La situation des forêts du monde 2022

Chapitre 2 Les forêts et les arbres fournissent des biens et des services écosystémiques indispensables mais ils sont sous-évalués dans les systèmes économiques

2.5 La dendroénergie et les produits forestiers non ligneux jouent un rôle très important pour la majorité des ménages ruraux

Environ 2,6 milliards de personnes utilisent du bois et d’autres combustibles traditionnels pour faire la cuisine

Le bois de feu est potentiellement une source d’énergie renouvelable et neutre en carbone, qui a incontestablement un rôle important à jouer dans la couverture des besoins futurs en énergie. Toutefois, les combustibles ligneux ont aussi des effets négatifs importants, en particulier dans les pays en développement. Le bois est un combustible abordable pour les personnes qui n’ont pas accès à d’autres sources d’énergie, mais son ramassage prend du temps, ce qui se traduit souvent par un immense coût d’opportunité, en particulier pour les femmes. Le recours massif aux combustibles ligneux traditionnels contribue fortement à la pollution de l’air intérieur, qui est le troisième facteur de risque en ce qui concerne la charge de morbidité à l’échelle mondiale72 et qui provoque, selon les estimations, entre 1,63 million et 3,12 millions de décès prématurés par an73. La consommation de ce type de combustible pourrait aussi être une menace pour les forêts de la planète, étant un facteur potentiel de déforestation et de dégradation74. En 2019, un tiers de la population mondiale (soit environ 2,6 milliards de personnes) utilisait des combustibles traditionnels tels que le bois, le charbon de bois et les résidus agricoles pour faire la cuisine. À eux deux, la biomasse et le charbon de bois représentaient cette année-là 88 pour cent environ des combustibles de cuisson traditionnels utilisés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire75. Si les pays se contentent d’adopter les politiques telles qu’elles se présentent à l’heure actuelle, près d’un tiers de la population mondiale ne sera toujours pas passée à une énergie propre pour la cuisson des aliments d’ici à 2030, et devra donc compter sur l’utilisation traditionnelle du bois de feu et d’autres types d’énergie provenant de la biomasse76. C’est en Afrique que la dépendance à l’égard des combustibles ligneux est la plus forte (elle concerne 63 pour cent des ménages; plus de 90 pour cent de tout le bois coupé en Afrique sert de combustible77), suivie par l’Asie et l’Océanie (38 pour cent) et l’Amérique latine et les Caraïbes (15 pour cent)78.

Étant donné la place considérable qu’occupent les combustibles ligneux dans divers secteurs et pour un si grand nombre de personnes, il est essentiel de disposer de données précises pour mieux saisir les tendances et pour que les décideurs soient mieux informés. La production et le commerce de granulés de bois, deux activités relativement bien documentées, sont associés à une part croissante de l’énergie dérivée du bois dans le bilan de la consommation finale d’énergie. En revanche, les données sont rares au sujet du ramassage informel de bois destiné à être utilisé comme combustible et de la production illégale de charbon de bois. Une comparaison entre les données existantes de FAOSTAT et les données tirées de travaux de recherche menés de manière systématique, pays par pays, dans 145 pays, suggère que la production de combustible ligneux par habitant en Afrique et en Asie sera revue à la hausse dans les modélisations futures.

Au moins 3,5 milliards de personnes utilisent des produits forestiers non ligneux

À l’échelle locale, l’utilisation des forêts et des terres boisées et de leur biodiversité à des fins de subsistance peut être plus importante pour la santé, l’alimentation, les moyens de subsistance et les cultures que ne l’est le commerce des produits. On estime, d’après des études empiriques récentes, que le nombre d’utilisateurs de produits forestiers autres que le bois d’œuvre (définis comme étant les matières organiques et organismes sauvages, indigènes ou non, autres que le bois d’œuvre de valeur, tirés d’un territoire ou d’un habitat) oscille entre 3,5 milliards (chiffre le plus bas) et 5,76 milliards de personnes (chiffre médian)79. En Europe, la valeur des produits forestiers prélevés dans le milieu naturel (y compris les produits commercialisés sur un marché formel ou informel et les produits autoconsommés) est estimée à 23,3 milliards d’euros par an, soit 71 pour cent de la valeur de la production annuelle de bois rond80.

Certains PFNL alimentent des secteurs d’activité, liés aux cosmétiques, à l’alimentation, à la santé et au bien-être, dont la valeur se mesure en millions voire en milliards de dollars, mais ces PFNL n’apparaissent pas toujours dans la comptabilité nationale car ils font partie de catégories qui englobent à la fois les produits prélevés dans la nature et les cultures. Par exemple, FAOSTAT81 contient des données sur la production et le commerce en ce qui concerne la noix du Brésil, fruit de Bertholletia excelsa, un arbre qui pousse dans tout le bassin amazonien. La noix du Brésil est récoltée en milieu naturel, principalement dans trois pays: la Bolivie (État plurinational de), le Brésil et le Pérou. En 2019, la valeur des exportations de noix du Brésil s’est élevée à 373 millions d’USD à l’échelle mondiale. FAOSTAT dispose aussi de données sur la production et le commerce des noix de karité (qui servent à produire le beurre de karité), fruits de Vitellaria paradoxa, un arbre présent du Sénégal à l’Ouganda. On suppose que la majorité des noix de karité utilisées pour confectionner du beurre de karité sont récoltées en milieu naturel. D’après les données communiquées par six pays d’Afrique de l’Ouest, 14 millions de tonnes de noix de karité ont été exportées au total de 2007 à 2017, mais il se pourrait que le volume des échanges soit en réalité plus important car d’autres pays exportent eux aussi des noix de karité, mais sous des codes commerciaux plus génériques. On estime que 60 à 90 pour cent des plantes médicinales qui font l’objet d’un commerce international sont prélevées dans la nature82.

Les espèces sauvages des forêts jouent un rôle important pour la sécurité alimentaire, en particulier dans les zones reculées des régions tropicales et subtropicales. La consommation de viande de brousse est estimée à 5 millions de tonnes, chaque année, dans le bassin du Congo et à 1,3 million de tonnes dans le bassin amazonien83, et couvre en moyenne 60 à 80 pour cent des besoins quotidiens en protéines84. Au Venezuela (République bolivarienne du), d’après une étude réalisée en 2012, la chasse pratiquée par les communautés autochtones sert principalement à assurer la subsistance, et représente 40 à 100 pour cent de la viande consommée85.

Les produits alimentaires d’origine animale ou végétale prélevés dans la nature peuvent permettre d’améliorer la qualité du régime alimentaire des consommateurs et procurer un revenu par le biais de la vente ou du troc. La production d’aliments issus de la flore et de la faune sauvages est difficile à mesurer pour plusieurs raisons, notamment l’absence d’unités de mesure standard, les décalages dans les périodes de récolte et le grand nombre d’espèces concernées. Améliorer les données sur la collecte et la consommation d’aliments prélevés dans la nature permettrait de mieux comprendre le rôle des forêts dans la diversité alimentaire sur le long terme et dans la sécurité alimentaire.

Dans beaucoup de pays tropicaux, les populations qui vivent à proximité de forêts tirent de celles-ci environ un quart de leurs revenus

Les forêts et les systèmes arborés peuvent contribuer directement et indirectement à l’emploi et aux revenus et atténuer les effets des chocs extérieurs86. Dans 24 pays tropicaux et subtropicaux d’Afrique subsaharienne, d’Amérique latine et d’Asie ayant fait l’objet d’une enquête, les forêts représentent 20 à 25 pour cent du revenu des ménages des communautés vivant à proximité des forêts, un chiffre comparable à la contribution de l’agriculture87. Selon une analyse comparative menée à l’échelle mondiale, 77 pour cent des ménages ruraux étudiés prélevaient des aliments dans la nature88. Dans le nord-est de l’Inde, plus de 160 espèces de plantes et de champignons sauvages, présentes sur les marchés locaux, et pour la plupart cueillies dans les forêts et les terres boisées, assurent à certains ménages jusqu’à 75 pour cent du total de leurs revenus; ces espèces jouent un rôle essentiel dans la sécurité des moyens d’existence89. Autour du Mont Cameroun, dans le pays éponyme, la collecte en milieu naturel de produits forestiers, à des fins alimentaires principalement, représente environ 41 pour cent des revenus à l’échelle locale (45 pour cent pour les espèces indigènes). Des ménages appartenant à toutes les catégories économiques s’adonnent à ces activités90.

Les forêts et les arbres occupent une place importante dans les valeurs et les traditions spirituelles et culturelles de nombreuses communautés, en particulier les peuples autochtones, et de nombreux individus91. Ces facteurs immatériels sont difficiles à mesurer, mais ils sont de toute évidence importants pour le bien-être humain.

Les forêts et les arbres sont des sources de nourriture, de fourrage, de combustible et d’autres produits qui peuvent être récoltés lors des périodes difficiles et soit consommés par les ménages soit vendus. Cela permet de faire la soudure entre deux campagnes ou entre deux années, qu’il s’agisse de la consommation ou des revenus, et ainsi de réduire le risque que les personnes pauvres s’enfoncent davantage dans la pauvreté et que celles qui ne le sont pas s’appauvrissent. Les forêts sont particulièrement importantes pour les pauvres vivant en milieu rural, qui, souvent, ne disposent pas d’autres formes d’assurance et de protection sociale et dont les moyens de subsistance sont vulnérables face à des chocs externes, comme la destruction de cultures par des animaux sauvages et les variations climatiques92. La gestion des risques est devenue plus importante en raison du changement climatique et d’autres chocs mondiaux, au rang desquels la pandémie de covid-19. De façon plus générale, la survie et la santé des forêts et d’autres systèmes arborés sont indispensables pour renforcer la résilience et conserver des moyens d’assurer de bonnes conditions de vie dans l’avenir.

Il est bien établi que les forêts et autres systèmes arborés contribuent à améliorer les conditions de vie des pauvres et à atténuer les risques, mais leur capacité à éliminer définitivement la pauvreté est beaucoup moins bien documentée. Les difficultés d’accès au crédit, aux transports, aux marchés, à la protection sociale et à d’autres services publics, mais aussi d’autres obstacles93, 94, l’absence de droits fonciers notamment, limitent le rôle que peuvent jouer les forêts à cet égard. L’accès aux nouvelles technologies peut apporter un réel changement: ainsi, au Ghana, l’adoption de techniques améliorées pour la fabrication du beurre de karité a permis aux femmes en zone rurale de gagner davantage, avec pour résultat une augmentation du revenu des ménages95.

Le bois à usage de combustible et les PFNL sont des ressources indispensables, notamment pour la sécurité alimentaire, mais on manque de données, aussi leur importance est-elle mieux appréhendée par les enquêtes auprès des ménages et les techniques d’évaluation. Des enquêtes socioéconomiques nationales sur les forêts96 ont été menées en Arménie, en Géorgie, au Libéria, à Sao Tomé-et-Principe et en Türkiye. En Türkiye, environ 50 pour cent des personnes interrogées dans les villages forestiers ramassaient des produits végétaux non ligneux comme le cynorrhodon, les pommes de pin et les champignons, et 44 pour cent environ cueillaient des plantes médicinales ou aromatiques comme le thym et la sauge. Au Libéria, une enquête a montré que, sur une période de 12 mois, 70 pour cent des ménages avaient collecté des produits forestiers pour les consommer ou en tirer un revenu (voir l’encadré 4). En Géorgie, 68 pour cent des ménages se servaient de combustible ligneux pour la cuisson des aliments, 80 pour cent pour le chauffage et 56 pour cent pour faire bouillir l’eau. À Sao Tomé-et-Principe, on a constaté que les ménages utilisaient des produits forestiers ou d’autres produits issus de la nature pour répondre à leurs besoins alimentaires pendant les mois d’insécurité alimentaire: plus de 90 pour cent des ménages ont déclaré que ces produits étaient importants ou très importants pour faire la soudure, et 75 pour cent d’entre eux comptaient principalement sur les produits forestiers pour pallier le manque de nourriture. Une enquête menée au Bangladesh a montré que près des deux tiers des ménages ramassaient des produits forestiers (voir l’encadré 5).

Encadré 4Une enquête socioéconomique menée au Libéria met en évidence les avantages substantiels des forêts pour les personnes vivant à proximité de celles-ci

Près de la moitié (47,5 pour cent) des ménages libériens vivent à proximité des forêts et en sont fortement dépendants. Le Gouvernement libérien a mené une enquête nationale sur les forêts auprès de 3 000 ménages vivant à proximité de forêts, dans 250 «districts de recensement» (divisions administratives pour le recensement et autres opérations statistiques). Les principales conclusions sont les suivantes (elles s’appliquent toutes à l’année 2018):

  • En moyenne, les ménages prélevaient plus de 40 produits forestiers. Soixante-dix pour cent des ménages prélevaient des produits forestiers pour leur consommation personnelle, ou bien pour leur consommation et pour la vente. Bois de feu, branchages, rotin, animaux sauvages – pour leur viande – et palmes étaient les principaux produits récoltés pour gagner de l’argent en espèces et dégager un revenu. Les revenus provenant des produits forestiers représentaient 35 pour cent en moyenne du revenu total des ménages.

  • Quatre-vingt-quinze pour cent des ménages interrogés utilisaient le bois comme source d’énergie. La quasi-totalité (98 pour cent) des ménages ramassaient du bois de feu pour leur propre usage.

  • Trente-six pour cent des ménages utilisaient des produits forestiers pour la construction ou l’entretien des logements. Les trois principaux produits forestiers utilisés dans la construction étaient les branchages, les palmes et le bois d’œuvre, jugés «très faciles» à récupérer sur les terres de la communauté.

  • Parmi les ménages qui avaient sollicité une assistance médicale au cours des 12 mois précédant l’enquête, plus de 50 pour cent avaient eu recours à des plantes médicinales; 77 pour cent de ces ménages récoltaient ces plantes sur les terres de la communauté.

  • Les personnes interrogées ont déclaré que les forêts étaient un facteur important de résilience. Ainsi, 43 pour cent des ménages utilisaient des produits forestiers pour les aider à surmonter les crises économiques ou naturelles.

  • Au cours de la période de référence, quarante-six pour cent des ménages avaient connu une situation d’insécurité alimentaire, et deux tiers d’entre eux s’étaient tournés vers les produits forestiers pour satisfaire leurs besoins, la durée moyenne de la période d’insécurité alimentaire ayant été de trois mois environ.

SOURCE: Banque mondiale. 2020. People and forests interface – Contribution of Liberia’s forests to household incomes, subsistence, and resilience. Disponible à l’adresse suivante: https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/34438

Encadré 5Importance des arbres hors forêt au Bangladesh

Selon une enquête nationale menée par le Gouvernement du Bangladesh auprès des ménages, 64 pour cent environ de la population du pays (soit 106 millions de personnes) – et 65 pour cent de la population féminine – prélève des produits forestiers. Les arbres hors forêt procurent 98 pour cent des produits que les ménages prélèvent régulièrement – bois d’œuvre, bambou, bois de feu, feuilles et fruits. En 2017-2018, sur une période de 12 mois, la valeur nationale totale des produits primaires collectés provenant des arbres et des forêts aurait atteint 8,54 milliards d’USD. Les ménages ont vendu 31 pour cent des produits qu’ils ont collectés, ce qui a rapporté en moyenne 81 USD par ménage et par an.

SOURCE: Gouvernement du Bangladesh. 2019. Tree and forest resources of Bangladesh – Report on the Bangladesh Forest Inventory. Dacca, Gouvernement de la République populaire du Bangladesh.

En prenant appui sur des données biophysiques et socioéconomiques pour élaborer des politiques, les pouvoirs publics peuvent agir efficacement et créer un cercle vertueux de restauration des écosystèmes, de développement économique et de réduction de la pauvreté. En Chine, par exemple, la planification de la politique de développement économique a mis en évidence un parallèle important entre les zones touchées par la pauvreté et les zones écologiquement fragiles, ce qui implique à la fois de réduire la pauvreté et de protéger l’environnement. De ce constat a été tirée une approche écologique de la lutte contre la pauvreté, consistant à associer, dans une même région, des programmes de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement. De 2012 à 2020, la Chine a mis en œuvre plus de dix programmes, qui concernent aussi bien la restauration et la protection des forêts que la création d’emplois verts, le soutien à l’industrie forestière ou l’écotourisme (voir le tableau 3); au total, chaque année, ces programmes ont mobilisé plus de 8,86 milliards d’USD et ont permis à plus de 14 millions de personnes d’augmenter leurs revenus. Des politiques de lutte contre la pauvreté liée à l’état de l’environnement sont élaborées depuis 2010, essentiellement pour normaliser des politiques et des mesures spécifiques. Dans l’ensemble, les autorités à l’échelle locale et centrale ont élaboré et mis en œuvre des stratégies et des mécanismes tels que l’ingénierie écologique pour la construction, les compensations et les emplois publics écologiques, les activités économiques liées à la nature, les migrations pour raisons écologiques et la réduction de la pauvreté ciblée sur le secteur forestier.

Tableau 3PROGRAMMES ASSOCIANT LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET RESTAURATION ÉCOLOGIQUE, EN CHINE, 2012-2019

SOURCES: les données sur les investissements dans les programmes de développement économique et sur les emplois créés par l’écotourisme forestier proviennent de l’Annuaire statistique chinois des forêts et des prairies pour 2012-2018. Les autres données sont tirées du Rapport sur la réduction de la pauvreté écologique dans le secteur des forêts et des prairies, publié par l’Administration nationale chinoise des forêts et des prairies (avril 2021).
NOTE: aLes données sur les programmes de développement économique pour la réduction de la pauvreté ne couvrent que 22 provinces du centre et de l’ouest du pays et les données sur les investissements correspondants ne sont disponibles que jusqu’en 2018; b le taux de change yuan-dollar des États-Unis était de 6,908 en 2019 (selon FAOSTAT); c superficie des parcs forestiers en 2018 – il y avait également 626 centres d’écotourisme forestier en 2019; d le nombre de ménages est estimé à partir de la population bénéficiaire totale, à raison de 3,5 personnes par ménage.
SOURCES: les données sur les investissements dans les programmes de développement économique et sur les emplois créés par l’écotourisme forestier proviennent de l’Annuaire statistique chinois des forêts et des prairies pour 2012-2018. Les autres données sont tirées du Rapport sur la réduction de la pauvreté écologique dans le secteur des forêts et des prairies, publié par l’Administration nationale chinoise des forêts et des prairies (avril 2021).
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