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Chapitre 11 - GESTION DE LA FERTILITÉ DES SOLS


Les sols
Évaluation agronomique


André Bationo, Chercheur principal (Chimie des sols), IFDC/Centre sahélien de l'ICRISAT, BP 12404, Niamey, Niger; et Zana Somda, Post-Doctorat, Centre sahélien de l'ICRISAT/ILRI, BP 12404, Niamey, Niger

La plupart des sols de la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest se caractérisent par leur faible teneur en éléments nutritifs et la fertilité de ces sols s'avère souvent un facteur plus limitatif à la production agricole que la pluviométrie. La réponse des cultures à l'azote dans cette zone dépend de la quantité totale de pluie et aussi de sa distribution.

Les recherches effectuées avec 15N montrent que les pertes d'azote par volatilisation sont énormes et peuvent atteindre plus de 50% de l'azote appliqué. L'introduction de la rotation céréales et légumineuses permet de diminuer et parfois d'éliminer l'application des engrais azotés minéraux suite aux résultats obtenus en station de recherche.

Beaucoup de recherches sur les ressources naturelles agro-minérales ont donné des résultats importants. C'est ainsi qu'il a été établi que certains phosphates peuvent être utilisés à l'état naturel alors que d'autres ont besoin d'être partiellement acidifiés. L'efficacité des engrais phosphatés peut être améliorée par la méthode d'application et par l'emploi de la chaux.

Le recyclage des résidus organiques est une condition préalable nécessaire pour une production agricole durable. La culture continue sans recyclage des résidus de récolte se traduit par une baisse rapide du niveau de matière organique dans les sols, un lessivage des bases suivi d'une apparition de toxicité de l'aluminium.

Bien que beaucoup de technologies en matière de gestion intégrée de la fertilité des sols aient été développées dans la région, très peu de paysans les utilisent. Il est suggéré que, pour les recherches futures, l'accent soit mis sur la recherche en milieu réel, avec la participation des paysans afin de pouvoir tenir compte de leurs contraintes socio-économiques dans l'élaboration des technologies nouvelles ou le raffinement des technologies existantes.

L'agriculture des pays sub-sahariens connaît une crise plus aiguë que toute autre région du monde. Le taux élevé de la croissance démographique et la faible utilisation des techniques améliorées de production ont provoqué une baisse continuelle de la production agricole par habitant et une détérioration du niveau nutritionnel de la population rurale. L'Afrique sub-saharienne ne pourra produire que 75% de ses besoins alimentaires d'ici l'an 2000 si les tendances de production actuelles ne sont pas redressées de façon drastique.

TABLEAU 9 - Etendue, moyenne et écart type de quelques propriétés physiques et chimiques des sols de la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest

Paramètres

Etendue

Moyenne

Ecart type

pH H2O (2:1 eau-sol)

3.95 - 7.6

6.17

0.66

pH Kcl (2:1 Kcl:sol)

3.41 - 7.0

5.05

0.77

Argile (%)

0.7 - 13

3.9

2.67

Sable (%)

71 - 99

88

8

Matière organique (%)

0.14 - 5.07

1.4

1.09

Azote total (mg kg-1)

31 - 226

446

455

Base échangeable (Cmol kg-1)



Ca

0.15 - 16.45

2.16

3.01

Mg

0.02 - 2.16

0.59

0.55

K

0.03 - 1.13

0.20

0.22

Na

0.01 - 0.09

0.04

0.01

Acidité échangeable (Cmol kg-1)

0.02 - 5.6

0.24

0.80

Capacité d'échange cationique effective CECE (Cmol kg-1)

0.54 - 19.2

3.43

3.801

Saturation en base (%)

36 - 99

88

17

Saturation en Al (%)

0 - 46

3

8

Phosphore total (mg P kg-1)

25 - 941

136

151

Phosphore assimilable (Bray P1) (mg P kg-1)

1 - 83

8

14

Maximum d'adsorption du phosphore (mg P kg-1)

27 - 406

109

76

Traditionnellement, les paysans restauraient la fertilité de leur sol par la pratique de la jachère, mais la pression démographique actuelle ne permet plus cette pratique et on assiste à une accélération de la mise en culture de certaines terres marginales. Ceci a des conséquences désastreuses sur l'environnement, notamment à cause de la dégradation continuelle des sols. L'agriculture africaine a toujours été caractérisée comme une agriculture minière en ce sens qu'elle prélève du sol, chaque année, plus d'éléments nutritifs qu'elle n'en retourne au sol.

Le bas niveau de fertilité naturelle et la faible utilisation des engrais sont les principales raisons pour lesquelles les sols de la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest produisent bien en dessous de leur pouvoir potentiel. Il est ainsi reconnu de nos jours, que la seule voie possible pour l'Afrique de relever le défi est l'intensification de la production agricole avec une utilisation plus grande et plus efficace des engrais, combinée à l'adoption des variétés à hauts rendements et une meilleure gestion des systèmes de culture.

Ce chapitre fait une brève synthèse des acquis récents de la recherche en matière de gestion de la fertilité des sols dans la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest. Les données utilisées proviennent essentiellement des recherches du projet conjoint sur la gestion intégrée de la fertilité des sols en zone soudano-sahélienne entre le Centre international pour le développement des engrais (IFDC) et le Centre international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT). Dans un premier temps, nous présenterons quelques propriétés physico-chimiques des sols de la région. Nous discuterons par la suite de la gestion intégrée des éléments nutritifs en mettant l'accent sur l'utilisation efficace des ressources naturelles comme les agro-minéraux disponibles dans la région et le recyclage des éléments nutritifs provenant des résidus organiques.

Les sols

Quelques propriétés physiques et chimiques de 31 sites représentatifs de cette zone sont présentées au Tableau 9.

Les sols sont en général très sableux avec des teneurs en sable de l'horizon de surface (0-20 cm) variant entre 71 et 99%. A cause de cette nature sableuse, la capacité de rétention en eau est très faible. Les sables dunaires du Sahel ont une conductivité hydraulique très élevée (150 à 200 cm/jour) et donc un drainage interne très rapide. Mais dans la zone soudanienne et nord guinéenne, avec l'augmentation de la teneur en argile, la formation de croûte peut réduire très significativement le drainage interne. De façon générale, ces sols ont une très faible fertilité naturelle qui s'exprime par les faibles teneurs en matières organiques azote total et la capacité d'échange cationique effective. Les coefficients de corrélation entre différents paramètres de fertilité des sols indiquent d'une part que le taux de matières organiques augmente de façon très significative avec l'augmentation de la pluviométrie moyenne et, d'autre part, que la capacité d'échange cationique effective est plus corrélée avec le niveau de matière organique qu'avec le niveau d'argile.

Évaluation agronomique


L'azote
Recyclage des éléments nutritifs à partir des résidus de récolte
Le phosphore


L'azote

Une revue récente sur les doses d'azote, les méthodes d'application, le choix de la meilleure source d'azote et les facteurs climatiques et pédologiques qui peuvent affecter l'efficacité de l'azote dans la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest a été publiée par plusieurs auteurs (Mughogho et al., 1986; Bationo et al., 1989; Christianson et al., 1990; Christianson et Vlek, 1991; Bationo et al., 1993; Sedogo, 1993; et Lompo, 1993).

Bien que l'importance de l'application des engrais azotés ait été bien établie, leur utilisation reste très limitée en Afrique de l'Ouest à cause du coût élevé de l'azote, l'inefficacité du système de distribution, les politiques agricoles inadéquates, le faible taux de recouvrement des engrais azotés et d'autres facteurs socio-économiques. Ces dernières années, les chercheurs se sont penchés sur d'autres moyens moins coûteux pour apporter l'azote dans les systèmes de culture et notamment sur la rotation légumineuses et céréales. Les légumineuses sont reconnues pour augmenter la fertilité du sol à cause de la fixation symbiotique de l'azote (Bationo et al., 1993; Stoop et Staveren, 1981; Reddy et al., 1992).

La Figure 13 montre l'effet de la culture continue du mil (M-M), la rotation entre le mil et les légumineuses comme l'arachide et le niébé (M-N, M-A) et la rotation entre le mil et la jachère (M-J) dans les différentes zones de la région. Il ressort de cette figure que la culture continue du mil s'est traduite par une forte réduction des rendements alors que la rotation avec les légumineuses permet parfois de presque doubler les rendements, même sans apport d'azote comme dans le cas de Tara. Il a toujours été assumé que l'effet bénéfique de la rotation était dû à l'apport d'azote par les légumineuses mais les rendements des légumineuses sont aussi faibles en culture continue par rapport à la rotation avec les céréales. D'autres avantages tels que la conservation du sol, le contrôle des maladies et des insectes, le maintien de la matière organique du sol, sont liés à la rotation. Nous pouvons donc conclure que l'adoption de la rotation céréales et légumineuses au lieu de la culture associée pratiquée actuellement avec de très faibles densités de semis des légumineuses, pourrait diminuer voire même éliminer parfois les besoins d'application des engrais azotés.

FIGURE 13 - Effets de différents systèmes de rotations et de l'azote sur le rendement en grain de mil dans les zones agro-écologiques du Niger, 1989-92

SADORE

TARA

BENGOU

Recyclage des éléments nutritifs à partir des résidus de récolte

Les leçons qu'on peut tirer des essais à long-terme du maintien de la fertilité des sols établi dans cette zone permettent de conclure que l'utilisation des engrais minéraux sans le recyclage des résidus organiques résultent en une baisse des rendements avec le temps (Bationo et Mokwunye, 1991; Jones, 1973; Pichot et al., 1981). Avec seulement l'application des engrais minéraux, on assiste à une baisse de la matière organique du sol, un lessivage des bases échangeables et l'acidification des sols (Bâche et Heathcote, 1969; Mokwunye, 1981).

Cette diminution des rendements en culture continue a surtout été attribuée à l'apparition de la toxicité en aluminium et à la déficience en d'autres éléments qui ne sont pas apportés par les engrais minéraux. Aussi, depuis plusieurs années, les chercheurs ont tenté de combiner le recyclage des résidus de récolte avec les engrais minéraux pour une production agricole durable dans la région. Dans la zone sahélienne, une réponse très significative suite à l'application des résidus de récolte et des plus hauts rendements sont obtenus quand on combine ces résidus de récolte avec les engrais minéraux. Par contre, dans la zone soudano-sahélienne, à l'exception de l'année 1990, l'application des résidus de récolte n'a eu aucun effet sur les rendements du mil alors que les rendements en coques et en fanes de l'arachide ont augmenté très significativement suite à l'application des résidus de récolte.

Dans la zone soudanienne, Sedogo (1993) a montré que les rendements de sorgho diminuaient graduellement avec l'application des engrais minéraux et qu'ils ne pouvaient être maintenus qu'avec la combinaison du fumier et des engrais minéraux. Dans la zone sahélienne, Bationo et al. (1993) ont montré l'importance des amendements organiques pour le maintien de l'azote dans le profil du sol et la lutte contre le processus d'acidification des sols. Les mêmes résultats ont été obtenus dans la zone soudanienne où l'application des résidus de récolte a permis de maintenir une bonne saturation en bases échangeables et donc le maintien de faibles teneurs en aluminium échangeables.

Les résidus de récolte sont surtout utilisés sur la ferme comme source d'aliments pour le bétail, pour la cuisson des aliments et pour la fabrication des habitations et des clôtures. Il en reste en fait très peu pour l'utilisation en agriculture. Cette compétition pour les résidus de récolte suggère qu'il serait très important d'augmenter leur niveau de production au niveau de la ferme en utilisant dans un premier temps les engrais minéraux afin d'en avoir suffisamment pour l'amendement des sols.

Le phosphore

La déficience constitue le facteur le plus limitatif à la production agricole dans la zone semi-aride de l'Afrique de l'Ouest. Pendant plusieurs années, différents chercheurs ont entrepris plusieurs travaux afin de déterminer jusqu'à quel point se situe la déficience en phosphore et le besoin en phosphore des différentes cultures de la région. Ils ont également tenté d'évaluer le potentiel agronomique de différentes sources de phosphore et plus particulièrement les phosphates naturels locaux (Pichot et Roche, 1972; Jones, 1973; Truong et al., 1978; Thibout et al., 1980). Traoré (1974) conclut que, pour les zones sèches du Mali, la réponse à l'azote ne peut être obtenue qu'une fois que la déficience en phosphore a été corrigée.

L'utilisation des engrais phosphatés commerciaux est très limitée dans la région à cause du coût élevé des engrais chimiques mais il existe des dépôts importants de phosphates naturels (McClellan et Notholt, 1986) dans plusieurs pays. L'application directe des ressources locales de phosphates naturels peut être une alternative économique à l'utilisation des engrais importés et peut permettre une économie de devises.

L'efficacité agronomique des phosphates naturels dépend de leur composition chimique et minéralogique, ainsi que des facteurs du sol et du type de culture (Khasawneh et Doll, 1978; Lehr et McClellan, 1972). Truong et al., (1978), en comparant différents phosphates naturels de l'Afrique de l'Ouest ont trouvé que seuls les phosphates naturels de Tilemsi au Mali et Tahoua au Niger étaient aptes pour l'application directe. Bationo et al., (1986), ont trouvé que les phosphates naturels de Tahoua et du Parc-W au Niger avaient une efficacité agronomique effective de respectivement 76% et 48% lorsqu'on les compare au superphosphate simple.

L'efficacité des phosphates naturels est due à leur faible solubilité, ce qui se traduit par leur faible capacité à pourvoir le phosphore dans la solution du sol. L'acidification partielle des phosphates naturels (PNPA) peut être une façon d'augmenter leur solubilité. Le terme PNPA se réfère à des phosphates naturels qui ont été traités avec seulement une portion de l'acide (sulfurique ou phosphorique) requis pour convertir le phosphate tricalcium insoluble en phosphate monohydrate soluble à l'eau. Ainsi, le terme PNPA50 indique que 50% de l'acide requis pour complètement acidifier les phosphates naturels ont été utilisés pour préparer le produit. Ce produit peut être attractif parce que c'est un des moyens pour utiliser les phosphates non réactifs et qui permet de faire des économies. Par exemple, le coût de phosphate dans le PNPA est estimé être d'environ 80% de celui du superphosphate simple à la sortie de l'usine. Le Tableau 10 donne un résumé des résultats obtenus dans divers tests agronomiques à travers différentes zones agro-écologiques de l'Afrique de l'Ouest par le Centre International pour le Développement des Engrais. Nous pouvons conclure que de façon générale, les PNPA ont une efficacité agronomique très proche des engrais commerciaux importés.

TABLEAU 10 - Efficacité agronomique relative des phosphates partiellement acidifiés dans différentes zones agro-écologiques de l'Afrique de l'Ouest

Traitements

Ordre du sol

Culture

Efficacité agronomique relative*

Togo PNPA 50

Alfisol

Maïs

90

Togo PNPA 50

Ultisol

Maïs

66.7

Togo PNPA 50

Oxisol

Maïs

108.9

Kodjari PNPA 50

Alfisol

Maïs

84.1

Kodjari PNPA 50

Alfisol

Sorgho

81.3

Kodjari PNPA 50

Alfisol

Mil

108.9

Parc-W PNPA 50

Entisol

Mil

93.4

* par rapport au superphosphate simple


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