéresser des sélectionneurs. Ces techniques peuvent également permettre d'établir des priorités en matière de préservation.

Les biotechnologies au service de la biodiversité

Certaines biotechnologies contribuent déjà à la conservation de ressources génétiques animales et végétales; ce sont notamment:

Prenons l'exemple de la culture tissulaire. Cette technique, qui consiste à faire pousser des fragments de tissu ou de cellules détachées dans une culture, fournit un moyen rapide et efficace de prélever de nombreuses boutures sur une plante unique. Très souvent, il est possible de régénérer des plantes entières à partir d'une cellule unique, car chaque cellule contient toute l'information génétique nécessaire. Ainsi, à partir d'un prélèvement sain on peut obtenir, en grand nombre, des copies qui seront génétiquement identiques. C'est ce qu'on appelle le clonage ou la micropropagation des plantes.

Dans les banques de gènes, la culture tissulaire est maintenant utilisée de façon habituelle afin de préserver l'information génétique relative aux plantes dont les graines sont difficiles à conserver, aux plantes stériles, ou à celles dont les graines ont du mal à germer. Les cellules de plantes que l'on conserve, en milieu de croissance dans une éprouvette, remplacent alors les graines ou les plants. Parmi les plantes que l'on conserve de cette manière, on peut citer la patate, la banane et la banane plantain, la pomme, le cacao et de nombreux fruits tropicaux.

La biotechnologie: obstacle ou…

Les biotechnologies contribuent à la conservation et à l'utilisation durable de la diversité biologique. Cependant, dans plusieurs domaines, les biotechnologies modernes peuvent freiner le développement ou poser de graves problèmes pour les communautés rurales.

Substitution de cultures. Les économies du tiers monde ont en effet à craindre les effets des recherches biotechnologiques qui risquent d'éliminer ou de déplacer les cultures de produits d'exportation traditionnels, qui sont souvent une des principales sources de recettes en devises. Par exemple, on recherche actuellement des substituts aux huiles tropicales et à certaines graisses-allant du beurre de cacao à l'huile de castor. La biosynthèse en laboratoire d'ingrédients à forte valeur, tels que la vanille, le pyrèthre et le caoutchouc, pourrait aboutir à transférer la production de ces cultures du champ des agriculteurs aux bioréacteurs industriels. Et si l'on ne prend pas soin de planifier et de diversifier les cultures, on risque d'assister à des déplacements massifs des cultures d'exportation et des agriculteurs des pays du tiers monde, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour ces économies déjà faibles.

Une nouvelle vague d'appauvrissement génétique?

L'utilisation des biotechnologies pourrait même compromettre la diversité génétique dont elles dépendent. En l'absence de mesures de conservation, l'usage des technologies biologiques à des fins commerciales pourrait engendrer une nouvelle ère d'appauvrissement génétique. Au Chili par exemple, une opération commerciale peut assurer la propagation de 10 millions de plants d'eucalyptus, tous des clones identiques, dans des pépinières automatisées. De même, le développement des services de distribution de sperme et d'embryons, pour les animaux domestiques, conduit à s'inquiéter du risque de disparition éventuelle des souches de bétail traditionnelles. Le clonage pourrait accélérer le remplacement ou la disparition des souches indigènes, auxquelles se substitueraient des souches importées, ce qui entraînerait un appauvrissement génétique.

Biosécurité. Autre sujet de préoccupations, apparenté au premier: le risque écologique d'introduire des plantes produites par génie génétique dans des centres de diversité. Des variétés transgéniques, pour la plupart résistantes aux herbicides, ont été mises au point pour plus de 40 plantes cultivées. Un transfert de gènes des plantes résistantes aux mauvaises herbes pourrait avoir des conséquences incalculables. En effet, les mauvaises herbes ainsi obtenues résisteraient aux herbicides, seraient difficiles à contrôler, et seraient néfastes pour les cultures ainsi que pour l'écosystème environnant. Les sociétés de biotechnologie qui cherchent à s'implanter sur les marchés du tiers monde prendront-elles en considération les risques courus dans les régions où il existe, à l'état sauvage, des espèces apparentées aux principales cultures alimentaires et industrielles? Les pays en développement auront-ils la capacité de surveiller les interventions de ces sociétés et d'en évaluer les risques?

…chance pour le développement?

A l'inverse, les biotechniciens pourraient contribuer au développement de nouvelles variétés et de nouvelles espèces adaptées aux cultures qui utilisent peu d'intrants, ou à des milieux ingrats. Ils pourraient aussi contribuer à améliorer le processus de transformation. En outre, la mise au point de nouvelles plantes industrielles, médicinales ou aromatiques, pourrait ouvrir de nouveaux marchés. Compte tenu de la grande diversité de leurs ressources biologiques, plusieurs pays en développement, tels le Brésil, la Chine et l'Inde, qui en ont les capacités, pourraient produire de nouvelles plantes végétales, à valeur élevée, à partir de la flore locale. La convivialité de leur environnement agroécologique comme l'abondance de main-d'œuvre relativement bon marché dont ces pays disposent pourraienty encourager la production à grande échelle de plantes à valeur élevée, ce qui leur permettrait de maintenir leur avantage comparatif sur les marchés de ces produits.

La mise au point d'engrais biologiques et la détection et la lutte contre les ravageurs et les agents pathogènes, à l'aide de biotechnologies, pourraient grandement aider les agriculteurs pauvres. Ces techniques permettraient également des gains commerciaux - par l'augmentation des recettes d'exportation - en supprimant les barrières non tarifaires dues à la présence de résidus de pesticides ou à l'infestation des produits par les ravageurs dans le cas de produits alimentaires susceptibles d'être exportés.

Les questions fondamentales qui demeurent sont les suivantes: qui contrôlera l'utilisation des nouvelles technologies et qui en retirera profit? Pour sa part, la FAO s'efforce de renforcer les capacités nationales d'exploitation des biotechnologies en vue d'un développement agricole durable, et d'encourager la recherche biotechnologique portant sur des produits qui sont importants pour les pays en développement. Elle cherche également à orienter au mieux l'utilisation des biotechnologies dans le domaine de l'identification et de la conservation des ressources génétiques. Enfin, elle prépare actuellement un code de conduite qui englobera tous les problèmes mentionnés ci-dessus.

Principales sociétés de biotechnologie*

  1. Du Pont (Wilmington, Etats-Unis)
  2. ICI (Londres, Royaume-Uni)
  3. Monsanto (St Louis, Etats-Unis)
  4. Sandoz (Bâle, Suisse)
  5. Ciba-Geigy (Bâle, Suisse)
  6. Rhône-Poulenc (Lyon, France)
  7. DNA Plant Technology (Cinnaminson, Etats-Unis)
  8. Sanofi (Paris, France)
  9. Calgene (Davis, Etats-Unis)
  10. Mycogen (San Diego, Etats-Unis)
  11. Bayer (Wuppertal, Allemagne)
  12. Novo Biokontrol (Bagsvaerd, Danemark)
  13. Biotechnica International (Overland Park, Etats-Unis)
  14. Plant Genetic Systems (Gand, Belgique)
  15. Agricultural Genetics (Cambridge, Royaume-Uni)

* Classées selon le volume de leurs dépenses de recherche-développement dans le domaine de la biotechnologie végétale

QUELQUES DONNÉES

Aux Etats-Unis, le chiffre d'affaires du secteur des biotechnologies s'est élevé à prés de 2 milliards de dollars en 1990, pour la production de produits pharmaceutiques, de tests de diagnostic et de produits agricoles.

Les deux tiers des entreprises de biotechnologie centrent leurs recherches sur les applications thérapeutiques ou les diagnostics. Une entreprise sur dix seulement s'intéresse aux applications biotechnologiques dans les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture.

Des chercheurs de l'Université de Californie ont déposé une demande de brevet pour la thaumatine - extraite de la Thaumatococcus daniellii, plante d'Afrique de l'Ouest - qui est 100 000 fois plus sucrée que la canne à sucre.

Des savants de l'Université de Toledo (Etats-Unis) ont déposé une demande de brevet pour l'utilisation de l'endode - extrait de la pomme de savon africaine - afin de contrôler la moule zébrée des Grands Lacs.

La chymosine, enzyme traditionnellement tirée des vaches et utilisée pour la fabrication de fromage, peut maintenant être obtenue à partir de la transformation de micro-organismes.


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