LARC/02/5


VINGT-SEPTIÈME CONFÉRENCE RÉGIONALE POUR L'AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES

La Havane (Cuba), 22-26 avril 2002

PRÉPARATION DU SOMMET MONDIAL DE L'ALIMENTATION: CINQ ANS APRÈS - PERSPECTIVE RÉGIONALE

Table des matières


I. Introduction

II. Les réformes structurelles en Amérique latine et aux Caraïbes

III. Changements intervenus dans le secteur rural à la suite des réformes

IV. Nouveaux défis à relever pour le développement rural et la sécurité alimentaire, dans la région

V. Nouvelles contraintes imposées à l'action des pouvoirs publics: mobilisation de ressources pour l'agriculture


I. Introduction

1. Lors du Sommet mondial de l'alimentation qui s'est tenu à Rome en 1996, 185 pays et la Communauté européenne, ont pris l'engagement "d'éradiquer la faim dans tous les pays et, dans l'immédiat, de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées d'ici à 2015 au plus tard." (Déclaration sur la sécurité alimentaire mondiale). Nous sommes actuellement en 2002 et le chemin à parcourir est encore long. En effet, en Amérique latine et aux Caraïbes environ 54 millions d'habitants souffrent chaque jour de la faim et de la malnutrition, soit seulement un million de moins qu'en 1996 et quatre millions de moins qu'en 1990. À ce rythme, on estime qu'il y aura encore en 2015 45 millions de personnes souffrant de la faim dans la région.

2. Au plan sous-régional, on a enregistré une diminution du nombre de personnes sous-alimentées au cours de la dernière décennie seulement en Amérique du Sud, la proportion de personnes souffrant de la faim étant passée de 14 à 10 pour cent. À l'inverse, en Amérique centrale et aux Caraïbes le nombre et la proportion des personnes souffrant de carences alimentaires est en expansion. En Amérique centrale on a enregistré une progression du nombre de personnes sous alimentées de 5 à 6,4 millions au cours des dix dernières années (soit de 17 à 19 pour cent). Aux Caraïbes, le nombre de personnes mal nourries est passé de 7,3 à 8,8 millions de personnes (soit de 26 à 28 pour cent).

3. Pendant la dernière décennie, en Amérique latine et aux Caraïbes, le développement économique a été caractérisé par des taux de croissance relativement faibles et par une forte instabilité. Du fait de la baisse des cours internationaux et de la réduction des flux de capitaux, (crise asiatique et moratoire russe) la croissance a été pratiquement nulle en 1998 et 1999. En l'an 2000, l'économie régionale a gagné 4 pour cent et après un affaiblissement relatif en 2001, l'on s'attendait à une reprise, voire même à des taux supérieurs. Toutefois, ces estimations ont été revues à la baisse, car la récession se poursuit en Amérique du Nord. On estime actuellement que la croissance économique dans la région s'est établie en 2001, de 0,5 à 0,8 pour cent et l'on prévoit qu'en 2002 la reprise atteindra à peine 3 pour cent.

4. En l'an 2000, la croissance par habitant a été de 2,4 pour cent et l'on envisage une progression proche de 3 pour cent par an à partir de 2003. Toutefois, le rythme de croissance économique indiqué est inférieur à la moyenne dans les pays en développement et correspond pratiquement aux résultats obtenus dans les pays développés.

5. Ce faible développement économique, n'a pas permis d'atteindre des objectifs importants dans la lutte contre la pauvreté. En termes absolus, le nombre des pauvres de la région a continué sa progression au cours de la dernière décennie. Il est passé de 200 millions de personnes en 1990 à 211 millions en 1999 (dernière année pour laquelle des renseignements sont disponibles). On a relevé un léger mieux pour ce qui est de l'indigence. La part de la population touchée, au cours de la période mentionnée, a baissé de 93,4 à 89,8 millions de personnes.

6. En termes relatifs, il s'agit d'un progrès, le pourcentage des pauvres ayant diminué par rapport à l'ensemble de la population, passant de 48 pour cent en 1990 à 44 pour cent en 1999. Toutefois, l'incidence de la pauvreté est plus importante qu'en 1980 et pour l'indigence, la part de la population affectée n'a pas évolué depuis vingt ans. Proportionnellement, la pauvreté et l'indigence ont davantage de prise dans les campagnes que dans les villes. En milieu urbain la pauvreté touche 37 pour cent de la population et l'indigence 12 pour cent. Par contre, plus de la moitié de la population rurale est pauvre (64 pour cent) et plus d'un tiers indigente (39 pour cent). En outre, dans les campagnes, le nombre des pauvres et des indigents a tendance à se maintenir et à constituer un noyau structurel.

7. L'évolution récente de la production agricole1 en Amérique latine et aux Caraïbes confirme une croissance relativement faible et instable. En l'an 2000, ce secteur a progressé de 2,7 pour cent, après une croissance de 4,1 pour cent en 1999. Le taux de croissance moyen au cours de la décennie à été de 2,5 pour cent.

8. Par ailleurs, la tendance baissière des cours internationaux des principaux produits agricoles se poursuit. En l'an 2000, l'indice des prix des produits alimentaires est parvenu au terme de quatre années consécutives de décélération, après les pics atteints en 1996. Ce recul global est évalué à 43 pour cent pour les céréales et à 35 pour cent pour les huiles et les matières grasses. Les prix nominaux de ces derniers produits ont atteint le niveau le plus bas depuis 1973, soit en termes réels le niveau le plus bas depuis 1948.

9. La production agricole en Amérique latine et aux Caraïbes n'a augmenté que de deux pour cent au cours de l'an 2000, après une progression de 4,7 pour cent en 1999. Malgré le recul important des prix de divers produits essentiels, on a enregistré au cours de la décennie à une progression moyenne de 2,9 pour cent par an, contre 2,3 pour cent au cours des années 80.

10. Dans ce contexte, le présent document se propose de définir certains défis à relever afin de pouvoir respecter les engagements pris dans la Déclaration de Rome. À partir d'une analyse des réformes structurelles appliquées dans la région, on a procédé à l'examen des modifications intervenues dans le secteur rural. À la lumière de ces changements on a déterminé quatre défis correspondant aux quatre premiers engagements 2. Enfin, pour ce qui est du sixième engagement3, on a modifié l'orientation des dépenses publiques destinées à l'agriculture et au développement rural dans la région.

II. Les réformes structurelles en Amérique latine et aux Caraïbes

11. Pour mieux comprendre les défis auxquels se trouve confronté le monde rural en Amérique latine et aux Caraïbes, au début de ce nouveau siècle, il est nécessaire de réexaminer les importantes réformes politiques et économiques appliquées pendant les dernières décennies dans la région, afin d'en constater les limites et d'en tirer les leçons utiles.

12. La première phase de réforme s'était fixé comme objectif principal de parvenir à la stabilisation économique, par le biais de programmes d'ajustement structurel. On a tout d'abord procédé à l'ajustement de divers facteurs essentiels (type de change, taux d'intérêt, produits de consommation courante) à partir desquels on espérait corriger les déséquilibres de certains secteurs et déclencher une croissance économique non inflationniste.

13. Malgré le succès relatif obtenu dans la gestion de ces variables macro-économiques, ou précisément de ce fait, on a décelé un obstacle majeur dans l'absence d'un mécanisme automatique de définition "correcte" des prix, et un arbitrage a été nécessaire. On a eu en fait recours à un double arbitrage: un premier au niveau de la répartition, du fait de l'inflation galopante4, et un deuxième concernant le contrôle du déficit budgétaire et, partant, des décisions relatives aux impôts et aux dépenses publiques.

14. Ces arbitrages ont tenté de corriger certaines erreurs des politiques publiques, essentiellement celles liées à la création de revenus institutionnels. Pour ce faire, on a eu recours à trois mécanismes (accords pris dans le cadre des décisions administratives; concertations ponctuelles avec les principaux acteurs sociaux; création d'une fracture entre la société et les instances exécutives chargées de l'arbitrage par les parties). Cet arrangement a eu principalement pour effet de vider de leur contenu les instances juridiques chargées, par la loi ou la constitution, de ce genre d'arbitrage.

15. La deuxième phase de réforme a tenté de faire face aux défaillances du marché par le biais d'un ajustement structurel. Ses principaux éléments - libéralisation du commerce, privatisation et déréglementation - se proposaient d'améliorer le fonctionnement des marchés et leur transparence afin de résoudre les problèmes d'information asymétrique, comme la sélection adverse5 ou le risque subjectif 6 et de réduire le coût des transactions. Comme cela a été clairement démontré dans la mise en œuvre de programmes d'ajustement structurel en Amérique latine, et dans d'autres régions du monde, un fonctionnement correct , lorsque les marchés n'existaient pas auparavant, fonctionnaient de manière partielle ou concernaient des échanges secondaires, nécessite la présence d'un certain nombre d'institutions ayant les compétences nécessaires.

16. En outre, les marchés secondaires ou parallèles - en réalité des marchés noirs fonctionnant en marge du système - disposaient de leurs propres agents, d'un réseau de soutien et suivaient leurs propres règles. Il n'est donc pas étonnant que ces acteurs aient souvent accaparé les "bénéfices" qui théoriquement devaient revenir à l'ensemble de la société et qu'ils aient instauré un régime effectif de compétence. Le remplacement des monopoles publics par des monopoles privés est en grande partie dû à ces marchés secondaires et à la forte cohésion de ses agents et de ses réseaux.

17. Enfin, l'ensemble des réformes a servi de point de départ à l'élaboration d'un nouveau modèle de développement dans la région. Ce modèle repose sur un consensus reconnaissant l'importance du maintien d'un cadre macro-économique équilibré et stable, la nécessité de modifier le rôle de l'État, (privatisations et déréglementation) et le besoin d'une ouverture vers l'extérieur. En outre, on relève une amélioration des performances du marché dans l'affectation des ressources et le rôle complémentaire de l'État dans les politiques sociales, les programmes de réduction de la pauvreté et d'amélioration de l'équité, ainsi que dans la formation du capital et dans le développement des politiques macro-économiques.

III. Changements intervenus dans le secteur rural à la suite des réformes

18. Comme chacun sait, avant les réformes structurelles, le secteur agricole était caractérisé par une forte participation de l'État dans la production et la commercialisation. L'État subvenait aux besoins d'intrants agricoles (engrais, tracteurs, équipements mécaniques et autres) et le principal apport était constitué par le crédit rural à des taux subventionnés. Pour ce qui est des échanges, l'État encourageait des programmes de soutien à des prix très faibles.

19. Les réformes structurelles ont provoqué le retrait de l'État, et le secteur a dû s'adapter à des taux d'intérêt réels positifs, et à l'alignement des prix internes sur les prix internationaux. Il a dû également trouver de nouvelles formes de financement pour les activités de recherche et d'innovation technologique et respecter les nouvelles conditions du marché pour les facteurs de production et les échanges, alors qu'auparavant l'État assurait la rentabilité du secteur.

20. Avec la libéralisation économique de l'agriculture on espérait que i) la réduction des niveaux de protection serait accompagnée d'une dévaluation réelle, qui permettrait aux activités de production de biens destinés à l'exportation ou à l'importation, dans lesquels s'inscrivaient les produits agricoles, d'être favorisées en termes nets; ii) la participation accrue du secteur privé et du marché dans le secteur améliorerait l'inefficacité due aux carences de l'État dans certains domaines et profiterait au secteur agricole; iii) la forte distorsion des prix agricoles serait corrigée et que le déficit budgétaire provoqué par les politiques antérieures, et partant l'inflation, diminueraient.

21. Toutefois ces prévisions ne se sont pas concrétisées. L'ouverture commerciale a coïncidé avec une forte augmentation des flux de capitaux vers la région, et avec l'adoption de taux de changes élevés afin de stabiliser l'inflation. Dans la région, les répercussions de ces deux phénomènes ont entraîné, dans les années 90, une tendance relativement généralisée à la réévaluation réelle7. Par ailleurs, l'élimination des prix de garantie n'a pas permis de supprimer totalement les distorsions des prix agricoles internes par rapport aux prix internationaux. Les producteurs ont souvent perçu des prix inférieurs à ceux pratiqués sur les marchés mondiaux en raison du manque de renseignements sur les marchés de la région, des carences et de l'inefficacité des structures d'emmagasinage et des infrastructures de transport , des subventions à l'agriculture octroyées dans les pays développés et des coûts financiers élevés8.

22. On a également enregistré la tendance à accorder une part accrue au secteur privé et au marché dans l'agriculture: élimination des lignes spéciales de crédit destinées au secteur agricole et des subventions relatives aux taux d'intérêt; élimination des pouvoirs publics dans le commerce de produits agricoles; réduction ou élimination de l'assistance technique gratuite de l'État et remplacement partiel par des mécanismes d'assistance technique privés assortis de subventions centrées sur certains secteurs préalablement identifiés; recherche circonscrite aux instituts et aux universités. En fin la décentralisation accrue des politiques d'appui destinées aux projets locaux de mise en place des infrastructures et d'octroi de services destinés aux petits producteurs, avec la participation active des ONG et des organisations de producteurs, ont provoqué des vides institutionnels. Ainsi, l'application de ces nouvelles politiques n'a pas été accompagnée parallèlement de l'élaboration d'une nouvelle structure fiable sur laquelle les différents acteurs sociaux pourraient s'appuyer.

23. Les petits et moyens producteurs notamment ont eu des difficultés pour l'accès au crédit, aux services de vulgarisation agricole et aux réseaux de commercialisation. En outre, le secteur privé n'a pas pu dans tous les cas se substituer de manière satisfaisante au secteur public. Lorsque cela a été possible, les coûts ont été trop élevés pour de nombreux producteurs. Les problèmes d'accès au crédit des petits et des moyens producteurs sont en réalité dus au fait qu'ils ne peuvent pas fournir les garanties nécessaires. Cela a entraîné un gonflement de la dette et une augmentation de la part du secteur agricole consacrée à certaines cultures déterminées par le système financier. De même, les ONG, qui dans l'ensemble ont joué un rôle positif, n'ont entrepris en général que des actions de petite envergure, dont les effets sont limités pour la diffusion des bonnes pratiques en matière de développement rural.

24. Par ailleurs, du fait que la recherche a été circonscrite aux instituts et aux universités, et compte tenu de la réduction du financement de l'État et d'un accroissement des fonds privés, on a assisté à une réorientation vers des projets à plus court terme, au détriment de la recherche fondamentale. De même, dans certains pays, la réduction du financement public a incité à la création d'organismes de recherche agricole répondant à deux objectifs: i) participation des producteurs à la prise de décisions sur la recherche; et ii) diversification des sources de financements. Ces organismes n'ont pas réussi toutefois à obtenir des ressources importantes et la participation des producteurs a été réduite9. La recherche dépend encore de l'appui des pouvoirs publics.

25. Pour ce qui est des politiques relatives au monde rural, il est essentiel d'assurer la continuité et la stabilité. Leur mise en œuvre est souvent longue et dépasse inévitablement la durée des mandats politiques.

IV. Nouveaux défis à relever pour le développement rural et la sécurité alimentaire, dans la région

26. Contrairement à ce que l'on envisageait, les réformes macro-économiques des années 90 n'ont pas permis, de toute évidence, de corriger le caractère défavorable pour l'agriculture du vieux modèle de substitution des importations.

27. Toutefois, la solution ne consiste pas à revenir aux vieux modèles interventionnistes et protectionnistes, mais plutôt, à encourager des politiques agricoles et rurales qui, dans le cadre de politiques macro-économiques raisonnables, permettent aux pays de la région de parvenir à un développement judicieux du secteur agricole et rural, ainsi que d'éliminer la pauvreté, d'améliorer la distribution des revenus et d'assurer un niveau nutritionnel suffisant à tous les habitants de la région.

28. Cela dit, on a proposé une troisième phase de réformes destinées au secteur agricole, axée sur l'économie actuelle libéralisée. Cette troisième phase repose sur des liens étroits entre les marchés, l'État et la société civile, et tente de corriger les erreurs de coordination du passé entre ces divers acteurs sociaux , dus à des sources d'information différentes, à des pratiques opportunistes, et à l'action des profiteurs ("free-rider"). On souligne surtout, le rôle essentiel des incitations destinées à la coordination sociale, thème d'importance majeure pour le rôle de l'économie10. Dans ce contexte, on a dégagé quatre thèmes (mais ce nombre n'est pas limitatif), qui constituent des défis importants a relever pour parvenir à un développement rural équilibré et pour atteindre le but défini lors du Sommet mondial de l'alimentation.

De nouvelles institutions destinées au développement agricole et rural

29. Au cours des dernières années, on a assisté au renforcement des institutions économiques du fait du rôle clé qu'elles jouent dans l'établissement des règles du jeu, au sein du processus de développement.

30. Le nouveau modèle de développement agricole et rural (résultat de la mondialisation et de politiques gouvernementales moins interventionnistes) a eu une incidence sur les instruments des politiques traditionnelles. La plupart des instruments de politique, devenus obsolètes avec le retrait de l'intervention publique traditionnelle, n'ont pas été remplacés de manière adéquate et le secteur a donc du mal à s'acquitter de sa tâche, dans un contexte international plus compétitif.

31. C'est pourquoi l'un des éléments clés du développement économique du secteur agricole et rural de la région, concerne les réformes et le développement institutionnel. Il est de toute évidence nécessaire d'avoir de nouvelles institutions dans le domaine des finances, des infrastructures, des services relatifs à l'environnement, des droits de propriété, de l'accès aux actifs productifs et pour pouvoir s'adapter et respecter les accords internationaux (notamment pour ce qui est des dispositions phyto- et zoosanitaires).

32. Dans le cadre de ce processus de renouvellement institutionnel, il reste également important que la société civile et les ONG participent de manière active, afin de garantir l'application des principes de transparence et de responsabilité. Dans cette optique, une participation dynamique et constructive de la société civile permet d'améliorer les liens qui existent entre les différents milieux et les différents niveaux dans lesquels s'inscrivent ces processus de renouvellement institutionnel.

Nouvelle conception de l'espace rural et portée territoriale du développement rural

33. Il est nécessaire de redéfinir le concept de "monde rural" compte tenu de la nouvelle situation à laquelle doivent faire face les sociétés rurales et pour élaborer des politiques sectorielles .Du fait, des rôles distincts joués par l'agriculture et l'espace rural, dans les économies des pays en développement, il est nécessaire d'équilibrer les effets des politiques qui tendent à des objectifs unidimensionnels, sans tenir compte des répercussions concernant d'autres aspects des sociétés rurales.

34. Par ailleurs, le nombre des producteurs agricoles dont les revenus dépendent uniquement de l'agriculture continue à diminuer; les agro-industries et les activités non agricoles entrant maintenant en ligne de compte. En outre, la réduction des diverses sources de financement destinées à l'agriculture a obligé les familles rurales à chercher d'autres moyens de subsistance, notamment par la voie de l'émigration et de l'envoi de mandats, et en cherchant d'autres emplois qui conservent souvent un lien étroit avec le secteur agricole. Cette nouvelle définition du "monde rural" laisse une place importante aux activités exercées dans les villes moyennes et contribue donc à une conception plus territoriale du développement rural.

35. À la lumière de ce nouveau concept d'espace rural, on considère que divers éléments sont importants (emplois indépendants, revenus d'autres activités à l'extérieur de l'exploitation, nouveau rôle de la municipalité et de la commune, cohésion sociale et accès aux marchés et aux services des villes moyennes) dans le cadre d'une nouvelle stratégie de développement dépassant les limites des politiques sectorielles et les définitions traditionnelles des zones rurales et urbaines.

Instruments novateurs et évaluation du développement agricole et rural

36. Les administrations régionales demandent maintenant la révision des stratégies de développement destinées au milieu rural, du fait des difficultés qu'elles rencontrent pour de continuer à appliquer des formules et des remèdes obsolètes. Une série de programmes et d'instruments novateurs destinés au développement rural ont donc été conçus et mis en œuvre au cours des dix dernières années.

37. Certains de ces programmes sont organisés et administrés de manière centralisée bien qu'ils comportent des éléments incitant à la demande de services, alors que d'autres sont plus axés sur un fonctionnement décentralisé. Parmi les programmes les plus décentralisés, on peut citer les programmes de lutte contre la pauvreté par le biais du développement des ressources humaines; les programmes de transfert des technologies agricoles en fonction des besoins; et les mécanismes de compensation de la libéralisation des échanges. Les politiques sociales et agricoles actuelles ont évolué, passant d'un système de soutien général des prix, vers des programmes de transfert, en nature ou en espèces, soumis au respect de certaines règles.

38. Dans la plupart des ces programmes novateurs, l'accent est mis sur l'évaluation ex-post. Ces évaluations sont effectuées très souvent par des organisations externes et des ONG afin de garantir en quelque sorte leur efficacité sociale et leur légitimité. Ces évaluations permettent aussi de mieux connaître les structures de incitations et des processus d'intervention; et en tant que telles, elles jouent un rôle essentiel dans le processus de conception des politiques, et de développement agricole et rural.

Le rôle des femmes en milieu rural

39. Les grandes transformations qui sont intervenues dans les économies latino-américaines au cours de la dernière décennie ont eu une forte incidence sur la vie traditionnelle dans les campagnes et plus particulièrement dans les foyers ruraux. Ces processus ont des répercussions diverses sur les rôles traditionnels des hommes et des femmes en milieu rural. Le changement le plus important tient à la présence accrue des femmes dans la vie économique et sociale des campagnes.

40. Compte tenu de la situation macro-économique et politique et afin de compenser la chute des revenus, de nombreuses familles rurales ont été obligées de modifier leur organisation du travail.

41. Dans ce nouveau contexte les femmes participent à la création de revenus, et se sont vues confier des responsabilités et des activités qui étaient auparavant réservées aux hommes.

42. De même, pour ce qui est des politiques de développement agricole et rural, en raison des nouvelles activités exercées par les femmes, il faut tenir davantage compte de la problématique hommes-femmes. En effet de nombreuses limitations touchent différemment les hommes et les femmes (voir l'inégalité d'accès aux services publics, à l'assistance technique, aux régimes fonciers, au crédit, aux programmes de formation des ressources humaines.)

V. Nouvelles contraintes imposées à l'action des pouvoirs publics: mobilisation de ressources pour l'agriculture

43. Ces défis entraînent de nouvelles contraintes pour les pouvoirs publics et pour les actions gouvernementales. Bien que le rôle de l'État ait nettement diminué, dans la production directe et la commercialisation de biens et de services, les dépenses publiques restent un instrument important de promotion du développement agricole et rural.

44. Ceci est encore plus important si l'on considère le rôle stratégique de l'agriculture qui est bien supérieur à la part de ce secteur dans le PIB (7,3 pour cent en moyenne seulement dans la région).

45. L'agriculture reste encore la principale activité économique en milieu rural, et elle y joue un rôle déterminant pour relever les énormes défis sociaux existant. En outre, les progrès agricoles favorisent le développement d'autres activités économiques locales, par le biais de divers réseaux.

46. Toutefois, malgré la mondialisation croissante, les échanges de nombreux produits alimentaires, se font encore au niveau local et les marchés sont morcelés. De même, sur les marchés internationaux de produits alimentaires, nombre d'importantes barrières commerciales et non commerciales ont été maintenues. Le rôle fondamental de l'agriculture dans l'alimentation se traduit par une forte incidence sur les revenus réels et sur la compétitivité générale du système.

47. En outre, dans les pays où il existe un taux élevé de malnutrition, l'essentiel de la pauvreté est concentré dans les zones rurales. Dans ces pays, la main d'œuvre dépend principalement d'activités liées directement ou indirectement à l'agriculture, tout comme une part importante de la production économique et des revenus d'exportation. Ainsi, la croissance du secteur agricole joue un rôle dans la réduction de la pauvreté et permet de parvenir à la sécurité alimentaire.

48. Afin d'atteindre les objectifs du Sommet mondial de l'alimentation, on estime que les investissements annuels bruts, nécessaires à l'agriculture dans les pays d'Amérique latine, (englobant non seulement l'agriculture proprement dite mais aussi l'emmagasinage, la transformation des produits et les infrastructures de soutien) se montent au total à 40,6 millions de dollars E.-U., pour la période allant jusqu'en 2015.

49. Toutefois, la participation des pouvoirs publics aux activités économiques et agricoles est limitée à la fourniture de biens et de services publics indispensables et à la création d'un cadre permettant le développement de l'initiative privée. Les dépenses publiques sont encore indispensables au développement économique et social. On devrait demander aux pouvoirs publics d'exercer certaines fonctions mais d'une manière toujours plus décentralisée et en collaboration avec le secteur privé et la société civile (notamment dans les domaines suivants: recherche et vulgarisation agricole; infrastructures et services publics; réseaux de sécurité contre des crises éventuelles; programmes facilitant les ajustements dans certains secteurs et dans certaines régions afin d'adopter des innovations garantissant la durabilité de l'environnement et la sécurité alimentaire).

50. L'examen des dépenses totales affectées à l'agriculture et au développement rural dans la région, de 1995 à l'an 200011, fait ressortir très nettement les nouvelles orientations par rapport à la décennie précédente: dans des pays comme la Bolivie, le Chili, le Guatemala et la République dominicaine le niveau des dépenses a diminué au cours des cinq dernières années par rapport aux années 80; dans des pays comme le Mexique, le Brésil et l'Argentine les dépenses il a augmenté.

51. Le lien qui existe entre le développement du secteur et le développement des dépenses publiques n'obéit pas à une règle logique. Parmi les pays dans lesquels les dépenses publiques agricoles ont baissé, au cours des années 80 et 90, seulement le Chili a enregistré une diminution de la croissance du PIB agricole (de 1 pour cent). Dans les autres pays, comme la Bolivie, le Guatemala et la République dominicaine, la diminution des dépenses publiques s'est accompagnée d'une augmentation de la croissance du PIB agricole. De même, dans le cas des pays où les dépenses publiques ont augmenté pendant ces deux décennies, comme le Mexique, le Brésil et l'Argentine, seulement le Brésil a enregistré une diminution de la croissance du PIB agricole de 0,1 pour cent, mais dans les deux autres pays la croissance du PIB agricole a augmenté parallèlement aux dépenses affectées au secteur.

52. Par ailleurs, au cours des dernières années, les dépenses publiques agricoles se sont orientées principalement vers le développement des marchés12, en destinant à ce poste 50 pour cent des dépenses en 1995 et 45 pour cent en l'an 2000. Parmi les autres secteurs importants on peut citer le développement de l'irrigation13, correspondant à 13 pour cent des dépenses en 1995 et à 10 pour cent en l'an 2000 et le développement de certains domaines déterminés, pour lesquels les dépenses sont passées de 8 pour cent en 1995 à 16 pour cent en l'an 2000. Les dépenses consacrées à l'innovation et à la gestion14 ont baissé de 8 à 7 pour cent, de 1995 à l'an 2000. On peut donc relever la perte de terrain de l'innovation et du transfert technologique dans l'orientation des politiques publiques et l'importance accrue accordée aux domaines associés au commerce.

53. Une autre caractéristique importante des dépenses publiques au cours des dernières années a été la réduction des dépenses de fonctionnement des administrations centrales et des organismes publics qui en dépendent, et en contrepartie la sous-traitance de services et /ou le transfert direct de ressources aux producteurs. Ces nouvelles modalités visent à améliorer la gestion, mais on a noté dans de nombreux cas, qu'une réduction budgétaire non accompagnée d'une redéfinition pertinente des fonctions et de la mission des institutions se traduit par une paralysie ou par une prolifération d'activités nouvelles, pour lesquelles l'organisme ne dispose pas des capacités nécessaires.

54. Si l'on examine la ventilation des dépenses des ministères de l'agriculture, on peut relever des écarts significatifs pour ce qui est des stratégies d'exécution des dépenses. Par exemple, au Chili une part importante des dépenses est consacrée à la sous-traitance externe et une part réduite est affectée au ministère; au Costa Rica le niveau des transferts est peu élevé, d'importantes dépenses sont consacrées au fonctionnement du ministère, avec des sommes très limitées affectées aux investissements. Quant au Nicaragua, les transferts sont élevés, tout comme les investissements15.

55. Pour ce qui est des dépenses de l'administration centrale et de leur incidence dans l'ensemble du budget du secteur, on a relevé dans divers pays (notamment au Brésil), une orientation à la baisse de ces dépenses, ou la tendance à diminuer la part des dépenses affectées à l'administration centrale (notamment au Mexique). Par ailleurs, on relève depuis 1995, dans certains pays comme la Bolivie et le Chili, une proportion très basse de dépenses à l'échelon central. Pour ce qui est de l'Argentine, de la Colombie, de El Salvador et du Guatemala, on a noté une tendance inverse avec une part élevée des dépenses destinées à l'administration centrale. Dans de nombreux cas on relève des déficits budgétaires considérables pour faire face à ces engagements.

56. Les dépenses publiques affectées au secteur agricole (par travailleur), au cours de la dernière décennie varient considérablement d'un pays à l'autre dans la région. Alors qu'au Guatemala et à El Salvador les dépenses sont d'à peu près 20 dollars E.-U. par travailleur agricole, dans les pays comme le Chili et le Mexique elles ont atteint respectivement 400 et 300 dollars E.-U., en 1999.

57. Par rapport à l'Indice d'orientation agricole16, on peut conclure que les dépenses publiques affectées au secteur agricole dans les pays de la région, à l'exception seulement du Mexique, ne correspondent pas, de toute évidence à l'importance que le secteur occupe dans les économies nationales. Dans des pays dont les économies reposent sur les exportations agricoles, comme l'Argentine, la Colombie, El Salvador et le Guatemala, pour citer ceux pour lesquels la valeur de l'indice d'orientation agricole était le plus bas, on a enregistré un niveau de dépenses pour le secteur agricole inférieur à 10 pour cent à l'importance relative du secteur dans l'économie (de 2 à 7 pour cent en 1999). Parallèlement, si l'on analyse l'orientation des dépenses, on a observé que dans la moitié des pays l'indice d'orientation a augmenté, alors que dans l'autre moitié il a diminué, au cours de la période allant de 1995 à l'an 2000. Enfin, bien que le taux de croissance annuel de l'indice ait été de 10 pour cent, la valeur moyenne a été seulement de 2 pour cent.

58. Pour continuer à améliorer l'attribution des ressources publiques, il est important de respecter certaines règles: réduire la forte dispersion et le chevauchement des programmes ruraux; mettre au point un programme stratégique indiquant les actions prioritaires, à court et moyen terme; améliorer la coordination entre les organismes responsables de l'exécution budgétaire au niveau gouvernemental et entre ces organismes et les responsables nationaux du budget; renforcer les systèmes d'information relatifs à la mise en œuvre du budget; créer des mécanismes d'évaluation des programmes ruraux; et enfin créer des instances permettant aux différents acteurs sociaux de négocier en vue de favoriser les investissements privés et publics destinés au monde rural. En outre, une part importante des ressources peut être destinée à des programmes d'intervention sur les marchés, dont les répercussions sociales peuvent être contestables, car ils reposent essentiellement sur le volume des opérations des entreprises agricoles bénéficiaires (prix de soutien, subventions aux investissements privés destinés aux terres, à l'irrigation, aux plantations, etc.) et non sur leurs besoins.

59. Pour conclure, il convient d'indiquer qu'il est de plus en plus souvent admis que le modèle agricole mis en place par les réformes structurelles de la dernière décennie, n'a pas permis de redresser la tendance défavorable à l'agriculture du modèle de remplacement des importations. La nécessité de corriger certaines composantes de ce modèle et des politiques qui l'accompagnent s'impose mais cette révision doit s'insérer dans le cadre des changements enregistrés dans le contexte économique, politique et social de la région.

60. Il paraît donc évident que l'objectif visant à réduire de moitié le nombre de personnes qui souffrent de la faim dans la région d'ici 2015 semble bien lointain si l'on continue à progresser au rythme actuel. Il est donc nécessaire de fournir un effort pour renforcer la volonté politique afin de parvenir à cet objectif, en créant principalement des alliances stratégiques et en instaurant les incitations visant à attirer des ressources publiques et privées. Dans cette optique, trois démarches essentielles semblent indispensables:

    1. Renforcer le programme spécial de sécurité alimentaire de la FAO dans les pays à faibles revenus et à déficit vivrier par le biais du Fonds fiduciaire destiné à la sécurité alimentaire et à la prévention des risques liés aux ravageurs et aux maladies transfrontières des animaux et des plantes.

    2. Promouvoir et renforcer des alliances stratégiques constructives entre l'État, le secteur des entreprises et la société civile pour pouvoir parvenir à la sécurité alimentaire et au développement rural et ainsi renforcer la volonté politique de tous les acteurs.

    3. Favoriser l'afflux de ressources privées et publiques destinées au développement de l'agriculture et au développement rural. Plus précisément, orienter les dépenses publiques vers un programme de base dont les principales composantes pourraient être les suivantes: une politique des revenus ruraux reposant sur des transferts directs, un système de financement rural, le développement des infrastructures, une nouvelle élaboration des institutions scientifiques et technologiques permettant d'englober toutes les technologies agricoles et les politiques de développement durable.

 

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1 Le produit intérieur agricole englobe l'agriculture, la chasse, la pêche et les forêts.

2 Les quatre engagements sont les suivants: 1) assurer un environnement politique, social et économique propice, visant à instaurer les meilleures conditions pour l'éradication de la pauvreté et le maintien d'une paix durable, fondé sur la pleine participation des hommes set des femmes sur un pied d'égalité, particulièrement favorable à la sécurité alimentaire durable pour tous; 2) mettre en œuvre des politiques visant à éradiquer la pauvreté et l'inégalité et à améliorer l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante; 3) poursuivre des politiques et méthodes participatives et durables de développement alimentaire, agricole, halieutique, forestier et rural dans les régions à potentiel élevé comme dans celles à faible potentiel, qui sont essentielles pour assurer des approvisionnements alimentaires adéquats et fiables au niveau des ménages ainsi qu'aux échelons national, régional et mondial et lutterons contre les ravageurs, la sécheresse et la désertification, considérant le caractère multifonctions de l'agriculture; 4) s'efforcer de faire en sorte que les politiques concernant le commerce des denrées alimentaires et agricoles et les échanges en général contribuent à renforcer la sécurité alimentaire pour tous grâce à un système commercial mondial à la fois juste et axé sur le marché.

3 Le sixième engagement consiste à encourager l'affectation et l'utilisation optimales de l'investissement public et privé pour faire progresser les ressources humaines, les systèmes alimentaires, agricoles, halieutiques et forestiers durables et le développement rural, dans les zones à fort comme à faible potentiel.

5 La sélection adverse a lieu avant la signature d'un contrat. Il s'agit de l'augmentation des coûts pour l'agent mal informé par rapport à la contrepartie, du fait que celle ci peut cacher des renseignements pertinents importants pour la bonne réalisation du contrat. L'augmentation des coûts peut exclure du marché certains demandeurs ou offrants qui dans des conditions normales auraient participé à ce contrat.

6 Le risque moral est encouru après la signature d'un contrat et existe lorsque l'une des parties est incitée à se comporter de manière différente à celle qui aurait eu lieu sans un contrat.

7 Ocampo, J.A. 2001. Agricultura y desarollo rural en América Latine. En Desarrollo rural en América latina y el Caribe CEPALC.

8 Tejo,P (20011). El modelo agricola de America latina en las ultimas decadas (sintesis). "Desarollo rural en America Latina y el Caribe". CEPALC

10 Gordillo, G. 1999. El ansia por concluir :la débil institucionalidad de las réformas estructurales en América Latina, Revista Mercado de Valores. Mexico.

11 Ces données sont basées sur une étude de la FAO, sur les dépenses publiques agricoles et rurales, de 1995 à l'an 2000, réalisée pour 12 pays de la région.

http: //.rlc.fao.org/prior/desrural/gasto/ default.htm

12 Par développement des marchés ont entend  toutes les dépenses destinées aux programmes ou actions qui supposent une intervention sur les marchés des produits ou des intrants agricoles. Cette catégorie comprend notamment le crédit à court terme subventionné, lorsque les producteurs peuvent y accéder librement.

13 On entend par développement de l'irrigation tous les investissements destinés aux infrastructures d'irrigation.

14 L'innovation et la gestion comprennent les programmes accessibles à tous, orientés vers la recherche et le transfert technologique destinés aux producteurs.

15 Il est important de signaler que ces valeurs doivent être considérées avec circonspection car dans de nombreux pays de la région on considère comme dépenses d'investissement les dépenses réalisées dans le cadre des systèmes nationaux de projets, même si , en réalité, une part importante de ces sommes sert à financer les frais de fonctionnement des projets.

16 L'indice d'orientation agricole indique dans quelle mesure les dépenses du gouvernement reflètent ou non l'importance du secteur agricole dans l'économie nationale. On le calcule en divisant les dépenses publiques totales affectées au secteur agricole par la part de l'agriculture dans le produit interieur brut. Plus l'indice est élevé, plus la participation des dépenses publiques affectées à l'agriculture est considérable par rapport à l'importance du secteur dans l'économie nationale.