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1.5 Diversification conduite par le secteur privé chez des producteurs indigènes du Guatemala[267]


ANNEXE 1: ÉTUDE DE CAS N° 5

Introduction[268]

L’un des problèmes essentiels des systèmes d’exploitations agricoles dans lesquels de nombreux petits producteurs dépendent principalement de cultures vivrières à bas rendement, est celui de la production de revenu. Quelques ménages agricoles sont tout juste à un niveau de subsistance; les revenus monétaires sont vitaux, non seulement pour leur assurer une nutrition correcte et l’accès aux services dont ils ont besoin, mais aussi comme source de demande pour les produits et services locaux qui fournissent des moyens de subsistances à de nombreux autres ménages. Même là où les rendements et les superficies cultivées augmentent, la détérioration des conditions de commercialisation et la baisse des prix nationaux des cultures vivrières conduisent à la diminution des revenus des petits agriculteurs de nombreux systèmes d’exploitation agricole, les entraînant dans une pauvreté plus grande et étranglant la croissance économique rurale. Il s’est souvent avéré difficile de créer les conditions initiales de croissance des revenus ruraux. Les projets de développement ont tendance à mettre l’accent sur le renforcement des technologies, du capital humain et des infrastructures plutôt que sur l’accroissement direct des revenus agricoles; dans tous les cas, leur impact à tendance à diminuer une fois le projet terminé.

L’étude de cas suivante présente un exemple de croissance importante et durable des revenus familiaux de petits agriculteurs du système maïs-haricot des collines d’Amérique centrale, à la suite d’une diversification dans l’horticulture d’exportation. Le cas est particulièrement intéressant car il touche une population largement indigène, dont une grande partie ne parle pas l’espagnol, et que le contrôle du marché du pois mange-tout des Etats-Unis s’est fait entièrement à partir d’une production à petite échelle effectuée par plus de 20 000 unités de production familiale.

Ces petits agriculteurs ont atteint cette position dominante sans aucun appui extérieur de la part du gouvernement ou des agences de développement. Elle a pour point de départ les activités du secteur privé en réponse à de nouvelles possibilités sur le marché international. Cependant, l’étude montre que l’efficacité des actions du secteur privé, et donc le succès des petits producteurs, fut grandement facilité par l’apparition simultanée d’une association du secteur privé qui se consacrait aux produits non traditionnels et d’une série de mesures gouvernementales qui soutenaient généralement les besoins d’un secteur d’exportation naissant. Ainsi, c’est un environnement favorable au développement des activités commerciales qui est, au moins en partie, responsable de l’augmentation importante des revenus des familles d’agriculteurs indigènes pauvres.

DESCRIPTION DU SYSTÈME

Le système d’exploitation agricole maïs-haricot des collines d’Amérique centrale couvre 650 000 km2, il s’étend sur la longue chaîne montagneuse reliant l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud à travers le Mexique et l’Amérique centrale[269]. Il est entouré sur presque toute sa longueur, des deux cotés Pacifique et Caraïbes, par le système d’exploitation agricole mixte plantation-côtier. Comme cela est fréquent dans la région, le système d’Amérique centrale est très dualiste, il comprend un grand nombre de petits producteurs pauvres ou extrêmement pauvres, qui occupent les collines et les terres en pente marginales, tandis que les meilleurs terres des vallées et des basses terres du système sont la propriété de grands domaines ou d’exploitations commerciales familiales qui se consacrent à la production du café, de la canne à sucre, du caoutchouc, des bovins et à d’autres activités agricoles. Comparé à d’autres pays d’Amérique latine, la proportion de la population rurale est importante en l’Amérique centrale, elle atteint plus de 60 pour cent de la population totale au Guatemala; l’agriculture joue un rôle important, elle représente 28 pour cent du PIB du Nicaragua.

Les niveaux de pauvreté du système sont élevés - plus de 80 pour cent de la population des hautes terres du Guatemala,[270] où cette étude de cas a été réalisée, sont considérés comme extrêmement pauvres - et la pauvreté est souvent directement corrélée avec le pourcentage d’indigènes (65 pour cent de la population du Guatemala, peut être plus de 90 pour cent dans la zone du système d’exploitation agricole). La croissance de la population entraîna un morcellement accru des exploitations et une réduction de leur taille[271], qui à son tour augmenta la pression sur les ressources en terre et en eau et conduisit à repousser les limites agricoles (souvent sur des pentes et des sols incapables de permettre une production agricole durable) et à augmenter la pauvreté. Au cours des années 80, des études de la FAO estimèrent que l’érosion et la dégradation grave des sols touchaient 35 pour cent des terres du Guatemala, montrant que le problème des terres en pente du système d’Amérique centrale allait probablement s’aggraver. L’importance cruciale de la terre est mise en évidence par les nombreux conflits armés ruraux qui se sont déclarés au cours des 30 dernières années à l’intérieur des limites du système.

La production de maïs et de haricots, largement autoconsommée, est la principale activité de la plupart des petits agriculteurs. Les rendements sont bas[272] en raison de l’emploi limité d’intrants externes et des sols marginaux. Lorsque l’altitude et les sols le permettent, le café est la culture de rente favorite; toutefois, les communautés près des centres urbains peuvent traditionnellement produire des fruits et du maraîchage. Le bétail peut jouer un rôle important qui diminue avec l’altitude sauf sur les hauts plateaux du Guatemala et du Mexique où les moutons sont fréquents. Les communautés plus isolées ont souvent recours aux migrations saisonnières ou de longue durée pour complémenter leur revenu monétaire. En dépit de ces possibilités, le maïs et les haricots continuent de jouer un rôle culturellement essentiel pour la nutrition et les finances de la majorité des petits producteurs; la vente des surplus de ces productions fournit le revenu de base de la majorité des familles. Toutefois, les prix nationaux réels de ces produits ont stagné ou ont même baissé au cours des dernières décennies en raison de l’ouverture des marchés locaux à l’extérieur et, dans une moindre mesure, de la protection du marché interne.

Le système possède peu d’infrastructures et de services publics, particulièrement lorsqu’on s’éloigne des centres administratifs. Les guerres civiles répétées ont creusé l’écart entre les grands centres urbains et les communautés rurales. Même au Costa Rica, souvent considéré comme un modèle de développement économique dans la région, des données récentes montrent que l’indice de développement humain est neuf fois supérieur dans les principales zones urbaines que dans les communautés rurales indigènes[273]. Les 30 prochaines années paraissent sombres pour les petits producteurs qui dépendent du maïs et des haricots et pour leurs enfants, qui hériteront de fermes encore plus petites et plus dégradées que leurs parents.

LE CAS ET SON CONTEXTE

Sur une période d’environ 20 ans, de 1974 à 1994, un certain nombre de changements importants, qui ont profondément affecté la vie de plus de 150 000 habitants pauvres des hauts plateaux ruraux, sont intervenus au Guatemala. Ces changements peuvent être groupés grossièrement en trois catégories.

a) L’émergence de petits producteurs et d’entreprises de petite et de moyenne taille, acteurs essentiels de la création d’un commerce d’exportation important de petits pois mange-tout, de brocolis et plus récemment d’autres produits.

b) La création et la croissance d’une association de commercialisation à l’exportation GEXPRONT et son rôle dans la croissance du secteur agricole non traditionnel.

c) La reconnaissance par le Gouvernement du Guatemala de l’importance des exportations, de leur rôle moteur dans la croissance économique et l’adoption de politiques facilitant les exportations.

Bien qu’ils soient décrits séparément ci-dessous afin d’expliquer les actions prises et de décrire clairement le rôle de chaque groupe, le développement et l’impact des trois ensembles de facteurs sont nettement reliés entre eux et doivent être interprétés comme tel.

L’apparition des petits pois mange-tout et des brocolis au Guatemala

Au début des années 70, la demande croissante en petits pois mange-tout (Pisum sativum) aux Etats-Unis due faire face à une contrainte majeur: l’approvisionnement en frais de Californie n’était disponible que de juin à octobre et les importations surgelées de Taiwan (province de Chine) ne donnaient pas satisfaction. Une source nouvelle de petits pois mange-tout pouvait être très profitable. On pensa d’abord au Chili mais en 1974 un entrepreneur américain commença à expérimenter la production de petits pois mange-tout au Guatemala. Cette culture était, sur le plan agronomique, bien adaptée aux conditions de l’altiplano du centre et de l’ouest du Guatemala où les conditions climatiques tempérées permettaient de récolter d’octobre à mai. Les résultats des parcelles pilotes furent encourageants et un certain nombre d’agro-industries commencèrent la production.

La demande en petits pois mange-tout continua à croître rapidement au cours des années 70 et 80, mais l’expansion de la production s’avéra difficile au Guatemala; l’acquisition de terres sur les hauts plateaux densément peuplés où peu de propriétaires possèdent des droits légaux était onéreuse et prenait beaucoup de temps. L’offre ne pouvait pas satisfaire la demande et les sociétés agro-industrielles durent se tourner de plus en plus vers les producteurs indépendants pour fournir les acheteurs. Au début des années 80, un certain nombre de petits producteurs commencèrent à court-circuiter l’agro-industrie et à négocier directement avec les petits transformateurs et exportateurs.

En dépit de leur manque de formation ou de capital, les producteurs indigènes locaux bénéficièrent d’un certain nombre d’avantages. Parmi les premiers producteurs, nombre d’entre eux étaient plus ou moins habitués aux productions horticoles, ayant cultivé des oignons, des tomates et des cultures semblables pour les marchés locaux. Leurs terres était disponibles sans frais monétaire et leur désir d’optimiser la maind’œuvre familiale convenait parfaitement à une culture nécessitant 516 journées de travail par hectare sur une période de quatre mois.

La main-d’œuvre, même payée avec les bas salaires des zones rurales du Guatemala, représentant 35 pour cent des coûts totaux, les petits agriculteurs utilisant la main-d’oeuvre familiale non payée pouvaient tirer des revenus très importants des petits pois mange-tout comparé aux autres cultures traditionnelles. Un quart d’hectare de petits pois mange-tout (exploitation typique) pouvait générer un revenu de 500 dollars EU, sans prendre en compte le revenu de la terre et la main-d’œuvre. Par contre, dans la même zone le maïs ne rapportait que 50 dollars EU. Les opérateurs de l’agro-industrie furent incapables de les concurrencer[274]. De plus, une l’irrigation de complément, permit de produire deux cultures consécutives - petits pois mange-tout et brocolis - sur une année et une culture de maïs l’année suivante. En conséquence, la production de brocolis, déjà connue au Guatemala mais considérée jusque là comme peu intéressante par les petits producteurs, vit son importance augmenter considérablement. Etant donné que de très petites surfaces permettaient des augmentations importantes du revenu des ménages, ceux-ci purent continuer à cultiver le maïs et le haricot sur les surfaces cultivées restantes. Au milieu des années 90 on estimait à 21 500 le nombre de familles produisant des petits pois mange-tout et/ou du brocoli, équivalent à une production totale de 23 000 tonnes de petits pois mange-tout et 43 000 tonnes de brocolis par an sur approximativement 4 350 ha.

La croissance des producteurs indépendants n’était possible qu’avec la croissance correspondante des intermédiaires et des exportateurs. La gestion de la production journalière d’un si grand nombre de producteurs dispersés sur quelque 3 000 km2 de hauts plateaux mal desservis par les services ruraux, son tri, son empaquetage et son expédition par bateau dans les 24 heures après la récolte, demandent un système de distribution sophistiqué. Aucune estimation n’existe quant au nombre d’intermédiaires impliqués, mais au moment de l’étude, au milieu des années 90, au moins 50 entreprises exportaient régulièrement des petits pois mange-tout pendant la saison de récolte, certaines utilisaient le fret aérien, d’autres des containers frigorifiques (principalement pour l’Europe)[275].

Dans les années 90, de nombreux producteurs - estimés à plus de 60 pour cent - eurent des contrats réguliers avec des intermédiaires locaux, qui représentaient des exportateurs spécifiques. La production contractuelle permet aux producteurs d’avoir accès à un fonds de roulement, généralement sous la forme de semences et de produits phytosanitaires. D’un autre côté, la possibilité pour les exportateurs de planifier et de coordonner les dates de récolte et les volumes afin de maximiser les quantités aux moments où les prix sont les plus hauts, était un stimulant très important. Certains agriculteurs restèrent indépendants, vendant leur produit, souvent en lots de moins de 100 kg, au cours de ventes aux enchères spécialisées dans des communautés autour de l’altiplano. De 17 heures à minuit, les intermédiaires équipés de camionnettes collectent les lots des contrats et achètent aux enchères des quantités hors contrat afin de remplir leurs quotas de la nuit, soit pour la vente directe à un exportateur, soit pour la vente avant l’aube à un des cinq principaux centres de grossistes qui travaillent sur ce marché. Au plus fort de la récolte, des quantités allant jusqu’à 1,5 millions de livres (650 tonnes) sont acheminées par ces canaux chaque semaine. Au cours des années 80 et 90, de nouveaux produits non traditionnels firent leur apparition chez les petits exploitants (petits légumes, mini épis de maïs, sugar-snaps [pois mange-tout sans parchemin à l’intérieur de la gousse], mûres et surtout framboises) diversifiant ainsi les productions.

Le rôle de GEXPRONT

En 1978, le Gouvernement du Guatemala créa une agence du secteur public appelée GUATEXPRO, pour la promotion des exportations nationales; cette institution ne dura que deux ans. Néanmoins, elle convainquit un certain nombre d’exportateurs de produits non traditionnels qui n’avaient pas derrière eux la puissance des secteurs du sucre, du café ou de l’élevage, qu’ils avaient besoin d’un forum capable d’influencer et de coordonner les entreprises, surtout petites et moyennes, actives dans ce secteur. Ainsi fut fondée en 1982, l’Association des exportateurs non traditionnels du Guatemala (GEXPRONT). En 1986, lorsque l’USAID commença ses opérations d’assistance financière, GEXPRONT reçut une aide importante de cette agence. GEXPRONT est composé de cinq commissions; toutefois, cette étude de cas ne s’intéresse qu’à celle opérant dans le domaine des produits agricoles. En 1995, la commission agricole de GEXPRONT (maintenant nommée AGEXPRONT) avait 250 membres adhérents. En collaboration avec les autres commissions, et souvent aussi avec d’autres entités du secteur privé, telles que la Chambre de commerce et d’industrie, AGEXPRONT fit du lobbying en faveur d’un certain nombre de changements essentiels du secteur de l’exportation et contribua à ces changements. Elle s’occupa peu du développement direct du marché, bien que certaines de ses activités aient eu pour but d’aider les entreprises à établir des relations commerciales avec des acheteurs d’outre-mer. AGEXPRONT se concentra plutôt sur la résolution des problèmes du système qui empêchaient ses membres de mener à bien et d’étendre leurs opérations. Il s’agissait généralement de problèmes de première importance pour les petites entreprises, qui mettaient souvent en jeu des fonctions de gestion considérées jusque là comme relevant de la seule compétence du secteur public. En dehors de sa contribution aux changements de politiques gouvernementales (voir ci-dessous), les changements fondamentaux institués par AGEXPRONT au cours de la première décennie ont porté sur les points suivants:

Au début des années 90, les rendements commencèrent à stagner pour les brocolis et les petits pois mangetout, et la fourniture de produits devint à nouveau un problème, bien que la gamme des cultures non traditionnelles pratiquées se soit étendue. La faiblesse des infrastructures rurales freinait l’ouverture de nouvelles zones de production, et les meilleures terres pour la production des brocolis et des petits pois mange-tout avaient déjà été utilisées. Les marchés étrangers attachèrent de plus en plus d’importance aux problèmes de contamination chimique. Pour répondre à ces nouveaux problèmes, les programmes d’assistance d’AGEXPRONT commencèrent à modifier leurs priorités:

Dans la deuxième moitié des années 90, GEXPRONT dut faire face à un nouveau défi: l’aide financière de l’USAID, qui diminuait depuis quelques années, s’arrêta complètement. Les contributions des membres et le revenu des activités sponsorisées ne suffirent pas à maintenir les programmes de recherche qui répondaient à la demande des producteurs et d’autres activités de coût élevé. AGEXPRONT renforça alors ses liens avec le Ministère de l’agriculture et persuada le gouvernement qu’une agence du secteur privé pourrait utiliser plus efficacement des fonds publics que le ministère lui-même. En conséquence, beaucoup de ces programmes furent maintenus opérationnels avec le financement du secteur public.

Le rôle du gouvernement

Bien qu’il n’y ait aucun doute sur le rôle essentiel des petits agriculteurs et des exportateurs avec lesquels ils firent du commerce dans le succès de la production et de l’exportation des petits pois mange-tout, le gouvernement joua lui aussi un rôle important au cours des 20 dernières années, en mettant en place un cadre législatif et politique approprié qui a permis au secteur d’exportations non traditionnelles de prospérer. Les mesures essentielles furent les suivantes:

A la fin des années 1990, le Ministère de l’agriculture (MAG) réduisit fortement son personnel et ses dépenses internes, mais augmenta de façon importante le montant des fonds publics destinés, par l’intermédiaire de GEXPRONT, à aider les activités des petits producteurs. Il forma aussi des groupes régionaux de développement, incluant le secteur privé, qui essayèrent de coordonner le développement des secteurs privé et public dans les zones rurales les moins favorisées. AGEXPRONT joua un rôle majeur dans le travail de ces comités.

IMPACT

Les résultats

On ne saurait mettre en doute l’impact énorme qu’a eu le développement des exportations des petits pois mange-tout et des brocolis sur les petits agriculteurs indigènes de l’altiplano guatémaltèque. De 1980 à 1993, la part du Guatemala dans le marché des pays de l’OCDE pour les produits maraîchers frais, surgelés et transformés quintupla, passant de 0,09 pour cent à 0,45 pour cent[277], même si, dans le même temps, la production de ces cultures à l’échelle commerciale déclina jusqu’à devenir presque nulle. En 1995, le Guatemala fournit un tiers des importations des Etats-Unis en petit pois mange-tout, pour une valeur de 55 millions de dollars EU par an. Comme aucune famille n’avait la capacité de travail, de capital ou l’eau nécessaire à la culture de grandes surfaces de maraîchage intensif, les revenus furent largement répartis à l’intérieur de la communauté indigène. La taille moyenne des surfaces consacrées à ces cultures était de 0,24 ha et on ne trouva aucun producteur avec une surface supérieure à 0,5 ha.

En 1996, on estima que 21 500 familles indigènes étaient impliquées dans la production directe de ces deux cultures, générant des revenus agricoles bruts pour la région estimés à 30 millions de dollars EU, soit presque 1 400 dollars EU par famille. Sur une base de 516 jours de travail par ha pour le petits pois mange-tout et 191 pour les brocolis, on peut calculer que le revenu moyen familial fut obtenu par le travail moyen de 0,5 à 0,6 personne par an correspondant à un profit d’environ 2 500 dollars EU/personne employée/an[278].

On a calculé que 28 millions de dollars EU revenaient annuellement aux grossistes, à la transformation, à l’empaquetage et aux exportateurs du Guatemala, certains vivant en zones rurales. En fait, une étude entreprise en 1994 estima que le coefficient multiplicateur indirect du travail associé aux activités agricoles non traditionnelles[279] était de 0,26; elle montrait qu’un total de 27 000 familles avaient pu trouver du travail grâce à ces activités, sans compter celles occupées à produire le petit maraîchage, les groseilles et d’autres nouvelles cultures. En estimant à six personnes la taille moyenne d’une famille (chiffre probablement inférieur à la réalité), ces deux cultures non traditionnelles ont probablement contribué à la réduction de la pauvreté de 160 000 ruraux pauvres du Guatemala. Ces chiffres ne tiennent pas compte des fournisseurs de biens et de services des zones rurales qui purent développer des activités pour répondre à la croissance de la demande rurale; aucune donnée les concernant n’est disponible.

Principaux facteurs opérationnels

Bien que l’innovation et le risque pris par les producteurs indigènes et les petites entreprises commerciales aient été essentiels pour le succès du système petits pois mange-tout et brocolis du Guatemala, un certain nombre d’autres facteurs furent probablement également importants. Les faibles coûts d’entrée de ces deux productions et l’exportation des petits pois mange-tout donnèrent naissance à un système qui fut particulièrement compétitif, sans avantage apparent d’échelle comme cela avait été le cas pour la surgélation des brocolis (contribuant peut-être à des revenus beaucoup plus faibles que cette culture). En conséquence, les producteurs récupèrent pour leur propre profit plus de 40 pour cent du prix des petits mange-tout arrivés à destination, ce qui représente une proportion importante pour un produit périssable d’exportation.

Le rôle d’AGEXPRONT, qui créa (et qui, en collaboration avec le gouvernement, promut) un cadre dans lequel un tel comportement compétitif pouvait se développer en fournissant aux nouveaux entrants le support commercial et les installations qui auraient autrement été très onéreux à développer, fut aussi très important. En général, AGEXPRONT résista à la tentation de choisir les meilleurs, ne se comportant qu’une fois ainsi avant 1996. Il en était probablement mieux ainsi: l’enthousiasme pour les asperges, identifié dans une étude de 1987, conduisit à un certain nombre d’investissements importants qui furent tous des échecs.

Contrairement au comportement des associations commerciales d’exportation, AGEXPRONT assura un rôle leader dans la promotion des liens entre les entreprises et les producteurs, voyant là un moyen essentiel d’augmenter la disponibilité des produits, et donc du chiffre d’affaire pour ses membres. Dès le début, AGEXPRONT encouragea les exportateurs à développer leurs activités dans une même ligne de produits (melons, mangues, petits pois mange-tout, brocolis, fleurs coupées, etc.) et à former des sous-commissions dont le but était d’identifier et d’aplanir les obstacles communs au développement des productions. C’est cette stratégie qui conduisit directement à l’établissement des programmes de recherche de terrain financés en partie par l’USAID et, par la suite, à celui des services de vulgarisation financés par le privé lorsque les exportateurs se mirent d’accord sur la nécessité de traiter le problème des faibles rendements, des contaminations et autres. En 1997, AGEXPRONT créa sa nouvelle sous-commission pour les exportateurs de produits écologiques et pour les services.

La relation entre le secteur privé et le Gouvernement du Guatemala fut aussi essentiel pour le développement rapide du secteur des exportations non traditionnelles et donc, finalement, pour la création de revenu pour les petits producteurs. Bien que les attitudes du gouvernement aient changé au cours des 20 dernières années et que toutes les politiques n’aient pas été à l’avantage du secteur (à la suite du réajustement du taux de change dans les années 1980, il y eut encore une longue période de surévaluation de la monnaie au cours des années 90) le gouvernement a, en général, appuyé les petites entreprises. A plus long terme, la volonté du MAG d’utiliser AGEXPRONT comme un bras exécutif pour canaliser et gérer les fonds du secteur public a montré que le financement international n’était pas la seule voie d’accès au financement dont les entités du secteur privé ont besoin pour continuer leurs activités.

Durabilité

Les petits producteurs non traditionnels de fruits et de maraîchage du Guatemala doivent faire face à une forte concurrence de la part de nombreux autres producteurs. Néanmoins, ils se sont arrangés pour maintenir et même renforcer leur position en utilisant le climat favorable, le faible coût de la main-d’œuvre familiale et un système de commercialisation efficace. Les menaces les plus sérieuses sur le secteur proviennent de sa plus grande force: sa production très dispersée et atomisée et son système de commercialisation. Elles ont causé de sérieuses inquiétudes en matière de contamination, d’abord à partir des produits phytosanitaires interdits et plus récemment à la suite de contamination biologique suspecte de groseilles avec de la cyclosporine. En raison du grand nombre de producteurs et d’exportateurs il est très difficile de déterminer la source d’une quelconque contamination ou infestation, aussi une expédition peut-elle être entièrement contaminée par un seul producteur. Une deuxième menace potentielle sur la durabilité du système réside dans les difficultés encore rencontrées par les exportateurs pour répondre à la demande en période de pointe (et donc de faire concorder les prix).

Le contrôle de la production est certainement plus facile lorsque la production est le fait d’un petit nombre de producteurs, mais il n’est pas impossible pour des systèmes de production dispersée. Le futur du système actuel pourrait bien dépendre de la possibilité de convaincre les petits agriculteurs de l’importance critique d’une bonne gestion sanitaire et chimique de leurs produits et de la nécessité de faire correspondre leurs périodes de semis avec la demande du marché. Assez curieusement, cela pourrait permettre aux agriculteurs indigènes participants de se propulser dans les techniques de production du XXIe siècle, grâce aux systèmes de prévision des récoltes basés sur l’utilisation d’Internet, de codes informatiques sur les lots des producteurs, de l’échantillonnages automatisés et de l’analyse des produits.

Il est encourageant de voir qu’il semble inévitable, qu’à l’avenir, la part des productions des Etats-Unis diminue fortement dans leur propre marché intérieur, même si la demande en produits horticoles exotiques de haute valeur et en fruits continuera de croître. La concurrence pour l’utilisation des terres de Californie, principale zone de production aux Etats-Unis est forte; de plus, la production continue de cultures nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, même à l’abri de droits ou de pseudo droits de douane élevés peut n’avoir qu’un temps. Cette situation peut ouvrir de nouvelles perspectives de croissance importantes pour le Guatemala, si la concurrence mexicaine peut être tenue à distance27.

Finalement, il est un peu inquiètant que le secteur ait accompli si peu de progrès dans la création de valeur ajoutée par la transformation. Au milieu des années 90, les produits frais représentaient encore près de 90 pour cent de la valeur des exportations non traditionnelles, et encore les 10 pour cent transformés étaient surtout exportés sur les marchés régionaux d’Amérique centrale et non sur les marchés internationaux.

RECOMMANDATIONS POUR LES ACTIVITÉS FUTURES

Leçons

Un certain nombre de leçons importantes peuvent être tirées du cas présenté ci-dessus:

Reproductibilité

La question de la reproductibilité de cette étude, qui décrit plutôt une série d’événements qu’une intervention spécifique, a moins d’importance que pour les autres études de cas. Néanmoins, il est bon de faire certains commentaires. Aucun des éléments qui ont contribué au développement des exportations de petits pois mange-tout et de brocolis n’est unique. Un certain nombre de cultures, gourmandes en main-d’œuvre et d’accès facile, représentent des possibilités de diversification pour les populations des petits agriculteurs pauvres de nombreux systèmes agricoles. Bien que rarement aussi actives que GEXPRONT et souvent difficiles à maintenir lorsque le financement extérieur s’est tari, des associations d’exportateurs existent dans de nombreux pays. Il existe aussi de nombreux pays où les gouvernements ont fait des efforts pour promouvoir des exportations non traditionnelles. Finalement, il existe de nombreux exemples de cas où le secteur privé a été à l’origine de l’apparition de nouvelles cultures et de produits non traditionnels, tels que les fleurs coupées en Colombie, les crevettes en Equateur, ou le jus d’orange au Brésil. Ce qui est inhabituel dans le cas du Guatemala est le niveau auquel le secteur privé a su pousser un partenariat réussi avec les petits producteurs pauvres pour dominer le plus grand marché du monde pour un produit spécifique28. D’autres cultures ont aussi connu le succès en utilisant la même formule.

Pour les gouvernements et les agences extérieures de financement, la clé de la reproductibilité de cette expérience réside probablement dans l’accent mis plus sur l’environnement dans lequel ils évoluent que sur les producteurs eux-mêmes, en terme de diversification et de projet d’appui au revenu. Cet environnement inclut bien évidemment des éléments sous le contrôle du gouvernement, tels que l’infrastructure, le contrôle des réglementations, les politiques fiscales et le taux de change; il dépend aussi beaucoup des activités du secteur privé dans les domaines de la commercialisation, du financement, de l’offre d’intrants, et de la création d’emploi; en effet le secteur public ne peut répondre durablement à aucune demande dans ces domaines, demande qui ne peut pas non plus être prise en charge par les producteurs eux-mêmes.

Toutefois, il est possible que le secteur privé ait à faire face à des obstacles, parfois sérieux, à ces activités. S’ils peuvent être levés, l’environnement pour la diversification et la création de revenu deviendra beaucoup plus favorable et, pour autant que les conditions agronomiques, socioculturelles et commerciales sont appropriées, les chances de succès augmenteront considérablement. Cependant, le secteur privé doit être convaincu des possibilités de partenariat avec les petits producteurs. Les petites entreprises sont, par nature, plus prêtes à accepter ce principe (les grandes entreprises peuvent trouver que, de toute façon, les coûts de transaction sont trop élevés quand il s’agit de traiter avec des petits producteurs). De plus, seules les plus petites entreprises sont capables de bien identifier et d’évaluer l’importance des contraintes auxquelles elles auront à faire face pour mettre en place une production atomisée et des systèmes de commercialisation. D’où l’importance de permettre aux petits et moyennes entreprises de jouer un rôle leader dans ce processus.


[267] Cette étude de cas est condensée de Gulliver (2001).
[268] Cette étude de cas doit beaucoup à Contreras, 1996 et Gulliver et al., 1996.
[269] Voir Gulliver et al. (2001) pour une description plus complète du système d’exploitation agricole maïs-haricot des collines d’Amérique centrale.
[270] Projet d’état de la région, 1999.
[271] Selon les données du recensement agricole national, le nombre d’exploitations cultivant le maïs au Guatemala s’est accru de 321 000 en 1964 à 667 000 en 1996, correspondant à un accroissement de plus de 100 pour cent en 32 ans. La taille moyenne des exploitations des producteurs de maïs était d’environ 3,6 ha en 1996.
[272] Les rendements moyens sont inférieurs à 1,5 tonne/ha pour le maïs et de 0,75 tonne/ha pour le haricot.
[273] Projet d’état de la région, 1999.
[274] Les données concernant les coûts de production des opérateurs commerciaux au début des années 90 montrent qu’un coût du travail de 4 Q/pers./jour (correspondant approximativement à 1 dollar EU/pers./jour), entraînait une augmentation du coût du travail de 2 064 dollars EU/ha.
[275] Les petits pois mange-tout surgelés n’ont jamais représenté plus de 10 pour cent de la production totale, contrairement aux brocolis qui sont presque entièrement exportés surgelés.
[276] Au départ, ces taxes furent à 0,01 Q par livre, générant quelque 65 000 dollars EU par an.
[277] Inversiones y Desarrollo Corp., 1995.
[278] Toutefois, il est bon de rappeler que ce revenu ne prend pas en compte la valeur de la terre utilisée.
[279] Samayoa Urrea, 1994.

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