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Chapitre 1
Introduction

L'OBJET ET LA PORTEE DE CE BULLETIN

Ce bulletin remplace en réalité l'excellent ouvrage épuisé il y a longtemps, intitulé "Machines Elévatoires pour l'irrigation" d'Albert Molenaar, publié par la FAO en 1956 [1]. Depuis cette date, c'est-à-dire près d'une génération déjà l'espèce humaine a presque doublé de population. Au cours de cette même période relativement courte, la consommation du pétrole, notre source principale d'énergie, a été pratiquement le double de toute la consommation du pétrole d'avant 1956. Cependant il y a eu aussi en même temps une sensibilisation beaucoup plus importante des problèmes qui doivent nous contraindre à procéder à des changements technologiques.

Le présent ouvrage vise essentiellement à fournir les éléments de base pour la comparaison et le choix parmi toutes les options actuellement disponibles, ou bien parmi celles qui le seront dans un proche avenir pour le relèvement des eaux d'irrigation des petites et moyennes exploitations agricoles (en général d'environ 0.25 à 25 ha ). Les petites exploitations agricoles de cet ordre de grandeur sont très courantes dans la plupart des pays en voie développement. L'extension des irrigations des petites et moyennes exploitations pourrait être extrêmement bénéfique aux niveaux de l'augmentation de la production alimentaire et du relèvement du bien être économique. Nous espérons aussi que le présent ouvrage serait également bénéfique à tous ceux qui s'intéressent aux techniques d'élévation de l'eau à d'autres fins que l'irrigation.

L'IMPORTANCE ACCRUE DE L'IRRIGATION

L'eau a toujours été un besoin essentiel de l'être humain. D'ailleurs la première préoccupation de toute collectivité à toujours été la recherche d'un accès facile à cette ressource. D'une manière précise l'irrigation des terres pourrait apporter des avantages considérables, à savoir:

Le problème de la nourriture adéquate de l'espèce humaine en constante et rapide augmentation est devenu de plus en plus complexe. Or, on ne connaît pas à l'heure actuelle une technique permettant l'augmentation de la production agricole autre que celle fondée sur l'utilisation rationnelle des intrants agricoles: semence, eau, et engrais. Dans les deux prochaines décennies, on s'attend à ce que près du trois quart de l'accroissement global de la production des principales denrées de base résulterait de l'amélioration du rendement agricole. Dans la dernière décennie 50% seulement de l'accroissement de la production agricole était dû à l'amélioration du rendement des cultures [2]. En effet, les régions du monde à forte densité de population disposent de moins en moins de terres fertiles qui n'ont pas encore été cultivées. L'irrigation des cultures est donc un des principaux moyens à mettre en pratique pour augmenter la superficie des terres cultivées et pour accroître la productivité des terres agricoles existantes. Par conséquent, l'irrigation va prendre de l'essor à la fois pour accroître le rendement des terres déjà cultivées, ainsi que pour permettre la culture de. terres encore classées comme marginales ou bien sans valeur agricole.

Le Tableau 1 indique les surfaces irriguées dans les différentes régions du monde [3], et dans les principaux pays en voie de développement qui pratiquent actuellement l'irrigation. La plupart des terres mise sous l'irrigation depuis 1972 se trouvent essentiellement dans les pays où l'irrigation était déjà dans les traditions. Il y a très peu de pays qui possèdent d'importantes superficies irriguées. Les deux pays les plus peuplés, la Chine et l'Inde, totalisent sur leurs territoires près de la moitié de la superficie totale des terres irriguées dans le monde. Ces deux grands pays surpeuplés devront encore oeuvrer à accroître encore plus la superficie de leurs terres irriguées afin d'améliorer leur production alimentaire. Tandis que les autres pays qui font face actuellement à des pressions démographiques similaires, devront peut-être suivre l'exemple de la Chine et de l'Inde pour résoudre leurs problèmes d'alimentation.

L'IRRIGATION ET LA CRISE DE L'ENERGIE

La présence simultanée de l'eau et des terres fertiles est généralement très courante, mais la contrainte principale c'est d'assurer l'énergie nécessaire au pompage. L'énergie musculaire de l'homme ou des animaux de trait a été utilisée depuis l'antiquité pour le relèvement et la distribution de l'eau, et elle l'est encore dans plusieurs pays. Mais comme nous allons le voir par la suite, ces techniques sont dans la plupart des cas extrêmement coûteuses en termes réels du fait de leurs faibles rendements. Il est donc de plus en plus important de recourir à l'élévation mécanique de l'eau afin de répondre aux besoins futurs de plus en plus grandissants.

La superficie des terres irriguées dans le monde a augmenté dans une proportion de 70% au cours de la période de 1952 à 1972 [3]. Ce développement avait été dû principalement à l'utilisation des pompes à moteur thermique ou électrique au cours de cette période où les prix du carburant et de l'électricité ont été relativement bas (en termes réels). Cependant, comme le prix du pétrole, et par suite de l'électricité, n'avait cessé d'augmenter, les bénéfices que les agriculteurs auraient pu tirer de l'irrigation ont nettement baissé, car les prix des denrées alimentaires n'augmentent pas généralement avec le même rythme que la hausse des prix de l'énergie. Certains gouvernements s'emploient à remédier à cette situation en subventionnant la consommation de pétrole et de l'électricité destinée à l'irrigation en milieu rural. Malheureusement, la plupart de ces gouvernements n'ont pas les moyens d'une telle politique. Il en résulte un déséquilibre très grave dans la balance des paiements du fait de l'utilisation intensive du pétrole bon marché.

TABLEAU 1
Superficie des terres irrigu
ées dans le monde (1972)

Régions et principaux pays d'irrigation

Superficie irriguée
millions d'hectares
(Mha)

% du total

ASIE DU SUD & SUD-EST

132

66

 

Chine

74

 
 

Inde

33

 
 

Pakistan

12

 
 

Indonésie

4

 
 

Taiwan

2

 
 

Thaïlande

2

 

AMERIQUE DU NORD

17

9

EUROPE

13

7

MOYEN-ORIENT

111

5

 

Irak

4

 
 

Iran

3

 
 

Turquie

2

 

URSS

10

 

AFRIQUE

7

3

 

Egypte

3

 
 

Soudan

1

 

CARAÏBES ET MARIQUE CENTRALE

5

2

 

Mexique

4

 

AMERIQUE DU SUD

4,5

2

 

Argentine

1,2

 
 

Chili

1,3

 

AUSTRALIE-PACIFIQUE

1,4

1

TOTAL MONDIAL

201,9

100

Malgré les fluctuations actuelles des prix des produits pétroliers, les moteurs diesel ou électriques sont appelés à être de plus en plus utilisés à plus long terme. Cependant il faut être à même de pouvoir assurer les travaux d'entretien importants de ces moteurs.

Les pays en voie de développement ont donc tout intérêt à limiter l'utilisation des produits pétroliers, malgré la forte nécessité d'accroître la production agricole, souvent en intensifiant l'irrigation par pompage. Il s'avère donc de plus en plus nécessaire de trouver des modes d'alimentation des pompes d'irrigation moins tributaires des produits pétroliers ou de l'électricité.

L'IRRIGATION A PETITE ECHELLE ET LE DEVELOPPEMENT

L'irrigation intensive des petites exploitations agricoles est sans doute appelée à prendre de plus en plus d'importance et à se généraliser au cours des prochaines décennies, particulièrement dans les pays en voie de développement. En effet, la grande majorité des exploitations agricoles, surtout en Asie et en Afrique est de taille inférieure à 2 ha [4]. Même en Amérique du sud, où la majorité des exploitations sont de grandes taille, un pourcentage important des exploitations est d'une superficie inférieure à 5 ha.

L'expérience a montré que la productivité des petites exploitations dépasse souvent, en termes de rendement par hectare, celle des grandes propriétés. D'après une étude faite aux Indes [5], les petites exploitations agricoles familiales ont été systématiquement plus productives que les grandes exploitations, bien qu'elles soient plus exigeantes en main-d'oeuvre. Une étude similaire menée au Brésil [5] a également mis en évidence la meilleure utilisation des terres propre aux petites exploitations. Ce résultat a néanmoins été obtenu grâce à une main-d'oeuvre par hectare 5 à 22 fois supérieure à celle des grandes exploitations.

D'autre part, les petites exploitations ont un meilleur rapport énergétique que les grandes, i.e le rapport de la valeur énergétique de la production culturale à l'énergie nécessaire à sa production. Les rapports énergétiques propres à l'agriculture tropicale de subsistance et de semi-subsistance sont de l'ordre 10 à 60, autrement dit la valeur énergétique du produit alimentaire obtenu est 10 à 60 fois supérieure à l'apport d'énergie nécessaire à sa culture [4]. Par contre, l'agriculture mécanisée à grande échelle qui est le plus souvent financièrement plus rentable, a un rapport énergétique qui varie normalement entre 4 et 1. Par conséquent, lorsque le fuel commercial devient de plus en plus rare et cher, il est plus économiquement faisable d'accroître la production alimentaire en améliorant la productivité des petites exploitations agricoles. Ces exploitations sont à forte demande en main-d'oeuvre, et elles ont le potentiel de produire la plupart des denrées alimentaires avec des ressources limitées en terre et en énergie.

L'irrigation à petite échelle s'est avérée être un excellent moyen pour alléger la pauvreté. Par exemple, l'introduction de l'irrigation pourrait doubler les besoins de main-d'oeuvre par hectare [5], et accroître ainsi les revenus non seulement des exploitants, mais aussi des travailleurs dépourvus de terres. La même source donne certaines indications sur l'augmentation du rendement de l'agriculture irriguée par rapport à l'agriculture non irriguée. Ces augmentations ont atteint 469% au Cameroun, 75% en Corée, 90% en Malaisie et 98% en Uttar Pradesh (Inde). En Malaisie, l'augmentation du revenu des ouvriers agricoles du fait de l'introduction de l'irrigation a atteint en moyenne 127%.

Enfin, il y a de fortes chances de réaliser une augmentation substantielle du rendement avec l'irrigation des petites propriétés qu'avec les grandes. Par exemple, le rendement moyen à l'hectare des rizières dans les pays les plus pauvres de l'Asie du sud et du sud-est est généralement de 2t/ha, alors qu'au Japon, avec les techniques modernes de l'irrigation à petite échelle et de la mise en valeur des terres, le rendement atteint facilement 6t/ha. [7] . La banque asiatique de développement prévoit un doublement de la production de riz par hectare dans les quinze années à venir [7]. Bien entendu, l'irrigation n'est pas le seul facteur permettant d'obtenir de tels résultats, néanmoins il est sans doute le facteur clé.

CHOIX DE LA TECHNIQUE D'EXHAURE DES EAUX

II y a bien sûr plusieurs techniques d'élévation de l'eau faisant appel à la force humaine ou animale. Certaines d'entre elles peuvent être considérées meilleures que d'autres selon les cas. Bien que le choix de la source d'énergie ou de la force motrice soit d'une importance capitale, il n'en demeure pas moins que le choix du mode d'adduction d'eau et des techniques de distribution à la parcelle a la même importance sur l'efficacité globale (sur les plans techniques et économiques) des systèmes d'irrigation. En fait, l'optimisation du choix d'une technique de distribution d'eau est primordiale surtout lorsqu'on utilise des systèmes à source d'énergie renouvelable, dont le coût est directement lié à la puissance nominale; il faut donc choisir le système à puissance de fonctionnement minimum.

Avant de rechercher des techniques d'élévation radicalement nouvelles, il y a beaucoup à faire afin d'améliorer les techniques traditionnelles et classiques de pompage ainsi que les méthodes de distribution d'eau. Par exemple, dans certains cas les moteurs diesel utilisés sont mal adaptés aussi bien à la pompe qu'aux réseaux d'adduction et de distribution de l'eau, ce qui est à l'origine d'un important gaspillage du carburant.

Le grand choix de techniques disponibles en matière de source d'énergie de pompage comprend aussi bien des techniques traditionnelles, telles les éoliennes, et certaines nouvelles technologies tirant leur essor des progrès technologiques récents, comme les pompes alimentées par les piles solaires photovoltaïques. De plus, certaines technologies sont couramment adoptées dans certaines régions et ignorées dans d'autres ayant les mêmes conditions physiques. A titre d'exemple on peut citer la turbopompe hydraulique qui est seulement utilisée par dizaines de milliers en Chine. Il existe par ailleurs quelques options nouvelles intéressantes (certaines ne sont pas si nouvelles), qui sont encore au stade d'essai mais qui pourraient très prochainement être commercialisées, notamment les pompes à vapeur, les pompes à moteur Stirling et les gazogènes pour l'alimentation de moteurs à combustion. Toutes ces options pourraient produire de l'énergie de pompage à partir de résidus agricoles ou de la biomasse, et peut être un jour même à partir des cultures énergétiques, qui pourraient avoir un rôle prédominant face au pétrole qui se fait de plus en plus rare et coûteux.

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