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1. INTRODUCTION


Contexte

Ce livre rêve d’un monde sans faim ni pauvreté. La plupart des pauvres vivent dans les zones rurales des pays en développement et dépendent de l’agriculture pour leur subsistance. Les auteurs sont convaincus que la seule façon d’éradiquer la souffrance actuelle est de mettre l’accent sur la création de communautés rurales dynamiques basées sur une agriculture prospère. L’idée principale de cet ouvrage est que l’analyse des systèmes d’exploitation agricole utilisés par les pauvres des zones rurales doit conduire à dégager les priorités stratégiques de réduction de la pauvreté et de la faim qui affectent aujourd’hui la vie de beaucoup d’entre eux.

La disponibilité en nourriture a toujours été une préoccupation majeure du genre humain. En dépit du doublement de la population mondiale au cours des quatre dernières décennies, les agriculteurs ont produit suffisamment de nourriture pour permettre une croissance continue de la consommation alimentaire moyenne par tête. Toutefois, la faim persiste et les réserves alimentaires ont varié notablement pendant cette période, chutant parfois à des niveaux critiques. La Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, la Conférence internationale sur la nutrition de 1992 et le Sommet mondial de l’alimentation de 1996 furent organisés dans le but d’apporter des solutions à ces problèmes. Les chefs d’état participant au Sommet mondial ont réaffirmé «... le droit pour chacun d’avoir accès à une alimentation saine et nutritive, conforme au droit de chacun d’être libéré de la faim.» Ils se sont aussi engagés à réduire le nombre de personnes sous-alimentées de moitié d’ici à 2015[1]. La réalisation de cet objectif est la principale priorité du Cadre stratégique de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)[2].

L’éradication de la pauvreté[3] est un autre engagement international pris à l’origine en 1995 à l’occasion du Sommet mondial pour le développement social qui s’est tenu à Copenhague au Danemark. Au Sommet social +5 (juin 2000), cet engagement s’est traduit par l’objectif de diminuer de moitié la proportion de personnes vivant en condition d’extrême pauvreté d’ici à 2015. L’ensemble des objectifs du Sommet mondial de l’alimentation et du Sommet social +5 est repris dans la Déclaration du millénaire[4] adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) en septembre 2000.

De nombreuses autres organisations de développement se sont aussi engagées à réduire la faim et la pauvreté. Par exemple, en 1997 la Banque mondiale formula une nouvelle stratégie de développement rural intitulé Développement rural: de la vision à l’action[5]. De même, après son enquête pilote mondiale sur la pauvreté, au début des années 90, le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) a dans son Rapport sur la pauvreté rurale de 2001- Le défi d’en finir avec la pauvreté rurale[6]-, renouvelé son engagement de réduire la pauvreté. Une majorité d’organisations d’aide bilatérale a aussi considéré la réduction de la pauvreté comme thème principal de son programme de développement et de coopération. La sécurité alimentaire et la sécurité des revenus sont toutes les deux mises en avant dans les documents de planification et de politique de nombreux gouvernements.

Cet ouvrage présente, à partir de l’analyse des systèmes d’exploitation agricole, une approche nouvelle de la résolution du vieux problème de la faim et de la pauvreté. Il reconnaît la diversité des sources de revenu des familles d’agriculteurs pauvres, d’éleveurs et de pêcheurs, et explore différentes voies qui pourraient leur permettre d’échapper à la pauvreté. L’analyse indique aussi les directions prévisibles des changements qui devraient intervenir dans les principaux systèmes d’exploitation agricole à travers le monde en développement au cours des 30 prochaines années. Le développement rural dépend finalement des résultats des décisions journalières de millions d’individus, femmes et hommes. Le défi pour les gouvernements, les organisations de la société civile et le secteur privé est de fournir les biens publics, l’environnement institutionnel et les stimulants qui permettront aux ménages agricoles d’accélérer la croissance agricole et la réduction de la pauvreté.

Malheureusement, les projections[7] disponibles les plus optimistes ne prévoient qu’une faible baisse des niveaux de la faim et de la pauvreté dans les régions en développement. Ce livre propose aux responsables dans les domaines des politiques de développement et de la science, les principales priorités stratégiques d’action, pour les différents systèmes d’exploitation agricole, pour chaque région en développement et pour le monde en développement tout entier. Ces priorités tendent à réduire le fossé existant entre la lente réduction projetée de la faim et de la pauvreté et les objectifs établis par la communauté internationale dans la Déclaration du millénaire.

Ce chapitre met en lumière l’étendue du problème de la faim dans le monde rural et de la pauvreté dans le monde en développement, et la contribution de la croissance agricole à la réduction de la pauvreté. Le concept de système d’exploitation agricole est ensuite introduit et les différents systèmes d’exploitation agricole définis. L’évolution probable des systèmes d’exploitation agricole au cours des 30 prochaines années est indiquée et les principaux facteurs capables d’influer sur ce processus sont analysés. Le chapitre se termine avec un guide du lecteur pour le reste du livre.

Faim, pauvreté et agriculture

POPULATION

La population des régions en développement[8] a quasiment doublé au cours des quatre dernières décennies du XXe siècle, pour atteindre 5,1 milliards d’individus en 1999. Quelque 60 pour cent de ces personnes sont classés comme ruraux, environ 85 pour cent sont agricoles[9] (voir tableau 1.1). Les femmes représentent 44 pour cent des 1,3 milliards de personnes constituant la force de travail agricole de ces régions. Dans certaines zones, un fort pourcentage de ménages est dirigé par des femmes. Les femmes jouent un rôle vital dans de nombreux aspects des systèmes d’exploitation agricole, comme la production, la transformation, la commercialisation et les responsabilités domestiques; leur contribution à l’évolution de ces systèmes est de la plus grande importance.

Tableau 1.1 Populations rurale et agricole par régions en développement, 1999.

Régions en développement

Population totale
(millions)

Population rurale
(millions)

Population agricole
(millions)

Femmes économiquement
actives (%)1/

Afrique subsaharienne

626

417

384

47

Moyen-Orient et Afrique du Nord

296

121

84

44

Europe de l’Est et Asie centrale

478

154

86

44

Asie du Sud

1344

970

750

39

Asie de l’Est et Pacifique

1836

1184

1119

47

Amérique latine et Caraïbes

505

126

110

17

Total des régions en développement

5 085

2971

2534

44

Source: FAOSTAT.
Note: 1/ Indique la proportion de femmes économiquement actives dans l’agriculture.

On estime que la croissance de la population totale des régions en développement devrait continuer au cours des trente prochaines années; toutefois, le taux de croissance devrait diminuer et passer du niveau actuel de 1,8 pour cent par an à un taux évalué à 1,2 pour cent par an en 2030[10]. Cependant, en raison de l’augmentation des populations urbaines (40 pour cent en 2000 contre 56 pour cent en 2030[11]), la population rurale totale devrait diminuer après 2020 (voir figure 1.1).

Basée sur ces estimations, la population agricole des pays en développement sera en 2030 peu modifiée par rapport à son niveau actuel. En dépit de ces prévisions, il est important de souligner que le nombre de personnes vivant de l’agriculture de n’importe quelle région en développement dépendra à l’avenir de l’évolution des systèmes d’exploitation agricole.

Deux facteurs importants sont responsables de l’incertitude qui pèse sur les prévisions de la future croissance des populations. Le premier facteur concerne le pronostic sur la pandémie du SIDA. Actuellement les taux d’infestation sont déjà extrêmement élevés en Afrique et l’étendue de l'infestation s’accroît de façon alarmante en Asie, spécialement en Asie du Sud. En Afrique, quelques pays paraissent avoir contenu l’expansion de cette maladie au moyen d’une série de mesures efficaces pour combattre sa propagation. Il est cependant difficile de savoir si d’autres pays seront capables d’imiter cette expérience. Aussi la mise à disposition de traitements à des prix abordables - grâce à l’apparition de nouveaux médicaments, à la baisse des coûts de production des médicaments existants, ou à l’offre de médicaments subventionnés aux pays en développement - pourrait-elle entraîner une baisse significative de la mortalité. Le second facteur d’incertitude concerne la migration des personnes engagées dans l’agriculture vers des villes rurales ou d’autres zones urbaines. Les taux de migration reflètent, entre autre, les niveaux relatifs de pauvreté des zones urbaines et rurales, ils sont donc affectés par des facteurs tels que les prix des produits sur le marché mondial, la croissance de l’emploi urbain, et les taux réels de change.

Figure 1.1 Evolution des populations dans les régions en développement

Source: Division de la population des Nations Unies, 2000.

IMPACT DE LA FAIM ET DE LA PAUVRETÉ

La faim est encore très présente dans de nombreux pays en développement, spécialement en Asie du Sud et en Afrique. Bien que, comme le montre dans la figure 1.2, le nombre de personnes[12] sous-alimentées ait augmenté dans ces deux régions[13], le total au niveau mondial a diminué depuis la fin des années 1960 - il est passé de 959 millions en 1969-1971 à 790 millions en 1995-1997. La population totale s’étant considérablement accrue, il s’agit en fait d’une diminution de moitié de la proportion de personnes sous-alimentées (de 37 à 18 pour cent).

Les prévisions indiquent une diminution du nombre de personnes sousalimentées, qui devrait passer de 576 millions en 2015 à 400 millions en 2030[14]; toutefois ce déclin pourrait s’accélérer si les mesures prévues au Sommet mondial de l’alimentation pour réduire la faim étaient prises. La plus forte diminution de la sous-alimentation a eu lieu en Asie de l’Est. Les prévisions de la situation en 2030 indiquent que cette tendance devrait continuer, et que de fortes baisses devraient aussi avoir lieu en Asie du Sud et en Amérique latine et Caraïbes.

Figure 1.2 Impact de la sous-alimentation selon les régions en développement

Source: FAO, 2000a.

La faim et la pauvreté sont étroitement liées. L’absence de revenu suffisant pour acheter la nourriture est un des principaux facteurs de l’insécurité alimentaire des ménages; toutefois, la faim en elle-même contribue à la pauvreté en abaissant la productivité du travail, en réduisant la résistance aux maladies et en diminuant l’impact de l’éducation.

On estime que, selon la définition du seuil de pauvreté internationale correspondant à une consommation journalière moyenne équivalente à 1 dollar EU par jour et par tête, 1,2 milliard de personnes vivent en état de pauvreté[15] dans le monde en développement. Les données nationales d’un grand nombre de pays montrent que la fréquence de la pauvreté est moins forte en zone urbaine qu’en zone rurale[16]. Bien que l’importance relative de la pauvreté rurale varie considérablement d’un pays à l’autre, on estime que dans les pays en développement plus de 70 pour cent de la pauvreté se rencontre en zones rurales. De la même façon, la faim est concentrée dans les zones rurales, bien qu’on y produise les aliments.

La figure 1.3 montre les changements récents de l’impact et la distribution de la pauvreté estimée en dollars pour les différentes régions en développement. La pauvreté est concentrée en Asie du Sud, où elle n’a cessé de croître au cours des années 90 et en Afrique, où elle a augmenté à un taux alarmant. Inversement, la pauvreté a fortement baissé en Asie de l’Est et Pacifique, particulièrement en raison de la croissance économique de la Chine.

Figure 1.3 Impact de la pauvreté par région en développement

Source: Banque mondiale, 2001b

CONTRIBUTION DE LA CROISSANCE AGRICOLE À LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ

Il est évident que le développement basé en grande partie sur l’agriculture est un moyen efficace pour réduire la pauvreté et accélérer la croissance économique. Ce résultat est normalement atteint non seulement par l’augmentation des revenus des producteurs et des ouvriers agricoles, mais aussi par la création d’une demande pour des biens non commercialisables - principalement les services et les produits locaux. Cet effet indirect sur la demande et sur la création d’emplois hors exploitations agricoles dans les zones rurales et les marchés des villes, semble être le principal facteur contribuant à la réduction de la pauvreté rurale. De plus, comme le montrent d’autres études[17], la croissance agricole peut réduire la pauvreté urbaine plus rapidement que ne le fait la croissance urbaine elle-même, en grande partie grâce à la réduction des coûts de l’alimentation en milieu urbain qu’elle entraîne et à la diminution de la migration à partir des zones rurales. Mellor conclut «... il est évident que la croissance agricole est un facteur essentiel pour permettre la diminution de la pauvreté[18]

La croissance agricole dans son ensemble est, sans aucun doute, un moteur efficace pour le développement économique et la réduction de la pauvreté; toutefois, la forme que cette croissance revêt a une incidence sur sa capacité à réduire la pauvreté rurale. Ainsi, on peut s’attendre à ce que l’augmentation de la productivité des petites exploitations agricoles gourmandes en main d’œuvre, qui entraîne une demande accrue en produits locaux et en services, ait un effet plus important sur la réduction de la pauvreté que des accroissements de productivité équivalents dans les exploitations mécanisées qui d’ordinaire entraînent une moindre demande de biens locaux et de services.

Le défi pour les pays en développement est d’identifier des besoins et des opportunités spécifiques de développement agricole et rural, et de concentrer l’investissement dans des domaines où l’impact sur la sécurité alimentaire et la pauvreté sera important. Cette identification et ce processus d'allocation des ressources peuvent être facilités par l’analyse des systèmes d’exploitation agricole qui permet de mieux comprendre les facteurs locaux et leurs interrelations. Au cours de ce processus analytique, il est aussi extrêmement utile de pouvoir regrouper les lieux ayant des contraintes de développement et des possibilités d’investissement semblables à l’aide d’un cadre pour chaque système d’exploitation agricole.

Les systèmes d’exploitation agricole et leurs caractéristiques

CONCEPT DE SYSTÈME D’EXPLOITATION AGRICOLE

Généralement, les agriculteurs considèrent leurs exploitations, qu’il s’agisse de petites unités de subsistance ou de grandes exploitations, comme des systèmes à part entière. Le diagramme d’un système d’exploitation agricole typique (voir figure 1.4), tracé par des agriculteurs du Bangladesh, illustre la complexité structurale et les interrelations entre les diverses composantes d’une exploitation. Il montre aussi la variété des ressources naturelles dont disposent les familles agricoles: types de terre, accès à l’eau, accès aux ressources communales (mares, zones de pâturage et forêts). A ces ressources naturelles de base s’ajoutent le climat et la biodiversité ainsi que le capital humain, social et financier. Le diagramme illustre aussi la diversité qui caractérise les moyens de subsistance de la plupart des petits agriculteurs.

Chaque exploitation possède ses propres caractéristiques découlant des variations en dotation en ressources et des conditions familiales. Le ménage, ses ressources, les flux de ressources et les interactions au niveau de l’exploitation agricole constituent ensemble le système de production[19]. Les éléments biophysiques, socioéconomiques et humains d’une exploitation agricole sont interdépendants; aussi les exploitations peuvent-elles être analysées comme des systèmes à partir de différents points de vue.

La dotation en ressources de n’importe quelle exploitation agricole dépend, entre autre, de la densité de population, de la distribution des ressources parmi les ménages et de l’efficacité des institutions qui déterminent l’accès aux ressources.

Indépendamment de leur taille, les systèmes individuels de production sont organisés pour produire de la nourriture et pour satisfaire d’autres besoins du ménage, grâce à la gestion des ressources disponibles - soit en propriété, soit louées ou gérées conjointement - à l’intérieur de l’environnement social, économique et institutionnel existant.

Les systèmes de production sont souvent des ensembles interdépendants, production et transformation après récolte, de sorte que, à côté des cultures et de l’élevage[20], les activités de subsistance des ménages peuvent inclure la pêche, l’agroforesterie, la chasse et la cueillette. Les revenus en dehors de l’exploitation agricole représentent aussi une contribution significative au niveau de subsistance de nombreux ménages ruraux pauvres. Les systèmes de production ne se rencontrent pas seulement en zones rurales; une agriculture urbaine importante existe dans les petites et grandes villes de nombreux pays en développement.

Figure 1.4 Un système de production vu par des agriculteurs, Bangladesh[21]

Le fonctionnement de tout système de production individuel est fortement influencé par l’environnement rural extérieur (politiques, institutions, marchés et liens avec l’information). Les exploitations agricoles sont non seulement étroitement liées à l’économie hors exploitation par les marchés des produits et du travail, mais les économies rurales et urbaines sont aussi fortement interdépendantes. Par exemple, comme indiqué ci-dessus, il est très courant que les ménages des petites exploitations agricoles tirent une part importante de leurs revenus - souvent 40 pour cent ou plus - d’activités hors exploitation. Les femmes et les hommes des exploitations agricoles sont aussi liés aux communautés rurales et aux réseaux sociaux; ces liens sociaux influent sur la conduite des exploitations.

Par contre, un système d’exploitation agricole est défini comme un ensemble de systèmes de production individuels qui ont généralement des ressources de base, des modes opératoires, des moyens de subsistance des ménages et des contraintes semblables, et pour lesquels des stratégies de développement et des interventions semblables seront appropriées[22]. Selon l’échelle de l’analyse, un système d’exploitation agricole peut englober quelques douzaines ou des millions de ménages.

Au cours des 30 dernières années, l’approche originale d’analyse des systèmes d’exploitation agricole a évolué très sensiblement, comme le montre le tableau 1.2, en mettant de plus en plus l’accent sur l’intégration horizontale et verticale, sur les multiples moyens de subsistance des ménages, et sur le rôle des communautés, de l’environnement et des services d’appui[23]. L’utilisation de l’approche système d’exploitation agricole (ASEA) comme cadre analytique devint courante au cours des années 70, elle a contribué à un changement de l’opinion que l’on avait du développement rural.

Le développement agricole, souvent imposé d’en haut et dominé par des considérations techniques de productivité, a évolué vers une approche plus globale. Cette évolution est basée sur le souci d’améliorer les moyens de subsistance et de sécurité des ménages; la structure des ménages, les rôles des hommes et des femmes, les réseaux sociaux, les institutions locales, l’information, les politiques et les marchés ont tous joué un rôle dans cette évolution. Dans le même temps, les techniques d’analyse sont devenues plus participatives et on a porté une attention croissante aux connaissances indigènes et à la planification, à l’expérimentation et au suivi de groupe. On a aussi reconnu l’importance de la responsabilité de la communauté agricole en matière de changement et d’initiative; cette nouvelle approche a conduit à tenir plus largement compte des ressources humaines. L’actuelle approche système d’exploitation agricole, axée sur le ménage agricole comme centre d’un réseau de décisions d’allocation des ressources, est proche de l’approche pour une subsistance durable (ASD)[24].

PRINCIPALES CATÉGORIES DE SYSTÈME D’EXPLOITATION AGRICOLE

Comme nous l’avons dit précédemment, la définition des principaux systèmes d’exploitation agricole fournit un cadre utile à la détermination des interventions et des stratégies adaptées au développement agricole. La décision d’adopter des systèmes d’exploitation agricole très larges entraîne une très grande hétérogénéité à l’intérieur de ceux-ci. Cependant, l’autre possibilité qui consisterait à identifier de nombreux systèmes d’exploitation agricole à un niveau élémentaire dans chaque pays en développement et qui conduirait à des centaines et même des milliers de systèmes à l’échelle mondiale, compliquerait l’interprétation des réponses stratégiques régionales et mondiales appropriées et réduirait l’impact d’ensemble de l’analyse. Nous avons décidé de n’identifier et de ne reporter sur les cartes géographiques que les principaux systèmes et d’estimer ensuite leur importance en termes de population et de ressources de base. Chacun de ces grands systèmes est caractérisé par un type d’exploitation agricole représentatif ou par un modèle de moyens de subsistance des ménages[25]; toutefois, nous avons aussi décrit des sousclasses importantes lorsque cela s’est avéré nécessaire.

Tableau 1.2 Evolution de l’approche des systèmes d’exploitation agricole

Caractéristiques

Années
70

Années
80

Années
90

Années
00

Niveau de système





Exploitation agricole





Ménage





Groupe/Communauté





District/Zones/Secteurs





Orientation de la subsistance





Cultures





Cultures/élevage





Moyens multiples de subsistance des ménages





Orientation fonctionnelle





Recherche





Recherche et vulgarisation





Recherche,vulgarisation et services d’appui





Multisectoriel,y compris infrastructures





Orientation des parties prenantes





Public





Public et société civile





Public,société civile et privé





Autres orientations





Rôle des hommes et des femmes





Sécurité alimentaire des ménages





Productivité et gestion des ressources





Source: Adapté de Dixon et Anandajayasekeram (2000).
Note: Les parties plus foncées indiquent une orientation plus marquée durant la période.

La classification des systèmes d’exploitation agricole des régions en développement, telle que définie dans ce livre, est basée sur les critères suivants:

A partir de ces critères, nous avons distingué huit principales catégories de systèmes d’exploitation:

Nous avons appliqué les critères mentionnés ci-dessus et effectué, d’une manière pragmatique, un large regroupement des systèmes d’exploitation agricole des six principales régions du monde en développement, afin de pouvoir tirer des conclusions sur la réduction de la pauvreté et la croissance agricole. Cet exercice à permis l’identification de 72 systèmes d’exploitation agricole dont les populations agricoles varient de moins d’un million à plusieurs centaines de millions d’habitants et dont la population agricole moyenne est d’environ 40 millions de personnes.

Parfois, les différences existant à l’intérieur d’un système d’exploitation agricole justifient sa subdivision en deux sous-types distincts; par exemple, les fermes de petites tailles et les plantations ou les fermes commerciales, et les zones de basse et haute altitude. Les dénominations des systèmes d’exploitation agricole ont été faites à partir des huit types principaux définis précédemment. Néanmoins, le nom de chaque système tient compte de ses caractéristiques propres qui permettent son analyse[26].

Les noms tiennent aussi compte des principaux facteurs distinctifs, notamment: i) la disponibilité en ressources en eau, par exemple irrigué, pluvial, humide, sec; ii) le climat, par exemple tropical, tempéré, froid; iii) le relief et l’altitude du site, par exemple hautes terres, basses terres; iv) la taille des exploitations, par exemple grande dimension; v) l’intensité de la production, par exemple intensive, extensive, dispersée; vi) la principale source de subsistance, par exemple cultures racinaires, maïs, arboriculture, pêche artisanale, pâturage; vii) la double culture de subsistance, par exemple céréales-racines, riz-blé (à noter que l’association agriculture-élevage est désignée par le terme mixte); et viii) la localisation, par exemple axé sur la forêt, côtière ou urbaine.

La représentation géographique des systèmes d’exploitation agricole décrits dans cette étude tient compte à la fois de l’intérêt de montrer graphiquement les zones des systèmes d’exploitation agricole et des dangers de délimitations trop nettes entre systèmes voisins. En effet, en raison de la variabilité inévitable qui existe entre les ménages agricoles à l’intérieur de n’importe quel système, il existe rarement des frontières bien distinctes entre systèmes. Dans la plupart des cas les transitions s’opèrent par mélange graduel de systèmes d’exploitation agricole. Dans quelques cas, les systèmes peuvent être séparés par des zones étroites ayant des caractéristiques tout à fait distinctes (par exemple les pentes les plus basses des zones montagneuses), leur identification n’est pas utile dans une étude de cette nature et à cette échelle globale.

L’irrigation constitue un cas spécial de l’hétérogénéité des systèmes d’exploitation agricole. Lorsque la production irriguée est le trait dominant de l’agriculture à l’intérieur d’une zone, comme c’est le cas des grands périmètres irrigués, la zone entière a été classée comme un système d’exploitation agricole basé sur l’irrigation.

Cependant, il peut exister dans les systèmes d’exploitation agricole pluviaux des petites surfaces irriguées dont l’impact est important. L’implication de ces situations est prise en compte dans l’analyse des contraintes et des opportunités. L’agriculture irriguée étant très différente de l’agriculture pluviale - non seulement par les caractéristiques des systèmes d’exploitation, mais aussi en terme de priorité et d’approche stratégique - il nous a paru nécessaire d’identifier au moyen de hachures les concentrations importantes de productions irriguées à l’intérieur des systèmes à prédominance pluviale.

Parmi le total des 72 systèmes d’exploitation agricole identifiés, nous en avons choisi trois à cinq dans chaque région pour une analyse détaillée. Les principales variables qui ont influencé cette sélection furent: i) le potentiel de réduction de la pauvreté; ii) le potentiel de croissance agricole; et iii) l’importance démographique et économique à l’intérieur de la région. La sélection faite comprend quelques systèmes d’exploitation agricole ayant peu de possibilités de progrès rapides pour une ou plusieurs des variables ci-dessus; toutefois, la majorité des systèmes sélectionnés possède un potentiel important de croissance et/ou de réduction des niveaux de pauvreté. On peut s’attendre à ce que la croissance agricole rapide et durable d’un système d’exploitation agricole important - même si son niveau de pauvreté est faible - puisse avoir un impact important sur l’ensemble de la pauvreté grâce aux phénomènes de migrations et de liens avec les marchés. Néanmoins, les analyses porteront, dans la mesure du possible, sur les perspectives de réduction de la pauvreté in situ. Les facteurs déterminant le potentiel de développement apparent d’un système sont: i) des dotations convenables en ressources, y compris le potentiel des ressources en sols et agroclimatiques, un rapport relativement élevé entre d’une part, les terres et autres ressources (eau, forêt) disponibles et d’autre part la population, et une faible intensité d’exploitation; ii) un accès favorable aux infrastructures et aux services, y compris les marchés; et iii) l’identification des contraintes empêchant un développement plus important dont la levée paraît possible.

DÉVELOPPEMENT DES SYSTÈMES D’EXPLOITATION AGRICOLE ET RÉDUCTION DE LA FAIM ET DE LA PAUVRETÉ

En termes généraux, il existe cinq stratégies principales des ménages pour améliorer leur niveau de subsistance. Elles peuvent être résumées comme suit:

Ces options stratégiques ne s’excluent pas, même au niveau d’un ménage qui adoptera souvent un mélange de cet ensemble de stratégies.

Les deux premières stratégies - intensification et diversification - représentent des composantes importantes du Programme spécial de sécurité alimentaire de la FAO[27]. Nous définissons dans ce livre l’intensification comme un accroissement de la productivité physique ou financière, comprenant les cultures vivrières et de rente, l’élevage et d’autres activités productives. Bien que l’intensification soit fréquemment associée à l’augmentation des rendements résultant d’un usage accru d’intrants externes, elle peut aussi résulter de l’utilisation de variétés ou de races améliorées, de ressources sous-employées, d’amélioration de la productivité du travail et d’une meilleure gestion agricole - par exemple de pratiques améliorées d’irrigation ou de contrôle des ravageurs.

La diversification est définie comme un ajustement au modèle d’entreprise agricole afin d’accroître le revenu de l’exploitation ou de réduire sa variabilité. Elle exploite les nouvelles opportunités de marché ou les créneaux de marché existants.

La diversification peut prendre la forme de types d’activité complètement nouveaux ou peut simplement impliquer l’expansion de productions existantes de grande valeur. L’addition ou l’expansion de types d’activité se réfère non seulement à la production, mais aussi à la transformation au niveau de l’exploitation agricole et aux autres activités agricoles générant un revenu.

Certains ménages échappent à la pauvreté en augmentant la taille de leur exploitation - dans ce contexte la taille se réfère à ce qui est géré plutôt qu’aux ressources en propriété. Les bénéficiaires de réformes agraires sont les meilleurs exemples de cette source de réduction de la pauvreté. L’accroissement de la taille des exploitations peut aussi se produire par l’expansion vers des zones précédemment non agricoles, telles que les forêts - souvent nommée expansion de la frontière agricole. Bien que ce type d’expansion soit impossible dans de nombreux systèmes, il est particulièrement important dans certaines parties de l’Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne. Cependant, l’utilisation de nouvelles terres agricoles devient de plus en plus marginale et, de ce fait, peut ne pas offrir des voies durables à la réduction de la pauvreté.

Le revenu hors exploitation agricole représente un moyen de subsistance important pour de nombreux agriculteurs pauvres. Les migrations saisonnières ont constitué une stratégie traditionnelle des ménages pour échapper à la pauvreté et leurs revenus sont souvent investis dans des achats de terres ou de bétail. Dans les endroits où l’économie hors exploitation agricole importante, de nombreux ménages pauvres augmentent leurs revenus grâce à un emploi à mi-temps ou à plein temps. Lorsqu’ils identifient des possibilités d’amélioration de leurs moyens de subsistance, une certaine proportion de ménages agricoles abandonne leurs terres et se dirige vers d’autres systèmes d’exploitation agricole ou vers des occupations non agricoles dans des sites ruraux ou urbains. Ce moyen d’échapper à la pauvreté est traité dans les chapitres qui suivent sous l’appellation sortie de l’agriculture.

Les cinq stratégies des ménages mentionnées ci-dessus pour réduire la faim et la pauvreté seront citées fréquemment dans les chapitres suivants où leur importance relative sera évaluée. L’évaluation de chaque système d’exploitation agricole est faite, pour chaque région, à partir des avis de groupes d’experts. Le tableau 1.3 illustre ce type d’évaluation pour deux systèmes d’exploitation agricole de Afrique subsaharienne.

Ces données montrent que dans les systèmes d’exploitation agricole irrigués l’intensification a un potentiel important de réduction de la pauvreté, alors que la sortie de l’agriculture présente relativement peu d’intérêt. Inversement, dans les systèmes d’exploitation agricole pastoraux, la sortie de l’agriculture est souvent le meilleur moyen de réduire la pauvreté. Dans ce système d’exploitation agricole particulier, on considère que les possibilités de réduire la pauvreté en ayant recours à l’intensification, à la diversification et à l’accroissement de la taille des exploitations, sont faibles.

Tableau 1.3 Importance relative des différentes stratégies des ménages[28].

Source de réduction de la faim et de la pauvreté

Intensification

Diversification

Accroissement de la taille des exploitations

Accroissement du revenu hors exploitation agricole

Sortie de l’agriculture

Système d’exploitation agricole irrigué

3,5

2

2,5

1,5

0,5

Système d’exploitation agricole pastoral

1

1

1

2

5

Source: tableau 2.4
Note: le total des notes est de 10 pour chaque système d’exploitation agricole.

Aspects de l’évolution des systèmes agricoles

L’approche des systèmes d’exploitation agricole considère à la fois les dimensions biophysiques (telles que les éléments nutritifs du sol et les balances hydriques) et les aspects socioéconomiques (tels que ceux liés au rôle des hommes et des femmes dans les exploitants, à la sécurité alimentaire et à la profitabilité) au niveau de l’exploitation agricole - où la plupart des décisions de production et de consommation sont prises. L’efficacité de l’approche repose dans sa capacité à intégrer des analyses multidisciplinaires de la production et ses relations avec les facteurs biophysiques et socioéconomiques déterminants d’un système d’exploitation agricole.

On a regroupé les facteurs biophysiques et socioéconomiques déterminants mentionnés ci-dessus en cinq catégories afin de présenter l’analyse des systèmes d’exploitation agricoles et de leur futur développement dans un cadre qui puisse permettre la comparaison entre systèmes et régions:

De l’avis d’un certain nombre d’experts[29], ces catégories représentent les principaux domaines qui influeront sur les caractéristiques des systèmes d’exploitation agricole, leurs performances et leur évolution au cours des trois prochaines décennies.

La figure 1.5 représente schématiquement les interrelations de ces facteurs déterminants des systèmes de production et, par extension, des systèmes d’exploitation agricole. Certains de ces facteurs sont internes ou font partie des systèmes d’exploitation agricole, tandis que d’autres sont externes. Les principaux facteurs exogènes (externes) qui influent sur le développement des systèmes d’exploitation agricole - politiques, institutions, biens publics, marchés et information - sont indiqués sur le côté gauche de la figure, à l’extérieur des pointillés qui marquent les limites du système. La présence de marchés et les prix de l’offre influent sur les décisions des agriculteurs, sur le modèle de leurs entreprises, sur les achats d’intrants et sur le moment de la vente des produits. L’accès aux infrastructures économiques et sociales en zone rurale détermine les coûts de transport et l’accès des ménages aux services - particulièrement de santé humaine et animale. De même, l’information et les services d’éducation affectent les stratégies des ménages et leurs décisions.

Les technologies qui déterminent la nature de la production et de la transformation, et les ressources naturelles sont des facteurs très endogènes (internes) et sont donc représentés principalement à l’intérieur des limites des systèmes d’exploitation agricole. En termes généraux, les facteurs biophysiques tendent à définir l’ensemble des possibilités d’un système d’exploitation agricole, tandis que les facteurs socioéconomiques déterminent la réalité de ce système qui peut être observée à un moment donné.

L’évolution d’un système d’exploitation agricole est souvent prévisible. Par exemple, un système basé, à l’origine, exclusivement sur l’utilisation de la houe peut avoir à faire face à de nouvelles contraintes lorsque le marché entraîne des diversifications. Cela pourrait entraîner un usage accru de la traction animale en remplacement de certaines opérations manuelles et, si la terre est disponible, une expansion de la terre cultivée. L’accroissement démographique et le manque de terre peuvent entraîner, par la suite, l’intensification de la production végétale.

Figure 1.5 Représentation schématique des systèmes d’exploitation agricole

L’évolution du marché conduit, parfois, à la spécialisation de la production et implique souvent un usage accru d’intrants externes. Des stades ultérieurs du changement peuvent inclure une mécanisation partielle de la production végétale et une intégration substantielle au marché. Finalement, il est probable que cette évolution entraîne une intensification importante - peut être avec une orientation vers l’exportation - qui est habituellement caractérisée par l’utilisation intensive d’intrants achetés, le regroupement des terres et un haut degré de mécanisation.

Dans certaines circonstances, on peut assister au développement de systèmes mixtes intensifs. Dans tous les cas, une infrastructure convenable et la disponibilité en informations techniques et commerciales constitueront des facteurs importants d’évolution du système.

RESSOURCES NATURELLES ET CLIMAT

L’interaction des ressources naturelles, du climat et de la population détermine la base physique des systèmes d’exploitation agricole. Au cours des premiers stades de développement, l’accroissement de la population conduit à une expansion de la surface cultivée et, dans de nombreux cas, à des conflits entre les différents utilisateurs des ressources en eau et en terre. Lorsque la quasitotalité des terres de bonne qualité sont exploitées, un accroissement ultérieur de la population tend à entraîner l’intensification des systèmes d’exploitation agricole. Lorsque les forêts et les espaces boisés subissent une forte pression de la part des populations, la biodiversité est menacée et cela peut entraîner un conflit grandissant entre les objectifs de développement et les objectifs de conservation. Ces tendances ont souvent été exacerbées par les forces coloniales et post-coloniales qui ont concentré les indigènes ou les peuples minoritaires sur les terres les plus pauvres - aggravant ainsi le problème des dégradations.

Encadré 1.1 Pression de la population sur les terres agricoles en cultures annuelles et permanentes par région 1995-1997 (pers./ha)

Région

Agricole

Total

Afrique subsaharienne

2,2

3,6

Moyen-Orient et Afrique du Nord

3,1

4,5

Europe de l’Est et Asie centrale

0,3

1,6

Asie du Sud

3,5

6,3

Asie de l’Est et Pacifique

4,9

7,9

Amérique latine et Caraïbes

0,7

3,2

Moyenne

2,3

4,5

Source: FAO, 2000a.



Au cours des quatre dernières décennies la superficie des terres cultivées, y compris les cultures permanentes, s’est accrue de plus d’un quart (pour atteindre un peu plus d’un milliard d’ha). Cependant, la croissance rapide des populations de ces dernières années a entraîné depuis les années 60 une diminution de près de 50 pourcent de la surface cultivée par tête dans les pays en développement.

Depuis les années 60, les surfaces des pâturages et des parcours ont augmenté de 15 pour cent dans les pays en développement, pour atteindre environ 2,2 milliards d’ha en 1994. La plupart de cette expansion s’est faite au détriment des forêts et des espaces boisés, qui ont diminué d’environ 2,3 milliards d’ha au cours de la même période. Les taux de croissance annuelle des surfaces cultivées varient considérablement entre les régions, comme le montre l’encadré 1.2. L’Amérique latine et les Caraïbes ont présenté, de loin, les taux d’expansion les plus élevés - 1,26 pour cent par an, comparé à 0,18 pour cent par an en Asie du Sud. Il convient de noter que, durant cette période, l’intensité moyenne de culture n’a augmenté que de cinq pour cent, montrant que la croissance de la production a surtout résulté des accroissements de rendements et de l’expansion des terres cultivées plutôt que d’une augmentation de l’intensité culturale.

Encadré 1.2 Expansion annuelle moyenne de la terre cultivée 1961-1997

Région

% annuel

Afrique subsaharienne

0,73

Moyen-Orient et Afrique du Nord

0,42

Asie du Sud

0,18

Asie de l’Est et Pacifique

0,91

Amérique latine et Caraïbes

1,26

Moyenne

0,67

Source: FAO 2000a.


On estime qu’il reste encore 1,8 milliards d’ha de terre de qualité «acceptable» disponibles pour un futur usage agricole; mais un certain nombre de facteurs limite sérieusement ce scénario qui semble favorable. La plupart des terres classées comme convenables pour l’agriculture ne peuvent, en fait, convenir qu’à une gamme étroite de cultures (par exemple l’olivier en Afrique du Nord). D’autre part, plus de 90 pour cent des terres disponibles se trouvent en Amérique latine et en Afrique subsaharienne, ce qui signifie qu’une expansion ultérieure n’est pas possible pour la plus grande partie de l’Afrique du Nord, de l’Europe de l’Est, de l’Asie et du Moyen-Orient. Même dans les zones où le potentiel d’expansion semble exister, on estime que plus de 70 pour cent des terres disponibles présentent une ou plusieurs contraintes de sols ou de reliefs. En conséquence, on estime que le taux d’expansion[30] de la surface cultivée dans les régions en développement ne sera, d’ici à 2030, que la moitié de celui enregistré jusqu’ici - il devrait permettre d’ajouter environ 120 millions d’ha au total actuel[31]. Toutefois, en dépit d’une augmentation de la population des pays en développement de plus de deux milliards de personnes d’ici à 2030, la surface moyenne de terre cultivée par personne travaillant dans agriculture pourrait, en fait, s’accroître[32] à cause de la stabilisation des populations agricoles.

Malgré le coût élevé du développement des systèmes d’irrigation, l’utilisation des terres irriguées s’est accrue à un rythme trois fois supérieur à celui de l’expansion de l’ensemble des terres agricoles. La superficie totale irriguée des pays en développement a doublé depuis 1961 - pour atteindre 197 millions d’ha. Cela renforce la thèse selon laquelle, il ne sera pas possible, dans de nombreuses zones du monde en développement, de lever les contraintes à toutes expansions ultérieures pendant plusieurs décennies, et même plus longtemps. Cependant, l’intensification au moyen de l’irrigation a ses limites. A l’heure actuelle, elle consomme environ 70 pour cent du volume total d’eau douce utilisé par les humains; ce pourcentage devrait toutefois diminuer au cours des trente prochaines années en raison de l’augmentation des utilisations urbaines et industrielles de l’eau. En dépit du fait que seul 7 pour cent du total des ressources en eau renouvelable des pays en développement sont actuellement exploitées, la concurrence dans la demande et le fait qu’une bonne partie de l’eau disponible n’est pas située dans les zones où se trouvent les besoins agricoles, vont sans doute réduire les taux actuels de croissance de l’irrigation.

L’expansion de l’agriculture et les changements intervenus dans les technologies de la production ont entraîné une baisse de l’agrobiodiversité au cours de ces dernières décennies. En plus de la disparition très médiatisée de la flore et de la faune indigènes, on a assisté à une réduction considérable du nombre de variétés cultivées, en particulier pour les principales céréales: blé, maïs et riz. Une perte semblable de biodiversité s’est aussi produite pour les animaux domestiques. Cependant, la sélection végétale moderne pourrait renverser cette tendance en rendant plus aisé le maintien du matériel génétique et en créant des variétés modernes à partir de pool de gènes plus larges.

Actuellement l’agriculture représente environ 30 pour cent de l’émission de gaz à effets de serre induite par les activités humaines. L’augmentation de la production de ces gaz par les cultures devrait se ralentir dans le futur, mais la production de méthane par le bétail pourrait croître substantiellement. Il semble aujourd’hui évident[33] que les changements climatiques auront des impacts importants. Les températures moyennes de surface devraient augmenter de 1,4 à 5,8°C au cours des cent prochaines années, tandis que la fréquence des extrêmes climatiques (températures, précipitation et vents) devrait augmenter de façon spectaculaire. Des modèles basés sur le scénario de la Commission intergouvernementale sur les changements climatiques (CICC) d’une augmentation annuelle d’un pour cent des gaz à effets de serre prévoient que, d’ici 80 ans, les extrêmes observés à l’heure actuelle une fois par siècle deviendront normaux. De plus hautes températures conduiront inévitablement à l’élévation du niveau des mers - estimé entre 0,1 et 0,9 mètre pour ce siècle.

Il est presque certain que l’agriculture et la sécurité alimentaire seront affectées par ces changements de climat. Non seulement les rendements des cultures changeront, mais d’immenses investissements en infrastructure pourraient devenir nécessaires. Parmi les impacts possibles, le groupe de travail de la CICC prévoit une réduction du potentiel de rendement des cultures dans la plupart des régions tropicales et subtropicales et même sous des latitudes moyennes, au cas où la température atteindrait la limite supérieure de la fourchette envisagée[34]. Une autre étude récente a estimé que les rendements des cultures pourraient diminuer d’un cinquième dans de nombreux pays en développement[35]. La disponibilité en eau, particulièrement dans les régions subtropicales, devrait diminuer, même si certaines zones, comme l’Asie du Sud-Est, pourraient recevoir de plus grands volumes d’eau en raison de moussons plus importantes. On prévoit des risques accrus et généralisés d’inondations, en raison de la montée du niveau des mers et de l’augmentation des précipitations orageuses, des ouragans et des moussons. La disponibilité en main d’œuvre pourrait être affectée par l’augmentation attendue de la transmission des maladies, aussi bien à partir d’un vecteur (la malaria par exemple) qu’à partir de l’eau (le choléra par exemple). En général, une plus grande variabilité du climat, et donc de la productivité agricole, augmente considérablement les risques auxquels les agriculteurs sont confrontés, entraînant une réduction simultanée des investissements et de l’utilisation d’intrants.

SCIENCE ET TECHNOLOGIE

Les investissements en science agricole et en technologie ont augmenté rapidement au cours des quatre dernières décennies.

Les changements techniques et les réformes institutionnelle qui ont eu lieu durant cette période ont marqué le modèle de développement technologique et sa diffusion. On assista au début des années 70 à la création du Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale (GCRAI) et au renforcement important des systèmes nationaux de recherche agricole (SNRA).

Encadré 1.3 Moyenne des rendements des céréales (1961-1997) dans les pays en développement (t/ha)


1961-63

1995-97

Blé

0,9

2,5

Riz (paddy)

1,8

3,5

Maïs

1,2

2,6

Toutes céréales

1,2

2,5

Source: FAO, 2000a.

Les années 80 et 90 virent l’établissement de partenariats entre les centres du GCRAI et les SNRA y compris des consortiums écorégionaux. Cependant, de nombreux SNRA ont subi des réductions budgétaires au cours de la dernière décennie, en raison de la mise en place de réformes macro-économiques.

L’effort historique des programmes de recherche du GCRAI et des SNRA en matière de technologies de production des cultures vivrières et plus particulièrement sur l’amélioration des rendements des variétés, a indéniablement été un succès. Depuis 1961, presque trois quarts (71 pour cent) de la croissance de la production sont dus à l’augmentation des rendements. Ces augmentations ont contribué à améliorer la sécurité alimentaire des régions en développement et à faire baisser les prix réels des céréales vivrières. Il est significatif que les projections de la FAO indiquent d’ici à 2030[36] une élévation continue de la moyenne des rendements céréaliers dans les pays en développement, aussi bien en sec qu’en irrigué.

Cependant, de nombreux petits agriculteurs des zones marginales n’ont pas bénéficié de ces accroissements de rendements céréaliers; d’autre part, les investissements pour le développement de technologies pour les cultures non céréalières ont été très limités. Même si le secteur privé et les organisations de gros agriculteurs ont investi fortement dans la recherche pour des cultures de rentes commercialement importantes - par exemple le café, le thé, la canne à sucre et les bananes - de nombreuses cultures vivrières tropicales et des cultures de rente mineures ont reçu relativement peu d’attention. De même, l’investissement de la recherche en élevage n’a généralement pas été proportionnel à la contribution de ce sous-secteur au revenu des ménages ou au produit agricole intérieur brut (PAIB).

Même si un certain nombre de centres du GCRAI ont des programmes de production animale, un seul d’entre eux - l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) - concentre ses efforts sur l’élevage. En revanche, la recherche agricole des pays industrialisés a été relativement bien financée, une partie du travail étant conduit par le secteur privé. En conséquence, les systèmes de production et les cultures des pays développés ont à leur disposition une gamme plus étendue de nouvelles technologies que les systèmes de production des petits agriculteurs des pays en développement.

La recherche s’est généralement concentrée principalement sur l’intensification des cultures et de la production animale à partir de l’utilisation d’intrants achetés.

Les technologies intégrées pour diversifier les moyens de subsistance des petits agriculteurs des pays en développement et pour accroître l’utilisation durable de la terre ont fait l’objet de beaucoup moins de recherche. On connaît par exemple peu de choses sur le rôle de la matière organique des sols, sur le développement de systèmes avec travail réduit du sol, sur l’utilisation des ressources organiques de l’exploitation en combinaison avec les engrais chimiques et sur le rôle des légumineuses dans la fixation biologique d’azote. De la même façon, les recherches sur la gestion intégrée des ravageurs (GIR) et sur le contrôle des mauvaises herbes et des ravageurs sont limitées. Ce sont des sujets de peu d’intérêt pour le secteur privé, mais qui risquent d’être négligés par les institutions publiques de recherche.

En dépit de ces faiblesses, l’agenda mondial de la recherche déplace la priorité jusqu’ici donnée aux performances des cultures prises individuellement vers une reconnaissance de plus en plus grande de l’importance de l’amélioration de la productivité d’un système. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’amélioration de la gestion des interactions entre les activités agricoles diversifiées, la gestion durable des ressources et l’amélioration des technologies visant les femmes agriculteurs et les ménages les plus pauvres. Le changement actuel des modalités institutionnelles est peut être encore plus important pour le long terme. Surtout pour répondre à la demande des intéressés, les efforts de recherche sont en train de passer du secteur public, dirigé principalement par le système international à un partenariat secteur public secteur privé. Ces changements s’accompagnent d’une meilleure compréhension des problèmes et des possibilités des agriculteurs et d’une plus grande volonté d’associer les connaissances indigènes à l’information moderne.

L’accroissement des investissements en biotechnologie devrait augmenter la productivité de la recherche agricole et pourrait révolutionner les pratiques de productions par la création de variétés faites à la demande. Alors que l’on a assisté à une diminution continue du financement national et international de la recherche agricole et des systèmes de vulgarisation, la recherche en biotechnologie du secteur privé a attiré de nombreux financements (généralement pas pour les cultures vivrières tropicales). La plupart de ces programmes de recherche vont probablement mettre l’accent sur les intrants générateurs de profit, sur les cultures d’exportations et sur l’agro-industrie.

LIBÉRALISATION DU COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS

Parmi tous les grands processus que recouvre le terme de mondialisation nous avons choisi de mettre l’accent dans cet ouvrage sur les réformes économiques et sur la libéralisation du commerce. Vers la fin des années 70, les économies de nombreux pays en développement souffraient d’un excès d’intervention et de contrôle de la part des gouvernements. La plupart de ces pays faisaient face à de sérieuses difficultés économiques: forte inflation, balance des paiements très déséquilibrée, déficits budgétaires, niveaux d’endettement extérieur élevés et produit national brut (PIB) à croissance négative ou inférieure à la croissance démographique. Pour remédier à ces problèmes, le Fonds monétaire international (FMI) et, après lui, la Banque mondiale et d’autres institutions internationales ainsi que des donateurs bilatéraux, mirent en place des programmes de prêts pour aider au rétablissement de la balance des paiements de certains pays en développement, à condition qu’ils adoptent des programmes de réforme structurelle. Ces programmes d’ajustement structurel (PAS) ont conduit, dans de nombreux pays en développement, à la libéralisation du commerce et des régimes de taux de change, et à la réduction radicale les subventions. Cependant, l’ajustement structurel n’a pas éliminé l’avantage dont bénéficiaient les villes dans les politiques.

De nombreux PAS ont mis en place des réformes spécifiques au secteur rural. Celles-ci comprennent des mesures pour: i) abolir les monopoles commerciaux; ii) réduire l’implication des organismes parastataux dans la fourniture d’intrants, la commercialisation et la transformation; iii) réduire ou supprimer les subventions, les contrôles de prix et les freins aux activités du secteur privé; iv) lever les contraintes au commerce international; et v) promouvoir le secteur privé. Ces réformes ont permis le développement rapide d’activités de petites tailles, demandant peu de capacité de gestion, de connaissance technique et de capital. La plus importante d’entre-elle fut la mouture des grains. En raison de l’existence antérieure de marchés parallèles et des fardeaux financiers importants imposés aux gouvernements par les centrales de commercialisation des céréales, la commercialisation des céréales fut dans de nombreux pays le premier service agricole important à être privatisé.

Plus récemment, les accords internationaux et l’établissement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont encore poussé à la libéralisation du commerce.

Les marchés ont un rôle important à jouer dans le développement agricole, ils forment en effet le lien entre les exploitations agricoles et les économies rurales et urbaines sur lequel les processus de développement soulignés par Mellor (voir cidessus) s’appuient. La réduction des freins au commerce international et à l’investissement, et le processus de libéralisation du commerce sont en train d’entraîner des changements dans la structure de la production à tous les niveaux, y compris dans les systèmes d’exploitation agricole des petits agriculteurs de nombreux pays en développement. Les forces du marché entraînent non seulement l’accélération du développement des marchés, mais aussi la modification de l’ensemble des productions et de l’utilisation des ressources naturelles. La vitesse des changements engendrés par cette transition a cependant eu d’importants effets négatifs. La réduction des aides gouvernementales et la baisse des prix des principaux produits des petits agriculteurs ont entraîné, au moins temporairement, un accroissement de la pauvreté dans les systèmes d’exploitation agricole au cours des années 80 et au début des années 90.

A plus long terme, si les subventions aux producteurs des pays industrialisés disparaissent, la diminution des barrières entre pays pourrait permettre aux produits les plus compétitifs des pays en développement de remplacer ceux ayant jusqu’alors bénéficié de protection. L’urbanisation, l’élévation des revenus, l’amélioration des communications et la diffusion des préférences culturelles amèneront des changements sociaux, économiques et culturels qui contribueront à un remodelage profond de la demande du marché. L’existence de nouvelles productions, les technologies après récolte et le transport changeront aussi la structure de la demande, en permettant de trouver sur les marchés des produits nouveaux ou sous de nouvelles formes.

POLITIQUES, INSTITUTIONS ET BIENS PUBLICS

Le développement de systèmes d’exploitation agricole dynamiques requiert une politique environnemental d’accompagnement. De plus, l’établissement de liens entre les exploitations agricoles, les ruraux et les habitants des villes décrits par Mellor[37] entraîne un renforcement de la demande. L’introduction de l’ajustement structurel, qui a été le changement le plus important de cet environnement durant les trente dernières années, a entraîné des changements importants des politiques.

A cet égard, la diminution de l’autosuffisance nationale alimentaire a été un élément particulièrement structurant des politiques des zones rurales. Au cours des années 60, le besoin ressenti d’assurer la sécurité alimentaire était une priorité pour de nombreux gouvernements et servait à justifier l’intervention directe des gouvernements dans la commercialisation agricole, le stockage, l’attribution de licences d’importation, les subventions aux intrants et dans d’autres domaines. Bien que l’autosuffisance alimentaire ne soit plus le principal objectif politique, la sécurité alimentaire demeure un problème politique essentiel pour les pays en développement et pour le monde entier. Aussi la sécurité alimentaire fut-elle au centre des préoccupations du Sommet mondial de l’alimentation de 1996 organisé sous l’égide de la FAO et des activités de développement qui s’en suivirent.

Avec la progression des programmes d’ajustement structurel, les décideurs politiques ont porté leur attention sur l’amélioration de l’efficacité des services d’appui par la restructuration des institutions. L’impact de cette restructuration peut être énorme à long terme: i) transfert de nombreuses attributions traditionnellement affectées au secteur public vers le secteur privé et la société civile; ii) décentralisation des services gouvernementaux restants; et iii) réduction croissante de l'investissement gouvernemental dans la fourniture de services publics.

Les deux premières tendances vont bien dans le sens d’une implication sociale croissante, en encourageant plus de participation locale aux prises de décision et à l’allocation des ressources. La troisième est avant tout le résultat du transfert de nombreuses responsabilités gouvernementales vers le secteur privé. Ces tendances vont sans doute se renforcer durant la prochaine ou les deux prochaines décennies.

Cependant, bien qu’elles soient très bénéfiques à la mobilisation de ressources non gouvernementales et à un meilleur alignement des activités publiques aux besoins locaux, elles créent aussi des contraintes. Le remplacement des services publiques de financement, de recherche, de vulgarisation, d’éducation, de santé et même de maintenance des infrastructures en zone rurale où la pauvreté est importante, par le secteur privé, est difficile et lent et s’opère d’une façon très irrégulière. Les petits agriculteurs et les femmes chef de ménage ont particulièrement souffert. L’absence de création de nouveaux services publics, nécessaires à la création d’un environnement capable d’appuyer la croissance des activités du secteur privé et d’en assurer l’équité et la durabilité, se fait cruellement sentir.

En dépit de cette lacune importante, le renforcement des institutions locales - comprenant la décentralisation et la démocratisation aux niveaux locaux - est visible dans de nombreux pays. Ces dernières années ont vu le renforcement du rôle des femmes dans les prises de décisions au niveau local. Qu’en sera-t-il à long terme? Ces transformations ont entraîné des conflits entre les autorités centrales et locales au sujet des priorités de développement, des allocations budgétaires et des mécanismes de supervision du développement. D’autres changements de politique ont grandement stimulé la production de certains systèmes d’exploitation agricole. Par exemple, l’introduction de politiques de stimulation des ménages entraîna, du jour au lendemain, une augmentation importante de la production agricole vivrière au Vietnam, qui de pays déficitaire devint pays exportateur d’aliments. De même, l’introduction du système de responsabilisation individuelle des ménages en Chine a fortement stimulé la production et a marqué un changement majeur dans les structures de production.

L’accès et le contrôle des ressources naturelles - particulièrement de la terre et de l’eau - est un autre domaine qui revêt une importance croissante. Avec la croissance continue des populations et la dégradation des terres marginales, les demandes des populations les plus pauvres, minoritaires et indigènes, pour un accès plus équitable aux ressources continueront à s’intensifier. Malgré l’accélération de l’urbanisation qui devrait entraîner une diminution de la pression, les gouvernements qui se montreront incapables de développer et de mettre en application des politiques efficaces sur la propriété foncière, la gestion de l’eau et les réformes fiscales, risqueront de se retrouver face à des conflits sociaux sérieux.

INFORMATION ET CAPITAL HUMAIN

L’évolution des systèmes d’exploitation agricole fondée sur une spécialisation croissante (par exemple unités industrielles de poulets) ou sur l’intensification de l’intégration (par exemple riz, poissons, canards) requiert des connaissances supplémentaires de la part des exploitants agricoles. Les besoins en informations de meilleure qualité et en renforcement du capital humain ont aussi augmenté, au fur et à mesure de l’intégration des systèmes de production aux marchés régionaux, nationaux et internationaux. De nombreux agriculteurs des pays développés ont maintenant une bien meilleure compréhension de la nature de la demande à laquelle ils doivent répondre et de ses implications en ce qui concerne les variétés, le calendrier des opérations, les emballages et les produits phytosanitaires autorisés. Ils ont dû modifier progressivement leurs pratiques de production et leur catalogue de produits en réponse aux structures changeantes de la demande. Mis à part des groupes relativement restreint de producteurs commerciaux éduqués, cette approche, basée sur la connaissance, est loin d’avoir été largement adoptée dans les pays en développement. Cependant, les expériences de quelques petits producteurs ont montré que cette approche était possible, même parmi des producteurs soumis à une grande pauvreté. Les prochaines années devraient voir l’intensification des ajustements basés sur la connaissance, elle dépendra de la vitesse et de la forme de l’évolution des systèmes d’exploitation agricole.

Le manque d’éducation, d’information et de formation est souvent le principal facteur limitant le développement des petits agriculteurs. De nombreux observateurs prévoient une révolution de l’information qui devrait mettre un grand volume d’informations techniques, commerciales et institutionnelles à la disposition des agriculteurs. Cependant, bien que les opérateurs commerciaux puissent en bénéficier, il est peu probable que la plupart des producteurs des pays à bas revenu puissent, dans un futur proche, avoir accès à cette information. Inévitablement, les problèmes d’accès équitable et de diffusion de l’information se poseront lorsque les populations marginalisées seront laissées de côté.

Au cours des trois dernières décennies, l’une des réalisations majeures de nombreux pays en développement a été l'extension des programmes d’alphabétisation et d’enseignement primaire à la majorité des populations rurales.

En raison des retombées importantes, souvent démontrées, de l’enseignement primaire, on considère que l’éducation rurale devrait considérablement se développer dans les pays où la discrimination entre garçons et filles est minimale, où les conflits civils sont absents et où la stabilité économique peut être maintenue. Ce développement permettra à la prochaine génération de pouvoir mieux participer à l’agriculture basée sur les connaissances et d’utiliser les nouvelles sources d’informations en cours de développement.

Parallèlement à l’enseignement primaire, l’enseignement universitaire s’est aussi développé dans la plupart des pays en développement. Ainsi, les gouvernements, le secteur privé et la société civile ont à leur disposition, dans de nombreux pays, une arrivée régulière de diplômés agricoles qui peuvent fournir des services techniques aux agriculteurs. Cependant, de nombreux observateurs sont convaincus que les systèmes d’éducation agricole devraient être renforcés et que la qualité et la pertinence de cette formation devraient être rapidement améliorée.

Les conflits armés, les migrations à la recherche d’emploi rémunéré et l’augmentation des taux de mortalité due au SIDA, ont conduit à une augmentation du nombre de femmes chefs du ménage et ont placé un fardeau considérable sur la capacité des femmes à produire, à fournir et à préparer la nourriture. En dépit de leur rôle majeur croissant dans l’agriculture, leurs difficultés d’accès aux activités commerciales les désavantagent cruellement. Une enquête de la FAO a montré que les agriculteurs femmes recevaient seulement 7 pour cent de l’ensemble mondial des services de vulgarisation agricole et que seulement 11 pour cent des agents de vulgarisation étaient des femmes[38]. Dans le monde en développement, les femmes se voient dénier le plein statut légal nécessaire à l’accès aux prêts financiers. Des améliorations dans ces domaines devraient avoir lieu au cours des prochaines décennies, lorsque les femmes deviendront mieux organisées pour défendre leurs droits.

Dans le passé, de nombreux efforts de développement ne touchèrent pas les femmes parce que les planificateurs ne comprenaient pas le rôle important qu’elles jouaient dans l’agriculture et dans la sécurité alimentaire des ménages; des efforts importants sont maintenant accomplis pour tenir compte de leur situation concrète. La possibilité pour une proportion importante de femmes de pouvoir, grâce à l’amélioration progressive de l’enseignement primaire, communiquer directement avec les conseillers agricoles, les banquiers ou les dirigeants du secteur agroindustriel devrait améliorer leur situation. En dépit d’une perception croissante de leur rôle, les femmes ne bénéficient pas toujours de services efficaces.

Les professionnels du développement reconnaissent de plus en plus que la responsabilisation des femmes est le facteur essentiel de l’élévation des niveaux nutritionnels des enfants et de la famille, de l’amélioration de la production, de la distribution de la nourriture et des produits agricoles ainsi que de l’élévation des niveaux de vie des populations rurales. On a reconnu que si les femmes en Afrique recevaient la même éducation que les hommes, les rendements des cultures augmenteraient de 7 à 22 pour cent[39]. De même, un meilleur accès au crédit, à la terre et aux services de vulgarisation permettrait aux femmes une plus grande contribution à l’élimination de la faim et de la pauvreté en milieu rural. La productivité de nombreux systèmes d’exploitation agricole devrait augmenter au cours des trente prochaines années, au fur et à mesure de l’élimination des disparités homme femme; cette élimination se heurte souvent à des barrières religieuses et culturelles importantes.

Guide du lecteur

Cet ouvrage présente les grandes lignes des défis futurs, des possibilités et des stratégies de développement agricole proposées au monde en développement. Ce chapitre a montré l’importance de l’analyse des systèmes d’exploitation agricole, il a aussi décrit les principales tendances qui devraient influer sur l’évolution de ces systèmes au cours de trente prochaines années. Les chapitres 2 à 7 de ce livre présentent et analysent, à partir de prévisions de la FAO[40] et d’un certain nombre de bases de données, les principaux systèmes d’exploitation agricole des six principales régions du monde en développement. Une région peut englober jusqu’à 16 systèmes d’exploitation agricole différents; toutefois, nous n’avons sélectionné que les trois à cinq principaux systèmes de chaque région pour les analyser dans le détail. La discussion concernant les systèmes retenus est divisée en trois sections: i) caractéristiques; ii) tendances et problèmes; et iii) priorités. Chaque analyse régionale se termine par une discussion des priorités stratégiques d’ensemble de la région. Les points communs, les défis et les priorités résultant de l’ensemble des analyses sont présentés au chapitre 8. Les conclusions et les orientations sont exposées au chapitre 9.


[1] FAO 1996a.
[2] FAO 1999a.
[3] Au niveau international, le terme «pauvreté» est appliqué à ceux qui gagnent moins de 1 dollar par jour.
[4] Assemblée générale des Nations Unies, 2000.
[5] Banque mondiale, 1997.
[6] Fonds international pour le développement agricole 2001.
[7] Les projections pour 2015 et 2030 sont résumées de FAO (2000a). On se réfère souvent à ces projections dans cet ouvrage.
[8] La Banque mondiale classe les pays en développement dans six régions en développement, qui sont utilisées pour organiser l’analyse de fond dans ce livre. L’annexe 3 liste les pays membres de chaque région.
[9] La FAO définit la population agricole par les personnes dépendant de l’agriculture, la chasse, la pêche ou la forêt pour leur subsistance. Cette estimation comprend toutes les personnes actives engagées dans l’agriculture et leurs dépendants qui ne travaillent pas.
[10] Division de la population des Nations Unies, 2000.
[11] Division de la population des Nations Unies, 2000.
[12] La sous-alimentation est définie comme une situation où la consommation alimentaire individuelle est inférieure aux besoins énergétiques de base.
[13] Les régions correspondent à celles utilisées dans FAO (2000 a) - voir l’annexe 3 pour les groupements de pays. Les données de l’Europe de l’Est et l’Asie centrale ne sont pas disponibles.
[14] FAO 2000a.
[15] Banque mondiale, 2000b.
[16] Cependant, un certain nombre de pays ayant eu précédemment une planification centrale (Mongolie et Géorgie par exemple) ont des taux de pauvreté urbaine supérieurs aux taux de pauvreté rurale.
[17] Par exemple, Datt et Ravallion, 1998.
[18] Mellor, 2000.
[19] Dans la littérature, on trouve un grand nombre de définitions des systèmes de production et des systèmes d’exploitation agricole, qui mettent l’accent sur différents aspects d’un système. Par exemple, les composants des systèmes et les interrelations entre les systèmes (voir Dillon et al., 1978 et Shasser et al. 1982) et les processus complémentaires biophysiques et socioéconomiques.
[20] Les ménages de réfugiés ou d’ouvriers agricoles qui n’ont pas de terre ou de bétail, ne sont généralement pas considérés comme ménages agricoles.
[21] Lightfoot et al 1991.
[22] Voir aussi la note 19 sur la diversité des définitions des systèmes d’exploitation agricole.
[23] Collinson (2000) fournit une histoire complète de la recherche sur les systèmes d’exploitation agricole.
[24] Alors que les deux approches sont axées sur les agriculteurs, qui reconnaissent les différents moyens de subsistance, l’approche pour une subsistance durable (voir Ellis [2003] pour une revue complète) met plus l’accent sur la vulnérabilité.
[25] Type d’exploitation agricole dans le cas de l’agriculture commerciale ou à grande échelle.
[26] A ce propos, les auteurs précédents ont suivi différentes conventions - Ruthenberg (1971) se réfère aux familles de systèmes d’exploitation agricole à travers le monde; ex. systèmes de culture itinérante. Fresco (1986) fournit des noms de système d’exploitation agricole en particulier.
[27] FAO 1999c.
[28] Il est bon de noter que les filets de protection, étant considérés comme transitoires dans la réduction de la pauvreté, sont exclus de cette évaluation.
[29] Les experts sont principalement le personnel et les consultants de la FAO.
[30] FAO, 2000a. Naturellement le taux réel d’expansion dépendra de la nature de l’évolution de ces systèmes d’exploitation agricole.
[31] FAO,2001.
[32] Les changements de disponibilité en terre par tête varieront beaucoup d’une région à l’autre. Presque toute la terre cultivée additionnelle devrait provenir de l’expansion des frontières naturelles en Afrique et en Amérique latine, tandis que la terre effectivement cultivée pourrait diminuer dans des zones comme le Moyen- Orient.
[33] Commission intergouvernementale sur les changements climatiques, 2001.
[34] On doit souligner cependant que ce sont des baisses de rendements potentiels. Dans de nombreux systèmes d’exploitation agricole, d’autres facteurs que l’impact du réchauffement mondial peuvent être plus limitants.
[35] Fischer et al 2001.
[36] FAO, 2000a.
[37] Mellor, 2000.
[38] FAO 1990b.
[39] FAO 1990b.
[40] FAO 2000a.

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