Selon des estimations courantes, les pêches fluviales de l'Afrique inscrivent à leur actif quelque 40 pour cent des 1 100 000 tonnes de poisson pris chaque année dans les eaux douces du continent. Les cours d'eau jouent toutefois un rôle dans de nombreux autres domaines d'activité, notamment en agriculture; il faut lutter contre les inondations et faire appel à l'irrigation, produire de l'énergie, c'est-à-dire créer des barrages et des réservoirs, et fournir de l'eau pour les usages industriels et domestiques, ce qui comporte des risques de pollution. Ces activités non seulement se font concurrence, mais elles modifient aussi l'écosystème et exercent une influence sur la conservation des stocks de poissons nécessaires pour permettre la pêche. L'amènagement rationnel des bassins fluviaux devrait tenir compte de tous ces besoins et la prise de décisions d'ordre politique exige que l'on dispose de renseignements sûrs.
Malgré le rôle important qu'ils jouent dans la production de protéines animales pour l'alimentation, on ne dispose que de rares informations sur la biologie des stocks de poissons fluviatiles ainsi que sur le rendement potentiel et effectif de leur capture. Dans l'ensemble, les statistiques de captures sont limitées et beaucoup moins bien étayées que les données équivalentes sur les lacs. La quantité de données disponibles pour les lacs a permis d'envisager l'emploi de l'indice morpho-édaphique pour évaluer rapidement la production potentielle de ces eaux (Henderson et Welcomme, 1974). Ces méthodes rapides d'évaluation, encore qu'approximatives le plus souvent, peuvent être précieuses lorsqu'il faut prendre des décisions et aménager les pêches; en effet, elles permettent d'obtenir les informations nécessaires d'une manière rapide et peu onéreuse. Il n'existe pas de méthode de ce genre pour les cours d'eau et c'est pourquoi nous cherchons à étudier ici les quelques données existantes afin de définir des caractères permettant de déterminer à peu près la production des cours d'eau. Toute analyse fondée sur de telles données incomplètes est obligatoirement conjecturale et le présent document se propose non tant de fournir une démonstration formelle sur la productivité des cours d'eau que de stimuler le débat et les recherches dans ce secteur essentiel.
Les cours d'eau sont soumis à des lois physiques et chimiques connues qui déterminent les rapports entre des paramètres tels que la longueur du cours d'eau et la superficie du bassin hydrographique ou les nombres et les longueurs des cours d'eau de différentes catégories (Leopold, Wolman et Miller, 1964). La figure 1 donne la relation entre la superficie du bassin hydrographique (en km2) et la longueur du bras principal de 27 cours d'eau africains. La dispersion est relativement faible et les formules de régression (longueur = 5,2424 superficie 0,4483 et superficie = 0,07329 longueur 2,05882) ont des coefficients de corrélation respectifs r = 0,9291 et r = 0,9231. L'équation pour la longueur en tant que variable dépendante a la même structure que l'équation L = 1,4 Ad0,6 dérivée des grands cours d'eau mondiaux (Leopold, Wolman et Miller, 1964). Le coefficient de 5,2 indique toutefois un bassin plus long et plus étroit pour les cours d'eau africains de petites dimensions, et la pente de la courbe est moins forte avec un exposant de 0,45.
Horton (1945) a défini la notion de longueur et de nombre de cours d'eau. Le concept d'ordre de grandeur des cours d'eau sert à déterminer le rang qu'occupe un cours d'eau dans une hiérarchie d'affluents. Les cours d'eau de premier ordre sont ceux qui n'ont pas d'affluents, ceux de deuxième ordre sont des fleuves qui n'ont pour affluents que des cours d'eau de premier ordre, etc. Le numéro d'ordre effectif dépend de l'échelle de la carte utilisée pour les mesures. On considère généralement que l'affluent le plus long de chaque ordre s'étend vers l'amont et est inclus dans la longueur du bras principal du cours d'eau.
On a prouvé qu'il existe une relation logarithmique entre le nombre et la longueur des cours d'eau de chaque ordre et ces notions ont été portées sur le graphique de la figure 2 à partir des informations disponibles sur le nombre et la longueur des cours d'eau des trois premiers ordres en Afrique. Les courbes extrapolées (i) nombre de cours d'eau = 1,9719 × 107 (0,21 numéro d'ordre du cours d'eau) et (ii) longueur du cours d'eau = 0,695(2,3014 numéro d'ordre du cours d'eau) ainsi obtenues sont fondées sur des hypothèses assez vagues; l'on pourrait tracer des graphiques plus précis si l'on comptait - opération assez longue - les petits cours d'eau du continent. On peut se demander si, au stade actuel, cet exercice en vaut la peine étant donné que les nombres et les longueurs obtenues (tableau I) semblent compatibles avec les valeurs prévues. Par exemple, la longueur totale des cours d'eau dans cette catégorie de grandeur est de 12,8 millions de km pour l'Afrique et de 5,22 millions de km (valeur établie par le calcul) pour les Etats-Unis d'Amérique (Leopold, Wolman et Miller, 1964) La superficie non désertique de l'Afrique étant d'environ 20 millions de km2 et celle des Etats-Unis de 9 millions environ, on retrouve donc un rapport analogue entre la longueur des cours d'eau et la superficie arrosée.
Tableau I
Valeurs estimatives du nombre et de la longueur des
divers types de cours d'eau en Afrique
(à l'exclusion des affluents de plus petit ordre de grandeur)
Ordre de grandeur | Nombre | Longueur moyenne (km) | Longueur totale théorique (nombre × longueur moyenne) | Cours d'eau représentatif de chaque type |
1 | 4166969 | 1,6 | 6667150 | |
2 | 870615 | 3,6 | 3203865 | |
3 | 181900 | 8,5 | 1540693 | |
4 | 38005 | 19,5 | 741097 | |
5 | 7940 | 44,8 | 356347 | |
6 | 1659 | 103,3 | 171358 | |
7 | 347 | 237,7 | 82492 | Moa |
8 | 72 | 547,1 | 39392 | Ouémé |
9 | 15 | 1259,1 | 19013 | Volta |
10 | 3,2(3) | 2897,8 | 9273 | Niger |
11 | 0,7(1) | 6669,0 | 4668 | Nil |
Total | 12835346 |
La forme d'un bras principal subit des modifications sur toute sa longueur et, bien qu'il n'y ait pas de distinctions très marquées entre les diverses structures, on peut distinguer trois principaux types de tronçons ou de niveaux qui ont chacun une signification différente pour les pêches:
Secteurs ayant une forte déclivité, rocheux, torrentiels pendant les crues et complètement à sec pendant le reste du temps. Ces secteurs sont situés dans les hautes terres et constituent d'ordinaire les cours supérieurs.
Secteurs profondément encaissés, à déclivité modérée, présentant souvent des tronçons rocheux et sableux, tendant à former une série d'étangs pendant la saison sèche, mais devenant torrentiels et débordant sur une plaine d'inondation restreinte pendant les crues.
Secteurs suivant de larges méandres, peu profonds, ou chenaux anastomosés ayant des berges basses, bordées de grandes plaines d'inondation. Les plaines d'inondation sont d'ordinaire coupées de boucles, de lacs et de marais permanents.
Les secteurs (ii) et (iii) peuvent alterner dans le lit de la rivière selon la topographie locale mais, d'une manière générale, le cours d'eau tend à passer de (i) à (iii) au fur et à mesure qu'il se rapproche de son embouchure.
Dans certains cas, des plaines d'inondation extraordinairement vastes s'ajoutent à la structure générale. Elles sont dues à des caprices de la topographie locale et peuvent être considérées comme distinctes de l'évolution “normale” de la rivière dans son cours vers l'aval. On peut donc les considérer de la même manière qu'un lac ou que les régions de marais permanents d'un bassin hydrographique. Ces plaines d'inondation constituent 1 pour cent au moins du bassin hydrographique et les plus importantes d'entre elles figurent au tableau II ci-après.
Tableau II
Superficie des principales plaines d'inondation africaines par rapport à la superficie du bassin hydrographique
Cours d'eau | Superficie de la plaine d'inondation (km2) | Bassin hydrographique (km2) | % |
Niger | 17 000 | 1 125 000 | 1,5 |
Chari/Logonea | 6 000 | 600 000 | 1,0 |
Sénégal | 4 560 | 338 000 | 1,35 |
Ouémé | 1 000 | 40 150 | 2,4 |
Les différentes zones du cours d'eau hébergent chacune des communautés de poissons distinctes. Les différences entre les zones et la tendance à l'assè chement des tronçons de rivière vers l'amont pendant la saison sèche peuvent provoquer des variations considérables dans l'ichtyomasse hébergée qui peuvent s'aplanir pendant l'année, en raison des grandes migrations du poisson vers l'amont pendant les crues.
Les cours d'eau varient de nature selon les régions du continent africain. Daget et Iltis (1965) classent les cours d'eau de l'Afrique de l'Ouest en deux catégories: (i) ceux de type guinéen et (ii) ceux de type soudanien.
Les cours d'eau de type guinéen, tels le Komoé, sont ceux qui drainent les zones forestières de l'Afrique de l'Ouest et s'étendent jusque dans le système du Congo/Zaïre. Sur la plus grande partie de leur cours, ils coulent dans des forêtstunnels et leurs plaines d'inondation consistent en grandes superficies d'étage forestier inondé. Ces cours d'eau ont tendance à avoir un pH faible et une teneur élevée en acide humique. Ils sont réputés moins productifs que les cours d'eau de type soudanien, bien que l'on ne dispose pas de chiffres précis sur leur production relative.
Les cours d'eau de type soudanien, comme le Niger, sont ceux qui drainent les régions de savane ouverte. Ils ne sont pas ou peu bordés de forêts et n'ont pas non plus de grandes plaines d'inondation pendant la période des crues dont la durée est variable.
De nombreux systèmes fluviaux combinent les caractéristiques des tronçons guinéen et soudanien.
JFRO (1959) a proposé une autre classification des cours d'eau: (i) “remblais de sable” et (ii) “réservoirs”.
Les rivières à remblais de sable, dont le bras principal du Zambèze est un bon exemple, ont des lits profonds, des berges escarpées et, lorsque le niveau est bas, ils consistent parfois en une sèrie d'étangs bordés de rochers sur un lit de sable.
Les cours d'eau réservoirs s'écoulent des lacs ou des marais qui retiennent les eaux pluviales excédentaires. A aucun moment de leur cycle leur niveau n'est très haut ou très bas et ils conservent une frange de végétation de long de leurs berges, qui sont mal définies à toutes les époques de l'année.
Pendant la saison des crues, les plaines adjacentes des deux types sont inondées, mais dans le cas des rivières à remblais de sable, il s'agit d'une période extrêmement brève.
Le pH et la conductivité d'un certain nombre de cours d'eau d'Afrique sont indiqués dans le tableau III; on peut constater que ces facteurs diffèrent relativement peu selon les cours d'eau. En fait, la gamme des différences peut être plus étendue à l'intérieur d'un système fluvial qu'entre les systèmes fluviaux. La tendance des cours d'eau de catégorie supérieure (soulignés dans le tableau III) de se rapprocher d'une composition caractéristique est bien connue (Hutchinson, 1957; Gibbs, 1970); elle s'explique par des processus qui tendent à l'équilibre (par exemple évaporation, cristallisation, solution, échange ionique) ainsi que par le simple mélange des eaux amenées par des tronçons différents du bassin hydrographique La mosaïque géologique d'un continent est d'une structure assez fine pour que seuls les cours d'eau de taille relativement petite (ordre inférieur) présentent une variabilité édaphique dans les principaux éléments solides dissous dans l'eau.
La conductivité varie avec le régime des crues et, dans plusieurs régions de l'Afrique, on a relevé qu'elle augmentait temporairement en début de crue. Ces changements sont toutefois relativement faibles; en effet la croissance rapide de la végétation aquatique au moment des hautes eaux absorbe tous les sels libres qui entrent dans le système en provenance des surfaces nouvellement inondées. La régression et l'ècobuage ultérieurs pendant la saison sèche restituent ces sels au sol et non a l'élément aquatique du système.
Lorsque l'on met en regard la variation de conductivité dans les eaux fluviales et celle des lacs, on constate que la première est relativement limitée. Les valeurs les plus élevées et les plus basses portées au tableau sont relativement rares, et la différence la plus courante se trouve entre 30 et 300 μmhos. En admettant que les plaines d'inondation soient recouvertes d'un mètre d'eau sur toute leur surface, la production halieutique correspondante obtenue par une estimation de l'indice morpho-édaphique (Henderson et Welcomme, 1974) serait de 72 à 200 kg/ha/an. Les valeurs réelles, qui varient entre 3 et 100 kg/ha/six mois, et les chiffres estimatifs, qui font état de 40 à 60 kg/ha/six mois (Welcomme, 1974), correspondent donc assez bien aux prévisions.
En raison de leur conductivité plus faible, les eaux fluviales africaines ont un pouvoir tampon qui est également faible. Néanmois les variations de pH sont relativement modestes. En général, les cours d'eau de type guinéen qui arrosent les forêts ont un pH plus faible que les cours d'eau de type soudanien qui traversent la savane, mais ces différences ne sont probablement pas assez marquées pour influer sur la productivité de l'eau. La productivité n'est contrariée que dans les eaux du moyen Congo et qui contiennent de l'acide humique dont le pH est extrêmement bas, 4,2–5,5 (Berg, 1961).
Tableau III
Conductivité et pH des principaux systèmes fluviaux africains
(sur la base de données provenant de diverses sources et rassemblées par Welcomme, 1972)
Cours d'eau | Conductivité (lit de la rivière) | K20μmhos (étangs des plaines d'inondation) | pH |
Sewa | 14–21 | 6,4–6,0 | |
Moa | 36 | 6,6 | |
Robel | 40 | 6,9–7,3 | |
Lt Scarcies | 35–55 | 7,1–7,4 | |
Niger | 31–70 | 82 | 6,7–7,2 |
Chari | 42–73 | 6,9–7,7 | |
Zambèze | 50–96 | 57–102 | 7,4 |
Congo | 44–108 | 5,5–6,5 | |
Volta | 41–124 | 6,5–7,3 | |
Sénégal | 40–130 | 73–385 | 6,8–7,1 |
Mayo Kebbi | 89 | ||
Kagera | 93–99 | ||
Ouémé | 60–150 | 150–160 | |
Sobat | 112 | ||
Prah | 140 | ||
Bandama | 145 | 6,7–7,6 | |
Orange | 159 | 7,7 | |
Luapula | 150–180 | ||
Nil | 150–240 | 116 | |
Lualaba | 145–255 | 145–255 | |
Ruaha | 93–310 | 7,4–7,8 | |
Shire | 220–225 | 7,5–8,8 | |
Kafue | 130–320 | 70–280 | |
Bugungu | 245–395 | 230–350 | |
Bahr-el-Ghazal | 550 | 7,8 | |
Semliki | 400–910 | ||
Ruzizi | 828 |
On peut estimer les captures actuelles dans les cours d'eau africains en consultant le tableau IV (par pays) ou le tableau V (par système fluvial). Dans les deux cas, on obtient un tonnage annuel total d'environ 400 000 tonnes.
Sur ce volume, quelque 180 000 tonnes proviennent des quatre principales plaines d'inondation figurant au tableau II, et le reste de tous les autres systèmes fluviaux.
Si les captures faites dans les cours d'eau pour lesquels on dispose de données sont tracées sur un graphique en fonction de la superficie du bassin hydrographique (ou de la longueur du chenal principal), on obtient une relation linéaire log-log c = 0,0736 a0,8898 (r = 0,959) (figure 3). Le haut coefficient de corrélation pour cette courbe indique une concordance remarquable si l'on considère la nature des données qui ont servi à le calculer. On obtient une courbe similaire presque parallèle c = 0,4039 a0,1923 (r = 0,9967) lorsque l'on porte sur le graphique les prises des quatre principales plaines d'inondation en fonction de la superficie des bassins hydrographiques. Dans ce cas, la concordance est moins surprenant puisque les données provenant de pêches aussi concentrées peuvent être plus précises et qu'il existe, comme le montre la figure 6, une forte corrélation entre la superficie de la plaine d'inondation et les captures, les plaines d'inondation de ces cours d'eau occupant des fractions analogues de la superficie du bassin hydrographique (tableau II).
Tableau IV
Estimation des captures fluviales dans les pays d'Afrique
Pays | Prises (en tonnes) |
Cameroun | 48 000 |
République centrafricaine | 3 500 |
Congo | 6 000 |
Tchad | 55 000 |
Dahomey | 9 700 |
Egypte | 15 000 |
Gambie | 800 |
Libéria | 4 000 |
Malawi | 11 400 |
Mali | 90 000 |
Mauritanie | 15 000 |
Niger | 9 700 |
Nigeria | 29 000 |
Sénégal | 28 000 |
Soudan | 18 000 |
Ouganda | 4 800 |
Haute-Volta | 5 000 |
Zaïre | 75 000 |
Zambie | 13 000 |
Total | 441 400 |
Tableau V
Estimation des captures effectuées dans les principaux systèmes fluviaux africains
Bassin fluvial | Prises (en tonnes) |
Niger | 114 146 |
Chari/Logone | 87 000 |
Zaïre/Oubangui | 69 000 |
Sénégal | 40 000 |
Nil | 38 000 |
Bénoué | 12 570 |
Zambèze | 11 800 |
Shire | 11 400 |
Ouémé | 6 484 |
Gambie | 800 |
Tana | 500 |
Total | 414 694 |
La superficie totale de l'Afrique est légèrement supérieure à 30 millions de km2. Le désert recouvre environ 10 millions de km2. Un graphique des fréquences cumulées de la superficie des bassins hydrographiques africains montre que celle-ci tend asymptotiquement vers 15 millions de km2 (figure 4). Les 5 millions de km2 restants sont vraisemblablement comptés comme des régions semi-désertiques ayant des cours d'eau temporaires ou à caractère nettement saisonnier.
On peut combiner les données des figures 3 et 4 pour obtenir une estimation de la production des principaux bassins fluviaux (tableau VI) sans tenir compte de celle des quatre grandes plaines d'inondation. L'estimation dérivée de 230 000 tonnes, plus les 180 000 tonnes provenant des plaines d'inondation, aboutit à un total de 410 000 tonnes. Ce chiffre est très proche de celui que l'on obtient par les statistiques actuelles des captures.
Les estimations de la production mentionnées ci-dessus sont probablement fondées uniquement sur les zones des cours d'eau où l'intensité de la pêche est suffisante pour attirer l'attention des administrateurs et des biologistes des pêches. Dans ces régions, les mises à terre sont assez importantes pour justifier l'établissement de réseaux de commercialisation et les dépenses de la collecte et de l'échantillonnage statistiques. C'est la raison pour laquelle on peut considérer les statistiques actuelles comme n'intéressant que les seules prises effectuées dans les grandes plaines d'inondation et dans les rivières suffisamment importantes pour donner lieu à des pêches artisanales de moyenne et de grande échelle.
Tableau VI
Calcul du rendement des principaux bassins fluviaux d'Afrique
Nombre de bassins | Gamme des superficies (km2) | Superficie totale (km2) | Superficie moyenne (km2) | Rendement moyen c = 0,0736a 0,8898 | Rendement total (t) | %du total |
1 | 4×106 | 4 015 500 | 4 015 500 | 55 308 | 55 308 | 24,33 |
1 | 3×106 | 3 000 000 | 3 000 000 | 42 680 | 42 680 | 18,78 |
3 | 1,3-1×106 | 3 425 500 | 1 131 000 | 17 916 | 53 748 | 23,53 |
2 | 6,4–6×105 | 1 240 000 | 620 000 | 10 494 | 20 988 | 9,23 |
4 | 3,9-3, 4×105 | 1 436 000 | 384 000 | 6 852 | 27 408 | 12,06 |
5 | 17,9-9, 2×104 | 643 000 | 108 600 | 2 227 | 11 135 | 4,90 |
7 | 8,0×4,0×104 | 466 000 | 66 570 | 1 441 | 10 087 | 4,44 |
10 | 3,0–1, 3×104 | 200 500 | 20 050 | 495 | 4 950 | 2,18 |
5 | 9,5-3, 0×103 | 34 500 | 7 000 | 194 | 970 | 0,43 |
Total | 14 464 000 | 227 274 |
Les pêcheries fluviales se caractérisent toutefois par leur dispersion et l'on peut considérer que les pêcheries de grande envergure constituent plutôt l'exception que la règle. Comme le montrent la figure 2 et le tableau I, la majeure partie de la longueur des rivières appartient à des cours d'eau de l'ordre de grandeur le plus faible. Pris individuellement, ces tronçons ont une production potentielle assez faible et il faut pêcher sur de nombreux kilomètres pour entretenir une petite activité artisanale. Ils permettent tout de même la pêche de subsistance dont on ne peut estimer l'importance qu'au jugé, bien que tout observateur de l'Afrique puisse voir sur les plus petites rivières un ou deux jeunes garçons, ou encore des femmes en train de pêcher.
On peut donc admettre que les estimations de la production basées sur les grandes pêcheries sous-estiment largement l'importance du poisson fluviatile en tant qu'élément de l'alimentation humaine. Il est très difficile d'évaluer le poisson pêché de manière artisanale étant donné qu'il entre immédiatement dans le régime du consommateur sans passer par un intermédiaire.
L'analyse ci-après tente d'évaluer l'importance de cette ressource.
La figure 5, fondée sur les données extrapolées de la figure 3, représente les captures annuelles par kilomètre de cours d'eau en fonction de l'éloignement croissant de la source. On l'a tracée comme une courbe unique, bien qu'elle se divise probablement en plusieurs éléments correspondant aux tronçons du cours d'eau décrits au point 2.2. On a également porté les valeurs réelles pour les fleuves Niger (FAO, 1962) et Pendjari (FAO, 1971), ainsi que pour les fleuves Niger et Bénoué au Nigeria (FAO, 1970). La dernière série de points (1–11) est analysée à la figure 6 où l'on a porté les captures par kilomètre de cours d'eau en fonction de la superficie totale recouverte par les eaux lorsque les crues atteiguent leur point culminant. L'emploi de ces critères, aussi primitifs qu'ils soient, fait ressortir une bonne corrélation entre la superficie de la plaine d'inondation et les captures (r = 0,6921 pour la courbe c = 1,8352a - 0,8336). La courbe de la figure 5 peut donc être considérée comme une bonne approximation sur laquelle baser de nouveaux calculs, au moins pour les tronçons du type (iii). Il est toutefois souhaitable de poursuivre les travaux sur le rendement par kilomètre de cours d'eau, afin d'améliorer et d'accroître la précision de ce modèle.
En intégrant les valeurs calculées à partir de la courbe prospective g = 0,0363 d0,7055 de la figure 5, il est possible de calculer le rendement théorique des tronçons des divers ordres de grandeur mentionnées au tableau I et, à partir de là, le rendement total que l'on peut attendre de la totalité du cours d'eau dans chaque ordre de grandeur. Les résultats de ces calculs sont présentés au tableau VII; le rendement total des systèmes fluviaux de l'Afrique est estimé à 1 300 000 tonnes.
Tableau VII
Nombre et longueur des divers ordres de grandeur des cours d'eau africains (à l'exclusion des affluents de faible importance) et calcul théorique de la production de poisson de chacun d'eux
Ordre de grandeur | Nombre | Longueur moyenne (km) | Rendement moyen (t) | Rendement total (t) | % |
1 | 4 166 969 | 1,6 | 0,053 | 222 473 | 17 |
2 | 870 615 | 3,6 | 0,223 | 194 171 | 15 |
3 | 181 900 | 8,5 | 0,877 | 159 570 | 12,3 |
4 | 38 005 | 19,5 | 3,961 | 150 549 | 11,5 |
5 | 7 940 | 44,8 | 15,662 | 124 358 | 9,4 |
6 | 1 659 | 103,3 | 61,801 | 102 527 | 7,7 |
7 | 347 | 237,7 | 276,311 | 95 880 | 7,2 |
8 | 72 | 547,1 | 1 100,834 | 79 260 | 6,0 |
9 | 15 | 1 259,1 | 4 425,453 | 66 824 | 5,0 |
10 | 3,2 | 2 897,8 | 19 758,623 | 63 227 | 4,8 |
11 | 0,7 | 6 669,0 | 77 394,851 | 54 176 | 4,1 |
Total | 1 313 015 |
Ce chiffre est sensiblement plus élevé que l'estimation actuelle de 400 000 tonnes et en outre, il ne tient pas compte de la production des quatre grandes plaines d'inondation puisqu'il est dérivé de la courbe des captures dans les bras de rivière.
L'estimation porte sur la superficie non désertique de l'Afrique (20 million de km2) dont un quart est semi-aride, avec des cours d'eau temporaires d'une productivité peut-être limitée. En tenant compte de ce qui précède et en réduisant l'estimation d'un quart, on obtient une évaluation d'un million de tonnes environ pour les cours d'eau en général, ou de 1 200 000 tonnes pour les cours d'eau et les grandes plaines d'inondation.
Le tableau fait ressortir deux autres points. Premièrement, la production des 19 cours d'eau des trois ordres supérieurs est d'environ 200 000 tonnes, chiffre proche des captures enregistrées selon les moyens classiques; c'est à cela qu'on pouvait s'attendre en partant de l'hypothèse que seul le poisson pêché dans les plus grands tronçons est enregistré actuellement. Deuxièmement, l'essentiel de la production fluviale vient probablement du nombre énorme de cours d'eau d'ordre inférieur (65 pour cent des rivières de moins de 100 km) et selon toute probabilité, elle n'est ni enregistrée ni enregistrable. La proportion actuellement exploitée de cette production théorique est inconnue. On peut toutefois admettre que, dans les régions à forte densité de population, la ressource est exploitée presque au maximum du potentiel alors que dans certaines régions où l'on évite les rivières en raison de la fréquence de l'onchocercose, les opérations de pêche sont menées avec peu d'intensité.
L'analyse ci-dessus a étudié deux niveaux d'estimation des captures:
la production réelle des cours d'eau telle que déterminée par les captures effectuées en certains sites de pêche commerciale extensive;
la production théorique, extrapolée des chiffres ci-dessus pour tous les cours d'eau; la proportion de captures réelles dans ce chiffre théorique est inconnue actuellement.
On n'a pas pris en considération un troisième niveau d'estimation, la production potentielle, car on ne dispose pas des données permettant d'effectuer une analyse de ce genre. Les captures commerciales effectuées par les pêcheries établies sur les principaux cours d'eau peuvent être proches du taux permanent maximum d'extraction, auquel cas l'estimation (b) ci-dessus constituerait une bonne approximation de ce potentiel, ou elles peuvent être faibles, auquel cas l'estimation (b) est également faible.
Le chiffre estimatif de 1 200 000 tonnes pour la production, qui est plus ou moins précis, n'est raisonnablement pas exagéré vu les énormes ressources fluviales du continent, et il sert à illustrer un certain nombre de points pertinents pour les pêches fluviales d'Afrique. Une chose est certaine; jusqu'à présent, on s'est très peu intéressé aux pêches fluviales et l'on ne dispose donc que de données fragmentaires sur lesquelles fonder une évaluation plus rigoureuse de leur potentiel. Les captures brutes sont très probablement sous-estimées et, en conséquence, l'attribution de fonds de recherche a été faussée par la plus grande importance apparente des pêches lacustres. Cette situation est aggravée par la difficulté de mener des programmes de recherche sur des ressources aussi dispersées que celles des cours d'eau. Cependant des programmes locaux de recherche sur les cours d'eau de toutes dimensions seraient particulièrement utiles à cet égard, car les données dont on dispose montrent que les cours d'eau présentent des caractères assez semblables.
Le fait qu'une grande proportion des captures fluviales vient des nombreux cours d'eau d'ordre inférieur du continent a des conséquences intéressantes pour les politiques d'aménagement et de conservation. On doit admettre qu'au stade actuel de l'aménagement des pêches, la pêche dans ces eaux est pour une bonne part incontrôlable, mais qu'elle constitue néanmoins une ressource importante qui permet d'introduire directement des protéines dans le régime des populations d'ordinaire éloignées des autres sources de poisson. En raison de leur tendance à l'assèchement ou de leur caractère torrentiel lorsqu'ils sont permanents, les cours d'eau des ordres inférieurs n'hébergent que des populations de poisson relativement restreintes qui se cachent d'ordinaire dans le lit rocheux. Toutefois, pendant la saison des crues, ces rivières ont tendance à être occupées par des poissons qui migrent de cours d'eau appartenant aux ordres supérieurs. Ainsi on peut estimer que la base de l'extraction dans les petites rivières repose sur les conditions qui existent en aval. C'est la raison pour laquelle le mauvais aménagement ou les perturbations des éco-systèmes, par exemple, l'interruption du cours par des réservoirs ou la pollution massive peuvent empêcher la remontée du poisson dans de nombreuses petites rivières situées en amont de la région affectée.
Les principaux facteurs régissant la production fluviale semblent être de nature morphologique et dus à deux causes, la tendance à l'assèchement et l'étendue de la plaine d'inondation latérale. En fait, la production du bras principal du cours d'eau apparaît relativement faible comparée à celle de la plaine d'inondation lorsque l'on considère les différents bras. Les facteurs édaphiques semblent jouer un rôle beaucoup moins important dans les variations de la productivité entre les différents cours d'eau et entre les tronçons du même cours d'eau et, sauf dans des cas extrêmes tels que les eaux du moyen Zaïre qui contiennent de l'acide humique, ils sont probablement dénués de signification dans l'état actuel plutôt rudimentaire de nos estimations. Toutefois, il faudra se livrer à des travaux considérables pour définir avec plus de précision le rôle des divers facteurs qui régissent la productivité fluviale et dont le présent document n'a pas pu tenir compte.
Je voudrais remercier mes collègues du Service de la prospection et de l'évaluation des ressources aquatiques du Départment des pêches d'avoir bien voulu lire et commenter mon manuscrit. J'exprime toute ma gratitude à M. H.F. Henderson pour les entretiens extrêmement profitables que j'ai eus avec lui et qui ont permis de dégager clairement les idées exprimées ici. Mes remerciements vont également à MM. S. Landi et G. De Manincor qui ont effectué l'analyse de régression.