La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2022

Chapitre 3 INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES INVESTISSEMENTS DANS L’AUTOMATISATION DE L’AGRICULTURE

Trajectoires futures de l’automatisation de l’agriculture: quelques considérations sur l’adoption inclusive et la durabilité environnementale

La présente section porte sur les trajectoires futures que les technologies d’automatisation de l’agriculture pourraient emprunter pour différents types de pays et d’exploitations, à la lumière des facteurs structurels qui peuvent influer sur la diffusion et l’adoption de ces technologies. Elle présente une analyse des possibilités qui permettraient de rendre l’agriculture mécanisée plus durable. Les avantages apportés par la mécanisation motorisée ont eu pour revers un certain nombre d’effets négatifs sur l’environnement; ainsi, l’expansion des terres agricoles s’est-elle faite au détriment des forêts ou des pâturages de savane50. Les auteurs se penchent également sur les possibilités d’automatisation de la petite agriculture et sur certaines des conséquences économiques et sociales des trajectoires futures de l’automatisation.

Possibilités de rendre l’agriculture hautement mécanisée plus durable

Dans les pays à revenu élevé, mais aussi dans de nombreuses exploitations agricoles commerciales de pays à faible revenu et de pays à revenu intermédiaire, l’agriculture est déjà hautement mécanisée, notamment en raison de la rareté ou de la saisonnalité de la main-d’œuvre. De grandes machines sont souvent employées pour réaliser des économies d’échelle. Des données indiquent cependant que cette pratique a contribué à l’érosion des sols, à la déforestation, à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et à l’appauvrissement de la biodiversité51. Dans de nombreux pays, les prestataires de services utilisent généralement des machines de grande taille et s’adressent essentiellement à des agriculteurs dont les terres ne comportent plus ni arbres ni souches40, 52; or, la suppression des arbres présents sur les exploitations et la modification des modes de culture induite par la mécanisation peuvent contribuer à l’érosion des sols7. Qui plus est, l’érosion et la dégradation des sols dues à l’emploi de machines grandes et lourdes font baisser les rendements38, 53. L’utilisation de grands tracteurs a bouleversé la physionomie des paysages ruraux, dans la mesure où les producteurs ont fréquemment agrandi et remodelé leurs parcelles, causant une diminution de la diversité agricole et de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture50, 52. La mécanisation motorisée est associée à une diminution de la diversité des cultures car elle encourage le passage à des cultures qui se prêtent davantage à la mécanisation, telles que le blé, le maïs et le riz4. Malheureusement, les agriculteurs ne sont pas enclins à adopter des pratiques favorables à la biodiversité telles que l’agriculture de conservation, les cultures intercalaires et la rotation des cultures, car elles requièrent une forte intensité de main-d’œuvre54. Enfin, la mécanisation conduit souvent à une spécialisation accrue et à une moindre diversification des produits, qui peuvent affaiblir la résilience55.

Pour remédier à ces problèmes, il serait possible d’adapter les innovations en matière de mécanisation motorisée à des machines plus petites et plus légères, pouvant réduire la compaction des sols et les impacts négatifs sur l’environnement. L’automatisation adaptée à l’échelle de production et aux conditions locales peut grandement atténuer ces effets. Les robots autonomes peuvent réduire l’utilisation de produits chimiques et d’énergie, ainsi que les émissions de GES pour ceux d’entre eux qui fonctionnent avec des sources d’énergie renouvelables56. La recherche technique et agronomique appliquée peut aider à trouver les solutions de mécanisation les mieux adaptées aux conditions agroécologiques locales. Les États peuvent aussi adopter des politiques qui encouragent l’accès à des machines et à du matériel plus respectueux de l’environnement38, 40.

L’agriculture de conservation peut réduire l’érosion des sols en remplaçant les charrues par des rippers ou des plantoirs pour semis direct. Couplées à la rotation des cultures et au maintien d’une couverture permanente des sols, ces pratiques qui entraînent une perturbation minimale des sols peuvent amoindrir l’érosion des sols de 99 pour cent57. L’agriculture de conservation semble être une voie d’avenir pour l’agriculture, mais il est nécessaire de trouver des solutions adaptées à la situation locale pour éviter certaines difficultés58. Dans ce contexte, le Centre pour la mécanisation agricole durable – une institution régionale relevant de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique – et des partenaires situés au Cambodge ont coorganisé, en mai 2019, une formation régionale sur la mécanisation adaptée à l’agriculture de conservation59.

Le passage aux énergies renouvelables est important non seulement sur le plan environnemental, mais aussi d’un point de vue financier. Les études de cas sur TROTRO Tractor au Ghana et Tun Yat au Myanmar montrent que l’augmentation et l’instabilité des prix des carburants constituent des obstacles importants à l’adoption (voir l’annexe 1). De plus, les énergies renouvelables ouvrent de nouvelles possibilités en matière d’automatisation motorisée sur les différents segments de la chaîne de valeur et peuvent se révéler particulièrement avantageuses dans les zones rurales reculées60. Néanmoins, les sources d’énergie renouvelables actuellement disponibles ne permettent pas d’accomplir toutes les tâches agricoles de façon efficiente. L’électricité, par exemple, n’est pas adaptée aux opérations de préparation des terres qui demandent une grande quantité d’énergie. Des recherches sont nécessaires pour déterminer quelles solutions d’énergie renouvelable hors réseau sont les plus efficientes pour les différents types de machine tout au long de la chaîne de valeur51.

Le chapitre 2 a montré que les pénuries de main-d’œuvre, ainsi que la nécessité d’accroître l’efficience et la résilience face aux chocs et aux situations de stress de nature climatique, jouaient un rôle moteur dans l’introduction des technologies d’automatisation numérique et de la robotique associée à l’IA sur les exploitations agricoles hautement mécanisées. Les données indiquent que ces technologies peuvent être bénéfiques à l’environnement et utiles pour guider les innovations futures; néanmoins, le corpus de données étant limité et de nombreuses solutions n’ayant pas dépassé les premières étapes du développement et de la commercialisation (voir la figure 6), il n’est pas possible de tirer des conclusions générales sur leurs avantages potentiels. À mesure que ces technologies seront perfectionnées et qu’elles se diffuseront dans le monde, notamment dans le cadre d’une utilisation partagée ou de services de location, les petits agriculteurs pourraient les adopter à leur tour31.

Dans les pays à revenu élevé, les robots remplacent le travail manuel dans des tâches telles que l’irrigation, le dépistage des organismes nuisibles, la récolte et le désherbage, ou encore la sélection et la cueillette des fruits. Ainsi, dans une étude de cas (Harvest CROO Robotics), le prestataire de services a indiqué que 70 pour cent des producteurs de fraises aux États-Unis d’Amérique avaient déjà investi dans son projet de mise au point de robots cueilleurs (voir l’encadré 16). La robotique peut être bénéfique pour l’environnement si elle permet de réduire, voire de supprimer, l’utilisation des pesticides et des herbicides. Les robots autonomes utilisés pour la culture permettent d’économiser de la main-d’œuvre, d’effectuer les travaux plus rapidement, d’optimiser les quantités d’intrants appliquées et de réduire la compaction du sol, en particulier s’il s’agit de petits robots utilisés en essaim. Il ressort d’un tour d’horizon de 18 études que les robots autonomes utilisés pour la récolte, l’ensemencement et le désherbage sont économiquement viables dans certaines circonstances61, 62, 63. Les robots en essaim, en particulier, sont avantageux pour les exploitations qui cultivent des champs de petite taille et de forme irrégulière64. Il convient que les décideurs et les producteurs acquièrent une vision plus claire de ces avantages pour que le développement des technologies correspondantes attire davantage d’investissements.

Encadré 16DES ROBOTS CUEILLEURS POUR REMÉDIER AUX PÉNURIES DE MAIN-D’ŒUVRE DANS LA CULTURE DES FRAISES

Les machines de récolte automatisée cueillent, inspectent, nettoient et emballent les végétaux cultivés de façon autonome. Harvest CROO Robotics a vu le jour aux États-Unis d’Amérique autour d’un projet de robot cueilleur, qui visait à remédier aux pénuries de main-d’œuvre touchant le secteur de la production de fraises. Chaque machine dispose de 16 robots indépendants, qui circulent dans les champs, inspectent la qualité et la maturité des fraises, avant de les cueillir, de les nettoyer et de les emballer. Par conséquent, cette technologie se substitue entièrement à la main-d’œuvre manuelle pour l’analyse, la prise de décision et l’exécution des tâches.

Harvest CROO Robotics propose l’une des rares solutions actuellement connues aux États-Unis d’Amérique pour la cueillette de fraises. Elle a reçu des capitaux d’investissement provenant d’environ 70 pour cent des producteurs de fraises du pays – généralement des exploitations de grande taille – qui voient en elle une réponse à leurs problèmes de pénurie et de coûts de main-d’œuvre. L’entreprise a adopté un système à la demande, en vertu duquel les producteurs paient à proportion du volume récolté.

Une fois que la technologie aura changé d’échelle, l’objectif est de pouvoir commander toute une flotte de machines à distance, à partir d’un centre d’opérations; en plus de la cueillette, de l’inspection, du nettoyage et de l’emballage des fraises, il sera possible de recueillir des données qui seront ensuite diffusées auprès des cultivateurs.

SOURCE: Ceccarelli et al., 202231.

Possibilités d’automatisation de la petite agriculture peu ou non mécanisée

La petite agriculture comprend une grande diversité d’unités de production. Certaines ont adopté un modèle de commercialisation poussée et utilisent des technologies modernes, y compris la mécanisation motorisée, tandis que d’autres pratiquent une agriculture de subsistance avec des outils simples. Celles-ci sont en général lourdement tributaires de la main-d’œuvre familiale et ne mécanisent qu’une partie de leurs travaux agricoles, voire aucun. Pourtant, dans de nombreux contextes, elles pourraient tirer parti du développement des marchés de location de machines. Le marché de la location tend à être dominé par les grandes machines, qui se déplacent d’une zone agroécologique à une autre, à l’intérieur des pays et par-delà les frontières nationales. Pour profiter de ces services, les producteurs ont été contraints d’adapter leurs exploitations et leurs systèmes de production compte tenu de l’accent mis sur la production agricole à grande échelle. C’est pourquoi il est urgent de trouver des solutions personnalisées, d’une part pour corriger les effets négatifs passés de la mécanisation, et d’autre part pour faciliter l’expansion de celle-ci et ainsi accroître la productivité de façon durable.

Les petites machines sont mieux adaptées à la petite agriculture

Des solutions technologiques telles que les petits tracteurs à deux ou quatre roues ont joué un rôle clé dans le développement de la mécanisation en Asie2, 19, 20. Les tracteurs à deux roues sont sans doute plus rentables et mieux adaptés aux petites exploitations. Ils sont capables de contourner les souches d’arbre et les pierres et réduisent au minimum l’appauvrissement de la biodiversité, dans la mesure où il n’est pas nécessaire de défricher les terrains en profondeur avant de les utiliser. Ils sont aussi plus faciles à manier, à entretenir et à réparer, et plus adaptés au microcrédit22, 65. Les mêmes arguments s’appliquent à un éventail plus large de machines agricoles motorisées qui ne requièrent pas un remodelage ou un nettoyage en profondeur des parcelles et sont, par conséquent, plus favorables à la biodiversité. Ces machines peuvent également contribuer à l’égalité des genres (voir l’encadré 17, qui décrit comment, au Népal, des femmes ont utilisé de petites machines motorisées avec succès), entraînant de possibles économies de main-d’œuvre et de ressources et œuvrant à l’autonomisation des femmes.

Encadré 17INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DE L’ADOPTION DE LA MÉCANISATION MOTORISÉE PAR LES FEMMES: ÉLÉMENTS RECUEILLIS AU NÉPAL

La mécanisation motorisée peut favoriser l’autonomisation des femmes et répondre à leurs besoins de trois manières: i) les femmes peuvent être clientes des prestataires de services de mécanisation, le recours à ces services rendant le travail agricole moins pénible et laissant davantage de temps pour se reposer ou se consacrer à d’autres activités sociales ou économiques; ii) elles peuvent être opératrices de machines et de matériel ou être employées dans une entreprise de location en mécanisation, auquel cas elles utilisent leurs compétences techniques pour percevoir un revenu; et iii) elles peuvent, en tant qu’entrepreneuses, gérer leur propre entreprise de services de location en mécanisation agricole et vendre des services de mécanisation à d’autres agriculteurs, dont elles tirent des recettes.

Un rapport récemment établi par la FAO donne des informations sur des machines et du matériel qui ont été expérimentés avec succès sur le marché et sont utilisés pour la production végétale et les travaux après récolte au Népal. L’objectif est d’encourager et de faciliter l’accès des femmes à la mécanisation agricole motorisée, qu’elles exercent en tant qu’opératrices de matériel ou cheffes d’entreprise. Voici plusieurs exemples de machines motorisées qui ont été adoptées par des femmes:

  • La désherbeuse mécanique se décline en plusieurs types et plusieurs tailles. Elle est utilisée pour le désherbage et le travail du sol entre les rangs dans les cultures à large espacement telles que les légumes, le maïs et la canne à sucre. D’après le rapport, en comparaison du travail manuel, une seule machine est capable de désherber une surface extrêmement vaste. Des cultivatrices de maïs du district de Dang ont indiqué qu’elles pouvaient économiser 10 000 roupies népalaises (84 USD) par bigha (unité de surface équivalant à 0,66 hectare) en utilisant une grande désherbeuse mécanique au lieu de payer un désherbage manuel.
  • La batteuse mobile est une batteuse à moteur utilisée pour le riz ou le blé en gerbes. Elle supprime la pénibilité du battage à la main, fait gagner du temps et augmente considérablement la quantité de graines battues (d’un facteur de 8 à 10 en comparaison du battage manuel). Compte tenu de son taux de battage élevé, elle convient aux prestataires de services individuels ainsi qu’aux centres de location personnalisée.
  • L’égreneuse de maïs est utilisée pour séparer les grains de l’épi. Elle élimine la pénibilité de l’égrenage à la main et les douleurs occasionnées par ce travail, fait gagner du temps et égrène beaucoup plus de grains dans un temps donné (30 à 40 fois plus que l’égrenage manuel). De plus, le maïs égrené occupe moins de place que le maïs en épi, ce qui facilite le stockage.
SOURCE: Justice, Flores Rojas et Basnyat, 202266.

Les technologies d’automatisation numérique présentent de nombreux avantages, mais leur utilisation dans la petite agriculture se heurte à de nombreuses difficultés

Le corpus croissant de recherches consacrées à l’agriculture de précision dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure souligne la nécessité d’adapter le potentiel des technologies d’automatisation numérique à la petite agriculture67, 68, 69. Pour encourager l’adoption de ces technologies, certains prestataires envisagent d’offrir des services de conseil gratuits aux petits producteurs, en fondant leur modèle d’activité sur les recettes potentielles qu’ils pourraient tirer de la vente des données recueillies auprès des agriculteurs31. Cette approche pourrait constituer un point de départ encourageant, sous réserve que les acteurs concernés respectent les normes relatives au partage de données et à la protection de la vie privée. On relève en outre, chez certains agriculteurs, une volonté de cultiver les mêmes plantes sur des parcelles adjacentes et de partager le coût des services de conseil sur les UAS (notamment au Burkina Faso70, au Ghana71 et au Rwanda72).

Les technologies numériques ont également favorisé l’essor des services de conseil agricole aux petits agriculteurs30. Dans les pays à faible revenu, les solutions numériques les plus fréquemment mises en œuvre sont les outils numériques non incorporés, dont le coût est bas, mais l’incertitude reste grande quant à leur impact sur la productivité et la durabilité environnementale. En outre, les données disponibles ne sont pas suffisantes pour concevoir des services de conseil adaptés aux besoins des petits producteurs. Par ailleurs, le faible niveau des compétences numériques crée des obstacles au changement d’échelle, et une importante fracture numérique pénalise les femmes et d’autres groupes vulnérables, qui ont moins accès à ces solutions. Un autre problème commence à se faire jour dans de nombreux pays: l’absence de législation sur la confidentialité et la protection des données, qui peut entraîner l’utilisation abusive de données par des tiers73.

Des recherches sont actuellement menées sur l’utilisation de drones pour l’épandage d’intrants tels que les engrais et les produits chimiques sur les petites exploitations (y compris en Afrique)74, 75; la phase de commercialisation a commencé, mais les solutions utilisées ont une capacité de prise de décision autonome très limitée et s’appuient principalement sur des cartes. L’application d’intrants par drone présente de multiples avantages: amélioration de la précision, réduction de l’exposition aux pesticides, possibilité de traiter des parcelles auxquelles les machines ne peuvent pas accéder (à cause d’une humidité excessive du sol ou de difficultés physiques d’accès), et absence de dommages aux cultures sur pied dus aux déplacements des machines. La rentabilité dépend du coût des équipements, de l’efficacité de l’application, des économies d’intrants que permet l’application localisée et des gains de rendement découlant du fait que les drones causent moins de dégâts que les machines au sol. La disponibilité et l’accessibilité financière des drones revêtent une importance clé pour les petits agriculteurs, qui possèdent rarement leur propre matériel. Ces technologies comportent leur lot de difficultés, liées notamment à la nécessité de réapprovisionner régulièrement les réservoirs de pulvérisation, les cellules d’engrais ou les trémies de semences, de recharger les batteries, de concevoir des étiquettes de pesticides pour les applications localisées, de former les utilisateurs et de gérer la dérive des produits vers les zones non ciblées. Surmonter ces difficultés suppose de disposer de capacités techniques et institutionnelles suffisantes, ce qui, en soi, peut créer une difficulté supplémentaire dans de nombreux pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire76.

L’un des obstacles à l’adoption des solutions d’automatisation numérique par les petits producteurs étant leur coût, il est particulièrement important de les rendre plus abordables en améliorant les technologies, en les adaptant à l’échelle de production et en mettant au point des modèles d’activité novateurs. L’exemple des ordinateurs et des smartphones illustre parfaitement ce point: lorsqu’ils ont commencé à être fabriqués en grande série, ces appareils sont devenus beaucoup plus abordables, ouvrant la voie à leur emploi plus généralisé dans l’agriculture de précision31. Dans certains contextes, la production agricole peut souffrir du manque d’eau; au Mali, un exemple de mise en œuvre réussie de serres automatisées (dans lesquelles l’application d’eau et de pesticides est commandée par ordinateur) montre que ces technologies peuvent améliorer l’efficience d’utilisation de l’eau et des intrants77.

Élevage de précision

L’élevage de précision est surtout pratiqué dans les systèmes intensifs des pays à revenu élevé, où la santé, le statut reproducteur et le comportement des animaux sont surveillés à l’aide de capteurs. L’identification électronique et les chaînes de blocs facilitent la traçabilité des animaux commercialisés par les systèmes extensifs et sont de plus en plus couramment utilisées pour améliorer la qualité des produits29. Cependant, ces technologies de pointe sont inabordables pour de nombreux éleveurs dans les pays à faible revenu, où une technologie plus fréquemment utilisée en élevage de précision est celle du clôturage virtuel, qui permet de maintenir les animaux à l’intérieur d’un périmètre déterminé au moyen d’alertes sonores, de chocs électriques ou d’autres dispositifs d’avertissement. Ces technologies allègent la pénibilité et les besoins en main-d’œuvre, facilitent la gestion de la reproduction, la collecte d’informations et la gestion intensive, et rendent les clôtures pratiquement superflues. Pour leur part, les appareils GNSS aident les éleveurs à localiser les animaux qui pâturent sur de vastes étendues ouvertes et peuvent être reliés à des capteurs qui surveillent la température, les mouvements et d’autres indicateurs de la santé et du statut reproducteur des animaux. Néanmoins, surveiller chaque animal individuellement avec un appareil GNSS coûte actuellement trop cher pour les systèmes de pâturage extensifs. Comme pour les cultures, ces technologies ne deviendront accessibles aux systèmes d’élevage extensifs des pays à faible revenu qu’à la faveur d’un travail de reconception (permettant une production en série et une diminution des coûts) et de l’adoption de modèles d’activité novateurs29. Les applications mobiles facilitant l’accès à des informations utiles pour la gestion de l’élevage sont très prometteuses en ce qui concerne l’élevage de précision78. Des observations éparses effectuées au Kenya indiquent que les éleveurs pastoraux sont de plus en plus nombreux à utiliser ces applications pour connaître l’état des herbages et savoir où trouver de la nourriture en quantité suffisante lorsqu’ils se déplacent avec leurs troupeaux79. Les applications utilisant les données satellitaires facilitent le diagnostic et le signalement des maladies animales, ce qui permet aux éleveurs d’intervenir rapidement et de façon ciblée78.

Accords de partage d’actifs à l’appui de la mécanisation

Les outils numériques recèlent également de nombreuses possibilités pour ce qui est d’améliorer le partage d’actifs dans le domaine de la mécanisation agricole parmi les petits producteurs. Par exemple, les traceurs GNSS et les logiciels de gestion de flotte – tels que ceux conçus dans le sillage des applications de transport privé avec chauffeur comme Uber – laissent espérer une réduction sensible des coûts de transaction des petits producteurs et des prestataires qui louent les services de machines, et peuvent faciliter la supervision des opérateurs de machines par les prestataires de services29. TROTRO Tractor en Afrique et Tun Yat en Asie en sont l’illustration. Ces initiatives se heurtent néanmoins à plusieurs difficultés, telles que le mauvais état des routes et le faible niveau de connectivité, ainsi que le caractère saisonnier de la demande, qui atteint des pics à des moments précis. Les prestataires de services envisagent de se tourner vers des innovations institutionnelles pour surmonter ces difficultés. Par exemple, le recours à des agents de réservation pour regrouper plusieurs petits agriculteurs permet de réduire les coûts de transaction associés à la desserte de chaque agriculteur et d’assurer la continuité de l’activité80. Cette solution pourrait faciliter l’adoption progressive des systèmes GNSS de positionnement précis et des systèmes de commande de machine avancés; à cette perspective s’ajoute celle de voir l’agriculture de précision se développer encore davantage par le biais des TTV, y compris dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire. La principale contrainte associée à l’utilisation d’appareils GNSS sur de grandes machines est que les champs doivent être rectangulaires; or, dans de nombreuses petites exploitations agricoles, ce n’est pas le cas.

Robots à intelligence artificielle

Les robots qui ont été conçus pour les exploitations des pays à revenu élevé sont rarement adaptés aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire, où l’agriculture reste dominée par les petits producteurs, qui ont largement recours à la main-d’œuvre familiale et effectuent de nombreuses opérations manuellement. Par exemple, les machines destinées à la récolte automatisée du coton dans les pays à revenu élevé sont très efficaces mais ne conviennent qu’aux parcelles où tous les plants de coton arrivent à maturité au même moment. Cela est dû au fait que ces machines peuvent abîmer les plants lors de la récolte. Cette solution ne convient donc pas aux exploitations traditionnelles d’Afrique de l’Ouest et d’Inde, qui cultivent un coton de grande qualité à floraisons échelonnées; dans ces pays, la campagne cotonnière s’étend sur environ 150 à 160 jours et voit se succéder trois ou quatre cueillettes31.

Le coût est un obstacle supplémentaire à l’adoption, en particulier pour les petits producteurs des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire, où l’on rencontre très peu d’exemples de solutions robotiques. La plupart d’entre elles concernent des cultures ou des systèmes de culture traditionnellement fondés sur le travail manuel et sont adaptées aux contextes et aux défis locaux, de sorte qu’elles ne nécessitent pratiquement aucune modification des structures agricoles actuelles. L’adoption de ces solutions peut aussi être motivée par des facteurs de nature socioéconomique, tels que le manque de main-d’œuvre saisonnière. Enfin, des facteurs comme l’amélioration de l’accès à l’éducation, l’exode rural, la stigmatisation sociale et les politiques publiques d’aide aux personnes sans emploi peuvent amoindrir l’intérêt du travail manuel faiblement rémunéré73, 81, 82, 83.

D’après les études publiées à ce jour, les robots autonomes spécialement conçus pour les conditions qui prévalent dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire apportent les avantages potentiels suivants: i) diminution des besoins en main-d’œuvre; ii) réduction des coûts et économies réalisables à moindre échelle, qui ont pour corollaire que ces technologies sont accessibles aux petites exploitations travaillant en mécanisation traditionnelle; et iii) possibilité d’utiliser ces technologies de façon économique sur des champs de forme irrégulière, ce qui évite de devoir reconfigurer les paysages ruraux en vastes champs rectangulaires, sur lesquels la mécanisation traditionnelle donne les meilleurs résultats. Malheureusement, pour ces pays, il n’existe pas d’analyses de faisabilité qui permettraient de justifier l’intérêt économique des investissements dans ces technologies29. Cela tient en partie au fait que les entités qui mettent au point ces solutions n’ont pas la capacité d’attirer ni de retenir un personnel qualifié capable de mener de telles analyses; il s’agit généralement de petites entreprises qui sont en concurrence avec de grosses sociétés31. L’encadré 18 présente les possibilités et les défis associés à l’élaboration de robots destinés aux petits producteurs.

Encadré 18ROBOTS DE CULTURE AUTONOMES À BAS COÛT: UN TABLEAU À GRANDS TRAITS

Un exemple de robot potentiellement réalisable et adapté aux besoins des petits producteurs serait un petit robot autonome à roues capable d’ensemencer, de désherber puis de récolter, qui coûterait à peu près le même prix qu’une moto (500-1 000 USD) – machine que les ménages agricoles des pays à faible revenu sont nombreux à posséder, et qui constitue donc une référence de prix pertinente. Des robots sur jambes pourraient également être utiles dans les champs car ils sont capables de contourner les obstacles, mais ils coûtent beaucoup plus cher. Grâce à leurs capacités d’apprentissage par intelligence artificielle, les robots de culture autonomes laissent augurer une forte augmentation de la production alimentaire, allant bien au-delà des niveaux actuellement atteignables. Néanmoins, produire des robots spécialisés pour chaque culture et pour des conditions agroécologiques précises est une activité à coût élevé et à faible volume. Dans ces conditions, un modèle d’activité plausible pourrait être le suivant: un fabricant produirait une machine générique autonome, assortie d’une panoplie d’outils adaptés à différentes tâches, dont certains seraient fabriqués localement. La machine autonome serait équipée d’un appareil utilisant le système mondial de navigation par satellite (GNSS) de manière à pouvoir créer des cartes (couleur du sol, résistance du sol sur la base de la force requise pour le binage ou encore rendement, par exemple). Elle pourrait être alimentée par diverses sources d’énergie (carburant, énergie solaire ou méthane, par exemple). Pour rendre ces machines autonomes plus abordables, en particulier dans les premiers temps, une solution consisterait à les proposer à la location ou à facturer des prestations de services de travail agricole.

Cette machine agricole générique autonome pourrait ouvrir la voie à de nombreux autres types d’automatisation numérique. Par exemple, équipée d’un capteur, la machine autonome pourrait déterminer les besoins en engrais84, exploiter les cartes des sols, des végétaux et des rendements précédemment enregistrées, détecter les organismes nuisibles, les maladies et les plantes adventices et, par suite, appliquer les insecticides, fongicides ou herbicides éventuellement nécessaires.

Les petits producteurs éprouveront des difficultés pour accéder à l’automatisation numérique, mais d’un autre côté, ces millions d’exploitants représentent un débouché commercial et un nouveau marché prometteur. Des processus similaires de recherche, de développement technologique et d’entrepreneuriat ont été menés en Afrique et en Asie du Sud dans le domaine du stockage hermétique des céréales85. Avant l’apparition du sac de stockage amélioré de céréales Purdue (PICS), les fabricants étaient peu enclins à investir dans des solutions innovantes de stockage de céréales destinées aux petits agriculteurs, dont le pouvoir d’achat était jugé trop faible. Mais depuis lors, le succès du sac PICS, qui s’est vendu par millions dans plus de 30 pays, a ouvert la voie à un grand nombre d’imitateurs et de concurrents.

SOURCE: Lowenberg-DeBoer, 202229.

Conséquences plus générales des technologies d’automatisation numérique pour l’agriculture

Bien souvent, les technologies agricoles ont des conséquences économiques, sociales et environnementales qui vont bien au-delà des avantages et des coûts au niveau de chaque exploitation. Ainsi la mécanisation motorisée de l’agriculture a-t-elle fréquemment eu pour corollaire une augmentation de la taille des exploitations, un remodelage des champs et un déclin des populations rurales. Les technologies d’automatisation numérique présentent un potentiel considérable s’agissant de remédier aux problèmes environnementaux liés à l’agriculture fortement mécanisée, évoqués ci-avant. Si elles sont judicieusement conçues, elles peuvent également apporter de multiples avantages à la petite agriculture, en particulier si elles se conjuguent à l’emploi de machines motorisées adaptées. À l’avenir, si elles sont bien développées et adoptées à grande échelle, les technologies d’automatisation numérique examinées dans ce chapitre, y compris les robots et l’intelligence artificielle, pourraient amener des avantages plus généraux, dont voici quelques exemples:

  • Structure des exploitations: les petits robots en essaim permettent de réaliser des économies à moindre échelle et suppriment les incitations à étendre la taille des exploitations, évitant ainsi les perturbations sociales et environnementales. En rendant le travail moins pénible, en améliorant la rentabilité et en rehaussant l’image de l’agriculture en tant que secteur de pointe, les robots en essaim peuvent aider les communautés rurales à retenir leurs jeunes et à attirer des travailleurs d’autres secteurs (la question de la jeunesse sera abordée plus en détail au chapitre 4). La mécanisation motorisée de l’agriculture a conduit à l’abandon des petits champs de forme irrégulière; les robots en essaim peuvent permettre de récupérer certaines de ces parcelles délaissées, souvent caractérisées par des sols de bonne qualité, des précipitations fiables et une proximité avec les marchés, afin d’y pratiquer une agriculture commerciale. De plus, à mesure que les robots en essaim amélioreront la rentabilité de ces champs, les programmes de subventions aux petites exploitations pourraient devenir moins coûteux. Enfin, les exploitations de petite ou grande taille qui utilisent encore la traction animale pourraient sauter l’étape de la mécanisation motorisée et passer directement à l’automatisation numérique, ce qui éviterait de devoir remodeler les paysages ruraux et contribuerait ainsi à plus de biodiversité.
  • Structure du marché des machines agricoles: le fait de rendre diverses technologies d’automatisation numérique accessibles à la petite et moyenne agriculture (qui recouvre la culture, l’élevage et l’aquaculture) pourrait s’accompagner de changements dans la structure du marché des machines. De nouveaux débouchés pourraient apparaître pour les entrepreneurs qui ont la capacité technique de mettre au point des machines et du matériel abordables, fiables et autonomes et de lier ces technologies à des modèles d’activité novateurs.
  • La protection des cultures en tant qu’activité de service: la protection des cultures repose actuellement en majeure partie sur la vente de grandes quantités de pesticides. Les pulvérisations ciblées réduisent la quantité de produits utilisée dans des proportions pouvant atteindre 90 pour cent, ce qui représente un avantage considérable pour l’environnement, tandis que le désherbage mécanique ou au laser offre un moyen de se passer entièrement des herbicides29. Ces technologies pourraient renforcer le rôle des entrepreneurs locaux qui proposent des machines autonomes standardisées capables de détecter les plantes adventices et les organismes nuisibles. Ces machines pourraient être mises à la disposition des agriculteurs sur la base de prestations de services facturées ou leur être vendues directement.
  • Un élevage et une aquaculture plus sûrs, plus efficients et plus résilients: l’automatisation numérique peut grandement faciliter le travail à distance et contribuer à réduire la charge de travail, tout en améliorant la gestion86. Les travaux de recherche se multiplient sur les possibilités d’appliquer les technologies numériques à l’aquaculture et de faire évoluer en profondeur les modèles d’activité y afférents et la structure des exploitations du secteur87. Les technologies de l’internet des objets, par exemple, sont capables de contrôler automatiquement l’état de l’eau, permettant aux pisciculteurs d’intervenir immédiatement si c’est nécessaire88. Dans l’élevage, la généralisation des capteurs biométriques, qui surveillent en temps réel la santé et le comportement de chaque animal, permet aux producteurs d’obtenir des informations en temps réel et, grâce à elles, de mener des interventions ciblées qui peuvent présenter de nombreux avantages, dont une utilisation réduite des antibiotiques. Les capteurs peuvent aussi être associés à la technologie des chaînes de blocs, qui peut permettre d’assurer la traçabilité des produits d’origine animale de la ferme à l’assiette et offre des avantages considérables lorsqu’elle est appliquée à la surveillance épidémiologique, prévenant les pertes économiques et les pandémies d’origine alimentaire associées aux maladies animales89.

D’autres retombées se manifesteront à mesure que les technologies évolueront et deviendront plus accessibles. Les conséquences exactes dépendront néanmoins de nombreux facteurs, parmi lesquels les caractéristiques de la technologie, la connectivité, les cadres juridiques et réglementaires, les décisions commerciales des sociétés et des jeunes entreprises, les réactions des médias sociaux et les attitudes culturelles à l’égard de l’automatisation numérique dans l’agriculture. Les pouvoirs publics peuvent encourager la diffusion des technologies et aider à l’obtention de résultats positifs au moyen de différents leviers – infrastructures numériques, adoption d’approches juridiques et réglementaires adéquates, recherche et éducation (voir le chapitre 5).

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