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INTRODUCTION


Pour les sciences sociales l’histoire et les caractères des sociétés maritimes est le premier angle d’observation des politiques des pêches. C’est là une différence fondamentale avec l’approche bioéconomique utilisée depuis un demi-siècle par les administrations des pêches maritimes. Cette réalité sociale est la composante «lourde» de la problématique des pêches bien qu’elle n’apparaisse pas clairement dans les stratégies interventionnistes des pouvoirs publics.

L’autre domaine d’appréhension des politiques des pêches, c’est l’organisation juridique et institutionnelle de ce secteur. Cette organisation peut être analysée selon une approche de science administrative, dans laquelle les dimensions sociales, historiques, politiques de l’administration sont intégrées à l’analyse de ses formes juridiques.

L’étude des sociétés maritimes et de l’administration est donc au cœur de notre approche scientifique, mais elle ne dispose pas de données équivalentes à celles examinées par les biologistes et les économistes des pêches; par ailleurs son héritage méthodologique est à la fois limité et incertain. Ainsi, pour ce qui concerne ce travail, les développements proposés ne reposent pas sur des données systématiques et sur des informations homogènes dans chaque pays. Les sources sont un ensemble de documents de toutes natures; c’est aussi un ensemble hétéroclite de témoignages, d’entretiens et d’observations de terrains; c’est enfin des analyses juridiques réalisées sur les législations et les doctrines de la plupart des pays de la Méditerranée occidentale.

Ceci ne fait d’ailleurs que souligner l’abîme d’ignorance dans lequel nous nous trouvons en particulier vis à vis des sociétés maritimes du Maghreb et de l’Est méditerranéen[4]. Ces insuffisances appellent bien sûr des observations de méthode; pour ce qui concerne les aspects documentaires:

- c’est le lot des sciences sociales de travailler avec des matériaux hétérogènes, et de mettre en relations des données de nature différente pour nourrir des hypothèses[5];

- l’abondance des données recueillies sous forme bibliographique appuyée sur une connaissance empirique des pêches maritimes, particulièrement en Méditerranée paraissent suffisamment crédibles pour que les hypothèses de travail retenues soit examinées avec indulgence;

pour ce qui concerne la problématique:

- le but des travaux comparatifs en sciences sociales est notamment d’essayer de tisser des liens problématiques entre des pays aux histoires et aux situations très différentes: on ne le fait pas sans risque. Mais, dans ce cadre, une hypothèse, même fausse peut être féconde;

- l’analyse institutionnelle dans ce travail est appuyée sur des documents assez complets pour les pays le plus souvent cités: cela devrait suffire à crédibiliser la plupart des analyses juridiques.

A l’occasion des observations réalisées sur les pêcheries de la Méditerranée occidentale et sur leur histoire récente, l’hypothèse est qu’il existe partout deux sociétés de pêcheurs, avec bien sûr d’énormes différences nationales. Ces deux sociétés, sans être totalement opposées, présentent des différences socio-économiques fondamentales. Cette observation n’aurait guère de portée autre que scientifique et esthétique si les nombreux points opposant ces deux sociétés n’interféraient sur la gestion des pêcheries. Par leur approche technique et bioéconomique, les politiques des pêches maritimes développées depuis un demi-siècle n’ont guère pris en compte ce dualisme.

Cette occultation d’une réalité socioculturelle maritime fondamentale peut-elle expliquer la crise de ce secteur et sa difficulté à développer une stratégie de durabilité et de responsabilité? Dans ces deux types de pêches maritimes nous apparaissent deux réalités sociales et économiques différentes. Comment mieux identifier ces deux sociétés? Quels sont les liens socio-économiques qui les opposent et/ou qui les rapprochent? Quels sont les rapports institutionnels établis entre ces deux groupes sociaux et les autres acteurs de ce secteur et en particulier les administrations publiques?

Telles sont les questions posées ici pour éclairer l’analyse. Ce travail sera donc divisé en trois chapitres fondés sur l’observation de l’existence de ces deux sociétés maritimes de Méditerranée. Son objet général sera de souligner les interactions qui les lient et les opposent, sur le plan socio-économique, juridique et institutionnel.

Le premier chapitre sera consacré à dégager leurs caractères, le second chapitre se propose d’analyser leur environnement juridique. Les derniers développements auront pour objet une approche institutionnelle.


[4] La Méditerranée, évoque ici essentiellement la Méditerranée nord et sud occidentale, avec peu d'ínformations sur la Méditerranée orientale.
[5] La démarche historique des Annales en particulier nous ouvre la voie de la méthode en utilisant tous les matériaux disponibles et en les agrégeant autour d’une problématique: nul ne peut contester les énormes progrès des connaissances générés par ce mouvement illustré par Block et Braudel.

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