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Chapitre 5 - Charbonnières en fosse


5.1 La méthode
5.2 Données techniques et économiques


L'emploi de la terre comme écran isolant pour éviter l'entrée de l'oxygène et des pertes de chaleur excessives est le système de carbonisation le plus ancien, qui remonte certainement à la nuit des temps, et est encore aujourd'hui sans doute plus répandu qu'aucune autre méthode de fabrication de charbon de bois. C'est pourquoi il est intéressant de l'étudier attentivement pour déceler ses avantages et ses inconvénients La charbonnière en terre conserve manifestement sa place en raison de son faible coût. Partout où il pousse des arbres, on trouve de la terre, et il est naturel que l'on se soit adressé à ce matériau incombustible peu coûteux pour enfermer hermétiquement le bois durant la carbonisation.

On peut employer la terre de deux manières distinctes pour confectionner une charbonnière. La première consiste à creuser une fosse dans laquelle on place la charge de bois, et que l'on recouvre hermétiquement avec la terre de déblai. La seconde consiste à recouvrir de terre une pile ou meule de bois sur le sol (5, 12, 16, 19, 20, 21, 28). La terre forme une barrière imperméable à l'abri de laquelle la carbonisation peut se produire sans qu'il y ait infiltration d'air, qui entraînerait une combustion complète du charbon. Les deux méthodes, si elles sont habilement appliquées, permettent de produire un bon charbon de bois, dans les limites de leurs possibilités techniques.

5.1 La méthode


5.1.1 Carbonisation en petites fosses
5.1.2 Carbonisation en grandes fosses


La carbonisation en fosse exige une couche épaisse de sol. On trouve habituellement des dépôts convenables de sol meuble le long des berges des ruisseaux. La fosse peut avoir de grandes dimensions, et le cycle complet de carbonisation peut prendre jusqu'à trois mois (13, 31, 32). La mise de fonds initiale est minime; il ne faut rien de plus qu'une pelle, une hache et une boite d'allumettes. Mais cette méthode est dispendieuse en ressources ligneuses. Il est très difficile de contrôler la circulation de gaz dans la fosse, et une grande partie du bois est réduite en cendres parce qu'elle reçoit trop d'air, tandis qu'une autre portion n'est que partiellement carbonisée parce qu'elle n'a pas été convenablement chauffée et séchée durant l'opération. Outre ces variations grossières de qualité, il y a des variations dans la teneur en matières volatiles, c'est-à-dire dans le degré de carbonisation du charbon acceptable. La raison en est que dans la fosse la carbonisation commence à un bout et progresse vers l'autre extrémité; le charbon produit au début, étant chauffé plus longtemps' a une teneur en matières volatiles bien plus basse que celui produit à la fin de l'opération. Pour les besoins domestiques, cela n'est pas un problème sérieux, bien qu'entraînant une diminution du rendement global, le charbon surchauffé ou "dur" produit prés du point d'allumage, à faible teneur en matières volatiles et forte teneur en carbone pur, ayant un rendement faible (théoriquement environ 30%). Cette surchauffe à une extrémité est inévitable si l'on veut carboniser toute la charge.

Un autre problème avec les charbonnières en fosse est la réabsorption d'acides pyroligneux par le charbon sous l'effet de la pluie. Les acides pyroligneux tendent en effet à se condenser dans le feuillage et la terre utilisés pour couvrir la fosse; s'il tombe une forte pluie, ils sont lessivés et sont réabsorbés par le charbon. Ils font pourrir les sacs de jute, et le charbon en brûlant dégage une fumée désagréable.

Néanmoins, des charbonniers habiles utilisant des fosses qui ne soient pas trop grandes parviennent à faire du charbon de bois d'excellente qualité (31). Le faible investissement nécessaire incite à recourir à ce système là où le bois est abondant et la main-d'oeuvre à bon marché.

Photo 6. Charbonnière en fosse en cours de chargement. Noter l'important diamètre de bois ronds utilisable. Ghana, Photo Le jeune.

5.1.1 Carbonisation en petites fosses

Les petites fosses, de l'ordre d'un mètre cube, sont intéressantes pour produire de petites quantités de charbon à partir de bois de faibles dimensions suffisamment secs. Cette méthode est employée à l'échelle du village, mais sa productivité est trop faible pour pouvoir fournir de grandes quantités de charbon de bois à échelle commerciale. Pour faire du charbon de cette manière, on commence par allumer du feu dans la fosse, et on ajoute du petit bois sec pour avoir un grand feu. On ajoute encore du bois pour remplir la fosse, le feu continuant de brûler régulièrement. On recouvre alors le bois d'une couche de feuillage d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur, puis d'une couche de 20 cm de terre. On laisse la carbonisation se faire, et on peut rouvrir la fosse au bout de deux jours ou moins. Il peut être nécessaire d'asperger le charbon avec de l'eau pour éviter qu'il ne s'enflamme lors du déchargement. Le charbon obtenu n'est pas de qualité uniforme, et si l'on utilise des petits bois et de l'écorce la proportion de débris est excessive. On recouvre parfois la fosse avec de vieilles tôles de toiture sur lesquelles on met une couche de terre, en ménageant quelques petites ouvertures pour permettre la sortie de la fumée et l'entrée de l'air.

5.1.2 Carbonisation en grandes fosses

Les fosses normalement utilisées sont de grande taille, et la carbonisation a lieu progressivement d'une extrémité vers l'autre. Les grandes fosses produisant 6 tonnes ou plus de charbon de bois par fournée sont difficiles à contrôler, mais assurent un meilleur rendement de la main-d'oeuvre. Avec des fosses plus petites, on a une meilleure circulation de l'air et on produit un charbon plus uniforme, mais leur rendement est moins bon

La figure 2 montre une grande charbonnière en fosse, d'environ 30 m3 de volume brut, pouvant contenir une charge d'environ 26 m de bois. On préfère un sol de limon sableux suffisamment profond. Il faut environ trois journées d'ouvrier pour creuser la fosse, plus une journée pour confectionner les conduits pour l'allumage et pour la sortie de la fumée.

Fig. 2. Charbonnière en fosse de 30 m3

La fosse est chargée avec des billes mesurant 2,40 m ou moins, qui se rangent facilement en travers. Il faut prendre soin, lors du chargement, de boucher le plus possible les vides entre les billes avec des branches et des petits bois afin d'améliorer le coefficient de remplissage. Par suite de la grande longueur des morceaux que l'on peut utiliser dans cette fosse, le tronçonnage à la hache reste une méthode pratique pour le petit entrepreneur ne disposant pas de capital. Les scies à chaîne sont néanmoins largement utilisées. Pour garantir un chauffage convenable du bois en vue de la carbonisation, on assure le passage des gaz chauds tout le long du fond de la fosse en plaçant la charge sur un soubassement de grumes.

Photo 7. Charbonnière en fosse en fonctionnement. Noter les cheminées en le' et la couverture faite de plaques de tôle fléchies entre deux rangées de piquets. Les joints entre les tôles sont colmatés avec de la terre. Ghana. Photo Le jeune.

On place tout d'abord cinq billes, coupées à la largeur de la fosse, régulièrement espacées suivant la longueur, puis on met sur cette première couche, à écartement régulier, quatre autres grumes de la longueur de la fosse. Ce soubassement supporte la charge tout en permettant aux gaz chauds, une fois qu'on a allumé à une extrémité, de passer par-dessous et de chauffer la charge en se dirigeant vers le conduit de fumée situé à l'extrémité opposée. Ces gaz chauds, produits par la combustion d'une partie du bois, sachent lentement la terre et chauffent le reste du bois jusqu'à la température de carbonisation d'environ 280°C. Il se produit alors une décomposition spontanée du bois avec dégagement de chaleur, qui donne du charbon de bois. Un volume important de vapeur d'eau, d'acide acétique et autres, de méthanol et de goudrons se dégage en même temps, et transmet aussi sa chaleur au bois en cours de séchage en se dirigeant vers le conduit de sortie. Finalement tout le bois est séché, porté à la température de carbonisation, et se transforme en charbon de bois. La phase de carbonisation peut durer de 20 à 30 jours, et elle s'accompagne d'une diminution marquée du volume de la charge de bois, jusqu'à 50-70% de son volume initial. La terre qui recouvre la fosse s'affaisse lentement au cours de la carbonisation, et les fentes ou les ouvertures qui pourraient apparaître doivent être bouchées pour éviter l'infiltration d'air. Il y a un danger de brûlure mortelle pour les personnes et les animaux qui tomberaient ou s'aventureraient sur la fosse, et il faut prendre les précautions nécessaires pour l'éviter.

Photo 8. Les évents des charbonnières en fosse peuvent être boisés lorsque le sol est trop meuble, ce qui évite l'emploi de métal. Ghana. Photo Le jeune.

Lorsque la couverture de la fosse s'est affaissée sur toute sa surface, la carbonisation est considérée comme terminée. On obstrue alors toutes les ouvertures, et on laisse la charbonnière se refroidir, ce qui peut prendre une quarantaine de jours environ, selon le temps qu'il fait. Le refroidissement terminé, on ouvre la fosse et on en sort le charbon, en prenant soin de le séparer de la terre et du sable, et du bois incomplètement carbonisé. On utilise à cet effet des fourches et des rateaux.

La nature de la carbonisation en fosse rend difficile l'obtention d'une fournée de qualité uniforme. Près du point d'allumage, le charbon a normalement une faible teneur en substances volatiles, tandis que le dernier charbon formé à l'autre extrémité, près du conduit de fumée, est riche en produits volatils, du fait qu'il n'a été soumis à la température de carbonisation que pendant un temps court. En outre, comme le flux d'air peut ne pas être uniforme, il peut y avoir dans une fournée une proportion considérable de fumerons. Bien que ceux-ci puissent être récupérés et recyclés, ils représentent une perte de rendement dans les opérations.

On utilise également des fosses plus petites que celles de la figure 2, mesurant par exemple 3 m de long sur 1,2 m de large et 1,2 m de profondeur. La longueur des morceaux de bois à carboniser est d'environ 1 mètre et, comme dans les grandes fosses, les espaces entre les grosses billes doivent être obstrués soigneusement avec des petits morceaux afin d'accroître le rendement de la charge et d'éviter un cheminement irrégulier des gaz d'une extrémité à l'autre, donnant lieu à la production de fumerons.

Photo 9. Charbonnière mixte' en fosse et en tôle d'acier. Noter les cheminées enterrées, et le type de bois utilisés. Ghana. Photo Le jeune.

5.2 Données techniques et économiques

Les données suivantes se rapportent à la production de charbon de bois en grandes fosses en Guyane, où ce procédé fonctionne à échelle commerciale depuis de nombreuses années. La production annuelle a varié considérablement, et a atteint un maximum de 6000 tonnes dans les années cinquante.

Selon les données recueillies sur le terrain et les discussions avec des personnes ayant travaillé selon cette méthode depuis de nombreuses années, on peut présenter les évaluations suivantes pour un homme faisant partie d'une équipe de cinq ouvriers travaillant sur une fosse. Les chiffres sont des nombres de jours de travail par homme et par fosse.

Taille de la fosse:

Longueur 6 m x largeur 2,70 m x profondeur 1,20 m au point d'allumage, 2,40 m à l'extrémité opposée

Volume nominal

= 29 m3

Volume réellement utilisé

= 26 m3

Temps de travail:

- pour creuser la fosse dans du sable meuble

3,0 j

- pour préparer les conduits d'entrée et de sortie de l'air

1,0 j

- abattage et tronçonnage à la hache, transport du bois et empilage (longueur des billes 2,40 m)

14,0 j

- coupe de broussailles (diamètre 3 cm) et couverture de la fosse

2,0 j

- couverture de sable (30 cm)

1,0 j

- préparation du sable et des pieux autour de la fosse

0,5 j

- déchargement du charbon

1,0 j


22,5 j

Durée de l'opération

- carbonisation

20,0 j

- refroidissement (selon les conditions météorologiques, 30 jours par temps pluvieux, 50 jours par temps sec) moyenne

40,0 j


60,0 j

En pratique, cette fosse est préparée par une équipe de cinq hommes, qui peut faire 1,5 fosse par semaine (7 jours) en travaillant à la hache et à la pelle, ce qui équivaut à 23 journées de travail par fosse. Il faut y ajouter environ 8 jours de travail de surveillance de la carbonisation pendant les 60 jours qu'elle dure. Le nombre de journées de travail par fosse est donc de 31 environ. La production moyenne par fosse est de 6,0 t. Le volume nominal de la charbonnière est de 29 m:, sa capacité utile de 90%, donc le volume réel utilisé est de 26 m3. En chargeant avec des bois lourds, de densité 1000-1100 kg/m3, on peut y mettre au total 27-28 t. Avec un coefficient de conversion bois/charbon de bois de 4,5 à 1, il est possible d'obtenir 6 tonnes de charbon par fournée avec un cycle de 82 jours. On peut faire trois fournées par an, ce qui donne une production annuelle de 18 tonnes, requérant 31 x 3 = 93 journées de travail par fosse.

Si l'on veut produire mettons 10000 tonnes de charbon de bois par an, il faudra 10000: 6 = 1666 fournées, chacune demandant 31 journées de travail, soit au total 1666 x 31 = 51646 journées par an.

Coût de production de 10000 tonnes par an

Le coût exact dépend de la manière dont la main-d'oeuvre peut être organisée au cours d'un cycle unitaire de 82 jours. Si 5 hommes travaillent en permanence à creuser, remplir, allumer et décharger les charbonnières, le nombre de fosses qui pourront être faites et déchargées dans l'année s'établira comme suit:

Nombre de jours disponibles dans l'année: 365 - 82 = 283, arrondi à 280, étant donné que les charbonnières démarrées après le jour 280 environ ne seront pas déchargées dans la même année et que leur production ne doit pas être comptée. On admet par conséquent une année de travail de 280 jours, la main-d'oeuvre étant employée toute l'année. Aucune charbonnière ne sera démarrée après le jour 280. 5 hommes peuvent faire, à raison de 1,5 fosses tous les 7 jours en 280 jours 280/7 x 1.5 = 60 fosses, produisant chacune 6 t de charbon de bois, soit une production annuelle par équipe de 360 tonnes.

La surveillance des charbonnières demande 8 journées de travail par fosse, donc pour 60 fosses 8 x 60 = 480 journées, soit environ 2 hommes travaillant toute l'année.

On admettra un salaire net, frais généraux exclus, de 10,00 $US par jour.

Préparation et déchargement des fosses 5 hommes x 360 j x 10 $

= 18000 $

Surveillance de la carbonisation 2 hommes x 360 j x 10 $

= 7200 $


25200 $

Coût par tonne: 25200: 360

= 70,00 $US

La production d'environ 10000 tonnes de charbon par an demandera 28 équipes de 5 terrassiers + 2 surveillants, soit au total 196 hommes, pouvant faire 1680 charbonnières par an.

Ces calculs supposent une organisation parfaite, et ne tiennent pas compte des frais généraux de main-d'oeuvre ni des bénéfices. Le coût indiqué est celui du charbon empilé à côté de la fosse, prêt pour le transport.


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