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Chapitre 17

La pellagre

CAUSES ET ÉPIDÉMIOLOGIE

La pellagre, due principalement à une carence alimentaire en niacine, est associée à une alimentation à base de maïs en Amérique, comme le béribéri est lié au riz en Asie.

Comme le mentionne le chapitre 11 dans sa discussion sur la niacine, la pellagre a été attribuée à différents facteurs au cours du temps, chaque théorie semblant s'opposer à la précédente. Trois d'entre elles semblent contenir chacune une part de vérité: on a d'abord attribué la pellagre à une toxine du maïs, puis à une déficience protéique et enfin à une carence en niacine.

On a finalement découvert que le maïs contenait plus de niacine que d'autres céréales mais sous une forme liée. Dans des pays comme le Mexique ou le Guatemala, le traitement du maïs avec un produit alcalin comme le jus de citron vert, pour faire notamment des tortillas, protège de la pellagre. On pense que le citron et la cuisson rendent la niacine plus disponible ou améliorent l'équilibre des acides aminés. L'organisme humain sait convertir l'acide aminé tryptophane en niacine. Une alimentation riche en protéines qui contiennent suffisamment de tryptophane prévient donc la pellagre. Néanmoins, la niacine est toujours le facteur principal de la pellagre, et tout programme de prévention doit viser à assurer une alimentation assez riche en niacine. Et, bien sûr, tous les cas de pellagre doivent recevoir de la niacine.

La pellagre était très répandue dans le sud des Etats-Unis, surtout parmi les métayers, au début du XXe siècle. La maladie jusque-là inconnue en Europe, y est apparue aux XVIIIe et XIXe siècles à mesure que la consommation de maïs se répandait en Italie, en Espagne, au Portugal et dans certaines régions d'Europe de l'Est. Au XXe siècle, la pellagre est devenue courante en Egypte et dans certains pays d'Afrique orientale et méridionale; des cas sporadiques ont été décrits en Inde. Dans chacun de ces pays, la pellagre est apparue lorsque le maïs est devenu l'aliment de base de gens pauvres ne pouvant guère s'offrir d'autres aliments en complément.

C'est en Afrique du Sud que la prévalence la plus élevée a été rapportée récemment, les conditions de vie de certains ouvriers agricoles ou industriels s'apparentant avant 1994 à celles régnant dans le sud des Etats-Unis entre 1900 et 1920. Un rapport émanant d'Afrique du Sud a indiqué que 50 pour cent des patients vus dans un dispensaire du Transvaal avaient des signes de pellagre et que la majorité des adultes admis à l'hôpital psychiatrique de Pretoria en étaient atteints.

Enfin, la pellagre a été malheureusement souvent constatée dans des camps de réfugiés et des situations de famine où les secours alimentaires étaient constitués presque exclusivement de maïs et où les agences humanitaires n'accordaient pas suffisamment d'attention à la fourniture de micronutriments et d'une alimentation équilibrée. Une flambée de pellagre est apparue dans le centre de la République-Unie de Tanzanie lors d'une sécheresse dans les années 60 alors que les victimes ne consommaient que du maïs offert par les Etats-Unis. La pellagre a été rapidement jugulée par l'administration de suppléments.

MANIFESTATIONS CLINIQUES

Les patients souffrant de pellagre ont généralement l'air mal nourri, faible et maigre. La maladie se caractérise par les trois D: dermatose, diarrhée, démence (figure 10). On voit aussi des altérations motrices et sensitives modérées comme une diminution de la sensibilité au toucher, une faiblesse musculaire et un tremblement. La paralysie est rare. De nombreux autres signes ont été décrits. En l'absence de traitement, la pellagre peut être fatale.

Dermatose

Les lésions sont si caractéristiques qu'elles permettent souvent le diagnostic. Elles affectent les zones exposées au soleil comme le visage, le cou, le dessus des mains, les avant-bras et les jambes. On voit apparaître des zones hyperpigmentées qui peu à peu perdent leur lustre naturel et deviennent sèches, squameuses et finalement craquelées. Il y a une démarcation très nette entre les zones saines et atteintes que l'on sent au toucher, les zones affectées étant rugueuses. Cette dermatose peut rester stationnaire, guérir ou s'aggraver. Dans ce dernier cas, la peau desquame, se fissure et parfois se couvre de vésicules contenant un exsudat transparent. Après desquamation, la peau est brillante, fine et dépigmentée. Toutes ces lésions sont plus ou moins symétriques.

Chez des sujets de race blanche, les lésions ressemblent initialement à un érythème solaire. Chez les patients noirs aussi bien que blancs, l'exposition des lésions au soleil entraîne une sensation de brûlure tout comme un coup de soleil. Les lésions correspondent souvent à un défaut de protection des vêtements: par exemple, le classique collier de Casal est dû au port de chemises à col ouvert (photo 32).

La langue et les autres muqueuses buccales sont souvent douloureuses, rouges, lisses et à vif. On voit souvent une stomatite angulaire et une chéilite habituellement associées à une carence en riboflavine.

Diarrhée

Des poussées de douleurs abdominales et de diarrhée sont fréquentes. On les attribue à la survenue de lésions du tube digestif similaires à celles de la bouche. Aucun de ces signes digestifs n'est spécifique, mais on doit penser à une pellagre devant leur association à des lésions cutanées et à des troubles mentaux ou encore devant une réponse à la niacine.


Démence

L'atteinte du système nerveux se traduit par des signes et des symptômes très variables. Les plus courants sont l'irritabilité, la perte de mémoire, l'anxiété et l'insomnie. Ces troubles peuvent évoluer vers une démence, et il n'est pas rare que des patients souffrant de pellagre se retrouvent en hôpital psychiatrique. Dans les pays où la pellagre sévit et où le maïs est l'aliment de base, il faut rechercher des signes de pellagre chez tout patient présentant une démence.

DIAGNOSTIC ET EXAMENS DE LABORATOIRE

Les lésions cutanées sont caractéristiques en raison de leur symétrie et de leur survenue sur des zones exposées au soleil. Par contre, les signes digestifs et neurologiques sont peu spécifiques. Le contexte alimentaire, les lésions cutanées, l'aspect de la bouche et, surtout, la réponse à la niacine permettent le diagnostic. Chez l'enfant, la pellagre peut coexister avec une MPE, un amaigrissement ou un retard statural.

Le dosage du N-méthylnicotinamide urinaire est utilisé à la fois dans les enquêtes nutritionnelles et pour des patients individuels. Sur les urines de six heures, on considère que le taux est bas entre 0,2 et 0,5 mg et qu'il y a un déficit avéré en niacine en dessous de 0,2 mg. Sur un échantillon d'urine, un taux inférieur à 0,5 mg/g de créatinine suggère un déficit. Cependant, ces dosages reflètent plus la consommation récente de niacine et de tryptophane que l'existence d'une pellagre. Toutefois, un résultat normal permet d'éliminer une pellagre.

TRAITEMENT

Le traitement recommandé repose sur les points suivants:

La pellagre est souvent très gratifiante à traiter: un patient violent et incontrôlable peut redevenir normal et paisible en quelques jours et quelques comprimés. Des lésions cutanées graves, une muqueuse buccale à vif et une diarrhée profuse s'améliorent en 48 heures de manière spectaculaire. La rougeur et la sensibilité au soleil de la peau diminuent; la bouche devient moins douloureuse et le patient retrouve le plaisir de manger et, surtout, la diarrhée opiniâtre s'arrête.

PRÉVENTION

Les mesures suivantes contribuent à la prévention:

Une leçon à retenir de l'expérience passée aux Etats-Unis et présente en Afrique du Sud est que la pellagre disparaît lorsque les conditions de vie des pauvres, qu'ils travaillent dans l'agriculture ou dans l'industrie, s'améliorent. Aux Etats-Unis, l'abolition de l'esclavage, la diminution du métayage dans les fermes du sud et l'amélioration des salaires, des conditions de vie et de la disponibilité alimentaire ont eu plus d'impact sur le déclin de la pellagre que l'enrichissement des aliments ou la distribution de suppléments. En Afrique du Sud, les récents changements politiques sont eux aussi susceptibles d'améliorer les conditions de vie des populations pauvres, donc de faire disparaître la pellagre.



PHOTO 31

Dermatose affectant les zones exposées dans la pellagre



PHOTO 32

Collier de Casal dans la pellagre

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