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Partie V
Politiques et programmes nutritionnels

Chapitre 33

Evaluation, analyse et surveillance de la nutrition

Les problèmes nutritionnels sont complexes par leurs étiologies et il existe de nombreuses maladies de carence. Quand on sait comment ces maladies surviennent, on est plus à même de les guérir et, mieux, de les prévenir. La capacité de les prévoir rend leur prévention plus réaliste.

Toutes sortes de données peuvent éclairer le risque de malnutrition au sein d'une communauté ou d'un pays. Entre 1946 et 1975, de grandes enquêtes ont été conduites dans de nombreux pays, qui ont permis de recueillir un large éventail de données diététiques, cliniques, biochimiques, anthropométriques et socioéconomiques. Ces enquêtes étaient souvent destinées à déceler une série de carences en vitamines et en minéraux ainsi que la MPE. Ces études étaient onéreuses car elles nécessitaient des laboratoires bien équipés et un personnel nombreux. Beaucoup des premières enquêtes menées dans plus de 20 pays ont été financées, et en partie conduites, par le Comité interministériel pour la nutrition pour le compte de la défense nationale américaine. Par la suite, des institutions internationales comme la FAO ont aidé les pays à réaliser de vastes enquêtes nationales. Aux Etats-Unis, de grandes enquêtes nutritionnelles ont été réalisées dans 10 Etats entre 1968 et 1971.

Toutes ces études ont apporté une masse de données sur l'état nutritionnel, en général pour un échantillon représentatif de la population. Malheureusement, la collecte de ces données ne semble pas avoir induit beaucoup d'actions pour remédier aux problèmes révélés.

Vers 1975, un consensus s'est fait jour: des enquêtes aussi détaillées n'étaient plus nécessaires et, la MPE chez le jeune enfant semblant être le problème majeur, des études simplifiées, recueillant seulement des mesures anthropométriques et quelques indicateurs diététiques et socioéconomiques, devaient suffire. Les évaluations nutritionnelles ont donc été de plus en plus basées sur les mesures de poids et de taille. On est également passé des enquêtes nationales à des enquêtes plus localisées et, dans certains pays comme le Kenya, à la collecte régulière de données afin de fournir des tendances. Dans les années 80, ces enquêtes anthropométriques ont été plus ou moins remplacées par des méthodes d'évaluation rapide qui recueillaient davantage de données mais avec des techniques nouvelles. Au même moment, on s'est orienté vers le recueil simultané de données qualitatives et quantitatives et vers les enquêtes consacrées à une carence déterminée, la carence en iode par exemple.

Lorsqu'on veut apprécier l'état nutritionnel d'une communauté, il est important de déterminer les objectifs, la méthode d'analyse et les actions possibles. Il faut utiliser l'expérience acquise et choisir le mode de recueil des données le plus approprié. Par exemple, dans un vaste camp de réfugiés qui vient de se créer, il peut être judicieux de ne pas se limiter à des mesures anthropométriques; autrefois, l'état nutritionnel n'était jugé que sur ces mesures, et des carences comme le scorbut ou la pellagre passaient inaperçues. Les sociologues peuvent être mis à contribution pour choisir les données qualitatives les plus utiles et la meilleure manière de les recueillir et de les analyser.

Les grandes enquêtes onéreuses qui recueillent toutes sortes de données ne se justifient plus, sauf si l'on est raisonnablement sûr que les données aboutiront à un programme d'action et si l'on dispose des ressources nécessaires. Dans de nombreux pays, des enquêtes de ce genre ont été réalisées sans susciter beaucoup d'actions concrètes. On estime qu'il faut disposer de 10 fois le coût de l'étude pour mettre en œuvre le programme destiné à remédier au problème qu'elle doit mettre en évidence. Il est donc important de limiter le recueil de données au strict nécessaire et de simplifier au maximum les enquêtes. Une partie des données recueillies peut servir à l'évaluation des programmes et à la surveillance nutritionnelle.

TYPES DE DONNÉES NÉCESSAIRES À L'ÉVALUATION ET À l'ANALYSE DE L'ÉTAT
NUTRITIONNEL

Aujourd'hui, le principal intérêt d'une enquête peut être de déterminer l'état nutritionnel au niveau familial ou local plutôt que national. Les 10 éléments suivants peuvent être utiles pour évaluer l'état nutritionnel au sein d'une communauté:

Seuls les cinq premiers éléments feront l'objet d'une discussion dans cet ouvrage, car les enquêtes assez vastes pour recueillir toutes les informations ci-dessus sont rares.

Examens cliniques

Les examens cliniques sont souvent négligés dans les évaluations de l'état nutritionnel. De plus, nombre de pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine manquent cruellement de données vitales, de chiffres précis en matière de production agricole et de laboratoires de biochimie. Il est difficile d'y obtenir des informations sur les pratiques alimentaires locales. Dans ces conditions, les examens cliniques et anthropométriques sont les moyens les plus simples, pratiques et sensés de mesurer l'état nutritionnel de groupes d'individus.

L'état nutritionnel d'une communauté est la somme des états nutritionnels des individus qui la composent. Toutefois, il suffit d'en examiner un échantillon représentatif. Théoriquement, ces sujets devraient être choisis au hasard et non pris dans des groupes particuliers d'âge, de sexe, de religion, de classe sociale ou de lieu de résidence. L'échantillonnage stratifié est préférable dans certaines circonstances; une étude de prévalence de la MPE chez les enfants devrait se limiter à l'examen des enfants de moins de 5 ans. Lorsque la date de naissance est inconnue, il faut estimer l'âge à l'aide de points de repère locaux tels que des événements agricoles, sociaux ou historiques.

L'examen clinique devrait être pratiqué par une personne ayant une formation médicale. Il est bien sûr possible de former des profanes à reconnaître les signes d'une stomatite angulaire, des dents marbrées ou un œdème, mais les données risquent d'être incomplètes et de fausser les résultats. La personne recherchant la dermatose du kwashiorkor ou les modifications cutanées de la pellagre devrait aussi savoir reconnaître une gale ou un eczéma. Par contre, les mesures anthropométriques peuvent être prises par du personnel non médical.

Pour éviter les oublis, l'examen clinique devrait être systématique, et l'examinateur devrait cocher la présence ou l'absence des éléments recherchés sur un formulaire préétabli. On trouvera à la page suivante la version modifiée d'un questionnaire qui a été utilisé en Afrique de l'Est. Il est conseillé de faire l'examen de la tête aux pieds. L'examen neurologique peut quelquefois être omis, car les signes sont assez rares et il est difficile et prend du temps.

Données anthropométriques

Les données anthropométriques peuvent être recueillies par le personnel médical au cours de l'examen clinique mais il est souvent plus simple et plus rapide de le faire faire séparément par une personne non médicale fiable.

Poids. Le poids est la mesure la plus importante. Chez l'enfant, son interprétation dépend de la connaissance de son âge. La mesure doit être faite sur un sujet pieds nus et le moins habillé possible. Les balances à ressort sont moins fiables que les balances à fléau qui ont été fournies à de nombreux dispensaires par l'UNICEF. Dans les internats scolaires, on trouve souvent une bonne balance destinée à peser les sacs de denrées à la cuisine. Dans un village, on peut en emprunter une chez le directeur du marché ou le propriétaire d'une boutique. Pour les enfants de moins de 2 ans, une balance spéciale pour bébé est nécessaire à une mesure précise.

Taille. La taille est aussi une mesure importante, et son interprétation chez l'enfant dépend de la connaissance de son âge. La mesure se fait évidemment pieds nus. Il existe plusieurs types de toise, mais on peut se contenter d'un mètre à ruban ou d'une règle. Voici la marche à suivre:

Choisir un mur vertical avec un sol de niveau. Faire une marque horizontale de 2 cm de long à 1 m de hauteur (60 cm pour les enfants), puis fixer à cette ligne le bas d'un mètre à ruban d'un mètre (avec une punaise ou du scotch). Il suffit alors que la personne à mesurer se tienne debout contre ce mur (figure 17). La taille est déterminée à l'aide d'un morceau de bois pourvu d'un angle droit (plutôt que rectangulaire).

Pour les jeunes enfants, la mesure est plus délicate. Un système convenable consiste en une planche de 120 x 40 x 2 cm à l'extrémité de laquelle est fixée à angle droit une autre planche de 40 x 30 cm. Un mètre à ruban métallique est fixé à la première planche, et le même morceau de bois triangulaire posé contre les pieds permet de déterminer la taille. Une solution moins satisfaisante consiste à recourir à un banc de bois que l'on trouve dans beaucoup de dispensaires et d'écoles, à le graduer en cm à partir de 50 cm du mur et à le placer dans un coin contre le mur à la demande.

L'enfant doit évidemment être couché à plat, les jambes tendues (voir figure 17). Dans le cadre d'une recherche, ou lorsque le budget le permet, le recours à une véritable toise est souhaitable.

Examen clinique nutritionnel (destiné au personnel médical)

Nom .............................................................

Sexe..............................................................

Enceinte?.......................................................

Taille..............................................................

Hémoglobine...................................................

Hématocrite.....................................................

Date....................................................................

Age.....................................................................

Allaitante?............................................................

Poids...................................................................

Périmètre brachial.................................................

Pli cutané tricipital.................................................

Cheveux

1. Manque de brillant?......................................

2. Dépigmentation?..........................................

3. Changement de texture ................................

(fin ou clairsemé)?............................................

4. Facilement arrachable..................................

Face

1. Lunaire?.......................................................

2. Pâleur?.........................................................

Yeux

1. Xérose conjonctivale ou xérophtalmie ?..........

2. Kératomalacie?............................................

3. Epaississement conjonctival?........................

4. Taches de Bitot?...........................................

5. Vascularisation conjonctivale?........................

6. Taie cornéenne?............................................

Bouche

1. Stomatite angulaire?......................................

2. Chéilite?.......................................................

3. Cicatrices angulaires?...................................

4. Gencives saignantes ou spongieuses?............

5. Dents marbrées?...........................................

6. Nombre de dents cariées (C)..........................

7. Nombre de dents manquantes (M)...................

8. Nombre de dents obturées (O).........................

9. Total dents CMO.............................................

Glandes

Thyroïde.............................................................

Goitre................................................................

Degré (0,1,2,3)....................................................

Augmentation parotide?........................................

Peau

1. Xérose?.............................................................

2. Hyperkératose folliculaire?...................................

3. Mosaïque (dallage irrégulier)?...............................

4. Dermatose pellagreuse?.......................................

5. Hémorragies (pétéchies ou ecchymoses)?.............

6. Dermatose écailleuse?.........................................

7. Dermatose scrotale ou vulvaire?.............................

8. œdèmes?..............................................................

9. Ulcères?...............................................................

Muscles

1. Fonte?..................................................................

Squelette

1. Gonflement des épiphyses?....................................

2. Chapelet rachitique/perles sur les côtes?..................

3. Déformations?.........................................................

4. Hématomes sous-périostés?....................................

Système nerveux central..........................................

1. Modifications du comportement (apathie, tristesse).....

2. Troubles sensoriels?.................................................

3. Sensibilité du mollet?................................................

4. Perte des réflexes rotulien et achilléen ?.....................

5. Faiblesse motrice?.....................................................

Organes internes

1. Hépatomégalie?.........................................................

2. Splénomégalie?.........................................................

Remarques (inclure d'autres anomalies)...........................

Lectures de séries de mesures. Une succession de mesures de taille et de poids faites à intervalles réguliers, d'un mois par exemple, donne des renseignements intéressants. Chez un adulte, une perte de poids indique que l'apport énergétique est inférieur aux dépenses. Une prise de poids indique l'inverse. Lors d'une famine, une série de mesures effectuées chez des adultes permet de vérifier si les secours sont appropriés ou en temps opportun, de voir si une perte de poids survient durant la période de soudure. Chez un enfant, une série de mesures mensuelles de poids et de taille donne une excellente idée de son évolution nutritionnelle. Il est utile de conserver la trace des mesures réalisées dans les écoles, les dispensaires et les centres communautaires. Ces mesures peuvent être effectuées par du personnel médical ou non médical. Même des mesures successives de poids sans mesures de la taille sont utiles.

Si l'on dispose d'une seule mesure, on peut la comparer à des mesures standard et exprimer le poids et la taille d'un enfant en pourcentage de ce qu'il devrait être à son âge ou en écarts types ou valeurs Z. On trouvera à l'annexe 2 ces tables basées sur les valeurs de référence du Centre national des statistiques de santé des Etats-Unis (NCHS) comme le recommande l'OMS.


Rapport poids/taille. Quand on a mesuré le poids et la taille, on peut les comparer au rapport P/T standard. Même si l'on ne connaît pas l'âge de l'enfant, on peut, dans une certaine mesure, évaluer son poids par rapport au poids attendu pour sa taille en écarts types ou en valeurs Z. Une autre méthode couramment utilisée consiste à mesurer l'indice de masse corporelle (IMC) (voir les détails au chapitre 23).

Périmètre brachial (MUAC). La mesure de la circonférence du bras gauche à mi-hauteur entre l'acromion de l'épaule et l'olécrâne de la pointe du coude est de plus en plus utilisée comme indice nutritionnel. Il faut se servir de rubans de mesure en fibre de verre qui ne s'étirent pas. La méthode ne donne pas de renseignements aussi précis que la pesée, mais elle a l'avantage d'être facile et peu onéreuse et praticable en l'absence de balance. De plus, entre l'âge de 8 mois et de 5 ans, le MUAC augmente très peu: on peut considérer qu'un MUAC de 13,5 cm est normal quel que soit l'âge de l'enfant entre huit mois et cinq ans. Un MUAC entre 12 et 13,5 cm témoigne d'une malnutrition modérée, et en dessous de 12 cm, c'est une malnutrition grave. Le MUAC est particulièrement adapté à la mesure par du personnel peu formé ou à l'évaluation rapide de l'état nutritionnel dans une zone de famine.

Périmètre crânien (PC) et thoracique (PT). On peut mesurer le PC avec le même ruban que le MUAC en le plaçant horizontalement autour de la tête, juste au-dessus des sourcils et des oreilles et autour de la partie la plus saillante de l'occiput. Le PC est lié à la taille du cerveau, mais celle-ci n'est pas liée à l'intelligence au niveau individuel.

Le PT se mesure horizontalement sur la ligne mamelonnaire. Jusqu'à l'âge de 6 mois, le PT est plus petit que le PC. Au-delà de 6 mois, un PT plus petit indique une croissance médiocre du thorax.

Epaisseur du pli cutané. Cette mesure nécessite un compas (photo 69) destiné à mesurer l'épaisseur de la peau et de la graisse sous-cutanée en appliquant une pression constante sur une zone déterminée. On fait habituellement cette mesure au niveau du triceps ou de la région sous-capsulaire. Elle est très utile pour évaluer la quantité de graisse, donc les réserves d'énergie disponibles. Malheureusement, ce compas est rarement disponible dans les petits hôpitaux, et encore moins dans les dispensaires. Comme ce n'est pas un équipement coûteux, il serait facile d'y remédier. Les deux modèles les plus utilisés sont celui de Harpenden, fabriqué en Angleterre, et celui de Lange, fabriqué aux Etats-Unis.

Examens biologiques

De nombreux examens sont utiles à l'évaluation de l'état nutritionnel, mais rares sont ceux qui peuvent être réalisés hors des grands hôpitaux. Nous nous limitons ici à ceux qui sont facilement réalisables.

Hémoglobine. Une mesure précise du taux d'HB est de loin l'examen de laboratoire le plus utile d'une enquête nutritionnelle. Mais les instruments de mesure précis sont rares dans les hôpitaux de district et les dispensaires. Il en existe maintenant qui sont bon marché et raisonnablement précis.

La méthode de cyanméthémoglobine est recommandée à l'hôpital et pour la recherche sur le terrain. Le sang est recueilli par piqûre d'un doigt, du lobe de l'oreille ou du talon. On ajoute deux échantillons de sang de 0,02 ml à une solution de Drabkin (cyanide-ferricyanide) et on conserve le mélange au frais et à l'abri de la lumière. La mesure se fait le même jour avec un spectrophotomètre ou un autre appareil.

Hématocrite ou volume des cellules sanguines. Cette mesure également importante dans le diagnostic de l'anémie se fait en remplissant un tube capillaire de sang prélevé au bout du doigt ou dans une veine. Une centrifugeuse électrique ou manuelle sépare les globules rouges du plasma. L'hématocrite est le pourcentage du volume sanguin composé de globules rouges.

Numération des globules rouges et étalements. Le comptage des globules rouges est difficile et n'apporte pas beaucoup de renseignements supplémentaires. Par contre, il est facile de faire un étalement de sang sur une lame de verre, ce qui permet de vérifier la taille et l'uniformité des globules rouges, donc facilite le diagnostic de paludisme et d'hémoglobinopathies qui peuvent expliquer certaines anémies.

Protéines sériques. La mesure des protéines totales et de l'albumine et des globulines ne peut se faire que dans un laboratoire bien équipé. Ces données sont utiles en cas de kwashiorkor, mais ne contribuent pas beaucoup au diagnostic de MPE modérée ou bénigne.

Examen des selles, des urines et du sang à la recherche de parasites. Après l'estimation de l'hémoglobine, les examens les plus importants dans une enquête nutritionnelle sont la recherche de parasites en raison des liens étroits entre infestation parasitaire et malnutrition. Il faut rechercher, au niveau individuel et communautaire, des œufs d'ankylostome, d'ascaris, de Trichuris et de Schistosoma mansoni dans les selles, de l'albumine et S. haematobium dans les urines et des plasmodiums dans le sang. Ces examens sont réalisables dans la majorité des dispensaires car ils ne requièrent qu'un microscope, une centrifugeuse à main, des lames et des tubes et quelques réactifs courants. Les précautions d'usage s'imposent lors du recueil et de l'évacuation des échantillons. Il faut si possible quantifier la charge parasitaire.

Lors d'une enquête, il est préférable de ne pas les faire en même temps que l'examen clinique, mais l'après-midi ou le lendemain. S'il s'agit d'une communauté importante, il est judicieux de les pratiquer sur un échantillon seulement comme les enfants d'une école. Les résultats donneront une prévalence raisonnablement précise de l'ankylostomiase et du paludisme par exemple dans la communauté. Il est plus facile et plus hygiénique, surtout pour les examens de selles, de se limiter à un petit groupe que de recueillir des échantillons auprès d'une foule venant de loin et rassemblée pour le prélèvement.

Examens biochimiques. Certains examens biochimiques (voir chapitres 13 à 20) sont utiles pour évaluer les carences en minéraux et en vitamines. Bien que les déficits en vitamine A et en iode soient les principaux problèmes de santé publique de beaucoup de pays en développement, peu d'hôpitaux locaux possèdent des laboratoires capables de les évaluer. Il en va de même pour la pellagre, le déficit en riboflavine et le rachitisme. On trouvera au tableau 33 les principales carences et les examens correspondants.

Enquêtes alimentaires

Evaluer de façon précise la consommation alimentaire d'une communauté demande beaucoup plus de temps que de se faire une idée générale de son état nutritionnel grâce à des mesures anthropométriques et un examen clinique. Il y a deux types principaux d'enquêtes. L'une consiste en l'observation directe d'un échantillon de la communauté et en mesures et pesées des aliments pendant un temps donné. L'autre consiste à interroger un échantillon plus large de la communauté sur sa consommation. La première demande beaucoup de temps, la deuxième dépend de la mémoire, de l'intégrité et de l'intelligence des sujets interrogés. Aucune ne tient compte de la consommation passée ni des incertitudes sur la composition de certains aliments. Ces méthodes compliquées sont rarement justifiées. Il est souvent préférable de recourir à des méthodes plus simples, dont les résultats éclairent les causes de malnutrition et suggèrent des mesures correctives. Les différentes méthodes sont discutées ci-après.

Observation. La seule façon d'évaluer l'alimentation est de mesurer et peser tous les ingrédients pendant une durée suffisamment représentative. L'équipe se rend dans les familles et mesure et pèse tous les aliments qui sont préparés, cuits, consommés ou jetés.

On essaie aussi de mesurer la part consommée par les différents membres de la famille, ce qui est difficile dans les pays où toute la famille mange dans un plat commun. Quand on a mesuré la quantité de nourriture consommée par chacun en une journée, il faut calculer la quantité de chaque nutriment grâce aux tables de composition. Ce type d'enquête nécessite une équipe d'au moins deux personnes qui couvrent deux à quatre familles à la fois, soit environ 20 familles en un mois. Il est préférable de ne voir qu'un nombre réduit mais représentatif de familles correctement plutôt que d'essayer d'en voir beaucoup de façon moins approfondie.

Investigation ou mémoire. L'interrogatoire direct ne donne pas une évaluation précise de la quantité d'énergie ou de nutriments consommés, mais il donne une idée de la fréquence des repas, des modes de préparation et des aliments habituellement consommés.

Dans les pays en développement, un enquêteur se rend au domicile et pose des questions à la femme du chef de famille. Les réponses sont notées sur un formulaire préétabli. Les résultats dépendent donc entièrement de la mémoire du sujet interrogé et de son attitude vis-à-vis de l'enquêteur. Le sujet fournit souvent inconsciemment des réponses erronées ou peut avoir une raison cachée d'induire l'enquêteur en erreur. Si le sujet pense, par exemple, que l'enquête vise à déterminer s'il est judicieux d'envoyer des secours alimentaires ou d'augmenter leur quantité, il aura tendance à majorer la gravité de la situation en sous-estimant les quantités consommées et la variété des aliments. Si, par contre, il pense que l'enquêteur essaie d'évaluer son niveau de vie ou de développement, il peut enjoliver la situation par fierté.

La méthode habituelle consiste à demander au sujet ce qu'il a consommé pendant les 24 heures précédentes. Il est judicieux d'avoir des ustensiles locaux tels qu'un bol, une tasse ou une cuillère pour calculer approximativement le volume des aliments.

Une autre méthode consiste à faire remplir un questionnaire par des personnes sachant lire et écrire. Les enfants des écoles peuvent ainsi noter chaque matin pendant une semaine ce qu'ils ont mangé la veille. La procédure doit être répétée à chaque saison. Cette investigation ne renseigne pas sur les quantités consommées mais indique les aliments de base de chaque famille et la fréquence de consommation d'aliments comme la viande, le poisson, les œufs, les fruits et les légumes, ainsi que les variations saisonnières. Cette information qualitative peut également être recueillie auprès d'autres groupes de population.

Observation et investigation combinées. L'enquêteur se rend dans des maisons préalablement sélectionnées et demande à la femme du chef de famille de lui montrer quels aliments elle a l'intention de préparer ce jour-là. Il pèse les aliments et note le nombre, l'âge et le sexe des membres de la famille, puis répète la procédure dans la maison suivante. Cette méthode est évidemment beaucoup plus rapide.

Cependant, la personne interrogée peut n'avoir aucune idée de ce qu'elle va préparer ou en exagérer la quantité. De plus, on ne recueille aucune information sur les aliments jetés et sur la consommation respective des membres de la famille, alors qu'un nutritionniste médical a toujours envie de savoir ce que reçoit un bébé ou une femme enceinte.

Une enquête de ce type réalisée en Afrique sous la direction de statisticiens a rapporté une consommation de plus de 5 000 kcal par personne et par jour alors que la malnutrition sévissait dans la région et que l'apport réel était sans doute proche de 2 000 à 2 200 kcal. Les personnes interrogées avaient donc manifestement essayé d'impressionner l'enquêteur sur leurs conditions de vie.

Réduction des erreurs dues au hasard et des erreurs systématiques. Toutes les méthodes de recueil de données sur l'alimentation sont entachées d'erreurs qui altèrent la fiabilité des résultats, voire amènent à des conclusions erronées. Elles peuvent être dues au hasard ou être systématiques. On peut tenter de les limiter grâce à diverses précautions mais sans atteindre une précision absolue.

Les erreurs dues au hasard sont liées à la précision de la méthode utilisée, et leur impact sur les conclusions diminue avec le nombre d'observations. De plus, ces erreurs se compensent souvent et ne sont donc pas très préoccupantes.

Ce n'est pas le cas des erreurs systématiques, qui, elles, sont souvent cumulatives et augmentent avec le nombre d'observations, et sont donc sont plus préoccupantes.

Les erreurs systématiques résultent de plusieurs types de biais. Les biais liés à l'enquêteur comprennent les erreurs de notation des réponses, l'oubli de certaines questions et l'absence de vérification de la compréhension des questions. Les biais liés au sujet comprennent les réponses inexactes mais conformes à ce que le sujet pense être la réponse attendue (parfois dans le but de paraître mieux ou moins bien loti qu'il n'est), l'évaluation erronée de la quantité de certains aliments consommés et la non-compréhension de certaines questions.

Une autre difficulté réside dans l'appréciation du volume d'une ration ou d'un aliment, une mémorisation médiocre des aliments consommés et l'oubli de ceux qui sont consommés en dehors des repas. Il peut aussi y avoir des erreurs de traduction des quantités consommées en g et en ml ou en nutriments. Enfin, le codage est sujet à des erreurs.

Pour minimiser ces erreurs, on peut recourir au contrôle de qualité, à la formation, au recyclage et à l'évaluation des enquêteurs, des opérateurs de saisie et des analystes; à l'utilisation de questionnaires standardisés et de formulaires de recueil de données bien faits; à l'utilisation systématique d'aliments modèles de différentes tailles et de récipients locaux; enfin et surtout à la conviction du personnel que l'exactitude des données a une importance vitale. Les enquêteurs doivent comprendre qu'il est préférable d'admettre des erreurs que de tenter de les cacher, voire de falsifier les données. Les sujets doivent savoir qu'il vaut mieux admettre qu'ils ne savent pas ou ne se rappellent pas que de donner une réponse fausse.

Tableau 37

Manifestations des principales carences nutritionnelles

Maladie

Nutriment

Prévalence

Manifestations cliniques

Examens biologiques

MPE, kwashiorkor, marasme

Protéines, énergie

Très élevée

Retard de croissance, amaigrissement

  • dans le kwashiorkor: œdèmes, dermatose en peinture écaillée, hépatomégalie, altération des cheveux, troubles du comportement
  • dans le marasme: extrême maigreur avec perte de toute la graisse sous-cutanée

Kwashiorkor: diminution des protéines sériques totales et surtout de l'albumine, chute des enzymes digestives Marasme: diminution de l'hydroxyproline urinaire

Xérophtalmie

Vitamine A

Elevée

Héméralopie, xérose conjonctivale, taches de Bitot, xérose cornée et ulcérations, kératomalacie, taie cornéenne

Diminution de la vitamine A sérique Altération de la réponse à une dose de vitamine A

Béribéri, encéphalopathie de Wernicke

Thiamine

Modérée/faible

Faiblesse, neuropathie périphérique, aréflexie, ataxie, perte de poids, œdèmes, dyspnée, défaillance cardiaque Chez le bébé: tachycardie, aphonie, défaillance cardiaque Dans le syndrome de Wernicke: ataxie, troubles oculaires, psychose

Modification de la cytologie conjonctivale Faible activité transkétolase plasmatique ou érythrocytaire, diminution de la thiamine sur les urines de 24 heures, par g de créatinine urinaire et plasmatique.

Ariboflavinose

Riboflavine

Elevée

Chéilite, stomatie angulaire, glossite, dermatose séborrhéique, notamment des organes génitaux

Augmentation de la gluthation réductase érythrocytaire, diminution de la riboflavine sur les urines de 24 heures ou par g de créatinine

Pellagre

Niacine

Modérée/faible

Dermatose des zones exposées, diarrhée, stomatite, confusion mentale, dépression et psychose

Diminution du N-méthyl-nicotinamide sur les urines de 24 heures ou par g de créatinine

Scorbut

Vitamine C (acide ascorbique)

Faible

Gencives gonflées et saignantes, pétéchies et autres hémorragies cutanées, dépression, faiblesse Chez le bébé: gonflements osseux sensibles, position en grenouille

Diminution de la niacine plasmatique Diminution de la vitamine C leucocytaire et sérique

Anémie mégaloblastique

Folates, vitamine B12

Moyenne

Anorexie, asthénie, dyspnée, œdème malléolaire, chéilite

Diminution de l'hémoglobine, hypersegmentation des leucocytes polynucléaires, globules rouges volumineux ou mégaloblastiques, baisse des folates sériques

Rachitisme, ostéomalacie

Vitamine D

Modérée/faible

Dans le rachitisme: craniotabès, déformations osseuses, chapelet, genu varum, cyphose, irrégularités du crâne

Baisse du 25-hydroxy-cholécalciférol plasmatique. Augmentation des phosphatases alcalines plasmatiques

Anémie microcytaire

Fer

Très élevée

Dans l'ostéomalacie: douleurs osseuses, cyphose, déformations osseuses, tétanie, démarche dandinante

Diminution hémoglobine et ferritine sériques et saturation transferrine, augmentation de la protoporphyrine érythrocytaire libre, globules rouges hypochromiques microcytaires

Carence en iode, goitre, crétinisme

Iode

Très élevée

Asthénie, faiblesse, dyspnée, pâleur cutanéomuqueuse, parfois pica

Baisse de l'iode urinaire

Déficit en zinc

Zinc

Faible

Goitre, chez les enfants de mère déficiente: crétinisme, retard mental, surdimutité, strabisme

Diminution du zinc plasmatique

Caries

Fluor et autres causes

Très élevée

Acrodermatite entéropathique et dermatose bulleuse, nanisme, hypogonadisme Caries, perte de dents Si excès de fluor, fluorose dentaire

 

Statistiques vitales

Les données concernant les naissances et les décès ne sont pas enregistrées de façon exhaustive et précise dans tous les pays, et la situation a peu de chances de changer dans les années à venir. Mais ces données sont tellement importantes dans différents domaines de la santé publique, dont l'état nutritionnel, que leur collecte même dans de petites zones d'un pays est intéressante. Par exemple, le taux de mortalité infantile est un bon indicateur de la santé et de l'état nutritionnel d'une communauté. La mortalité néonatale (0 à 30 jours) et la mortinatalité sont également intéressantes.

Dans les pays en développement, la mortalité juvénile (1 à 5 ans) est la plus utile pour le nutritionniste. Elle donne une bonne idée de la prévalence de la MPE bien qu'elle ne soit pas représentative de l'état nutritionnel de toute la communauté.

Elle constitue aussi un bon indicateur de développement. Dans des pays comme la Scandinavie, l'ex-URSS, l'Amérique du Nord et le Royaume-Uni, elle est inférieure à 1 pour 1 000, alors que dans la majeure partie de l'Afrique et de l'Asie, elle est au moins 35 fois plus élevée. La mortalité infantile est de 7 pour 1 000 en Suède et de 35 à 150 pour 1 000 dans la plupart des pays africains.

Bien qu'il soit impossible pour un enquêteur ou une équipe de recueillir toutes ces données, il est possible d'en obtenir quelques-unes au cours de l'enquête, en demandant par exemple aux femmes mariées en âge de procréer combien d'enfants elles ont mis au monde et combien sont encore en vie aujourd'hui.

Ces deux réponses permettent de connaître le pourcentage d'enfants qui sont morts et le taux de fertilité. On peut aussi demander à la mère l'âge de ses enfants vivants, l'âge approximatif auquel ses enfants sont morts et la cause supposée de leur décès, avec tout le tact requis.

Il faut se souvenir que l'on ne recueille ainsi que des estimations grossières mais très utiles, et surtout que ces informations sont les seules disponibles pour quelque temps encore.

Autres données utiles

D'autres données sanitaires sont utiles à l'évaluation de l'état nutritionnel: l'incidence des diarrhées, de la rougeole et d'autres affections (voir chapitre 3: relation entre nutrition, infections, santé et maladies).

Comme la sécurité alimentaire dépend de la production (voir chapitres 2 et 35), les données agricoles sont utiles pour estimer la probabilité de sécurité alimentaire. De même, les données économiques permettent d'apprécier le climat nutritionnel d'un pays ou d'une région: revenus, pouvoir d'achat, prix des denrées et système de distribution. Les données des scientifiques sont utiles à l'évaluation de l'état nutritionnel, de la qualité des aliments et de la sécurité alimentaire.

Techniques participatives et évaluations rapides

Dans le domaine de la nutrition, comme dans le domaine social et agricole notamment, on réalise de plus en plus que les méthodes participatives de recueil de données ont de nombreux avantages. L'implication de la communauté, donc des bénéficiaires potentiels, dès le début, leur participation à l'évaluation et à l'analyse plutôt qu'à la mise en œuvre du projet seulement, s'est révélée très utile. En effet, cette participation contribue à sensibiliser la population, à mobiliser les ressources locales, à responsabiliser les gens et à assurer la pérennité de l'action entreprise. Les membres de la communauté, villageois ou citadins, comprennent mieux leurs problèmes de nutrition ou de santé et les causes réelles de ces problèmes. Ils proposent des solutions et jouent un rôle central dans la mise en œuvre des interventions. Cette forme de développement participatif, que l'on recommande maintenant pour la nutrition, a été bien décrit il y a 30 ans par Paulo Freire, qui travaillait au Brésil et l'avait appelé "conscientisation" de la communauté. Elle consiste à aider la communauté à mieux comprendre les causes et les conséquences de ses problèmes nutritionnels, et surtout à déterminer comment elle peut s'unir pour les surmonter.

Au cours de la dernière décennie, une série de techniques et d'outils d'évaluation participative ont vu le jour. Des entretiens semi structurés avec des personnes sélectionnées ou des groupes focaux sont combinés à l'observation (transect walk) et aux techniques de visualisation (cartographie, calendriers saisonniers, exercices de classement, courbes des temps et diagrammes de Venn). Ces techniques sont particulièrement utiles pour comprendre les habitudes alimentaires et les croyances afférentes, les droits, les contraintes et le rôle des différents membres de la famille vis-à-vis de la nutrition (sécurité alimentaire, santé et soins). Le choix des techniques et leur combinaison sera déterminé par les besoins d'information et le temps dont disposent les membres de la communauté. Il faut toujours croiser les informations obtenues par différentes techniques. Il faut analyser les données recueillies au fur et à mesure pour relever les incohérences et les manques de façon à les combler lors de l'étape suivante.

L'idéal est de réaliser l'évaluation participative conjointement par la communauté et du personnel local, puisqu'il s'agit d'un processus continu qui devrait faire partie intégrante des activités de développement communautaire (l'identification et la sélection des activités destinées à assurer la sécurité alimentaires et la nutrition des foyers, le suivi et l'évaluation et, enfin, la reformulation).

L'acceptation de méthodes participatives d'évaluation rapide constitue le deuxième changement important dans les évaluations de l'état nutritionnel. Ces méthodes permettent d'avoir rapidement un panorama de la situation, qui permet d'identifier les questions nécessitant davantage de données. On peut ensuite les compléter à la demande par des enquêtes formelles ou un recueil de données de routine. Ces méthodes rapides empruntent à l'anthropologie et aux sciences sociales la possibilité de recueillir conjointement des données quantitatives et qualitatives. Elles sont prometteuses, car elles apportent des informations utiles sans qu'il soit nécessaire de recourir à des enquêtes complexes ou à de grands échantillons. Bien qu'habituellement effectuées par des experts internationaux ou nationaux, elles devraient associer le personnel local travaillant dans le développement qui pourra assurer le suivi dans le cadre de ses activités.

SURVEILLANCE NUTRITIONNELLE

La surveillance nutritionnelle est un ensemble d'activités destinées à rassembler des informations pour aider la prise de décisions politiques et programmatiques susceptibles d'influencer l'état nutritionnel. Elle comporte habituellement le recueil régulier, l'analyse et le compte rendu de données nutritionnelles. Elle diffère des enquêtes par le caractère continu ou périodique de la collecte de données. Pendant des années, on a recueilli toutes sortes d'informations pour prendre des décisions, mais la surveillance n'est devenue une des activités principales que depuis la publication d'un rapport d'un comité d'experts FAO/UNICEF/OMS intitulé Methodology of nutritional surveillance (OMS, 1976).

En raison des multiples facteurs qui influencent l'état nutritionnel, le suivi nutritionnel et ses indicateurs proviennent de plusieurs disciplines et vont de la météorologie à la production alimentaire.

Comme la nutrition est liée aux conditions sociales, économiques, sanitaires et agricoles notamment, l'état nutritionnel reflète le niveau de développement d'une société. Certains indicateurs nutritionnels sont souvent de meilleurs reflets d'un développement équitable que les indicateurs économiques classiques comme le produit national brut.

Informations destinées à la prise de décision

La surveillance nutritionnelle, tout comme les enquêtes, n'est utile que si les données recueillies servent à améliorer l'état nutritionnel de la population. La faiblesse de nombreux programmes de surveillance est que les données recueillies n'ont pas servi à résoudre les problèmes nutritionnels. Pour diverses raisons, les décideurs n'en ont pas tenu compte pour agir. Pourquoi? Soit parce que l'on avait déjà assez de données au départ, soit que le type de données nécessaires n'avait pas été fourni ou qu'il n'y avait pas une volonté ou des ressources suffisantes pour résoudre les problèmes. On admet en général que l'information doit être fournie sous une forme aisément compréhensible et en temps opportun.

Autrefois, les nutritionnistes et le personnel de santé recueillaient des données et les transmettaient aux décideurs en espérant qu'une intervention suivrait. Il est beaucoup plus judicieux d'y réfléchir de façon approfondie. La première étape après l'identification des questions principales devrait être de discuter et de passer en revue les politiques et les programmes susceptibles d'y remédier et de déterminer comment prendre des décisions visant à influencer ces politiques et ces programmes. Cet exercice amènerait les décideurs à déterminer eux-mêmes les données dont ils ont besoin pour prendre des décisions. Grâce à cette approche, les données correspondraient aux besoins des décideurs et auraient des chances d'être réellement utilisées. Les données seraient analysées et discutées avec eux, et on pourrait décider des actions à entreprendre. Ensuite, on déterminerait l'impact de ces actions.

Avant d'initier la surveillance, on devrait s'assurer qu'il existe une bonne communication entre la population et les institutions recueillant les données, et que celles-ci parviendront à la fois à la population et aux institutions qui ont un pouvoir de décision.

Evaluation et suivi des problèmes nutritionnels

Les indicateurs d'état nutritionnel sont légion. En voici une sélection qui a été utilisée en surveillance nutritionnelle (FAO/OMS, 1992b).

Il faut choisir localement les indicateurs les plus adaptés, de préférence peu nombreux et se prêtant à un recueil régulier et facile. Dans les pays en développement, l'indicateur le plus largement utilisé est le rapport poids/âge. Cependant, ces données sont rarement représentatives, car recueillies dans des hôpitaux ou des centres de protection maternelle et infantile. Or, pour la surveillance nutritionnelle, les données devraient être représentatives de la population ciblée (par exemple, les enfants de 6 à 36 mois d'un district donné) et devraient être recueillies périodiquement. On peut obtenir ce type de données dans des sites sentinelles soigneusement choisis. Cependant, bien que les données de poids/âge donnent une idée de l'état nutritionnel et de ses tendances évolutives si elles sont recueillies régulièrement, elles ne donnent aucune indication sur les causes de malnutrition. Ces déterminants sous-jacents peuvent être regroupés en trois catégories: sécurité alimentaire, santé et soins (voir chapitre 1). On collecte souvent des données en routine sur certaines de ces causes.

Lors de crises alimentaires, des indicateurs d'alerte rapide peuvent permettre d'agir avant le stade de famine avérée. Ces indicateurs peuvent être basés sur les prévisions en matière de disponibilité alimentaire et de prix des denrées. Dans les pays où les sécheresses sont fréquentes, la pluviométrie est un facteur d'alerte rapide; il faut y ajouter l'état et les prévisions des récoltes, le suivi des réserves, des mises sur le marché et des prix. Des familles sentinelles peuvent fournir des informations utiles quantitatives (rendements agricoles et stocks familiaux) et parfois qualitatives (vues subjectives de la sécurité alimentaire familiale et alerte lorsque les familles doivent vendre leurs biens pour acheter de la nourriture).

Lorsqu'on envisage les relations entre la santé et la nutrition, on envisage généralement les infections (rougeole, coqueluche, diarrhées, infections respiratoires, parasites intestinaux et paludisme) et leur suivi. Les principales interventions de santé méritent aussi un suivi: les vaccinations, la thérapie de réhydratation orale, les consultations régulières, l'éducation pour la santé et la nutrition, l'assainissement et l'amélioration de l'accès à l'eau.

Pour suivre les pratiques de soins et leur impact sur la nutrition, il faut recueillir des données sur l'allaitement et le sevrage, le temps dont disposent les mères pour s'occuper des enfants et les activités concurrentes, le traitement respectif des filles et des garçons, les réponses des familles au manque d'appétit ou à des problèmes de santé etc.

La majorité des indicateurs discutés ci-dessus sont directement liés à la MPE, mais beaucoup sont aussi associés à des carences en micronutriments. L'absence de sécurité alimentaire, une incidence élevée de maladies et des pratiques de soins médiocres ont un impact négatif sur l'apport en vitamine A et en fer tout comme sur la MPE. On peut suivre les carences spécifiques en contrôlant, par exemple, les taux de cécité nocturne pour la vitamine A et le niveau d'hémoglobine pour le déficit en fer. On peut aussi recueillir des données objectives dans des familles sentinelles ainsi que des données sur la consommation alimentaire.

Le recours aux méthodes d'évaluation rapide est aussi potentiellement très utile dans le suivi des interventions nutritionnelles. On peut recueillir des données qualitatives notamment sur le fonctionnement des programmes.

TABLEAU 38

Les quatre types de surveillance nutritionnelle

Objectif

Type

Prévenir les diminutions critiques de consommation alimentaire à court terme

Alerte précoce et intervention

Améliorer les effets nutritionnels des politiques de développement exprimées à travers des programmes

Planification de la politique nutritionnelle et des interventions

Rationaliser et maximiser l'efficacité des programmes de santé et de nutrition

Gestion et évaluation

Evaluer et/ou contrôler les indicateurs d'état nutritionnel comme base pour diriger les ressources vers des problèmes nutritionnels particuliers

Sensibilisation et plaidoyer

Systèmes de surveillance nutritionnelle

Il existe quatre types de surveillance qui diffèrent par leurs objectifs (tableau 38). Certains pays n'en ont qu'un, d'autres plusieurs et parfois les quatre à la fois. Quand on en utilise plusieurs, ils peuvent être coordonnés de manière organisée et avoir des données communes.

Alerte précoce et intervention. La surveillance nutritionnelle a été initialement mise en place pour prévenir les gouvernements des pays pauvres de l'imminence de crises alimentaires à la manière de la surveillance des grandes endémies. En effet, des maladies comme la peste ou le choléra doivent être notifiées chaque semaine par chaque district au ministère de la santé, qui les transmet à l'OMS. De même, en cas de famine, le nombre de décès ou de malnutritions graves peut être recueilli et rapporté. Contrairement aux flambées épidémiques des maladies, les famines s'accompagnent de nombreux cas de malnutrition.

La surveillance nutritionnelle rapporte au gouvernement des indicateurs qui le préviennent d'un désastre nutritionnel imminent. Ces indicateurs font partie de la liste fournie plus haut: modes de production, prix des denrées, stocks alimentaires et pertes de poids corporel.

Les données nécessaires à un système d'alerte rapide doivent être choisies dans chaque pays ou chaque région touchée. Il faut que le système soit sensible et puisse prédire les crises même si celles-ci ne se concrétisent pas toujours.

Des précipitations inférieures à un certain seuil pendant deux ou trois mois d'une période critique pour les récoltes peut constituer le premier indicateur. Des données sur les cultures importantes avant la récolte fournissent d'autres indications utiles. On peut ensuite surveiller les estimations de production alimentaire et de consommation. Enfin, on peut contrôler des indicateurs d'état nutritionnel proprement dits comme le poids des adultes et des enfants dans des familles pauvres.

Dans certains pays, des indicateurs indirects se sont révélés utiles: la mise en gage de possessions domestiques, la substitution d'un aliment favori comme le riz par un autre comme le manioc, ou la mesure réelle des réserves alimentaires de foyers sentinelles.

En Indonésie, une alerte rapide a été mise en place dans des districts enclins aux sécheresses. Les données recueillies au niveau du district étaient rapidement transmises au fonctionnaire qui avait l'autorisation d'agir immédiatement. Un système de sécurité alimentaire a été établi au niveau de chaque district, si bien que, dès que la surveillance indiquait un déficit alimentaire, les marchés locaux recevaient une provision de riz de façon à éviter une hausse des prix et une pénurie. Si les données avaient dû remonter jusqu'à la capitale pour une analyse préalable à la prise de décision, comme cela se passe dans la plupart des pays, la réaction aurait été trop tardive. Cet exemple illustre parfaitement la nécessité d'obtenir des données et de les transmettre rapidement aux personnes ayant autorité pour agir. Ce besoin n'est malheureusement pas souvent satisfait: les données deviennent des rapports lus par des gens qui sont loin du problème et à partir desquels on ne fait pas grand chose.

Surveillance nutritionnelle pour la planification de la politique et des programmes nutritionnels. Les gouvernements et les autorités locales peuvent utiliser de nombreux indicateurs, dont ceux mentionnés ci-dessus, pour influencer la planification des politiques et des programmes. Ces données peuvent concerner l'état nutritionnel proprement dit ou de multiples autres facteurs qui influencent la nutrition. On peut, par exemple, recueillir régulièrement des données anthropométriques pour décrire les tendances évolutives de la MPE. On peut analyser ces données pour distinguer les groupes de population les plus touchés, les provinces les plus affectées par la malnutrition, les groupes sociaux les plus défavorisés ou les autres facteurs de santé les plus liés à la MPE. L'étape suivante peut consister à choisir des interventions directes (un centre de supplémentation nutritionnelle ou de l'éducation nutritionnelle) pour les groupes les plus touchés et à proposer des améliorations des politiques existantes (crédits aux petits exploitants, augmentation de la productivité et vente d'aliments de base subventionnés aux citadins nécessiteux) pour influencer favorablement l'état nutritionnel.

Le Costa Rica a, depuis 1978, un système national de surveillance et d'information nutritionnelle destiné à axer les interventions sur les populations les plus pauvres et les régions défavorisées. Les données anthropométriques recueillies comprennent la taille des enfants à leur entrée à l'école primaire et le poids des enfants plus jeunes mesurés lors des visites à domicile. L'un des buts de cette surveillance est d'utiliser les programmes existants de façon plus efficace en ciblant les familles pauvres qui ont le plus de MPE.

Les interventions peuvent être strictement nutritionnelles (distribution de suppléments, de fer) ou non nutritionnelles mais censées avoir un impact nutritionnel (vaccination antirougeoleuse, eau et assainissement, réduction de la charge de travail des femmes).

Surveillance nutritionnelle pour la gestion et l'évaluation. La surveillance peut servir à évaluer des programmes visant à améliorer l'état nutritionnel et contribuer à leur gestion. Par exemple, les données du contrôle de la croissance sur cinq ans peuvent permettre d'apprécier si un système de crédit aux agriculteurs a amélioré l'état nutritionnel des enfants, ou des données sur la cécité nocturne servent à apprécier l'effet des activités de maraîchage sur l'apport en vitamine A.

Les données peuvent servir d'outil de gestion interne pour juger l'efficacité avec laquelle les différentes régions d'un pays atteignent leurs objectifs ou comparer l'impact de deux options destinées à résoudre le même problème nutritionnel.

Surveillance nutritionnelle pour la sensibilisation. Les scientifiques ont souvent des réticences à plaider en faveur du sujet qu'ils étudient, pensant à tort qu'il ne s'agit pas d'une approche scientifique. Il est pourtant très souhaitable que tous ceux qui sont impliqués dans la nutrition plaident en faveur des interventions. L'existence de problèmes de nutrition graves dans une région qui dispose de nourriture et de services de santé est inacceptable, et il est juste de plaider en faveur d'interventions qui réduisent la malnutrition.

La surveillance consiste dans ce cas en un recueil de données sur la prévalence de la MPE ou de carences en micronutriments ou d'autres indicateurs liés aux précédents pour obtenir des soutiens pour les interventions. Ce soutien peut être sollicité en faisant connaître au gouvernement les problèmes découverts ou en amenant le gouvernement à agir en médiatisant le problème. L'idée est de pousser les responsables des politiques à allouer des ressources et une assistance à la mise en place des interventions nutritionnelles dans les communautés touchées. On a, par exemple, constaté au Chili que la diminution des suppléments alimentaires aux familles pauvres avait amené une détérioration de l'état nutritionnel. Les tenants de la supplémentation ont alors utilisé les données anthropométriques du système de suivi de la croissance qui montrait une augmentation récente des taux de malnutrition chez les enfants. Devant ces résultats, le gouvernement a restauré les suppléments.

Le cycle de surveillance nutritionnelle

Le tableau 39 illustre les 10 étapes de base de la surveillance nutritionnelle. Celles-ci forment un cycle: quand l'étape 10 est atteinte, il faut recommencer. Les cinq premières étapes comportent l'évaluation, le recueil et l'analyse de données. Les étapes 6 à 10 comprennent la prise de décision et la mise en œuvre consécutive des interventions.

La surveillance nutritionnelle fait partie d'un système de gestion des données. Elle est concrètement destinée à fournir aux décideurs les informations qui les aideront à choisir les meilleures interventions. Il ne reste plus qu'à espérer que ces décisions seront prises par des personnes expérimentées qui ont l'autorité, les capacités et les ressources suffisantes pour agir dans le bon sens.

TABLEAU 39

Les principales étapes de la surveillance nutritionnelle

Domaine

Evaluation

Mise en œuvre

Impact

1. -Identification du problème, dont l'impact attendu de l'action qui sera entreprise

10. -Impact réel

Intervention

2. -Politiques et stratégies d'intervention proposées

9. -Mise en œuvre basée sur la décision

Décision

3. -Décisions potentielles concernant la politique et les interventions

8. -Décision prise en fonction de l'information

Information

4. -Information nécessaire à la prise de décision

7. -Analyse des données transformées en information

Données

5. -Données nécessaires pour générer des informations

6. Recueil des données



PHOTO 69

Ce compas sert à mesurer l'épaisseur du pli cutané du triceps

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