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Le Protocole de Kyoto et le MDP en Afrique: une bonne idée mais…

P.V. Desanker

Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) vise à appuyer le développement durable en Afrique, mais la réalisation de ses projets dans la région se révèle difficile.

Paul V. Desanker travaille au Département de géographie, Penn State University, University Park, Pennsylvanie, états-Unis d'Amérique, et est Président du Réseau du miombo, Malawi. Il participe à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en qualité de délégué du Malawi et de membre du Groupe d’experts des pays les moins avancés.

La première réunion des Parties au Protocole de Kyoto, qui s’est tenue du 28 novembre au 9 décembre 2005 à Montréal, Canada, a renforcé la résolution de nombreux pays d’intervenir sur le changement climatique et de continuer à prendre des engagements durables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pendant que les pays faisaient le point sur les progrès accomplis à ce jour pour rendre opérationnel le Protocole, de graves préoccupations concernant la participation de l’Afrique se faisaient jour. Il a été question, lors de certains événements collatéraux, des progrès du Mécanisme pour un développement propre en Afrique, y compris pendant une réunion organisée par le Malawi au nom de l’Afrique où l’accent a été mis sur les principaux défis auxquels fait face la région. Le présent article tire parti de ces débats afin d’examiner de plus près comment le MDP pourrait être mieux appliqué en Afrique.

Le Mécanisme pour un développement propre, l’un des divers mécanismes mis en place au titre du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a pour objectif d’aider les pays développés à s’acquitter de leurs engagements convenus en matière de réduction des émissions moyennant des réductions d’émissions certifiées dans les pays en développement. Les réductions réalisées dans le pays en développement sont vendues au pays développé. Au cours de ce processus, l’activité du MDP contribuerait au développement durable dans le pays hôte (le pays en développement), tout en permettant à l’acheteur des crédits d’émission (le pays développé) d’atteindre ses objectifs. Pour que cette opération soit considérée comme une stratégie visant à réduire le total des émissions mondiales il faut que le projet soit «additionnel», c’est-à-dire qu’il ne serait pas réalisé normalement s’il ne s’agissait pas d’un projet du MDP. Le principe de «l’additionnalité» vise à assurer que les émissions s’établissent en deçà du niveau normal de façon que le projet contribue réellement à atténuer le réchauffement de la planète. Tout relâchement de cette condition affaiblirait les intentions du Protocole de Kyoto.

Les projets de boisement et de reboisement (projets «puits») jouent un rôle important en Afrique étant donné la dégradation souvent grave des terres et la forte dépendance des populations vis-à-vis des ressources ligneuses
FAO/17808/A. CONTI


QUELS ONT ÉTÉ LES RÉSULTATS DU MDP EN AFRIQUE?

Le MDP a été créé dans le but, entre autres, de stimuler l’Afrique grâce au transfert de technologie, aux avantages découlant du développement communautaire, au renforcement de l’investissement du secteur privé et au développement du marché. Vu l’immense besoin de ressources nécessaires pour soutenir des plans de développement durable dans la région, et les possibilités apparemment nombreuses d’y entreprendre des activités dans le cadre du MDP, on pourrait s’attendre à ce que l’Afrique soit un participant très actif du Mécanisme. Toutefois, la réalité est entièrement différente. Les projets en Afrique qui étaient parvenus à passer à travers les mailles des formalités officielles requises pour la mise en œuvre et l’enregistrement d’un projet du MDP étaient au nombre de quatre en décembre 2005. Il y avait à ce moment-là plus de 200 projets à différents stades de réalisation dont une poignée en Afrique.

Il appartient au pays en développement de définir le caractère des avantages du développement découlant d’un projet du MDP, alors que la contribution à la compensation des émissions du pays développé est évaluée et vérifiée au niveau international. Cela a plusieurs importantes retombées pour le succès du projet. Tout projet doit être réalisé en collaboration et coopération étroites avec le gouvernement hôte afin d’assurer que les activités dans le cadre du MDP jouissent d’un robuste appui national. La négligence du rôle et des intérêts d’un gouvernement national a suscité, dans certains cas, des difficultés d’enregistrement des projets du MDP. La surveillance internationale des réductions d’émissions effectives impose la mise en place de systèmes complexes pour approuver, vérifier et valider les projets et accumuler les réductions d’émissions. Il est largement estimé que ce processus est trop complexe et coûteux pour de nombreux pays en développement, ou dans le cas de petits projets (aux règles simplifiées) tout simplement exorbitant. En outre, les projets du MDP devraient être réalisés par le secteur privé, souvent dans des domaines – y compris les forêts – qui ne sont pas normalement gérés en Afrique à l’aide d’investissements privés.

Étant donné le niveau élevé de dégradation des terres dans de nombreux pays africains et la forte dépendance vis-à-vis des ressources ligneuses pour la production d’énergie, les projets de boisement et de reboisement (projets «puits») sont bien inspirés. Les faibles besoins technologiques nécessaires pour cultiver des arbres devraient rendre ce type de projet très accessible aux communautés rurales elles-mêmes. Pourtant les tendances de la participation africaine à ce type de projet du MDP sont particulièrement négatives. Les raisons qui l’expliquent sont multiples et varient entre les pays (sans être nécessairement caractéristiques de l’Afrique), mais comprennent en général les suivantes:

Les projets «puits»admissibles doivent se réaliser sur des terres qui n’étaient pas boisées à la fin de 1989. Les sources de données permettant de le démontrer sont souvent limitées. Bien que les photos aériennes ou les données satellitaires comme les images du satellite Landsat soient largement disponibles, leur échelle est souvent insuffisante pour offrir les preuves nécessaires aux petits projets, et les dossiers relatifs à l’utilisation des terres manquent parfois.

Les projets doivent aussi démontrer l’additionnalité et l’absence de fuites (émissions transférées ailleurs suite au projet). Vu la dépendance de nombreux pays africains vis-à-vis des ressources ligneuses pour la production d’énergie et d’autres besoins journaliers, il est difficile de trouver des activités forestières admissibles qui soient réellement additionnelles sans exclure d’autres pratiques d’utilisation des terres importantes pour les moyens d’existence des populations (comme le pâturage et le ramassage de bois de feu) ou sans chasser les émissions relatives ailleurs.

Une question qui a suscité de graves préoccupations pour l’Afrique lors de la réunion de Montréal a été la décision du Comité exécutif du MDP en septembre 2005 de n’admettre comme petits projets bioénergétiques que ceux qui remplacent les combustibles fossiles. De ce fait, de nombreux projets novateurs visant à remplacer l’utilisation non durable de bois de feu par l’énergie solaire, la biomasse durable ou le biogaz, ou cherchant à réduire l’utilisation non durable de bois de feu par les foyers améliorés ne seraient pas pris en compte par le MDP. Le Comité exécutif entend reconsidérer cette question sur la base des propositions des parties.

Pas seulement du bois de feu:
les projets du MDP devraient permettre d’améliorer les conditions de vie en milieu rural
FAO/CFU000359/R. FAIDUTTI


COMMENT ALLER DE L’AVANT?

Il est clair que la mise en œuvre réussie de projets du MDP exige un effort important et la création soutenue de capacités locales. Diverses organisations internationales ont organisé des ateliers et des programmes de soutien pour faciliter la réalisation de projets du MDP en Afrique, mais il est évident que ces efforts ont été souvent vains. Il faut évaluer les obstacles à la participation et remanier les programmes de création de capacités en fonction des enseignements tirés d’une poignée de projets réussis en Afrique et dans d’autres pays en développement où le MDP a prospéré. Notamment, il faut relier la création de capacités à des propositions de projet particulières, au financement de projets et aux cadres institutionnels nationaux. Elle doit unir toutes les étapes du projet, y compris l’identification, la réalisation et l’investissement.

Des projets trop ambitieux qui tentent de contribuer à de multiples objectifs de développement durable sont difficiles à mettre en œuvre. Il est improbable que les projets du MDP réalisent un développement durable spectaculaire au niveau national mais ils pourraient plutôt procurer des avantages significatifs au plan local. Les critères de développement au niveau national devraient être choisis en tenant compte de cela. Il conviendra, dans la mesure du possible, de faire démarrer et réaliser les projets par des groupes locaux plutôt qu’extérieurs, afin de favoriser les communautés locales et de garantir un développement local significatif. Là où de nouvelles capacités s’imposent, les groupes locaux peuvent employer des consultants étrangers. La création de capacités au niveau communautaire peut prendre beaucoup de temps et il faudra adopter souvent une approche à long terme qui associe la vulgarisation et la formation.

Les experts africains devraient participer davantage à la conception du MDP – tant lors des négociations à la Conférence des parties que dans la gestion du projet. Leur participation devra être soutenue par les activités de recherche et d’analyse de scientifiques africains travaillant localement et tenant compte des conditions locales. La formation d’un groupe d’experts MDP africain pourrait contribuer à créer les connaissances et les compétences nécessaires pour représenter les intérêts africains au sein du MDP.

L’argent tiré du carbone ne suffit pas toujours à lui seul à financer les projets du MDP de sorte qu’un financement supplémentaire pourrait s’imposer. Dans le cadre des normes du MDP, il est possible de puiser dans les fonds des donateurs pour appuyer la réalisation d’un projet à condition que les permis émission n’aillent pas au donateur. Le groupage de projets appartenant à différents secteurs et, si possible, entre pays pourrait être envisagé pour réaliser des économies d’échelle, réduire les dépenses d’exploitation et tirer parti des capacités limitées existantes.

Les forêts africaines, y compris les formations agroforestières et les forêts urbaines, ont un rôle important à jouer en aidant les pays en développement à s’adapter au changement climatique. Le bois aussi bien que les produits forestiers non ligneux sont vendus afin de dégager un revenu, notamment en période de pénurie alimentaire comme pendant la sécheresse. D’autres produits, tels que les champignons, le miel, les fruits et les insectes, peuvent s’avérer de précieuses sources d’aliments. Les services de conservation de l’écosystème fournis par les arbres sont également importants. À mesure que les pays élaborent des plans d’adaptation en Afrique, la contribution des forêts à cette adaptation au changement climatique tend à occuper une place grandissante dans le cadre de la gestion durable des terres. Les projets du MDP seraient plus séduisants pour les investisseurs si les valeurs des produits et des services étaient incorporées dans l’analyse économique.

L’Afrique a besoin de planter des arbres. Si le MDP ne contribue pas à financer leur plantation, les pays devront s’employer à changer ses normes afin qu’il puisse travailler pour eux.

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