La situation des forêts du monde 2022

Chapitre 5 Les petits exploitants, les communautés locales et les peuples autochtones ont un rôle crucial à jouer dans le développement des solutions forestières à une échelle plus grande

5.3 Au niveau local, le renforcement des groupes de producteurs locaux permet de mobiliser les acteurs à petite échelle pour la relance et le développement

Les réformes politiques et législatives ont un rôle important à jouer dans la sécurité foncière des acteurs locaux. La relance et le développement d’économies locales résilientes supposent des changements pour lesquels il faudra renforcer les groupes de producteurs locaux et autres groupes sociaux et les doter de moyens.

On compte plus de 8,5 millions d’organisations de coopération sociale sur la planète. Ces organisations représentent un capital social important et sont des tremplins pour la coopération et l’innovation

Les organisations de coopération sociale sont créées pour intervenir, par exemple, dans les domaines de la gestion des terres, de l’eau, des pâturages, de la lutte intégrée contre les organismes nuisibles, des services d’appui et des plateformes d’innovation. À l’échelle mondiale, leur nombre est passé de 500 000 en 2003 à 8,5 millions en 2018 (dans 55 pays)488.

Trois grands types d’organisation de coopération sociale interviennent dans la gestion des forêts. Le premier réunit des entités telles que les comités de gestion des forêts communautaires, les groupes d’utilisateurs communautaires des forêts, constitués pour protéger les droits des utilisateurs, et les associations et coopératives de producteurs créées pour fournir des services commerciaux et financiers à leurs membres. Sous l’impulsion des réformes de la politique forestière introduites au début des années 1990, ces groupes ont gagné en importance dans de nombreux pays. Quelque 30 000 groupes d’utilisateurs des forêts ont été constitués au Mexique489. En République démocratique du Congo, depuis la signature en 2014 d’un décret sur les forêts communautaires, 109 comités de gestion des forêts communautaires sont entrés en activité; ils gèrent à l’heure actuelle 2,05 millions d’hectares de forêt. En République-Unie de Tanzanie, 45,7 pour cent des terres forestières appartiennent aux communautés, dont 20 pour cent dans le cadre d’accords de gestion communautaire; 9,8 pour cent environ de la population rurale participe à la gestion communautaire des forêts et 8,4 pour cent à la gestion conjointe des forêts. En Indonésie, des réformes stratégiques visent actuellement à développer l’exploitation sociale des forêts, afin de soutenir les droits des communautés sur celles-ci, qui concerne actuellement moins de 1 pour cent des forêts (soit 1,1 million d’hectares), à plus de 10 pour cent (12,7 millions d’hectares) des ressources forestières du pays490. Les organisations sociales axées sur la forêt sont également courantes dans beaucoup de pays industrialisés: ainsi, près de la moitié des 240 000 propriétaires de forêts suédois appartiennent à une association de propriétaires de forêts, pour un total de 6,21 millions d’hectares.

Une deuxième catégorie d’organisations de coopération est liée aux mouvements sociaux. En Colombie, au Nicaragua et au Pérou, par exemple, ces organisations ont déjà contribué à faire modifier la loi de manière à renforcer les droits et à supprimer les obstacles réglementaires491. De plus en plus souvent, les fédérations et les organisations de producteurs dans les secteurs forestier et agricole, en Gambie, au Guatemala et au Népal, notamment, plaident pour des réformes en faveur des acteurs locaux492, 493. Au Népal, la Fédération des utilisateurs communautaires des forêts, qui a été fondée en 1995 et réunit aujourd’hui quelque 8,5 millions d’utilisateurs, est devenue un acteur politique puissant qui défend et qui promeut les droits des communautés et des utilisateurs des forêts dans le cadre de la gouvernance des ressources naturelles494. Récemment, des fédérations d’organisations de producteurs dans les secteurs forestier et agricole ont utilisé leur capacité d’action collective pour atténuer les effets de la pandémie de covid-19 sur les communautés forestières et les organisations de producteurs. Des études de cas menées à la mi-2021 montrent que les organisations de producteurs des secteurs forestier et agricole ont joué un rôle crucial en Bolivie (État plurinational de), en Équateur, au Ghana (voir l’encadré 31), à Madagascar et au Népal495.

Encadré 31Fédération de producteurs des secteurs agricole et forestier au Ghana

La Fédération ghanéenne des producteurs des secteurs forestier et agricole (GhaFFaP) a été créée en 2020 avec l’appui du Mécanisme forêts et paysans. Elle rassemble déjà plus d’un million de petits producteurs. GhaFFaP a mis au point quatre initiatives stratégiques: 1) une série de dialogues nationaux (concernant l’accès au financement et au marché); 2) la transformation financière durable des organisations de producteurs des secteurs forestier et agricole à l’aide d’un système d’épargne et d’emprunts au niveau des villages; 3) l’initiative Green Ghana, en faveur de campagnes environnementales et de territoires intégrés; et 4) l’initiative Charcoal Producers in Forest Landscape Restoration pour encourager la production durable de charbon de bois. GhaFFaP est en outre présente dans des instances multi-acteurs mondiales et dans des partenariats nationaux, afin de faire entendre la voix des producteurs locaux aux niveaux national et international.

SOURCE: FAO.

L’émergence d’approches qui se situent au niveau des subdivisions administratives a fait apparaître un troisième type d’organisation de coopération sociale, à savoir des organisations qui prônent des solutions inclusives contre la déforestation et la dégradation des forêts. Ces approches associent à l’échelle locale des mesures publiques et privées pour relever les défis au niveau des territoires et des chaînes de valeur. Fruit des efforts et des financements liés à REDD+, elles visent à rassembler les pouvoirs publics, les entreprises, les organisations non gouvernementales, les communautés locales et d’autres parties prenantes autour d’objectifs communs de conservation et de développement des chaînes de valeur dans des conditions durables, au niveau politique local (où sont prises la plupart des décisions concernant l’utilisation des terres). Une étude menée par Stickler et al. (2018) a répertorié 39 subdivisions administratives (dans 12 pays), représentant 28 pour cent des forêts tropicales de la planète, qui se sont engagées à mettre en œuvre des programmes de développement à faibles émissions, sur les territoires relevant de leur compétence496. Sur la totalité des initiatives analysées, 19 subdivisions administratives avaient réduit leur taux de déforestation par rapport aux niveaux de référence forestiers projetés au niveau infranational497. Divers projets et initiatives visant à mettre en œuvre REDD+ et à favoriser un développement intégré et la durabilité des territoires se réclament à présent d’approches situées au niveau des subdivisions administratives. La stratégie de croissance verte de l’État brésilien du Mato Grosso, par exemple, fait appel à une collaboration entre les pouvoirs publics, les entreprises et la société civile pour atteindre l’objectif de déforestation zéro et faire cesser la dégradation des forêts. Cette stratégie, qui se décline en trois volets «produire, protéger, inclure» vise à augmenter la production de produits agricoles, à préserver les ressources naturelles (notamment en éliminant environ 6 Gt de GES d’ici à 2030) et à inclure les petits exploitants et les peuples autochtones dans le développement économique498. On trouve des initiatives similaires privilégiant l’action collective en Indonésie et en Malaisie. La Coalition pour des moyens de subsistance durables, par exemple, a été mise en place en septembre 2018 dans le nord de Sumatra et à Aceh, en Indonésie; et certaines des plus grandes entreprises alimentaires du monde en font partie499.

Les organisations de producteurs locaux et autres groupes de coopération sociale sont essentiels pour les trois solutions forestières mais il faut un accompagnement. Les investissements dans le capital social que représentent ces groupes tendent à augmenter le niveau d’appropriation locale par les membres, permettent aux initiatives de se poursuivre lorsque l’appui externe prend fin, et produisent des résultats positifs sur l’état des forêts et les moyens de subsistance. Certains gouvernements ont mis en place des programmes financiers et des politiques qui ciblent les petits exploitants, les communautés locales et les peuples autochtones. Ces programmes et ces politiques peuvent servir de modèles pour des applications dans d’autres contextes. Au Guatemala, les pouvoirs publics ont investi plus de 215 millions d’USD sur dix ans pour aider les petits exploitants à créer des forêts de plantation à petite échelle, à mettre en place des systèmes d’agroforesterie et à gérer durablement les forêts (voir l’encadré 32). En Équateur, le programme public Socio Bosque fait des versements en espèces aux communautés forestières pour la gestion durable des forêts et les services écosystémiques, ce qui donne des résultats positifs sur le plan social et environnemental, avec notamment la réduction de la déforestation, la restauration des écosystèmes et la hausse des revenus locaux. Autre exemple, le programme chinois Grain for Green (voir l’encadré 33) qui s’applique à toute une série de territoires et allie des objectifs synergiques de réduction de la pauvreté, de protection sociale et d’exploitation forestière, tant pour les acteurs locaux que pour ceux du secteur public, montre que tirer parti du capital social peut être source de multiples avantages. Le Réseau international de forêts modèles est une initiative internationale qui vise à promouvoir le développement fondé sur les forêts par des investissements dans le capital social local (voir l’encadré 34).

Encadré 32Investir dans la gestion des forêts par les petits exploitants au Guatemala – une solution pour l’économie verte et la relance verte en zone rurale

En 2010, le Congrès guatémaltèque a créé le Programme d’incitations en faveur des petits propriétaires de terres à vocation forestière ou agroforestière (PINPEP) afin de permettre aux petits exploitants de participer à la gestion durable des forêts moyennant des paiements en espèces, de réduire la déforestation, d’augmenter le couvert forestier et de restaurer les zones dégradées tout en favorisant l’inclusion et en améliorant les conditions de vie des populations vulnérables. Le Programme permet aussi de prendre en compte les revendications des groupes habituellement marginalisés en ce qui concerne les droits fonciers et les droits de propriété, en particulier les petits exploitants, les communautés locales et les autochtones. Le Programme est devenu un outil précieux pour les partenariats public-privé; il stimule l’économie rurale et crée des synergies. C’est aujourd’hui l’un des outils financiers les plus importants du pays, qui permet de concrétiser les engagements liés à REDD+ et à la restauration des paysages. Les investissements qui ont été réalisés ont permis d’établir et de préserver plus de 139 000 hectares de forêts naturelles, de forêts de plantation et de systèmes d’agroforesterie; ils ont bénéficié à 300 000 ménages et créé en moyenne 5 900 emplois par an. Quarante-six pour cent des bénéficiaires étaient des ménages autochtones, dont 43,4 pour cent de femmes.

SOURCE: FAO.

Encadré 33Le programme chinois Grain for Green

Lancé en 1999, le programme Grain for Green (GGP) est le principal programme de restauration écologique en Chine; il vise à convertir les terres marginales et les terrains situés sur des pentes abruptes en forêts et en prairies afin de lutter contre l’érosion des sols et la désertification. Le programme GGP a permis de remettre en état 34,3 millions d’hectares de terres dégradées et de terres agricoles; il a permis de réaliser des progrès considérables sur le plan environnemental, d’augmenter les revenus des agriculteurs et de réduire la pauvreté. À l’échelle nationale, 41 millions de ménages ont participé au programme et 158 millions d’agriculteurs en ont directement bénéficié500. Le programme a mis en valeur le capital social local et favorisé la croissance endogène. Il a aussi renforcé l’autonomie des ménages participants grâce à des mesures spécifiques de protection sociale, telles que des subventions sous forme de semences et d’espèces, et une assistance technique501,502. Plus de 90 pour cent des ménages participants sont couverts par une assurance médicale de base et une pension de retraite503. Le programme a instauré un système d’enregistrement qui confirme les droits de propriété et d’utilisation des terres converties et des forêts plantées, ce qui permet aux ménages de percevoir des revenus par la vente de bois d’œuvre et la rémunération des services écosystémiques538. En association avec d’autres programmes de restauration écologique, le programme GGP a créé 21 000 coopératives pour la réduction de la pauvreté et le boisement, au profit de 1,2 million de pauvres504.

Encadré 34Le Réseau international de forêts modèles et le développement local fondé sur les forêts

Le Réseau international de forêts modèles est une initiative internationale relativement ancienne qui encourage le développement axé sur la forêt en prenant appui sur les dirigeants locaux et la gouvernance des territoires. Il s’agit d’une communauté de pratique volontaire qui regroupe 60 forêts modèles dans 35 pays du monde entier, pour une superficie totale de plus de 73 millions d’hectares. Les projets concernent aussi bien l’appui aux cultures vivrières locales, en lien avec les forêts, dans la forêt modèle de Chocó Andino en Équateur, que les labels locaux de bois durable, en Italie.

SOURCE: Réseau international de forêts modèles. Non daté. Landscapes, partnerships, sustainability [en ligne]. [Consulté le 11 novembre 2021]. https://imfn.net

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