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Deuxième partie - L’impact social de la réforme foncière


4. L’IMPACT SOCIAL DE L’ALLOCATION FONCIÈRE

4.1 Conséquences pour l’accès à la terre et l’évolution des modes de vie des agriculteurs

L’enquête commissionnée en 2003 par la Banque Asiatique du Développement sur la pauvreté au Laos (ADB 2001:38-39) montre que l’allocation foncière est citée par les villageois comme première cause d’appauvrissement dans trois régions sur quatre (Nord, Est et Centre). Ce résultat très négatif provient de plusieurs facteurs étroitement liés les uns aux autres: l’esprit général de la réforme, la réduction de l’accès à la terre, la détérioration des conditions de vie locales et l’absence d’intensification de l’agriculture.

1) Les documents officiels rédigés aujourd’hui par le gouvernement lao ou par le MAF opèrent une distinction claire entre deux formes d’agriculture sur brûlis, cyclique ou pionnière (voir précédemment, partie I). La première de ces deux formes est considérée comme potentiellement durable lorsque la pression foncière reste faible. Il est cependant excessif d’y voir une “avancée majeure dans la définition de la politique de développement rural” (MAF 2003:42) ou d’en conclure, comme le font James R. Chamberlain et Panh Phomsombath (2003: 35), que l’agriculture sur brûlis cyclique est aujourd’hui officiellement acceptée au Laos. Au contraire, les enquêtes de terrain récentes montrent que cette distinction est surtout théorique et qu’une politique restrictive et contraignante est généralement appliquée. L’agriculture sur brûlis cyclique est tout juste tolérée mais de façon transitoire et avec des jachères maximum de quatre années (durée à partir de laquelle un recru forestier est considérée comme une forêt en régénération, dans laquelle les coupes ne sont pas autorisées)[13]. Il s’agit donc de contraindre les agriculteurs à changer leur système de production en réduisant leur espace disponible, ou en d’autres termes en créant artificiellement de la pression foncière, sans considération pour le coût social d’une telle politique.

2) La détermination des services techniques du MAF à réduire les espaces disponibles pour l’agriculture sur brûlis s’affiche clairement dans les statistiques du RSCEC: 82% des surfaces allouées depuis 1995 (1995-2002) ont été classées comme zones forestières (MAF 2003:43). Parmi celles-ci, les forêts d’usage courant (pa som say: cueillette, récolte de bois, chasse) représentent un quart du total, les forêts “en régénération” (pa feun fou: jachères de plus de cinq ans retirées des surfaces agricoles utilisables) 15% et les forêts dégradées (pa soud som: essartage toléré avec des jachères de trois années maximum) seulement 2%. Partout à l’issue de l’allocation foncière, les surfaces protégées sont plus importantes que celles destinées à l’usage. Les études locales menées par l’unité socio-économique de NAFRI confirment clairement cette tendance: dans les 66 villages district de Namo (province d’Oudomxay) concernés par l’allocation foncière, les terres classées comme forêt représentent 88% de la surface totale et seulement 8% d’entre-elles ont été classées comme forêt dégradée. Cette réduction des surfaces disponibles pour l’agriculture de montagne semble particulièrement forte au moment de l’allocation foncière proprement dite. Le planning de l’affectation productive des espaces (ou zonage) (Land Use Planning ou LUP), étape préliminaire à l’allocation foncière possède, lui, un effet moindre. Les études menées dans le district de Phonexay (province de Louang Prabang) montrent que dans les villages concernés par la procédure LUP, chaque foyer a accès à environ 4 ha de terres cultivables et à 5 ha de forêt. Par contre, après l’allocation des parcelles, chaque foyer n’a plus accès qu’à 2,7 ha de terres cultivables et 9 ha de forêt en moyenne.

3) Cette réduction des espaces disponibles s’opère au détriment des conditions de vie et de la sécurité alimentaire des foyers, lesquelles ne font l’objet d’aucune enquête statistique publique ni suivi sur le long terme. Avec la réduction drastique des temps de jachère (3 à 4 ans désormais contre 10 à 15 ans auparavant), et dans un contexte où les techniques n’évoluent pas, ou peu, la fertilité des champs d’altitude décroît fortement, les récoltes de paddy chutent parfois de plus de moitié (Chamberlain & Phomsombath 2003:35-39) et le temps nécessaire au désherbage ne cesse d’augmenter en raison de la prolifération des adventices herbeux. Par ailleurs, en raison de la pression foncière et démographique sur certaines zones de la forêt, de nombreux NTFP deviennent plus rares. Il s’agit d’une tendance extrêmement préoccupante car non seulement ces produits forestiers représentent 55% en moyenne du revenu monétaire des foyers ruraux (UNDP 2001:78) mais ils constituent également la ressource première des foyers les plus pauvres et leur première protection contre l’insécurité alimentaire. Les enquêtes menées par NAFRI dans les districts de Namo et de Phonexay[14] montrent que la raréfaction de ce type de ressources concernent principalement les produits destinés à l’alimentation et au commerce: cardamome, fougères, certaines variétés de pousses de bambou, miel. Il n’y avait jusqu’à présent que très peu de régulations collectives concernant les NTFP, plutôt une connaissance “des bons coins” avec parfois, comme dans le cas des champs d’imperata (herbe à paillote) une appropriation par un groupe de familles. Avec la limitation des espaces forestiers accessibles, les cas de surexploitation et de cueillettes “sauvages” sur le finage des villages proches se multiplient.

4) Face à la réduction de leurs ressources naturelles, les agriculteurs ne disposent pas d’alternatives viables sur le long terme. Le soutien technique de la part des services publics reste très faible: l’étude commissionnée par la Banque Asiatique du Développement révèle que sur les 91 villages étudiés dans 43 districts différents, aucun n’avait reçu d’aide technique directe pour l’intensification de l’agriculture, que ce soit sous forme de développement de rizières dans les bas fonds ou de cultures commerciales en altitude (UNDP 2001:81). Une étude de NAFRI menée en 2000 montre que parmi les 49 agriculteurs interrogés, seuls 40% d’entre eux ont pu augmenter leur surfaces de rizières tandis que dans 60% des cas, l’allocation foncière n’a eu aucun impact direct de ce point de vue. Cette politique apparaît même contraire aux objectifs poursuivis puisque dans les régions du Nord la production de riz d’essart a augmenté dans 47% des cas étudiés (Keoketsy & Bouthabandid & Noven 2000:14). Certes, il existe des cas positifs où les pratiques agricoles s’intensifient et où les revenus paysans augmentent mais il s’agit moins d’un effet de la politique menée par l’État que de conditions préalables favorables à l’évolution des systèmes agraires. Ainsi dans le district de Kentao (province de Sayabouri), la proximité du marché thaïlandais a directement contribué à la mécanisation et à la spécialisation de l’agriculture locale d’abord dans la production de coton puis de maïs. Le seul effet de l’allocation foncière fut d’encourager le labour sur les réserves foncières car les paysans avaient peur de perdre leurs terres s’ils ne les mettaient pas en valeur. D’autres exemples de ce type peuvent être identifiés, notamment dans le Sud du pays, mais il faut noter qu’il s’agit d’exceptions très localisées ne remettant pas en question une tendance générale très inquiétante.

4.2 Allocation foncière et déplacements de populations: la quadrature du cercle

Cet impact socioéconomique globalement négatif est fréquemment attribué à des méthodes trop peu participatives et à la volonté des services du MAF de réaliser l’allocation en une seule fois, le plus vite possible et de façon identique dans tous les villages. Les membres du SCREC interrogés durant la mission ont affirmé passer entre 30 et 45 jour dans chaque village pour réaliser l’allocation foncière mais il s’agit dans ce cas de procédures “pilotes”, durant lesquelles ils forment les personnels locaux du MAF avant de continuer leur action dans un autre district. En tant normal, le processus dure beaucoup moins longtemps, entre cinq et quatorze jours seulement d’après la plupart des observateurs (Jones 2001: 85). Par ailleurs, l’affectation productive des espaces, puis l’allocation proprement dite sont effectuées davantage en fonction des désirs des administrateurs locaux et régionaux - qui répondent en cela aux objectifs fixés par leur hiérarchie - qu’en fonction des savoirs-faire et des besoins des villageois.

L’allocation foncière serait-elle donc simplement une bonne idée mal appliquée? Au-delà des problèmes de méthode, il apparaît que la réforme foncière se déroule, notamment dans les zones rurales Nord, dans un contexte extrêmement défavorable marqué par des recompositions territoriales de grande ampleur et des migrations mal contrôlées par l’État. De nombreuses personnes, tant lao qu’occidentales, interrogées au cours de la mission ont reconnu que l’allocation foncière, même mieux organisée et mieux appliquée, ne pourra donner de bons résultats que lorsque cesseront les déplacements continuels de villages ou de fraction de villages pour la plupart initiés par l’administration[15]. Depuis trois décennies maintenant, le gouvernement lao encourage les villages montagnards à quitter les hauteurs et à venir s’installer dans les vallées: il s’agit de mieux contrôler les populations mais également de rentabiliser les dépenses d’infrastructure en rapprochant et en regroupant les villages dans les zones les plus facilement accessibles. Plusieurs études ont déjà démontré le coût humain très élevé de cette politique (qui accroît de façon spectaculaire et durable la mortalité dans les villages déplacés) et ont dénoncé le cynisme d’un gouvernement qui incite les villageois à se déplacer en leur promettant une aide technique puis demande aux projets de développement internationaux d’assumer cette responsabilité. En ce qui concerne spécifiquement l’allocation foncière, le problème majeur réside dans l’absence de concertation entre les services concernés au moment de l’établissement puis de la mise en œuvre des plans quinquennaux à l’échelle des districts. La planification des déplacements et regroupements de villages est du ressort du pouvoir des cabinets des chefs de districts et des gouverneurs provinciaux; celle de l’allocation foncière dépend par contre des représentations des bureaux locaux et provinciaux du MAF. La collaboration entre ces institutions est minimale et dans bien des cas les déplacements de villages annulent les effets bénéfiques des services du MAF. Sur ce point, l’exemple des villages étudiés par l’unité socioéconomique de NAFRI dans le district de Phonexay (province de Louang Prabang) est édifiant.

Dans ce district, 35 villages doivent être déplacés et/ou regroupés au cours de la période 2001-2005 sur un total de 72 (presque 50%!)[16]. Le but affiché des autorités est de réduire le nombre total de villages dans le district à 41. Ceci représente le déplacement de 1725 familles, soit 11 472 personnes, chiffre bien au-delà des capacités de gestion de l’administration locale d’après les rédacteurs du rapport. Ainsi dans le village de Huay Maha (réunion de deux villages auparavant distincts), 180 nouvelles familles doivent arriver au cours des prochaines années et s’installer avec les 92 déjà présentes sur place. L’administration locale a besoin de52 millions de kips pour le réseau d’adduction d’eau et de 100 millions de kips pour l’amélioration de la piste existante. Le responsable du district essaie d’obtenir cette somme auprès de projets de développement étrangers, pour l’instant sans succès, mais cela n’empêche pas les administrateurs de poursuivre les objectifs annoncés en 2001, alors que la mortalité sur les sites d’accueil augmente fortement et que les conditions de vie y sont souvent plus difficiles que sur les sites d’origine[17]. L’arrivée permanente de nouveaux foyers dans le village de Huay Maha (77 depuis qu’a été effectuée l’allocation des terres) a très vite rendu caduque les arrangements signés avec les autorités du district sur le partage des espaces agricoles. En prenant en compte à la fois l’accroissement naturel de la population et les plans de déplacements de villages par les autorités, on peut en effet estimer que le village comptera 294 familles et 2117 personnes en 2020 (contre 92 en 2002). La demande de terres cultivables à cette date sera d’environ 2400 à 3000 hectares mais les études effectuées indique qu’il n’y a que 1225 ha de terres agricoles disponibles sur le finage villageois, soit une capacité d’environ 90 à 120 personnes dans un système agraire basé sur trois à quatre années de jachère. En d’autres termes, les autorités ont alloué deux fois et demi moins de terres que nécessaire aux villageois pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie, et ce même en comptant les terres agricoles mises en réserve lors du zonage et de l’allocation (entre 10 et 15% en moyenne dans chaque village concerné).

4.3 Les stratégies informelles pour l’accès à la terre

De façon directe ou indirecte, la réforme foncière a donc eu pour première conséquence d’accroître la pression foncière dans presque tous les villages, à la fois en ce qui concerne les terres cultivables, les lieux de pêche ou les lieux de cueillette. Résultat, des tensions apparaissent fréquemment entre les immigrants venus à l’appel des autorités s’installer dans leur nouveau village et les premiers occupants de celui-ci. Des tensions apparaissent également entre villages voisins en raison de l’introduction d’une nouvelle conception de la frontière. Là où existaient autrefois des zones à légitimités multiples (co-gestion des espaces forestiers périphériques par différents villages) ne subsistent plus désormais que des espaces administratifs khét phok khong ban séparés les uns des autres: avec l’apparition de légitimités exclusives sur la terre se développent plus fréquemment que par le passé des querelles relatives à certains droits (cueillette, chasse) dont les aires d’application se chevauchaient autrefois mais sont aujourd’hui géométriquement séparées. De nombreux experts pensent que si une attention plus grand était portée au zonage des espaces et si des terres de gestion multivillageoise étaient légalisées, cela permettrait de diminuer sensiblement le nombre de querelles de frontières entre les communautés villageoises. Les difficultés d’application de la réforme foncière dans les zones rurales ont aussi pour conséquence de remettre en question l’avenir du processus: alors que les villageois ont en général une attitude plutôt positive vis-à-vis du droit écrit, les villages non encore concernés par l’allocation foncière (en général les plus difficiles d’accès) sont aujourd’hui de plus en plus réticents car ils se rendent compte des difficultés rencontrées par leurs voisins et ils jugent d’autre part leur système coutumier plus flexible et plus juste que la nouvelle régulation introduite par l’administration. Ceci explique également en grande partie le ralentissement du nombre de nouveaux villages dans lesquels est effectuée chaque année l’allocation des terres (voir les statistiques du RSCEC en annexe).

Dans un contexte où la mobilité et la pression foncière s’accroissent et où, dans le même temps, les techniques de production évoluent peu, les villageois doivent se débrouiller pour maintenir leur niveau de vie, c’est à dire concrètement pour accéder à de nouvelles terres qui leur permettront de compenser les rendements décroissants de leurs essarts. Les stratégies suivantes ont été observées dans le Nord du pays (NAFRI-LSUAFRP 2002 & 2003):

5. L’IMPACT SOCIAL DE L’IMMATRICULATION FONCIÈRE

Les données disponibles sont beaucoup moins nombreuses que pour l’allocation foncière d’une part en raison de l’extension géographique moindre de cette procédure et d’autre part en raison d’un nombre d’études moins important. Une série d’indicateurs viennent d’être mis en place par le Département Foncier au sein du MInistère des Finances (MoF, 2003, Socio-economic baseline study) mais il faudra attendre quelques années avant de pouvoir effectuer une véritable analyse de l’impact social de cette procédure.

5.1 Immatriculation foncière et inégalités sociales

Aucune donnée claire n’est pour l’instant disponible sur le temps nécessaire aux transactions foncières avant et après la mise en place de la procédure d’immatriculation, ni sur la durée moyenne pendant laquelle une parcelle reste la propriété d’un même individu, ni enfin sur le degré de transparence des procédures. D’un point de vue économique, les données sont également lacunaires, faute d’avoir mis en place dès le début des indicateurs fiables. Il semble que l’immatriculation foncière soit corrélée avec une appréciation du prix des terrains mais aucune donnée n’est disponible sur l’ampleur moyenne de cette augmentation, ni sur les zones les plus concernées.

Contrairement aux objectifs poursuivis initialement, l’immatriculation foncière ne semble pas, pour l’instant tout au moins, avoir réduit le nombre de disputes foncières. Par contre, le temps nécessaire pour résoudre ces disputes est plus court. Le type de disputes évolue après l’immatriculation: les disputes relatives aux limites de parcelles ou de finage sont de moins en moins fréquentes mais sont remplacées par des disputes ou des tensions relatives soit à l’héritage (43% des disputes dans les villages concernés par l’immatriculation concernent le partage de l’héritage familial) soit à des pollutions liées à des usages particuliers de parcelles adjacentes. Par contre, la procédure d’immatriculation foncière ne change pas les préférences des villageois en matière de résolution des conflits: dans la grande majorité des cas, les disputes sont réglées à l’intérieur du village.

Le projet LTP a pour l’instant travaillé essentiellement dans les zones urbaines et auprès des classes moyennes et supérieures. Pour cette raison sans doute, il est perçu comme bénéficiant en priorité “aux riches” (MoF 2003:47). Les populations les plus pauvres, qui habitent en générales dans les zones périurbaines les plus excentrées, n’ont pas eu l’occasion jusqu’à présent de sécuriser leurs droits via l’immatriculation foncière, soit parce qu’une procédure d’adjudication systématique n’a pas été lancée dans leur quartier, soit parce qu’elles n’ont pas les moyens de financer une procédure d’adjudication sporadique (dont les frais sont en partie supportés par les demandeurs), soit enfin parce qu’elles n’ont pas pu faire valoir de preuves tangibles de leurs droits sur les parcelles qu’elles occupent actuellement. Ce dernier point concerne notamment les membres de minorités ethniques installés récemment[18] sur des terrains périurbains appartenant à l’État -et donc pour lesquels le projet d’immatriculation foncière ne peut s’appliquer (MoF 2003:49&83)- ou bien ayant pris possession de leur parcelle par le défrichage, sans qu’aucun document n’ait été rédigé lors de leur installation par le chef du village. Il y a donc ici un risque de marginalisation (ou de pérennisation des inégalités sociales) des couches les plus modestes parmi les populations urbaines et périurbaines (locataires, personnes illettrées, occupants de terres publiques, minorités)

Parmi les motifs d’insatisfaction, les personnes interrogées indiquent fréquemment que l’immatriculation foncière leur a permis de sécuriser leurs droits sur les parcelles bâties mais non sur les terres agricoles. Dans les zones concernées par le Land Titling Project, 74% des surfaces sont utilisées pour l’agriculture et 14% pour les terrains bâtis. Or, les titres délivrés pour l’instant portent à 67% sur des terrains construits et à seulement 27% sur des terres agricoles (MoF 2003: 38). Cette contradiction tient en partie au fait que les conflits préexistants sont généralement plus nombreux pour les terres agricoles, ce qui freine la procédure d’adjudication tandis que la situation juridique des terrains bâtis semble plus facile à établir (documents disponibles). Un deuxième facteur, d’ordre politique, semble également important: une immatriculation rapide des terres agricoles périurbaines prendrait le risque d’accroître la spéculation foncière[19] et d’accélérer le rythme de l’urbanisation dans des proportions incompatibles avec les capacités de gestion des administrations locales.

Au fur et à mesure que le Land Titling Project va élargir son aire d’activité, la complexité juridique et sociale va probablement augmenter.

5.2 Immatriculation foncière et relations entre les sexes

Durant la première phase, le projet LTP s’est montré soucieux d’éviter des effets négatifs en matière de relations entre les sexes. Cette attention se justifie par le double effet négatif de l’allocation foncière dans les zones rurales: non seulement les titres sont majoritairement établis au nom du seul chef de famille mais de plus la diffusion de nouvelles technologies -lorsqu’elle existe- profite également aux hommes. Toutes les études menées ont montré que l’allocation foncière favorisait de ce point de vue la perpétuation et le renforcement d’inégalités entre les sexes très présentes dans l’organisation sociale coutumière des minorités ethniques. Dans un rapport daté de 1999 et portant sur 2400 familles réparties sur 100 villages et 17 districts, l’Union des Femmes Lao et le GRID (Gender Resource Information and Development) ont montré que le titre foncier était dans la majorité des cas attribué au chef de famille seul même lorsque la parcelle concernée avait été acquise conjointement avec son épouse ou par l’intermédiaire de celle-ci (Lao Women Union & GRID 1999).

Acquisition de la terre et établissement du titre foncier: données par sexe

terre acquise par

l’homme

la femme

les deux

autres cas

%

18%

30%

52%

/

titre au nom de

l’homme

la femme

des deux

autres cas

%

58%

16%

7%

19%*

* comprend les familles pour lesquelles les titres étaient au nom des enfants et les familles n’ayant pas encore reçu de titre foncier.

Cette tendance, particulièrement forte chez les groupes à organisation patrilinéaire stricte comme les Hmong notamment, s’explique principalement, outre les caractéristiques de l’organisation sociale des groupes enquêtés, par un niveau d’éducation et une connaissance de la loi moindres chez les femmes ainsi que par la prise en charge systématique par le chef de famille de toute activité de représentation officielle vis-à-vis de l’extérieur (Lao Women Union & GRID 1999:3).

Le projet LTP travaillant essentiellement dans des régions peuplées par des représentants de l’ethnie Lao, où les rapports entre les sexes sont réputés plus égalitaires[21], ses responsables ont porté une attention particulière à son impact dans ce domaine afin de ne pas créer un déséquilibre en faveur des hommes. Le but était de développer une approche sensible à la problématique du rapport entre les sexes, notamment en intégrant des personnels féminins dans les équipes chargées de l’immatriculation foncière et, par une meilleure information des femmes, d’empêcher que des terres acquises ou héritées par l’épouse ne soient enregistrées au nom de son mari.

Les résultats du Land Titling Project dans ce domaine semblent encourageants puisque le nombre de titres fonciers issus par le projet au nom des femmes seules ou bien au nom des deux membres du couple a augmenté: 34% des titres sont au nom de l’épouse, 38% aux deux noms et 24% au nom de l’époux tandis que dans les régions non concernées par le projet, ces chiffres sont de respectivement 15%, 28% et 55%. (Zakout 2002:2). Ces données doivent être considérées avec précaution car elles comparent deux types de procédures totalement distinctes (immatriculation foncière dans le cas des zones concernées par le projet LTP, allocation foncière ailleurs). Des documents plus récents, notamment le rapport établissant les critères socioéconomiques pour la deuxième phase du LTP (MoF 2003), donnent des chiffres différents: dans ce rapport, il est indiqué qu’environ 20% des titres sont établis au nom des hommes, 28% au nom des femmes et 40% aux deux noms. Cependant, le rapport ne remet pas en question l’impact positif de la première phase du LTP dans ce domaine.

6. CONCLUSIONS/RECOMMANDATIONS

6.1 Conclusions générales sur la réforme foncière (LUP/LA/LTP)

Constat

La réforme foncière en cours au Laos promeut la généralisation progressive de la propriété privée comme méthode pour intensifier l’agriculture, sécuriser la tenure foncière et accroître les recettes fiscales de l’Etat. La théorie sous-jacente à cette réforme est bien connue. L’individualisation des droits permet leur sécurisation; elle encourage les agriculteurs à investir sur leurs terres et à la cultiver de façon sédentaire par un accès plus facile au crédit (la terre devient un garantie bancaire). Celui-ci facilite le développement du secteur agricole et contribue in fine à la réduction de la pauvreté. L’émergence de “marchés fonciers” facilite, elle, une répartition optimum des terres, c’est-à-dire une affectation à ceux qui ont le plus les moyens de les mettre en valeur de façon appropriée. Cette logique repose sur des postulats forts critiquables, notamment:

De ce point de vue, l’esprit de la réforme en cours au Laos devrait s’inspirer des leçons tirées des expériences antérieures dans d’autres pays asiatiques, notamment la Thaïlande, où un programme d’immatriculation foncière est financé par la Banque Mondiale depuis 1984[22] Là, la privatisation des terres a entraîné au contraire une insécurité foncière pour les petits agriculteurs, favorisé la spéculation foncière et accéléré l’exode rural (Leonard & Narintarakul 2003). Malgré la confiance affichée par les responsables lao, notamment ceux du DONLUPAD, dans l’impact positif à long terme de la réforme foncière, il existe une inquiétude réelle concernant les risques de spéculation foncière et d’exode rural accru.

Propositions

Il est extrêmement urgent, que ce soit pour l’immatriculation ou pour l’allocation foncière, de mettre en place des indicateurs de suivi permettant de mesurer l’impact social de cette réforme, notamment sur les conditions de vie dans les zones rurales, sur les transactions foncières et sur l’évolution du degré de concentration foncière. Il semble également indispensable de renforcer la capacité de suivi et de gestion à l’échelle villageoise, au sein des comités d’allocation foncière mais surtout auprès des chefs de villages, dont le rôle est crucial dans la mise en œuvre et le suivi des procédures d’allocation ou d’immatriculation foncière. Un autre point particulièrement délicat concerne la compatibilité (à terme) des procédures et des titres délivrés en zone rurale (allocation = MAF) et urbaines ou périurbaines (immatriculation = DoL). Celle-ci ne pourra être établie sans une collaboration accrue entre les institutions concernées.

6.2 Conclusions spécifiques sur l’allocation foncière (LUP/LA)

Constat

L’allocation des terres recouvre des situations très variables et très inégales. Si le zonage a été effectué aujourd’hui dans plus de la moitié des villages du pays, la délimitation et l’allocation des parcelles est, elle, beaucoup plus rarement achevée. Cette variabilité peut devenir en elle-même une source de complexité supplémentaire pour la poursuite du processus. La tendance actuelle semble être de privilégier dans un premier temps la délimitation des finages villageois ainsi que leur zonage et de ne procéder à l’allocation foncière proprement dite que dans les villages les plus favorables.

Proposition

Etablir une banque de donnée nationale indiquant pour chaque village si une procédure de zonage, d’allocation ou d’immatriculation est en cours, les étapes déjà effectuées, celles à effectuer et les problèmes en suspens.

Constat

Toutes les études menées au cours des dernières années montrent que l’allocation foncière possède au mieux un impact très faible sur l’amélioration des conditions de vie dans les régions rurales et au pire une responsabilité directe dans leur dégradation. Elles montrent également que cette deuxième tendance est malheureusement la plus fréquente, particulièrement dans les régions du Nord et qu’elle s’accompagne de défrichements illégaux non pris en compte par les statistiques du SCREC. Les photographies prises par satellite indiquent que l’allocation foncière n’a pas réussi pour l’instant à empêcher la réduction des surfaces concernées par l’agriculture sur brûlis. L’accent est mis sur la protection des forêts et la réduction des espaces disponibles pour l’agriculture itinérante sans considération pour l’évolution du niveau de vie des agriculteurs et leur sécurité alimentaire, qui repose à la fois sur la diversité des cultures que permet l’essart (contrairement à la rizière) et sur l’accès aux produits forestiers non ligneux.

Propositions

La mise en place d’indicateurs fiables sur les conditions de vie des villageois (et notamment le degré de sécurité alimentaire) permettrait de mieux anticiper les problèmes causés directement ou indirectement par l’allocation des terres et de réduire l’écart existant entre les statistiques officielles, qui annoncent fièrement la réduction massive des espaces concernés par le brûlis, et les situations observées sur le terrain. Cela permettrait également de former les administrateurs locaux à ce type d’enquête et leur donnerait une marge de manœuvre plus importante vis-à-vis des objectifs irréalistes donnés par les provinces. La mise en place de tels indicateurs devrait s’inspirer de l’expérience accumulée par certains projets étrangers particulièrement réussis (projets AFD à Sayanbouri et Phongsali notamment)...Chacun de ces projets a développé une méthodologie basée notamment sur la prise en compte d’indicateurs socio-économiques pour la mise en œuvre et le suivi. Si les données collectées indiquent une dégradation des conditions de vie, les autorités locales doivent en rechercher les causes et stopper pendant ce temps la procédure LA/LUP.

D’autre part, il apparaît indispensable d’assouplir au plus vite la législation concernant les forêts en régénération et d’autoriser les villageois, au moins dans un premier temps, à conserver des cycles de jachère suffisamment longs pour ne pas mettre en péril leurs conditions de vie. L’introduction de cultures sédentaires (vivrières ou commerciales) devrait être testée en parallèle et généralisée seulement lorsque elle a fait les preuve de sa pérennité et de sa rentabilité pour les habitants. Si, par des techniques agricoles sédentaires, ceux-ci parviennent à améliorer leur niveau de vie, les autorités n’auront alors aucun mal à faire accepter une réduction des surfaces autorisées pour le brûlis, puisque celles-ci ne seront plus utilisées, ou dans des proportions bien moindres que par le passé. En d’autres termes, une solution viable doit être trouvée et appliquée avant de réduire les surfaces disponibles mais dans la grande majorité des cas aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. Par ailleurs, il apparaît que le zonage des espaces agricoles (LUP) peut constituer une solution intermédiaire satisfaisante, permettant de régler les éventuels conflits de frontières villageoises: l’allocation foncière proprement dite peut très bien quant à elle être mise en œuvre plus tardivement, une fois que les conditions locales s’y prêtent.

Constat

Le caractère peu participatif des procédures LA/LUP est fréquemment mentionné comme une cause de la méfiance ou du désintérêt des villageois. Il apparaît que la participation des villageois n’est sollicitée qu’au moment du recueil des données et qu’ils ne sont pas associés lors des étapes ultérieures. Par ailleurs, il semble d’après les sources consultées que les fonctionnaires du DAFO essayent de conclure la procédure en une seule fois et le plus vite possible.

Propositions

Les différentes étapes de la procédure LA/LUP devraient être regroupées en plusieurs modules indépendants en s’inspirant par exemple de la méthodologie développée par le HPSPSPP dans la province de Samneua, ce qui permettrait une plus grande souplesse.

Par ailleurs, il semble indispensable de mieux prendre en compte les savoirs villageois dans le domaine par exemple de la classification des sols ou des forêts. Ainsi, l’expérience menée par le LSUAFRP sur les taxinomies villageoises des sols a permis une meilleure communication avec les villageois et a facilité le travail des vulgarisateurs agricoles. Ce type d’expérience devrait être menée également dans le domaine forestier de façon systématique quel que soit le groupe ethnique d’appartenance.

Enfin, il semble indispensable que, lors de l’établissement de la carte du finage villageois, une formation soit dispensée concernant la représentation de l’espace en deux dimensions, afin de donner aux villageois les instruments conceptuels suffisants pour participer efficacement à la procédure de zonage et d’immatriculation.

Constat

L’impact de la réforme foncière ne pourra être amélioré que si sa mise en œuvre intègre la problématique des déplacements de populations, planifiés ou spontanés. L’arrivée d’immigrants se traduit généralement par de nouveaux arrangements sur le plan foncier, et par un besoin accru de terres cultivables. Elle peut également entraîner des conflits entre les villages en croissance démographique et leurs voisins ou bien à l’intérieur même de la localité concernée. Elle peut également générer de nouveaux déplacements, soit de populations immigrantes n’ayant pas réussi à se fixer, soit de populations autochtones qui vendent leurs terres et partent s’installer sur un nouveau site.

Propositions

Aucun village ne devrait être concerné par une procédure de zonage ou d’allocation si des arrivées de nouvelles familles sont prévues par les autorités du district. De ce point de vue, il est indispensable que se mette en place une collaboration plus étroite entre les services locaux du MAF et les bureaux des chefs de district ou des gouverneurs.

Par ailleurs, il serait plus que souhaitable que les déplacements de populations montagnardes cessent et que soient envisagées des solutions alternatives pour le développement des villages en altitude. Dans bien des cas, il suffirait de construire quelques petites pistes muletières pour améliorer l’accessibilité des villages les plus reculés et ainsi pouvoir y mettre en œuvre la réforme foncière sans nécessairement bouleverser de fond en comble les systèmes agraires existants.

L’aide internationale devrait de son côté prévoir d’affecter un pourcentage substantiel de ses crédits à des actions de développement en altitude afin d’encourager les administrateurs locaux à trouver des solutions alternatives au déplacement. Trop souvent en effet, les autorités locales déplacent des villages sur des sites non aménagés puis demandent aux projets étrangers d’aider les migrants.

Les déplacements spontanés constituant une proportion importante des mouvements actuels de population, ils ne peuvent tous être anticipés. C’est pourquoi il est crucial que soit mise en place une procédure efficace et uniforme de suivi des transactions foncières et des arrangements inter-villageois concernant l’usage des terres et des forêts.

Allocation foncière: résumé des problèmes identifiés et des propositions

Problèmes

Commentaires

L’allocation foncière est effectuée trop rapidement et de façon trop rigide

Souvent entre 5 et 14 jours seulement et en une seule fois. Si les objectifs ne sont pas atteints, la pression retombe sur les fonctionnaires du district

Réduction des espaces disponibles et dégradation des conditions de vie

Elle est présentée comme un élément positif mais possède un effet désastreux sur les conditions de vie des villageois. Des terres sont disponibles et pourraient être affectées aux habitants à condition de réduire les surfaces forestières “en régénération”.

Monitoring effectué au niveau individuel et de façon essentiellement coercitive

Plus de participation, se focaliser au niveau villageois. Il est indispensable de mettre à jour les TLUC et de les faire évoluer vers une forme plus définitive.

Pas de classement approprié pour les documents. Pas de suivi des transactions.

Il s’agit d’un aspect capital pour le futur de la réforme. Une procédure uniforme d’enregistrement et de suivi devrait être mise en place.

Pas d’évaluation adéquate des résultats

Evaluation essentiellement quantitative, et les conditions de vie ne font l’objet d’aucune enquête. Améliorations proposées au niveau central ne sont pas communiquées au niveau provincial. Nécessité de mettre au point une série d’indicateurs sociaux pour suivre l’impact de l’allocation des terres.

Le chef de village joue un rôle déterminant dans l’enregistrement des transactions, la résolutions des disputes et l’information juridique.

Formations spécifiques dispensés aux chefs de village et à leurs adjoints.

L’allocation foncière est effectuée sans concertation avec les plans de déplacements de villages élaborés par l’administration.

Renforcer la collaboration des différentes institutions concernées au niveau des provinces et des districts.

Les déplacements de villages annulent les effets bénéfiques de l’allocation foncière et rendent celle-ci inapplicable

Stopper les déplacements de populations montagnardes vers les vallées. Affecter une partie des sommes de l’aide au développement des villages en altitude.

Immatriculation foncière: résumé des problèmes identifiés et des propositions

La procédure d’adjudication ne tient pas compte des titres temporaires (TLUC) précédemment émis dans certaines zones

Prévoir un processus légal de conversion des TLUC en titres permanents. Ajuster les procédures suivies par le MoF et celles du MAF.

Les populations réfugiées ou déplacées en zone périurbaines et installées sur des terres publiques au cours des dernières décennies ne peuvent sécuriser leurs droits.

Procéder aux adjudications systématiques en priorité auprès de populations socialement fragilisées.

La documentation sur les systèmes fonciers coutumiers des groupes ethniques est quasiment inexistante.

Conduire des études sur les systèmes fonciers des groupes montagnards en prenant soin d’insister autant sur les relations entre groupes que sur les règles coutumières propres à chacun d’entre eux.

Le chef de village joue un rôle déterminant dans l’enregistrement des transactions, la résolutions des disputes et l’information juridique.

Formations spécifiques dispensés aux chefs de village et à leurs adjoints.


[13] L'article 35 de la loi sur la forêt de 1996 met en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant de ne pas couper les arbres sur les jachères de cinq années et plus. L'article 20 indique lui que les forêts de régénération deviennent ensuite des forêts "de protection" ou des forêts de "conservation".
[14] Dans le district de Phonexay (province de Louang Prabang), 161 variétés de NTFP on été recensées et classées en 4 catégories: économique (38 produits identifiés), alimentaire (50), médical (61), domestique (12). Dans le district de Namo (province d'Oudomxay) les équipes de Nafri ont recensé 76 variétés dont 27 à usage économique, 27 à usage alimentaire, 6 à usage domestique et 16 à usage médical.
[15] L'unité socio-économique de NAFRI réalise des études de suivi dans plusieurs villages du Nord-Laos concernés par l'allocation des terres. Les rapports rédigés à la suite des missions de terrain portent autant sur les effets négatifs des relocalisations et des regroupements de villages que sur l'allocation des terres stricto sensu.
[16] Les raisons invoquées pour les déplacements: villages situés sur des zones cruciales d'un bassin versant; opium; implantation d'activités de développement trop difficile; villages situés en dehors des ZPD; population inférieure à 50 familles. Concernant ce dernier point, l'argument apparaît spécieux: 17 villages sur les 35 qui doivent être déplacés par le district de Phonesaï sur la période 2001-2005 sont composés de 50 familles ou plus (LSUAFRP 2002: 3-4).
[17] Certains villageois de Huay Maha bénéficiaient par exemple d'un système d'adduction d'eau dans leur village d'origine.
[18] Seules 37% des maisons enquêtées sont installées depuis plus de trente ans et 25% d'entre elles occupent leur parcelle depuis moins de dix ans.
[19] L'immatriculation transforme la terre en garantie bancaire et, lorsque les populations ont peu d'expérience de ce type de procédure, ou bien lorsqu'elles ont besoin d'argent sur le champ, elles peuvent être amenées à vendre leur terre sans saisir pleinement les implications de cet acte. Les moins bien informés et les plus vulnérables risquent alors de ne pas profiter du nouveau système et même de se trouver dans une situation plus difficile que par le passé, d'où l'importance des activités de vulgarisation et d'information mises en place avant l'immatriculation foncière.
[20] La seule etude réalisée pour l'instant dans le cadre de ce projet (Existing Land Tenure and Forest Lands Study, Lao Consulting Group, Land Tilting Project, Avril 2002, 109p) constitue un premier effort dans cette direction mais ses résultats sont très limités. Seuls trois groupes sont étudiés (Lao, Khmou et Hmong) and le texte contient de nombreuses approximations et generalisations abusives (par exemple le terme Khmou est utilisé pour désigner l'ensemble des groupes mon-khmer - ou Lao Theung - du Laos).
[21] Le système d'organisation sociale des Lao a parfois été quelque peu idéalisé, ou caricaturé, dans certains rapports écrits pour le Land Titling Project. Dans l'un des plus anciens (Sandbergen & al. 1997: section 1.5) on peut ainsi lire "for the majority of certain Lao Lum groups the issue of land rights has been a very unique and special one as kinship and inheritance patterns are matrilineal and bi-lateral, and residence patterns mainly matrilocal". Au fil des approximations et des exagérations, un mythe de la matrilinéarité et de la matrilocalité des Lao s'est développé et constitue aujourd'hui un élément récurrent des discussions sur la problématique "gender" au Laos. Il est vrai que les Lao, contrairement aux groupes montagnards, possèdent un système de filiation bilinéaire, c'est à dire dans lequel les deux branches, paternelles et maternelles, possèdent un poids égal (système de filiation bilinéaire, ou cognatique). L'héritage, notamment les terres, est transmis à part égale entre tous les descendants, avec une part supplémentaire pour celui restant après son mariage dans la maison de ses parents. Traditionnellement, ce rôle revient à la fille cadette qui hérite donc d'une part plus importante que ses frères et sœurs. Par exemple, si la famille compte quatre enfants, la sœur cadette restant vivre chez ses parents même une fois mariée (mariage matrilocal) héritera de 50% des biens. Il est donc totalement excessif de parler d'une société "matrilinéaire" (la filiation par la mère n'a pas plus d'importance que la filiation par le père), ou "matrilocale" (la plupart des enfants résident une fois mariés dans leur propre maison). Il existe simplement au sein de cette société une inflexion matrilinéaire en ce qui concerne la transmission des biens, et notamment des terres.
[22] Quatre phases depuis cette date pour un budget total de 183 millions de dollars

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