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PREMIÈRE PARTIE: INTRODUCTION ET PRINCIPES GÉNÉRAUX


1 Introduction

Historique et contexte

1.1 La location de la terre est un élément important de l’environnement agricole partout dans le monde. Les baux agricoles constituent une réalité extrêmement diverse, des systèmes de fermage et de métayage à petite échelle qui sont communs en Afrique, en Asie et en Amérique latine aux baux des grandes exploitations mécanisées du nord de l’Europe et d’autres régions de l’OCDE1. Bien qu’extrêmement différents dans leurs contextes, ces arrangements sont tous caractérisés par un élément commun qui est la dissociation de la propriété et de l’utilisation de la terre.

1.2 La location offre aux familles d’agriculteurs qui n’ont guère de terre ou de capital, voire pas du tout, la possibilité d’y avoir accès. De ce fait, les baux agricoles constituent depuis longtemps un élément qui fait partie inhérente du secteur agricole, mais leur importance a souvent été négligée, minimisée ou mal comprise. En fait, la persistance de tels arrangements est menacée dans les régions où ils sont associés à une concentration de la propriété des terres et à un déséquilibre des rapports de forces en faveur des propriétaires fonciers.

1.3 Plutôt que de chercher à redresser ces déséquilibres structurels au moyen d’une révision des baux agricoles, quelques États ont essayé de les remplacer par un système d’occupation des terres par leurs propriétaires (voir encadré 1.1). Néanmoins, comme le montre l’exemple donné dans l’encadré 1.1, le régime d’occupation directe n’a pas nécessairement débouché sur la disparition des baux ni sur un meilleur équilibre des forces dans le secteur agricole. Les baux demeurent un élément important, même lorsque les pouvoirs publics ont essayé de les remplacer par d’autres arrangements. Ce décalage entre la politique officielle et la pratique réelle est l’une des caractéristiques majeures du secteur agricole, même là où les baux sont officiellement sanctionnés.

Encadré 1.1

IMPACT DE LA RÉFORME DES SYSTÈMES FONCIERS EN INDE

Pendant les années 50, tous les États de l’Inde ont aboli les droits et intérêts intermédiaires sur la terre. Ceux qui avaient effectivement la jouissance de la terre à l’époque, y compris les métayers et sous-métayers, avaient reçu le statut de riyati (propriétaire-cultivateur). Ainsi, 8,8 millions d’agriculteurs ont eu accès à quelque 7,3 millions d’hectares de terre.

Malgré tout, il est apparu clairement, dès les années 60, que, pour une large part, les terres que les propriétaires avaient juridiquement conservées comme riyati étaient cultivées sur la base d’arrangements informels fondés principalement sur le métayage. Il a alors été adopté d’autres mesures de réformes foncières au niveau provincial pour essayer de donner le statut de riyati à ces fermiers et métayers en leur offrant un titre de propriété foncière en contrepartie d’un droit fixé par les pouvoirs publics payable en dix versements.

Néanmoins, même cette mesure n’a pas empêché la location de la terre. Selon les données publiées récemment par le Gouvernement indien (48th Round of NSS Report, 1996), il existe à l’heure actuelle 17,1 millions de ménages - c’est-à-dire 15 pour cent du total des ménages ruraux - qui cultivent comme fermiers ou métayers 9,4 millions d’hectares, soit 8 pour cent du total des terres agricoles. Selon les estimations, 84 pour cent environ de ces 17,1 millions de fermiers et métayers n’ont aucun titre officiel de jouissance ni aucune protection contre l’expulsion et par conséquent aucune possibilité d’accès aux mécanismes de crédit ou autres intrants habituellement obtenus par le biais de coopératives ou d’autres circuits officiels.

1.4 Le regain d’intérêt qu’ont suscité récemment les baux agricoles reflète, d’une manière plus générale, la prise de conscience de la nécessité de promouvoir une agriculture familiale intensive afin de mobiliser les superficies considérables de terres inutilisées ou sous-utilisées qui existent de par le monde (y compris les terres qui font actuellement l’objet d’une agriculture extensive mécanisée). Dans ce contexte, des situations et des opportunités nouvelles se présentent constamment, avec des formes de contrats et de locations potentiellement bénéfiques à la fois pour les propriétaires et les paysans manquant de terres, comme le montre l’exemple de l’encadré 1.2.

1.5 En outre, nombre de métayers dépourvus de terre - et qui n’ont pas les capitaux nécessaires pour acheter de la terre même si elle était disponible - ont exprimé le souhait de disposer d’une plus grande latitude dans l’utilisation de la terre qu’ils exploitent. Dans les anciens pays communistes, le regroupement des petites exploitations fragmentées rendu possible par le processus de restitution et de privatisation des terres est freiné par la répugnance souvent manifestée par les familles de vendre la terre nouvellement acquise. Dans toutes ces situations, une amélioration du système de baux agricoles pourrait offrir une solution.

Encadré 1.2

La location de la terre comme moyen de péréquation de la superficie des exploitations dans l’ouest de Java

Dans l’ouest de Java, le régime foncier n’est, pour l’essentiel, soumis à aucune restriction légale. Environ 70 pour cent des terres agricoles sont cultivées par leurs propriétaires, et les indications disponibles montrent que la location de la terre joue un rôle de péréquation de la superficie des exploitations. C’est ce que l’on a constaté dans les hautes terres, où les cultures traditionnelles ont été remplacées par l’horticulture dans le cadre d’une exploitation contractuelle organisée par des intermédiaires. Le marché des baux agricoles a élargi l’accès aux terres qui se prêtent à l’horticulture tandis que, précédemment, aucune terre agricole n’était louée dans ces régions. Plutôt que de louer la terre directement, les agriculteurs dépourvus de terre la sous-louent à des intermédiaires étant entendu que les légumes récoltés seront vendus par l’entremise de ces derniers. Lorsque la terre n’est pas utilisée pour la culture de légumes, les intermédiaires peuvent souvent la louer pour la culture de paddy. Ce type d’arrangement apparaît comme bénéfique pour toutes les parties intéressées: il profite à l’agriculteur qui a accès à un surcroît de terre en dehors du village, et le propriétaire bénéficie également de cet arrangement du fait que les coûts de transaction se trouvent réduits étant donné que la sous-location est organisée par l’intermédiaire.

[Yokoyama, S. 1995. ‘Agricultural diversification and institutional change: a case study of tenancy contract in Indonesia’, Developing Economies 33(4): 374-396]

1.6 La location de la terre offre également des possibilités pour la gestion de grandes exploitations dans les pays développés. Bien qu’ils ne soient pas confrontés à la concentration extrême des terres et au manque d’accès à la terre qui caractérisent les pays en développement, la plupart des pays développés considèrent les baux agricoles comme avantageux, en particulier pour dissocier le coût de l’achat de la terre des investissements qu’exige une agriculture de plus en plus intensive et mécanisée. L’on a également avancé l’argument - qui, pour l’essentiel, n’a pas été prouvé - qu’un secteur dynamique des baux agricoles permet aux jeunes agriculteurs d’agrandir leurs exploitations et de développer leur potentiel, ce qui bénéficie à l’ensemble du secteur agricole2.

1.7 De ce fait, les baux agricoles sont devenus une question importante pour la FAO car ils constituent un des nombreux moyens utilisés pour renforcer la sécurité alimentaire et atténuer la pauvreté. Les baux agricoles intéressent la FAO pour différentes raisons. Au niveau opérationnel, il faut, si l’on veut promouvoir un meilleur équilibre et une plus grande équité dans les relations entre les bailleurs et preneurs de terres agricoles, mieux comprendre les éléments à prendre en considération lors de la conclusion d’un bail. Au niveau des politiques générales, il faut analyser les types de conditions dans lesquelles des baux peuvent être appropriés et la mesure dans laquelle ils peuvent être utilisés pour améliorer l’accès à la terre lorsque celle-ci est concentrée ou au contraire fragmentée.

1.8 Les baux agricoles constituent un moyen d’améliorer l’accès à la terre mais les informations disponibles concernant les terres allouées, et surtout les terres privées, sont relativement limitées. Du fait de ce manque d’informations, de sérieuses erreurs ont été commises et l’on a laissé échapper des possibilités prometteuses, ce qui a eu un impact à différents égards, et a en particulier freiné le développement économique et social et encouragé la persistance de systèmes agricoles dépassés. S’il existe des sources d’information sur les baux, il n’en existe pas au sujet de questions aussi fondamentales que les suivantes: Que sont les baux? Quand peuvent-ils - et sans doute devraient-ils - être utilisés? Que faut-il faire pour créer un bail? Quel est le cadre social, politique et économique qui doit exister pour que l’on puisse introduire un système de location de la terre? Quelles sont les mesures qui doivent être adoptées pour qu’un bail puisse être exécuté efficacement?

Buts du Guide

1.9 Au moyen de ce Guide, la FAO souhaite informer les gouvernements et toutes les parties intéressées des principaux avantages que l’on peut attendre des baux agricoles, le but étant de diffuser des informations et de donner des exemples pour l’élaboration de politiques et de programmes de nature à faciliter l’accès à la terre des agriculteurs qui en sont dépourvus et d’améliorer aussi bien la productivité que la durabilité des systèmes agricoles. Ce Guide a été préparé sur la base de la prémisse selon laquelle:

... il est possible de mettre au point des arrangements appropriés qui concilient les intérêts du bailleur et du preneur de la terre et qui puissent améliorer l’accès à une exploitation et déboucher sur une augmentation de la production agricole et une gestion plus rationnelle de la terre.

1.10 Le Guide s’adresse à un très large public, c’est-à-dire à tous ceux qui s’intéressent aux baux agricoles: décideurs, fonctionnaires et agents publics, agents et conseillers sur le terrain, ONG et associations de propriétaires et de fermiers.

1.11 L’on s’est efforcé de faire dans ce Guide une analyse «dans les règles de l’art» des pratiques optimales en matière de baux agricoles. Comme c’est le cas des autres guides de la FAO, il ne constitue pas une solution toute faite mais simplement une tentative d’encourager une réflexion sur les problèmes que suscitent les différents régimes fonciers. Ce Guide contient également toute une série de connaissances pratiques qui pourront être utiles pour la prise de décisions. Comme la nature des baux varie selon les circonstances, le Guide a essentiellement pour but de faire mieux comprendre le processus qu’il faut suivre pour élaborer des baux appropriés.

1.12 Si l’on veut que la location de la terre puisse déboucher sur des moyens de subsistance plus durables en milieu rural et sur un accès plus équitable aux ressources, il faudra que les conditions ci-après, entre autres, soient réunies:

1.13 Les informations fournies dans le Guide présentent un intérêt immédiat pour les pays qui ont introduit des réformes visant à réaliser ces objectifs, par exemple grâce à la promotion de l’état de droit. Comme ces conditions sont actuellement réunies dans les pays dotés de marchés bien développés, plusieurs des exemples donnés se rapportent à des types de baux qui existent en Europe occidentale, dont d’innombrables types ont été mis à l’essai au cours des deux siècles passés.

1.14 Toutefois, la location de la terre existe aussi dans des pays où l’une des parties au bail risque d’être beaucoup plus puissante que l’autre et où le respect de la loi est une question à laquelle il n’est guère attaché d’importance. En pareils cas, l’adoption de pratiques optimales, pour ce qui est du contenu technique des baux agricoles, ne permettra pas de remédier au déséquilibre fondamental des rapports de forces entre bailleur et preneur. En fait, la structure des baux porte à penser que ce n’est pas tant l’accord proprement dit qui est en cause mais plutôt la disparité continue des pouvoirs des propriétaires et fermiers. Lorsque telle est la situation, les indications figurant dans ce Guide devront être considérées comme un objectif plutôt que comme la règle à suivre.

Structure du Guide

1.15 Le reste de la première partie décrit la nature et le contexte des baux agricoles et identifie les principaux problèmes que ceux-ci posent aux preneurs et bailleurs. Le chapitre 2 décrit la nature des baux ainsi que les contextes dans lesquels ils peuvent s’avérer appropriés. Le chapitre 3 traite de la nécessité de concilier les besoins des propriétaires terriens et des fermiers, et notamment de ménager une souplesse suffisante dans les baux agricoles pour éviter l’impact négatif que peut avoir une réglementation excessive ou insuffisante qui risque, dans l’un ou l’autre cas, de se traduire par des rapports d’exploitation entre bailleurs et preneurs.

1.16 La deuxième partie est consacrée aux pratiques à suivre pour déterminer les éléments d’un bail, c’est-à-dire aux éléments essentiels à inclure dans tous types de baux. Le chapitre 4 décrit les types de facteurs à prendre en considération lors de la conclusion d’un bail et le chapitre 5 analyse les autres dispositions ou dispositions modifiées à inclure dans des accords comme des contrats de métayage. Le chapitre 6 contient des recommandations touchant l’exécution des baux agricoles.

1.17 La troisième partie expose les pratiques optimales à suivre dans d’autres contextes si l’on veut que des baux agricoles puissent être conclus et exécutés efficacement. Dans certains pays, toutes les conditions requises dans ce domaine (comme le respect de la loi) ou la plupart d’entre elles sont déjà réunies. Dans d’autres, ces pratiques refléteront plutôt l’objectif à atteindre.

2 Nature et contexte des baux agricoles

Introduction

2.1 L’analyse des divers types de baux fait intervenir une large gamme de pratiques et une terminologie très diverse qui constituent le reflet aussi bien du droit que de la coutume. Qu’il s’agisse des systèmes de common law ou des systèmes de tradition civiliste, par exemple, il est établi une distinction entre un bail (qui crée juridiquement un droit sur la terre au profit du preneur) et un accord de licence (qui est un contrat d’achat de services et qui donne le droit de pénétrer dans une propriété).

2.2 Dans le cas d’un contrat de fermage, le bailleur accorde des droits d’occupation au fermier (habituellement pour une période spécifiée) en contrepartie d’un loyer fixe ou variable, le fermier étant souvent censé assumer la responsabilité d’ensemble des opérations agricoles. Ce modèle est habituellement celui utilisé dans les pays développés, où les structures qui régissent l’équilibre des forces entre bailleur et preneur sont solidement établies. Il a aussi été traditionnellement utilisé pour l’affermage d’exploitations complètes qui constitue la seule source de revenu du fermier. Toutefois, du fait de la libéralisation des relations de fermage dans de nombreux pays, ce modèle ne reflète plus le régime prédominant et, de plus en plus, les fermiers et parfois les propriétaires eux-mêmes louent une partie des exploitations pour améliorer l’efficacité de leurs exploitations agricoles3.

2.3 Dans le cas d’accords de licence comme les contrats de métayage, en revanche, le propriétaire continue juridiquement de s’occuper de la terre tandis que les opérations agricoles sont réalisées par un métayer ou un preneur qui fait l’apport de son travail. Le propriétaire accorde certains droits sur la terre, habituellement le droit d’y pénétrer pour y réaliser les opérations agricoles spécifiées. En pareil cas, c’est généralement le propriétaire qui continue de prendre toutes les décisions majeures. Si, juridiquement, le propriétaire achète un service au métayer (ce service se présentant sous la forme d’un travail et, souvent, de semences, de machines ou d’animaux de trait), le rapport de forces est tel qu’en réalité, le métayer paie au propriétaire le droit d’utiliser la terre.

Encadré 2.1 DIVERSITÉ DES BAUX AGRICOLES

2.4 Cette différence entre les contrats de fermage et les contrats de licence a d’importantes conséquences juridiques, particulièrement pour ce qui est de la sécurité de jouissance, des possibilités d’indemnisation et de la possibilité d’obtenir un crédit indépendamment du bailleur sans avoir recours au prêteur local. Néanmoins, étant donné l’absence ou le dysfonctionnement (dans de nombreux pays) du cadre politique ou juridique, les conséquences pratiques de cette séparation disparaissent souvent. De ce fait, aux fins du présent Guide, les types de rapport entre les propriétaires de la terre et les tiers qui la cultivent sont rangés dans la catégorie des fermages, les parties étant appelées respectivement propriétaire et fermier. Lorsque cela sera nécessaire dans le texte, particulièrement dans la deuxième partie, une distinction sera établie entre les différents types d’accords.

2.5 Il arrive souvent que la même personne joue simultanément le rôle de propriétaire et de fermier. Les petits propriétaires peuvent exploiter leur propre terre, être fermiers sur des terres voisines et participer à des arrangements de métayage sur d’autres terres encore. Il y a également bien des formes de «fermage à façon», les agriculteurs dépourvus de terre concluant des accords de métayage ou de louage de services avec les propriétaires en contrepartie d’un petit lopin de terre qu’ils puissent exploiter indépendamment, comme s’ils étaient des fermiers. Ailleurs, il se peut que l’unité prédominante demeure la communauté, les familles utilisant la terre en fonction de leurs besoins4.

Diversité des types de baux

2.6 Les fermiers ont recours aux baux agricoles lorsqu’ils ne peuvent pas acheter de terre ou lorsqu’ils préfèrent ne pas immobiliser leur capital dans des investissements à long terme comme l’achat d’une propriété foncière, et les propriétaires peuvent également utiliser des baux pour éviter d’avoir à payer une main-d’oeuvre agricole. Certains agriculteurs peuvent investir leur travail et/ou leur capital mais n’ont pas de terre dans laquelle ils puissent exploiter pleinement ces ressources. D’autres ont des terres qu’ils n’exploitent pas, par exemple s’ils manquent de capacité de travail ou de capital ou simplement parce qu’ils ne souhaitent pas se livrer directement à des activités agricoles. Le résultat, comme l’illustre l’encadré 2.1, est une grande diversité d’arrangements allant de rapports personnels fondés sur des droits d’usufruit sur de petits lopins de terre à des baux proprement dits qui créent des droits sur la terre.

2.7 Dans tous les cas, ces divers types de baux permettent à quelqu’un d’autre que le propriétaire d’exploiter la terre. La façon dont ce résultat est atteint dépend de plusieurs caractéristiques spécifiques aussi bien des rapports entre les parties que, d’une manière plus générale, de l’environnement social, culturel et économique dans lequel ces baux fonctionnent. La raison qui explique sans doute le mieux l’évolution des divers types de baux est la structure de la propriété foncière. Dans de nombreuses régions d’Europe et d’Amérique latine, par exemple, l’existence de très vastes exploitations (appartenant souvent à des propriétaires absentéistes) a exigé le développement des arrangements contractuels. En Afrique, en revanche, où il existe des systèmes fonciers coutumiers, la pénurie de terre au niveau des communautés oblige parfois les agriculteurs sans terre à quitter leur localité d’origine et à travailler comme fermiers là où la terre est plus abondante.

2.8 Indépendamment des structures foncières et des coutumes, l’un des éléments qui déterminent le plus directement les types d’arrangements utilisés a été le développement relatif des marchés tel qu’il se reflète surtout dans la solidité et le sens des rapports de forces entre propriétaire et fermier. Dans les régions où les marchés (particulièrement de la terre et des produits) fonctionnent assez bien, comme en Europe, les fermiers ont obtenu un degré d’indépendance qui est maintenant reconnu et protégé par la loi. Ailleurs, spécialement dans différentes régions d’Asie, les fermiers continuent de dépendre dans une large mesure des propriétaires, et ils se trouvent de ce fait dans une position de faiblesse lorsque le moment arrive de faire valoir leurs droits. L’un des principaux résultats de cet état de choses est qu’il existe dans la plupart des pays d’Europe une série de baux très formels qui s’intègrent à un cadre juridique bien développé comportant des garanties aussi bien pour les fermiers que pour les propriétaires. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, d’Asie et du Proche-Orient, en revanche, il existe une réglementation des baux, mais pas de structures institutionnelles suffisamment puissantes pour les faire respecter.

2.9 Les types de baux qui prédominent dans un contexte donné ne sont pas toujours l’aboutissement d’une évolution linéaire (par exemple d’un contrat de louage de services à un système de métayage puis à une location en contrepartie d’un loyer fixe) mais tendent à suivre un mouvement pendulaire d’un type de bail à un autre selon l’évolution des circonstances. Illustrer ainsi la gamme des baux existants ne signifie donc pas que ceux qui se trouvent à un extrême sont d’une manière ou d’une autre meilleurs ou plus formels que ceux qui se trouvent à l’autre extrême. L’illustration a simplement pour but de montrer quelle est la place occupée par chaque type de bail au regard de la loi ainsi que des apports respectifs de ressources des bailleurs et des preneurs. Les arrangements qui se trouvent à l’extrême gauche sont donc considérés clairement comme des contrats personnels, l’idée étant que toutes les décisions d’importance majeure seront prises par le propriétaire. En revanche, les arrangements se trouvant à l’extrême droite font intervenir un transfert de droits de propriété, l’hypothèse étant que le fermier assumera la responsabilité globale des opérations agricoles menées sur les terres louées.

2.10 Les éléments les plus marquants de cette gamme d’arrangements sont les suivants:

1. les contrats de licence, selon lesquels c’est le propriétaire qui détermine et pour l’essentiel exécute toutes les décisions et opérations mais accorde à des tiers le droit d’accomplir certaines tâches, souvent pour les semis et les récoltes;

2. les contrats de louage de services, selon lesquels les travailleurs reçoivent un salaire symbolique ou une part de la production ainsi que des droits d’usufruit sur un petit lopin de terre qu’ils peuvent exploiter à leurs propres fins (habituellement à des fins de subsistance);

3. les contrats de métayage et autres arrangements semblables, situations dans lesquelles aussi bien le propriétaire que le métayer partagent le coût des intrants et reçoivent une part des produits. Ces arrangements peuvent aller de systèmes ressemblant beaucoup à des contrats de louage de services à des arrangements qui, du fait de l’envergure de l’entreprise, ressemblent davantage à un métayage proprement dit; et

4. les contrats de fermage, dans lesquels il y a une séparation fondamentale entre les droits du propriétaire, c’est-à-dire du bailleur, et du fermier, c’est-à-dire du preneur. Comme le montre l’encadré 2.1, le contrat de fermage est très différent des autres types d’arrangements, principalement en ce sens qu’ils supposent le transfert de certains droits de propriété.

2.11 L’on pense habituellement que les rapports de forces privilégient le propriétaire, c’est-à-dire que l’un des éléments qui déterminent le plus la place occupée par tel ou tel arrangement dans la gamme des contrats existants est le degré de contrôle que le propriétaire peut exercer directement. De plus en plus souvent, cependant, c’est l’inverse qui est vrai. Tel est le cas, par exemple, lorsque le propriétaire n’a guère de terres et/ou de capitaux (et donc de pouvoirs) tandis que le fermier est un grand exploitant, qu’il s’agisse d’une société d’exploitation agricole ou d’un exploitant individuel ayant accès à des capitaux suffisants pour créer une unité viable et durable. Cette diversité de scénarios remet en question l’orthodoxie des rapports de forces dans le contexte des baux agricoles et les incidences qu’a une telle situation quant à ce que doivent être les éléments essentiels d’un contrat de bail. Les arrangements dits «inversés» seront par conséquent examinés séparément à la fin de ce chapitre.

Encadré 2.2

Les contrats de licence concernant les récoltes sur pied en Indonésie

Le système Tebasan, tel qu’il est pratiqué en Indonésie, est fondé sur un accord de licence conclu entre un négociant de produits agricoles et un agriculteur en vue de la récolte d’une culture sur pied. Ce type d’arrangement a pour but de garantir que le négociant puisse contrôler la récolte et ainsi éviter à la fois le travail et les risques de la culture elle-même, et pour qu’il puisse déterminer la qualité de la récolte avant de l’acheter. La contrepartie payée pour la récolte (y compris la licence) est habituellement versée partiellement par anticipation. Le montant de cet acompte dépendra de la mesure dans laquelle l’agriculteur et le négociant se seront entendus sur la valeur de la récolte, ainsi que de la ristourne que l’exploitant est disposé à accepter pour pouvoir être payé avant la récolte. Le solde est payé en plusieurs versements après la récolte. Grâce à ce système, l’exploitant peut stocker des récoltes et avoir accès aux systèmes informels de crédit.

(Lastarria-Cornhiel, S. et Melmed-Sanjak, J. 1999. Land tenancy in Asia, Africa and Latin America: A look at the past and a view to the future. Working Paper No. 27. Land Tenure Center, University of Wisconsin-Madison)

Contrats de licence

2.12 Les contrats de licence, sous leurs différentes formes, existent partout dans le monde, mais surtout là où l’on manque de ressources telles que le capital ou les compétences de gestion. Sous sa forme la plus rudimentaire, le contrat de licence est un arrangement conclu entre le propriétaire qui sous-traite (par opposition à une location) l’intégralité ou une partie des opérations agricoles. Ce type d’arrangement peut porter sur toutes les activités (y compris la vente de la production) ou être limité à certaines seulement (voir l’encadré 2.2 pour la situation en Indonésie). Bien qu’ils ne constituent pas formellement un bail agricole, la plupart des contrats reconnaissent certains droits sur la terre, habituellement celui d’y pénétrer pour y réaliser les opérations agricoles spécifiées5.

Contrat de louage de services

2.13 Le contrat de louage de services est fréquent dans les régions rurales d’un grand nombre de pays d’Afrique et d’Asie. À bien des égards, il ressemble au contrat de licence, bien que le travailleur sans terre, plutôt que de recevoir directement un paiement ou une commission, reçoive des droits d’usufruit sur un petit lopin de terre (et parfois un logement). Le travailleur est souvent assez libre d’exploiter la terre soit à des fins de subsistance (ce qui était initialement l’objet de ce type d’arrangement), soit pour produire une récolte qui sera ensuite vendue. Néanmoins, il est généralement admis que de telles formes de contrats ne sont souvent autre chose qu’un contrat de servitude, les travailleurs étant tout à fait incapables de gagner assez d’argent en exploitant les petits lopins qui leur ont été accordés pour se libérer d’une relation souvent léonine.

Métayage et autres arrangements semblables

2.14 Historiquement, le métayage a été la modalité privilégiée pour mettre en exploitation de vastes exploitations foncières sans prendre en charge le risque et les problèmes administratifs liés au recrutement d’une main-d’oeuvre salariée. En outre, les familles de métayers, en tout cas en Amérique latine, ont également apporté le travail nécessaire à la culture des parties de l’exploitation occupées par le propriétaire. De ce fait, le métayage a été une modalité privilégiée par ces derniers dans la mesure où il offre une main-d’oeuvre souple qui peut être mobilisée ou démobilisée selon ce qu’exige la production. Le métayage est considéré aussi comme un arrangement bon marché et relativement exempt de risques pour le propriétaire, aussi longtemps qu’il existe un nombre suffisant de métayers potentiels.

2.15 Cela étant, il est généralement admis que les propriétaires fonciers ont pu utiliser les arrangements de métayage comme un moyen d’extorquer un travail bon marché des paysans sans terre. En fait, comme, dans de nombreux pays, les propriétaires fonciers sont également les seuls prêteurs d’argent ainsi que les principaux responsables locaux de l’application des lois, les métayers ont dû accepter les conditions qui leur ont été offertes, sachant qu’ils seraient remplacés dans le cas contraire (voir l’encadré 2.3 pour un exemple).

2.16 Sous sa forme la plus simple, le métayage est un accord concernant la production de denrées agricoles, le propriétaire fournissant la terre (et parfois les autres intrants) et le métayer le travail (et parfois des intrants comme des semences). À la fin du cycle agricole, la récolte est divisée entre les parties selon les proportions convenues entre elles. Ces types d’arrangements permettent aux ouvriers sans terre ou sans capitaux (qu’ils soient ou non propriétaires terriens) de se livrer à une exploitation agricole, comme illustré dans l’encadré 2.4. Bien que certains accords puissent être plus complexes et conférer aux parties des responsabilités supplémentaires, tous suivent ce modèle de base.

Encadré 2.3

LE MÉTAYAGE AU PÉROU

Un exemple de métayage classique est l’introduction du système de yanaconaje pour la production de coton et d’autres cultures commerciales sur le littoral péruvien après l’abolition de l’esclavage et la disparition des travailleurs chinois asservis. Initialement, le métayage était commode pour les propriétaires fonciers car il n’exigeait guère d’investissement de capital, les risques étaient supportés surtout par les métayers et la famille des métayers offrait une main-d’oeuvre supplémentaire, particulièrement lorsque la récolte battait son plein. Selon ce type de métayage, les propriétaires fournissaient la terre, les semences, les boeufs et les outils en contrepartie d’un pourcentage de la récolte. Ils offraient également des prêts à des taux d’intérêt élevés. Les métayers étaient obligés de vendre leur part de la récolte de coton au propriétaire à des prix inférieurs à ceux du marché. Ce déséquilibre a motivé les réformes agraires de 1962 et de 1969, qui ont donné aux yanaconas la possibilité d’acheter la terre qu’ils travaillaient précédemment en qualité de métayers.

(Lastarria-Cornhiel, S. et Melmed-Sanjak, J. 1999. Land tenancy in Asia, Africa and Latin America: A look at the past and a view to the future. Working Paper No. 27. Land Tenure Center, University of Wisconsin-Madison)

2.17 Indépendamment du contrat de métayage classique, il existe aussi en Amérique latine et en Afrique bien des cas de contrats de «répartition égale des apports», dans lesquels les parties font l’apport d’une proportion égale des intrants (comportant souvent une part de terre et d’autres capitaux) et tirant des parts à peu près égales de la production. Il s’agit souvent d’accords familiaux qui ont pour effet de combiner sous une seule et même gestion plusieurs petites exploitations.

2.18 Bien que cette pratique ne soit pas commune dans nombre de régions du monde, l’«exploitation en partenariat» s’est implantée en Europe pour conjuguer différentes compétences et la possibilité d’accès aux ressources. Plutôt que de reposer sur la séparation usuelle des droits du bailleur et du métayer, le partenariat implique une exploitation commune dans laquelle les associés (habituellement le propriétaire et le fermier) travaillent ensemble dans leur intérêt commun. De ce fait, les ressources sont mises en commun et toute la production est vendue par une exploitation unique. Les apports en partenariat peuvent être inégaux (habituellement terre et compétences) et tel est également le cas de la répartition des produits, généralement fonction des apports différents des associés.

Encadré 2.4

LE MÉTAYAGE AU CHILI

Au Chili, les éléments qui sont à la base des accords de métayage sont les suivants:

  • les propriétaires d’exploitations de petites ou moyennes dimensions n’ont pas assez de capitaux ou accès au crédit pour acheter des intrants et des outils et payer une main-d’oeuvre salariée;

  • les cultures commerciales supposent des risques élevés (forts besoins en main-d’oeuvre et faiblesse ou fluctuations des prix);

  • les minifundistas ou paysans sans terre n’ont pas assez de terre pour assurer leur propre subsistance mais peuvent vendre leur travail. Ces familles sans terre n’ont pas de capitaux leur permettant de louer de la terre (les loyers devant normalement être payés à l’avance, tandis que la contrepartie due dans le contexte d’un métayage est payée après la récolte).

L’avantage du métayage, aussi bien pour le propriétaire que pour le métayer, est qu’il n’exige qu’un minimum de liquidités (que ce soit pour recruter une main-d’oeuvre salariée ou pour payer un loyer en espèces). Les propriétaires fournissent non seulement la terre mais aussi certains intrants, les autres étant apportés par le métayer, y compris sous forme d’un travail salarié et du travail familial. Dans la vallée centrale du Chili, le métayage est une formule de plus en plus fréquente par suite:

  • de la décapitalisation des propriétaires terriens traditionnels;

  • de la multiplication des petits propriétaires n’ayant pas accès à des capitaux supplémentaires:

  • de la faiblesse des prix des récoltes;

  • du nombre croissant de minifundios [c’est-à-dire de petites exploitations].

(Lastarria-Cornhiel, S. et Melmed-Sanjak, J. 1999. Land tenancy in Asia, Africa and Latin America: A look at the past and a view to the future. Working Paper No. 27. Land Tenure Center, University of Wisconsin-Madison)

2.19 Si les partenariats donnent au fermier associé une plus grande certitude qu’un contrat de métayage et permettent au propriétaire d’être moins impliqué dans la gestion au jour le jour de l’exploitation, les dettes de l’un constituent une obligation solidaire de l’autre. Indépendamment d’un contrat en bonne et due forme, un partenariat exige par conséquent à la fois confiance et, idéalement, une plus grande continuité afin de prospérer.

Fermages à loyer fixe

2.20 Les fermages à loyer fixe ou contrats de gérance peuvent être à court ou à long terme et être conclus pour un terme fixe ou variable. De tels accords, plus que le métayage ou le partenariat, sont utilisés lorsque le propriétaire est absent de sa terre et a besoin de générer un revenu. Ces contrats sont généralement limités à des fermiers ayant une certaine assise socio-économique (et une possibilité d’accès à des capitaux) et ne constituent généralement pas une option pour tous les agriculteurs pauvres en ressources.

2.21 Sur les marchés agricoles plus développés d’Europe et d’Amérique du Nord, le contrat de gérance constitue pour le propriétaire un moyen usuel de déléguer la gestion d’une exploitation à un fermier commercial. Bien que la durée effective du contrat puisse varier, l’investissement en capital est tel que la gérance dure souvent plusieurs années, l’agriculteur adoptant des pratiques d’exploitation et de gestion qui ne se distinguent aucunement de celles que suivrait un propriétaire.

Encadré 2.5

LES BAUX INVERSÉS AU MEXIQUE

Les ejidatarios mexicains sont de petits exploitants qui ont des droits d’usufruit sur les terres allouées à l’ejido conformément à la législation relative à la réforme foncière. Habituellement, ils n’ont pas de capital, ni guère d’accès au crédit. Jusqu’à une date récente encore, il était illégal de louer les terres des ejidos, mais cette pratique existe depuis des décennies. Dans les régions agricoles fertiles, les ejidatarios ont loué leurs lopins de terre à des entreprises agricoles qui apportent les capitaux, les machines et les autres intrants nécessaires pour cultiver une récolte commerciale. Ces agro-entreprises peuvent ainsi regrouper un grand nombre de lopins en une exploitation de dimensions moyennes. Souvent, les ejidatarios travaillent en qualité de salariés sur la terre qu’ils ont louée.

(Lastarria-Cornhiel, S. et Melmed-Sanjak, J. 1999. Land tenancy in Asia, Africa and Latin America: A look at the past and a view to the future. Working Paper No. 27. Land Tenure Center, University of Wisconsin-Madison)


Encadré 2.6

Les métayages inversés en Europe centrale

Pour certains pays d’Europe centrale, la transformation des droits de propriété, et particulièrement des droits de propriété foncière, est au coeur de la transition vers une économie de marché. Toutefois, après 70 ans d’agriculture collective et étatique, la simple restitution des terres, quelles qu’en soient les modalités, ne débouchera pas automatiquement sur une économie constituée de petites exploitations commerciales familiales. En fait, nombre de ceux qui ont réclamé la restitution de leurs terres ont simultanément essayé de mettre leurs propriétés à l’abri des forces de la contraction soit en les louant à la coopérative, soit en concluant avec celle-ci un contrat de métayage inversé. En Roumanie, par exemple, les terres reçues dans le cadre du programme de restitution peuvent soit être vendues immédiatement mais il peut en être acheté davantage, jusqu’à une superficie maximum de 100 hectares. Toutefois, la superficie moyenne est seulement de l’ordre de 4 à 5 hectares, de sorte que la plupart des nouveaux propriétaires s’associent à des coopératives de producteurs sur la base de contrats de fermage ou de métayage. Il a ainsi été créé une forme de gestion collective fondée sur des contrats de fermage et de métayage inversé qui débouchent sur un changement de gestion progressif même si la redistribution des terres a été rapide.

(Brooks, K.M. 1993. ‘Property rights in land’, pp. 125-136 in Braverman, A., Brooks, K.M. et Csaki, C. (eds) The agricultural transition in Central and Eastern Europe and the former USSR. Washington: Banque mondiale).

2.22 De même, ce type de contrat peut porter sur des terres nues, louées sur une base annuelle. En pareil cas, l’on suppose que le fermier a déjà une exploitation et a accès à d’autres terres, de sorte qu’un tel contrat a pour effet d’étendre leur exploitation, habituellement pour des périodes de courte durée. Dans ce cas également, il ressort de la pratique que, même si les contrats sont conclus pour de courtes durées, le fermier continue d’occuper la terre pendant de très longues périodes.

Contrats inversés

2.23 Le modèle classique de bail fait intervenir un propriétaire riche en terre et un ouvrier qui la travaille mais qui n’en a pas. L’on trouve cependant plusieurs exemples de scénarios inversés, des petits propriétaires louant leur terre à de grandes exploitations tout en accomplissant un travail rémunéré soit sur leur propre terre, soit ailleurs (voir l’encadré 2.5).

2.25 Il existe également des contrats inversés de métayage selon lesquels un grand nombre de petits propriétaires, qui n’ont pas accès à des capitaux suffisants pour mener une exploitation efficace, concluent un accord avec un grand métayer. Cela existe aussi dans certaines régions d’Europe centrale, où les propriétaires qui ont recouvré leurs terres en confient parfois la gestion à la coopérative locale en contrepartie d’un emploi et d’une partie des produits de leurs terres (voir l’encadré 2.6).

3 Principaux intérêts des propriétaires et des fermiers

Introduction

3.1 Les baux agricoles ne peuvent être efficaces que si certaines conditions touchant la relation tripartite entre les propriétaires, les fermiers et l’État sont remplies. Cette relation est essentiellement fondée sur une responsabilité réciproque, chacune des parties devant s’acquitter de certaines tâches, dont les plus fondamentales échoient à l’État, lequel doit créer un cadre approprié à l’intérieur duquel puissent opérer le propriétaire et le fermier.

3.2 En dépit de la diversité qui caractérise les différents contrats, ceux-ci se ressemblent beaucoup par leur portée. La plupart des contrats tendent à résoudre les problèmes de risques, de sécurité et de confiance. Même dans les systèmes les plus étroitement réglementés, la relation entre bailleur et preneur n’en continue pas moins de dépendre du degré de confiance qui peut être créé entre eux. Lorsque cette confiance existe, le fermier, en particulier, aura une plus large marge de manoeuvre et sera encouragé à bien faire, quelle que soit la nature du contrat de bail proprement dit. De même, lorsque la confiance fait défaut, une «co-entreprise» est difficilement concevable.

Conciliation des besoins des propriétaires et des fermiers

3.3 Si force est d’admettre que, souvent, les fermiers sont relativement isolés et que leur position de négociation n’est pas solide, des pratiques optimales devraient tendre à établir un rapport de forces mieux équilibré qui permette aux deux parties de réaliser des objectifs qui soient acceptables (même s’ils ne sont pas l’idéal) pour elles6. Cela étant, les principaux problèmes que doivent résoudre aussi bien les propriétaires que les fermiers sont les suivants:

3.4 Les deux problèmes fondamentaux, quel que soit le type de bail agricole, sont par conséquent la sécurité de jouissance pour le locataire et la flexibilité pour le propriétaire. Cela signifie que des pratiques optimales doivent tendre à instaurer un équilibre durable entre ces intérêts concurrents7. Lorsque les baux sont très réglementés et protégés, ils sont généralement peu populaires parmi les propriétaires, qui considèrent que l’État limite leur pouvoir et leur flexibilité8. En revanche, lorsque les baux ne sont pas formalisés ou assez réglementés, ils n’accordent pas la sécurité de jouissance que recherchent les fermiers9. L’on a fait valoir en outre que ces derniers types de baux empêchent le propriétaire de stipuler ou de faire respecter des règles tendant à garantir une utilisation durable de la terre, règles que l’on appelle parfois «règles d’occupation bénéfique»10.

3.5 Les problèmes qui se posent ne reflètent pas un continuum dans lequel le propriétaire rechercherait un terme plus court et moins de formalisme et le locataire l’inverse, mais sont plus complexes et multidimensionnels. Ces considérations sont représentées sous une forme simplifiée dans la figure ci-après. Dans chaque cas, la matrice oppose la durée du bail et le degré de formalisme des contrats. La partie qui se trouve en haut à gauche vise par conséquent les arrangements à court terme et non formels et la partie se trouvant en bas et à droite les arrangements formels de longue durée.


3.6 Pour chaque carré, les facteurs positifs et négatifs pour les propriétaires sont indiqués dans l’encadré 3.1 et pour les locataires dans l’encadré 3.2.

Encadré 3.1

LES BAUX: PROBLÈMES ET POSSIBILITÉS POUR LES PROPRIÉTAIRES


Facteurs positifs

Facteurs négatifs

COURT TERME INFORMEL

· Possibilité d’exploiter les marchés des baux

· Faible coût

· Degré élevé de contrôle

· Part importante des produits de la ferme

· Incertitude

· Nécessité accrue pour le propriétaire d’être impliqué dans l’exploitation

· Risque de ne pas pouvoir trouver et fidéliser de bons fermiers

· Nécessité de payer les intrants

LONG TERME INFORMEL

· Flexibilité moyenne

· Coût relativement faible

· Maintien du contrôle

· Proportion importante de la production de l’exploitation

· Incertitude

· Nécessité de trouver un bon fermier, de préférence un voisin

· Apport d’intrants à long terme

COURT TERME FORMEL

· Certitude

· Prévisibilité du revenu

· Exemption relative des tâches quotidiennes

· Maintien de la flexibilité à moyen et à long terme

· Coût de l’établissement de l’accord

· Coût potentiellement élevé de la recherche de nouveaux fermiers

LONG TERME FORMEL

· Certitude

· Sécurité

· Régularité et prévisibilité des flux de revenus

· Exemption des tâches quotidiennes

· Faibles revenus

· Manque de flexibilité

· Manque de contrôle

· Intervention et contrôle de l’État

· Coût potentiellement élevé d’une résiliation


Encadré 3.2

LES BAUX: PROBLÈMES ET POSSIBILITÉS POUR LES FERMIERS


Facteurs positifs

Facteurs négatifs

COURT TERME INFORMEL

· Faible coût de transaction

· Accès à la terre

· Accès potentiel aux capitaux et autres intrants du propriétaire

· Flexibilité d’exploitation des marchés des produits

· Faible certitude

· Guère de liberté, voire aucune

· Pas d’encouragement à investir

· Faible considération

· Faibles revenus

LONG TERME INFORMEL

· Faible coût

· Accès à la terre

· Accès potentiel à d’autres facteurs de production

· Liberté limitée

· Faible certitude

· Guère d’incitation à investir

· Faibles revenus

COURT TERME FORMEL

· Certain degré de sécurité

· Certitude

· Coût potentiel de l’élaboration de l’accord

· Guère d’incitation à investir

· Liberté limitée

· Incertitude quant à l’avenir

LONG TERME FORMEL

· Sécurité (pour le fermier et sa famille)

· Accès indépendant au capital

· Incitation à investir

· Liberté d’exploitation

· Certitude

· Transparence

· Assujettissement à une localité déterminée

3.7 Les encadrés 3.1 et 3.2 montrent que, si les propriétaires ont apparemment plus à gagner de baux informels de courte durée et les fermiers de baux formels de longue durée, chacun des arrangements présente potentiellement des aspects positifs et négatifs. Des baux informels de courte durée, par exemple, ont pour les propriétaires terriens l’avantage de la flexibilité, d’un contrôle accru et d’une plus large part de la production de l’exploitation. Néanmoins, cela doit être pesé au regard de la nécessité d’être davantage impliqué dans l’exploitation, de l’incertitude qui entoure leur part nette de la production (comme ils ont déjà apporté la plupart des intrants autres que le travail) et de la difficulté de conserver un bon fermier. D’un autre côté, le moindre revenu brut, la perte de contrôle et l’absence de flexibilité qui caractérisent les arrangements formels de longue durée doivent être évalués à la lumière de la sécurité et de la certitude qu’offre un revenu prévisible généré par un bon fermier qui est encouragé à investir dans la terre.

3.8 Pour les fermiers la combinaison des résultats du contrat se présente de façon différente. De manière générale, ils ont plus à gagner de la sécurité de jouissance, de la certitude et de la transparence qu’offre un bail formel de longue durée. Toutefois, un bail informel de courte durée peut constituer pour un agriculteur pauvre en terre un moyen relativement bon marché d’avoir accès à la terre. En fait, cela est souvent la seule option. Étant donné que le propriétaire sera généralement impliqué dans le régime d’exploitation, cette forme d’affermage peut également offrir l’accès nécessaire aux capitaux qu’exige l’exploitation. Des baux informels à court terme offrent également un degré de flexibilité qui n’existe pas dans les baux de plus longue durée et qui permet aux fermiers établis, en particulier, d’exploiter les possibilités qu’offre le marché ou de compenser une mauvaise récolte éventuelle au moyen de la production de leur propre terre. Tel a été le cas en Angleterre et au Pays de Galles après la libéralisation, en 1995, du régime des baux agricoles qui a facilité les contrats de fermage de courte durée11.

3.9 En définitive, la question de savoir quel sont les durées et niveaux de formalisation les mieux appropriés dans un cas particulier dépendra des circonstances. La prédilection que manifestent apparemment les propriétaires pour les baux de courte durée repose, par exemple, sur l’hypothèse qu’il y aura assez de fermiers disposés à se faire concurrence pour obtenir le bail. Lorsque tel n’est pas le cas, par exemple lorsque le secteur de l’agriculture est déprimé dans un pays développé, le propriétaire aura généralement tendance à encourager le fermier à rester, notamment en lui offrant une sécurité de jouissance à long terme. De même, la préférence apparente des fermiers pour des baux de longue durée repose sur l’hypothèse qu’ils sont tous capables d’assumer un tel engagement.

3.10 Les encadrés 3.1 et 3.2 portent à penser que des baux de plus longue durée servent souvent mieux les intérêts aussi bien des propriétaires que des fermiers que des baux à court terme. En particulier, un terme plus long tend à assurer une certitude et une durabilité plus grandes. Il y a aussi souvent une dissociation plus marquée des intérêts et des pouvoirs entre le propriétaire et le fermier, ce qui donne à ce dernier une plus grande liberté tout en garantissant au propriétaire un rendement à assez peu de risques. Cela étant, les propriétaires prétendent souvent que des baux de plus longue durée sont inacceptables s’ils les empêchent d’exploiter les possibilités qui s’offrent sur le marché, très souvent pour valoriser les terres à des fins non agricoles12. Indépendamment de la question de savoir si la réduction des superficies agricoles est souhaitable, il est possible d’insérer dans les baux des clauses de résiliation13 qui permettent au propriétaire de reprendre possession des terres pour certaines activités bien déterminées, comme une exploitation non agricole.

3.11 Il ne faut cependant pas oublier qu’une telle perspective axée sur le marché méconnaît le déséquilibre qui caractérise les rapports de forces entre les propriétaires et les fermiers (encore que ce ne soit pas toujours au détriment des premiers). À l’extrême, ce déséquilibre des forces peut priver de sens l’idée même d’un choix et d’un arbitrage entre les aspects positifs et négatifs de la durée et du degré de formalisme du bail. Cela peut entraîner un manque persistant de solidité dans les rapports entre bailleur et preneur, particulièrement si la partie qui se trouve dans la position la plus faible ne jouit que d’une sécurité limitée.

3.12 Pour concilier les exigences des propriétaires et des fermiers, la politique en matière de baux agricoles doit tenir compte de questions comme la durée du bail, la subrogation dans le bail de membres de la famille en cas de décès du fermier et la reconduction du bail. Il existe de nombreux exemples de réglementation légale du terme minimum tandis que, dans d’autres cas, il existe de solides traditions coutumières. Il n’y a apparemment guère d’uniformité quant à ce que sont les pratiques optimales.

Durée du contrat de fermage

3.13 Lorsque le terme est imposé, comme dans de nombreux pays de l’Europe septentrionale, par exemple, il est généralement fixé une durée minimum qui peut être prolongée ou reconduite avant l’expiration. Dans tous les cas, le terme minimum est long (de l’ordre de 10 ans) et un terme de 18 à 25 ans n’est pas inhabituel. Le plus souvent, la reconduction du bail est automatique à moins que l’une ou l’autre des parties ne souhaite le résilier dans certaines conditions prédéterminées [voir l’encadré 3.3 pour un exemple de reconduction automatique du bail en Angleterre et au Pays de Galles]. Rares sont les pays qui imposent une durée maximum, bien qu’au Danemark, les baux prennent fin à l’expiration d’un délai de 30 ans14.

Encadré 3.3

RECONDUCTION DES BAUX AGRICOLES EN ANGLETERRE ET AU PAYS DE GALLES

Article 2 de la Loi de 1948 sur les exploitations agricoles. Restrictions concernant l’affermage de terres agricoles pour une durée inférieure à un an

Lorsqu’une terre agricole est louée pour une durée inférieure à un an, le bail produit effet, sous réserve des modifications éventuellement nécessaires, comme si la terre avait été louée pour un terme reconductible d’année en année.

Article 3 de la Loi de 1948 sur les exploitations agricoles. Les baux conclus pour un terme égal ou supérieur à deux ans, s’ils ne sont pas résiliés, sont reconduits d’année en année

Tout bail agricole conclu pour un terme égal ou supérieur à deux ans ne prend pas fin à l’expiration du terme mais est reconduit d’année en année à moins que l’une des parties ne notifie à l’autre par écrit son intention de le dénoncer moyennant préavis compris entre un et deux ans avant la date prévue pour l’expiration du terme.

Paragraphe 1 de l’article 2 de la Loi de 1977 relative aux notifications de déguerpissement. Signification d’une contre-notification

Tout fermier auquel a été adressé un avis de déguerpissement peut, dans un délai d’un mois suivant la date dudit avis, signifier au propriétaire une contre-notification écrite demandant que la question soit soumise au Tribunal des terres agricoles du ressort où se trouve l’exploitation. L’avis de déguerpissement ne prend effet que si le Tribunal y consent pour l’un des motifs limités spécifiés à l’article 3 de la Loi de 1977.

3.14 Depuis la réforme du régime foncier en Angleterre et au Pays de Galles introduite par la Loi de 1995 sur les baux agricoles, les nouveaux baux sont régis par le principe de l’autonomie de la volonté des parties, notamment pour ce qui est du terme et de la reconduction du bail. Il ressort des indications disponibles que si la pratique reflétée dans les baux classiques (c’est-à-dire préexistants) continue d’être suivie, la plupart des nouveaux baux sont conclus pour des périodes d’assez courte durée et ne contiennent aucune disposition concernant leur reconduction à l’expiration du terme. Habituellement, les baux privés de terres nues sont conclus pour une durée de trois ans tandis que, pour les baux portant sur des exploitations tout entières (qui représentent moins de 10 pour cent du total), la durée moyenne est de sept ans15.

Subrogation dans le bail de membres de la famille du fermier

3.15 On a assez peu écrit sur les bonnes pratiques concernant la succession et les droits des tenanciers (ou locataires). Lorsque les droits des tenanciers peuvent être transmis par succession, ce droit est souvent limité à ceux qui vivent sur la terre et la travaillent et n’est habituellement pas cessible à un tiers. Toutefois, lorsque la subrogation n’existe pas, il est à craindre que le décès du fermier puisse entraîner l’expulsion de la famille entière, même si tous ses membres ou certains d’entre eux travaillaient la terre et sont eux-mêmes des agriculteurs compétents. Dans de nombreux pays, les femmes jouent un rôle vital dans l’agriculture et l’on se rend compte de plus en plus à quel point il importe de garantir leur accès à la terre par voie de succession16.

3.16 La mesure dans laquelle les fermiers et les membres de leur famille doivent être protégés par la loi contre l’expulsion et pendant combien de temps constitue par conséquent un aspect important de la politique des pouvoirs publics. L’on considère généralement qu’en cas de décès du fermier, la famille devrait pouvoir continuer à jouir de la terre, tout au moins pendant la durée du bail restant à courir ou jusqu’à ce que des arrangements plus permanents puissent être pris. Il arrive souvent, toutefois, que ce droit soit éphémère.

3.17 Lorsque la famille du fermier vit sur la terre qu’elle travaille, l’expulsion entraîne de sérieuses difficultés. Les pays qui offrent une protection à plus long terme, par la loi ou par la coutume, sont cependant assez peu nombreux (voir cependant l’encadré 3.4 pour un exemple de succession coutumière en Ouganda). L’on dit souvent que de «bons» fermiers et leurs familles ne risquent guère d’être expulsés étant donné qu’il est peu probable que le propriétaire en trouvera de meilleurs. Toutefois, si tel peut être le cas pour certains propriétaires et certains fermiers, surtout lorsque les fermiers potentiels sont relativement rares, il ne semble pas que telle soit la situation en général.

Reconduction

3.18 Tout porte à penser que, plutôt que d’appliquer automatiquement un système de reconduction ou de non-reconduction des baux, il convient, pour parvenir à une décision équitable, de prendre en compte toute une série de facteurs. Les considérations exposées ci-dessous sont un amalgame des pratiques suivies et ne se rapportent pas spécifiquement à une situation donnée ou à un pays déterminé. Les pratiques suivies dans les divers pays devraient notamment tendre à garantir qu’aussi bien les propriétaires que les fermiers sachent clairement quels sont les motifs de reconduction du bail ou de reprise de possession de la terre.

Encadré 3.4

LA SUCCESSION COUTUMIÈRE EN OUGANDA

Au début du XXème siècle, le régime foncier dans la région de Buganda, dans ce qui était alors la colonie de l’Ouganda, a été transformé d’un régime coutumier fondé sur la souveraineté du chef sur la terre et le droit des membres de la communauté de l’exploiter et est devenu un système proche d’une propriété pure et simple. Les terres soumises à ce type de droit de propriété, appelées domaines mailo, qui relevaient des chefs, étaient déjà exploitées par les paysans. Ces derniers ont été autorisés à continuer d’occuper la terre, ce qui a eu pour effet, dans la pratique, de les transformer de détenteurs de droit coutumier d’usufruit en fermiers de biens privés.

Afin d’empêcher l’expulsion de ces fermiers, il a été adopté pendant les années 20 un certain nombre de lois leur donnant une certaine sécurité de jouissance tout en déterminant le montant du loyer à payer et les droits et responsabilités des parties. De ce fait, l’expulsion (qui ne peut intervenir que sur ordonnance judiciaire) est aujourd’hui limitée à un nombre très réduit de motifs, comme le non-paiement du loyer pendant trois ans. Comme c’était le cas du régime d’usufruit, ce droit peut être transmis par succession mais ne peut pas être vendu ou cédé d’une autre manière sans l’autorisation du propriétaire. Il s’agit par conséquent d’un système mixte qui conjugue des droits de propriété privée et des normes et pratiques coutumières.

(Lastarria-Cornhiel, S. et Melmed-Sanjak, J. 1999. Land tenancy in Asia, Africa and Latin America: A look at the past and a view to the future. Working Paper No. 27. Land Tenure Center, University of Wisconsin-Madison)

3.19 Dans de nombreux systèmes, l’un des éléments à prendre en considération est la mesure dans laquelle le fermier a respecté les clauses essentielles du bail. Si le fermier ne s’est pas acquitté de cette obligation, le propriétaire devrait pouvoir reprendre possession de la terre.

3.20 Un autre élément dont il est souvent tenu compte est la situation et les besoins du propriétaire et de sa famille. L’on dit souvent que le propriétaire devrait pouvoir, à l’expiration du bail, reprendre l’exploitation. Dans d’autres cas, il est admis que le propriétaire devrait pouvoir reprendre possession de la terre pour qu’un membre de sa famille puisse commencer ou recommencer à l’exploiter. En Inde, la période couverte par le bail précédent est considérée comme une période d’«incapacité» durant laquelle les membres de la famille du propriétaire de la génération suivante se préparent à exploiter la terre. L’on peut également considérer que le propriétaire devrait être autorisé à reprendre possession de la terre à des fins de remembrement.

3.21 Une autre considération encore est la question de savoir si le locataire a besoin de la terre pour rester dans le foyer familial, ce qui peut être le cas si le bail porte également sur un logement qui devra être évacué si le bail n’est pas reconduit. Établir un lien entre la reconduction du bail et la résidence du fermier encourage le propriétaire à interdire au fermier de construire une maison, pour temporaire et fragile qu’elle soit, et à détruire celle qui existe déjà. De ce fait, l’expression «résidence» devra être interprétée au sens large de manière à englober non seulement les édifices physiques mais aussi les lopins de terre qui constituent le seul moyen de subsistance pour le fermier et les membres de sa famille, s’ils y résident effectivement ou non. Une autre considération en faveur du fermier est que le bail devrait être reconduit s’il serait injuste ou inéquitable de ne pas le reconduire.

3.22 Pour apprécier les considérations susmentionnées, il est clair que la politique concernant la reconduction des baux doit être fondée essentiellement sur l’équité et sur ce qui doit être considéré comme juste dans les rapports entre bailleur et preneur. Tout en admettant le principe que le propriétaire devrait pouvoir recouvrer possession de la terre, ce principe ne devrait prévaloir que dans des circonstances spécifiques, c’est-à-dire lorsque le propriétaire ou des membres de sa famille ont besoin de la terre pour l’exploiter directement. Dans les autres situations, de nombreux pays reconnaissent le droit du fermier de continuer d’occuper la terre. Dans les pays développés en particulier, cependant, les propriétaires ont cherché à élargir leurs droits de reprise de possession de la terre afin, le plus souvent, d’exploiter le potentiel commercial que représente la conversion de la terre à des usages non agricoles.


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