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Système d’exploitation agricole irrigué


Le système d’exploitation agricole irrigué se rencontre dans toute la région. Il comprend deux sous-systèmes bien distincts: le sous-système des grands périmètres irrigués, commun à un certain nombre de pays de la région, dont l’Iraq, la Syrie, le Maroc et l’Egypte, et le sous-système des petits périmètres irrigués, que l’on rencontre dispersé dans des petites zones à travers des pays comme l’Egypte, le Yémen, Oman, la Syrie et les pays du Maghreb. Chacun des deux sous-systèmes est analysé séparément.

SOUS-SYSTÈME DES GRANDS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

CARACTÉRISTIQUES DU SOUS-SYSTÈME

Le sous-système des grands périmètres irrigués se rencontre habituellement le long des grands fleuves en aval des barrages; la plupart de ces périmètres ont une histoire très ancienne. La population de ce sous-système est estimée à 16 millions d’habitants, il couvre une superficie totale de 19 millions d’hectares, dont environ 8 millions d’hectares sont équipés pour l’irrigation (voir encadré 3.1). Il est dominé par l’agriculture intensive tout au long de l’année, pratiquée par les propriétaires et les fermiers.

Encadré 3.1 Données de base: soussystème des grands périmètres irrigués

Population totale (m)

80

Population agricole (m)

16

Superficie totale (m ha)

19

Zone agroécologique

Aride semi-aride

Superficie cultivée (m ha)

8

Superficie irriguée (m ha)

8

Population animale (m)

2

De nombreuses zones souffrent de problèmes récurrents de mauvaise utilisation et gestion de l’eau, de salinité et d’alcalinité, et de présence de gypse dans leurs sols (Euphrate). Les grands périmètres irrigués représentent des superficies importantes de certain pays (delta du Nil) aux caractéristiques anciennes et aux techniques de gestion de l’eau très sophistiquées. Les cultures de rente (comme le coton et la betterave à sucre), le maraîchage et autres cultures de forte valeur et le fourrage y sont courantes. L’intensité culturale varie de 120 à 160 pour cent. Certaines zones abritent un grand nombre d’animaux (bovins, buffles, chèvres et moutons).

De nombreux périmètres associent la propriété d’état et la propriété privée. La divergence des objectifs de gestion et la faiblesse des institutions sont les problèmes les plus courants. Généralement ces périmètres sont caractérisés par une gestion centralisée à grande échelle pour l’accès et la distribution de l’eau, ils peuvent être gérés en larges unités mécanisées. Dans d’autres périmètres, l’accès et la distribution de l’eau sont aussi centralisées, mais la terre a été allouée à un grand nombre de fermiers ou de propriétaires qui gèrent individuellement de petites parcelles de 0,5 à 5 ha et qui partagent certains autres intrants et des facilités de commercialisation. Les associations d’utilisateurs de l’eau (AUE) sont plus fréquentes dans ces conditions, elles s’occupent des opérations courantes et de maintenance et assurent la répartition de l’eau.

D’autres grands périmètres indépendants totalement irrigués ont vu le jour ces dernières années, ils sont financés et gérés de façon privée. L’eau est extraite par pompage, distribuée et utilisée par aspersion ou gravité par des agriculteurs pratiquant des cultures de forte valeur pour l’exportation. Ces périmètres concurrencent sur les marchés les zones irriguées plus anciennes; ils sont, de plus, une menace pour les petits périmètres voisins qui dépendent de systèmes d’exhaure plus simples. Le grand volume d’eau extrait des nappes phréatiques profondes contribue à l’abaissement de celles-ci, les taux d’extraction dépassant souvent ceux de la recharge (bassin de Sanaa au Yémen, plaine de Sousse au Maroc, vallée de la Bekaa au Liban). L’encadré 3.2 présente une brève description d’un ménage typique de ce sous-système.

Encadré 3.2 Ménage typique du sous-système des grands périmètres irrigués

Un ménage de ce système a accès à 2,5 ha de terre et produit toute l’année les cultures suivantes: céréales, légumineuses, fourrage, fruits et cultures de rente telles que le coton et la betterave à sucre. De plus, le ménage possède un petit nombre de bovins, de chèvres et de moutons nourri à partir de quelques pâturages communaux, de résidus de récoltes et de fourrages cultivés. Les principaux problèmes sont: la mauvaise qualité du sol et de l’eau et les conflits provenant de la divergence des objectifs entre l’état, les propriétaires et fermiers.

TENDANCES ET PROBLÈMES DU SOUS-SYSTÈME DES GRANDS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

L’histoire des grands périmètres irrigués gérés centralement n’est pas encourageante. Beaucoup d’entre eux ont connu des problèmes de mauvaise gestion de l’eau et des conflits concernant l’accès à l’eau (quantité et qualité). Les principaux problèmes techniques sont: la sous utilisation et le manque d’efficacité des installations de surface; l’appauvrissement rapide des nappes aquifères; la mauvaise préparation des plans de distribution; la remontée des nappes phréatiques; la dégradation continue des sols; la salinité et l’alcalinité; la baisse du taux de matière organique des sols; et les faibles rendements des cultures. Les coûts de l’énergie et du machinisme sont aussi très élevés dans certains cas. Il existe en outre de nombreux problèmes institutionnels et financiers concernant la responsabilité des usagers dans l’organisation et la gestion des systèmes et le recouvrement des coûts de fonctionnement.

On cherche actuellement à impliquer d’avantage les usagers dans la gestion de l‘eau, afin d’améliorer les performances des grands périmètres irrigués. Cependant l’absence de législation concernant le transfert de responsabilités et de délégation d’autorité empêche souvent la participation des usagers aux décisions concernant la gestion de l’eau.

Des mesures pour réduire la demande en eau d’irrigation par le rationnement ou la pratique de cultures ayant de plus faibles besoins en eau sont actuellement encouragées dans la région. Cependant, en raison des politiques de l’eau à bas prix, les coûts des services d’irrigation et de l’eau sont souvent faibles par rapport aux autres coûts (semences, engrais, pesticides et énergie). Aussi serait-il serait nécessaire de modifier les prix de l’eau et la politique des subventions, malheureusement les pays ne semblent pas en prendre le chemin. Il serait aussi nécessaire de mettre en place toute une série de stimulants économiques afin de favoriser l’adoption et la diffusion de technologies innovatrices. Les subventions, lorsqu’elles sont accordées, devraient faciliter les investissements au niveau de l’exploitation dans des technologies modernes et de l’équipement afin de faciliter le transfert de l’utilisation de l’eau vers des productions de plus grande valeur.

PRIORITÉS DU SOUS-SYSTÈME DES GRANDS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

L’introduction de la gestion de la demande en eau, à partir de tout un éventail d’instruments économiques, de réglementations et de conseils, est prioritaire pour permettre l’intensification et la diversification de la production, essentielles pour réduire la pauvreté. Ces initiatives doivent être adaptées aux besoins locaux, dans le cadre des politiques nationales agricoles et de gestion de l’eau. De plus, l’irrigation devra devenir plus souple afin de s’adapter au risque hydrologique permanent dans la région. L’utilisation[87], le stockage et la recharge des réserves deviendront des instruments importants de la gestion de ce risque.

Il est indispensable de réexaminer dans le détail la gestion d’ensemble de ces grands périmètres irrigués afin de réduire rapidement la pauvreté. Les interventions nécessaires comprennent: i) l’identification et la mise en œuvre de stimulants pour réduire la demande en eau d’irrigation; ii) la promotion d’institutions d’utilisateurs de l’eau pouvant assurer un partage parmi tous les usagers légitimes; iii) l’accroissement de l’efficacité de l’utilisation de l’eau; iv) la restauration de la fertilité des sols en élevant les niveaux de matière organique et en améliorant la gestion des sols et de l’eau; v) la mise en place de systèmes participatifs avec les agriculteurs pour la gestion de l’irrigation dans lesquels ils devront jouent un rôle beaucoup plus actif pour la recherche, le développement et la gestion; vi) la promotion d’un cadre légal pour les associations d’agriculteurs, les coopératives et les sociétés; vii) l’accès à l’épargne rurale et aux prêts; viii) le développement de technologies appropriées, du crédit, de la formation et de l’enseignement pour les petits agriculteurs; et ix) l’introduction des stratégies de planification de l’irrigation afin de permettre de réaliser des économies d’eau.

Les facteurs institutionnels tels que les réglementations sur l’utilisation des pesticides ou des engrais deviendront une préoccupation majeure pour les programmes futurs de recherche en irrigation, en raison de l’importance nouvelle que revêt la qualité de l’eau. La demande croissante des usagers non agricoles conduira, à l’avenir, à une compétition de plus en plus forte pour l’utilisation de l’eau, qui deviendra un intrant relativement plus cher. Ce phénomène aura tendance à orienter l’irrigation vers des cultures de haute valeur nécessitant une gestion plus sophistiquée et des équipements.

LE SOUS-SYSTÈME DES PETITS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

CARACTÉRISTIQUES DU SOUS-SYSTÈME

Les propriétaires ou les fermiers appartenant à ce sous-système cultivent le plus souvent de très petites unités (0,02 à 1 ha) à l’intérieur de plus grands systèmes pluviaux. Ainsi ces petits périmètres irrigués sont considérés comme faisant partie du système de production pluviale. L’exploitation comprend habituellement des arbres fruitiers et du maraîchage intensif. Les petits périmètres irrigués se trouvent souvent dans des zones isolées et fournissent de la nourriture et d’autres produits en priorité aux marchés locaux. Quelques-uns d’entre eux, utilisant des pratiques traditionnelles d’irrigation, bénéficient de droits d’accès à l’eau et d’organisation du périmètre.

Ce sous-système est caractérisé par un accès limité à l’eau qui réduit ses possibilités de production, et souvent conduit à des semis occasionnels après une crue ou un ruissellement exceptionnel. L’assolement et le type de culture pratiqués s’adaptent, au fil des ans, à la disponibilité en eau et aux régimes hydriques rencontrés. Ce type de production se rencontre aussi bien dans les plaines de la région que sur les terrasses des collines où il peut dériver d’un système plus ancien.

TENDANCES ET PROBLÈMES DU SOUS-SYSTÈME DES PETITS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

Le manque d’eau et le déficit alimentaire sont les problèmes les plus graves des petits agriculteurs de la région, leur résolution devrait être prioritaire. On a montré que l’introduction de paquets technologiques permettant l’amélioration des pratiques locales dans le cadre d’un processus participatif était efficace pour pallier, dans de nombreux cas, le manque d’eau. Face aux possibilités très limitées d’augmenter les ressources en eau à un coût raisonnable, la seule solution est d’optimiser les ressources existantes. L’encadré 3.3 montre comment il a été possible au Yémen, grâce à une approche participative de la gestion de l’eau, de réduire le gaspillage de l’eau souterraine.

Encadré 3.3 Amélioration de la gestion participative de l’eau au niveau de l’exploitation pour réduire le gaspillage de l’eau souterraine au Yémen[88]

La pénurie d’eau est aujourd’hui le principal problème du Yémen; il est indispensable que des mesures appropriées soient prises pour y remédier. La conséquence immédiate du déclin continuel des ressources en eau a été l’insécurité alimentaire des ménages, spécialement pour les familles pauvres des zones rurales vulnérables. La plupart des ressources en eau renouvelable étant déjà utilisées, la seule solution restante est d’améliorer la gestion des ressources disponibles par l’introduction de technologies appropriées et d’outils de gestion.

Conscient de ce problème, le Gouvernement du Yémen lança en 1995, un programme à grande échelle d’amélioration de l’efficacité générale de l’irrigation à partir des ressources en eau souterraine. Ce programme, basé sur le partage des coûts, la participation des agriculteurs et l’utilisation de technologies modernes d’irrigation, comprenait le projet de conservation des sols et des eaux financé par la Banque mondiale.

Ce programme a permis de réaliser, au niveau des exploitations, des économies en eau de 10 à plus de 50 pour cent. Au niveau régional, la moyenne des économies en eau fut de 20 pour cent au moins; les économies ont parfois atteint 35 pour cent, particulièrement dans le nord-est du pays où la plupart des exploitations furent équipées de systèmes d’irrigation goutte-à-goutte. En tenant compte des coûts opérationnels actuels que les agriculteurs doivent payer pour pomper l’eau (même avec des coûts relativement bas d’énergie), le coût de l’investissement en équipement moderne d’irrigation est récupéré en deux à quatre ans par les économies d’eau réalisées. En plus des économies d’eau réalisées, les nouvelles technologies, associées à des changements d’assolement et à l’augmentation des surfaces irriguées, ont permis des améliorations importantes des rendements, de la qualité des produits et de la valeur des productions.

PRIORITÉS DU SOUS-SYSTÈME DES PETITS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS

La principale priorité est l’accès et la distribution équitables des ressources en eau.

Il est évident que, dans certaines zones, des agriculteurs puissants, en utilisant un équipement moderne de forage et de pompage, contrôlent et gardent pour euxmêmes la plus grande partie des ressources en eau. Des initiatives politiques sont alors indispensables afin de permettre un accès plus équitable. Les petits périmètres, source potentielle importante d’approvisionnement des marchés locaux et de production de cultures de plus grande valeur, sont menacés par l’appauvrissement des ressources en eau et la dégradation de l’environnement.

Les petits périmètres irrigués offrent la possibilité de tester et d’introduire, dans des écologies particulières, de nouvelles variétés pour les principales cultures et pour les arbres fruitiers. La tolérance au stress et la possibilité de se développer dans des sols pauvres sont des caractéristiques importantes, elles devraient faire l’objet de plus de recherches. Il existe en Europe du Nord une demande en forte croissance pour les aliments biologiques sans intrants chimiques. Cette demande offre de nouvelles possibilités pour des cultures convenant à des situations spécifiques. Il est indispensable d’aider les petits producteurs en leur facilitant l’accès préférentiel à ces marchés, grâce à la constitution de groupes de commercialisation avec des marques.


[87] Combinant l’eau de surface et l’eau souterraine.
[88] Bazza 2001.

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