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Documents de travail (continuer)

LA SECHERESSE DANS LE SAHEL OUEST-AFRICAIN ET SES CONSEQUENCES SUR LES ZONES INONDEES DANS LES BASSINS DU NIGER, DU SENEGAL ET DU LAC TCHAD (continuer)

TABLEAU III

Evolution des débits moyens de quelques cours d'eau africains depuis 1968

RivièreStationModule moyen (m3/s)19681969197019711972
ModuleDéficit ou excédentModuleDéficit ou excédentModuleDéficit ou ExcédentModuleDéficit ou ExcédentModuleDéficit ou Excédent
m3/s%m3/s%m3/s%m3/s%m3/s%
SénégalBAKEL764     426     - 45753     - 2553    - 28595     - 22264     - 66
NigerKOULIKORO1540     1390     - 102060     + 341110    - 281270     - 181080     - 30
Volta NoireNWOKUY36,4  35,7  - 234,8  - 5?    ?26,8  - 2617,2  - 58
GorouolDOLBEL8,054,44- 4510,9  + 357,45- 76,22- 235,62- 30
SirbaGARBEKOUROU20,6  2,88- 8618,5  - 610,9  - 4514,1  - 295,96- 70
MaggiaTSERNAOUA1,340,44- 661,72+ 332,31+ 790,78- 400,88- 32
Goulbi de MaradiMADAROUNFA6,012,45- 593,92- 3510,8  + 794,97- 172,65- 56
KomadougouGUESKEROU14,3  12,2  - 1512,3  - 1414,3  012,1  - 167,83- 46
ChariNDJAMENA1280    1040    - 191060     - 171180    - 8993     - 23578     - 55
LogoneMOUNDOU390    401     + 3493     + 26430    + 10308     - 21215     - 45

TABLEAU IV

Situation hydrologique de l'année 1972

RivièreStationDébit maximal moyenDébit maximal 1972FréquenceModule annuel moyenModule 1972FréquenceDébit minimal moyenDébit minimal 1972Fréquence
(m3/s)(m3/s)(m3/s)(m3/s)(m3/s)
SénégalBAKEL477014300,02  764  264≤0,01     2,54   0,25   0,02
NigerKOULIKORO626036800,02154010800,1546,316,0< 0,01
NigerNIAMEY186015500,061010  647<0,05  75,6   2,50< 0,01
Volta NoireNWOKUY  105       48,90,04       36,4       17,20,04    5,90   3,50< 0,10
SirbaGARBEKOUROUA  198  1240,50       20,6          5,960,2000 
MaggiaTSERNAOUA       36,0       40,00,65          1,34          0,880,4000 
KomadougouGUSKEROU       33,2       26,30,02       14,3          7,830,0300 
ChariNDJAMENA354014300,011280  5780,0216348,0   0,02
LogoneMOUNDOU2110  996<0,02    390  2150,03     29,312,0   0,04

TABLEAU V

 ModulePériodeModulePériodeModulePériode
MODULES MOYENS (en m3/s) sur 3 ANS CONSECUTIFS
Sénégal à BAKEL   42740–42   43512–14   47171–72
NIGER À KOULIKORO1 01512–141 06042–441 15070–72
MODULES MOYENS (en m3/s) sur 5 ANS CONSECUTIFS
Sénégal à BAKEL   45540–44   48610–14   51868–72
Niger à KOULIKORO1 12040–441 15011–151 38068–72

On remarque sur ce tableau que la récente sécheresse qui vient de frapper le SAHEL Ouest-Africain a été un peu moins sévère que celles des années 1910 à 1914 ou 1940 à 1944 que ce soit à l'échelle de 3 ou de 5 ans. Néanmoins à l'échelle annuelle, 1972 ou 1973 semblent avoir été des records absolus au plan des apports annuels et surtout des étiages. L'assèchement du SENEGAL à BAKEL et l'effondrement de l'étiages du NIGER en aval de la cuvette lacustre illustre l'acuité de cette sécheresse exceptionnelle récente.

5. LES SURFACES INONDEES:

5.1. Le bassin du NIGER:

La Cuvette Lacustre commence à KE MACINA et s'étend jusqu'au niveau de TOMBOUCTOU. En année moyenne, les débordements du NIGER couvrent pendant trois mois environ 20 000 km2.

Jusqu'ici il n'existe aucune étude précise sur les surfaces inondées en fonction de la puissance de la crue du NIGER et du BANI.

Un projet intitulé “Projet SAPHYR” ou “Recherches sur les Causes des Anomalies des Crues du NIGER” débutant fin 1974 doit faire le point en utilisant les photographies transmises par le satellite ERTS (NASA). Cette étude menée conjointement par l'ORSTOM (hydrologie), le BDPA (photo-interprétation) doit conduire à une meilleure connaissance des mécanismes hydrauliques régissant l'amortissement des crues du NIGER à travers son Delta intérieur.

Ce projet n'ayant pas encore débuté, il ne nous est pas possible de connaître quantitativement les surfaces atteintes par les débordements du NIGER. Pour les dernières années, 1972 et 1973, le problème est relativement simple car, d'après les missions que nous avons faites sur le terrain, dans les zones du BANI, de l'embouchure du DIAKKA et de la région située entre cette embouchure et MOPTI, nous pouvons dire que les débordements ont été nuls au cours des deux derniers hivernages 1972 et 1973. Seule la partie située dans l'angle du DIAKKA et du NIGER a été atteinte par les eaux, la crue n'étant pas encore amortie, mais la durée de l'inondation n'a pas excédé une quinzaine de jours.

Lorsqu'on examine les hauteurs des crues maximalos classées aux stations du NIGER ou du DIAKKA, on s'aperçoit que l'on observe des débordements lorsque les hauteurs maximales ont des fréquences au moins supérieures à 0,25 – 0,30 au non-dépassement. Or en 1972 comme en 1973, les crues sont toujours restées très en deçà de cette barrière, par exemple à:

-KE MACINA (NIGER), la fréquence 0,25 correspond à une hauteur relative à l'échelle de 6,50 m:
  En 1972:Hmax=5,45mfréquence = 0,03
  En 1973:Hmax=5,70mfréquence = 0,06
  
-KARA (DIAKKA), la cote de débordement est de 5,70 m environ (débordements dans les plaines pour une fréquence très faible):
  En 1972:Hmax=4,89mfréquence = 0,03
  En 1973:Hmax=5,00mfréquence = 0,04
  
-MOPTI au confluent NIGER-BANI, la cote pour laquelle ont lieu les débordements par-dessus le bourrelet de berge et les inondations dans la plaine du BANI est de 6,40 m:
  En 1972:Hmax=5,68mfréquence presque centennale
  En 1971:Hmax=6,51mfréquence = 0,16, presque pas de débordements à l'aval de MOPTI.
  En 1973:il n'y a pas eu de débordements.

Les lacs de TANDA et KABARA de rive gauche du NIGER en aval de MOPTI et du lac DEBO, n'ont pas reçu d'eau depuis 3 ans et sont à sec; en décembre 1973, même les fonds de mares avaient disparu.

Nous avons pu observer les zones inondées de la Cuvette lacustre à la mi-décembre 1972; il n'y avait qu'un seul endroit en eau, le triangle DIAFARABE - TENENKOU - OURO MODI à la défluence du DIAKKA, les débordements n'atteignant pas OURO MODI. Il n'y avait absolument aucun débordement dans la zone du DEBO, 1 er lac en aval de MOPTI et les zones situées plus à l'aval.

Les lacs de rive droite en aval de MOPTI ont été très peu alimentés, le KORAROU était à sec fin février de même que les lacs alimentés par le NIANGAYE (GAROU - HARIBONGO).

Les crues 1972 et 1973 n'ont presque pas alimenté les lacs de rive gauche de l'aval : FAGUIBINE - TELE - TAKARA - GOUBER etc. En décembre 1973, le Marigot de GOUNDAM qui alimente ces lacs était déjà en décrue et s'est arrêté de couler début janvier. Les volumes transités étaient extrêmement faibles. D'après enquête, le niveau du FAGUIBINE, en juillet 1974, serait le plus bas connu de mémoire d'homme.

5.2. Le lac TCHAD:

Le lac TCHAD, vestige de la vaste mer Paléotchadienne qui s'étendait à l'Holocène sur près de 350 000 km2 est une cuvette fermée sans émissaires. Ainsi, la variation du niveau du lac est le résultat d'un équilibre entre les apports d'une part, les pertes par évaporation et infiltration, d'autre part.

La totalité des apports est en année moyenne de 50 milliards de m3 se répartissant comme suit:

80 %pour le CHARI,
10 à 12 %par les précipitations,
  8 à 10 %par les tributaires directs qui sont l'EL BEID, le YEDSERAM et la KOMADOUGOU.

Nous ne nous intéresserons qu'aux variations qui sont le fruit des apports du CHARI. Les fluctuations annuelles du niveau du Lac suivent avec un certain décalage les variations de l'hydrogramme du CHARI; le niveau du lac connaît ainsi chaque année un minimum en juillet et un maximum en décembre–janvier.

Depuis 1964, on assiste à une baisse continue du plan d'eau qui s'est aggravée depuis 1968, les apports des six dernières années étant tous déficitaires. Deux cartes du lac, empruntées à M. CHOURET, (cf. Bibliographie), montrent la zone en eau au début de 1968 et au milieu de 1973, c'est-à-dire presque aux extrêmes de la période sèche récente (figures 3 et 4).

Après le maximum de niveau de 1968, dû à la crue de 1967, la baisse s'amplifie, les apports des quatre années 1968 à 1971 étant tous inférieurs à l'apport du CHARI moyen, estimé à 40 milliards de m3, avec un déficit annuel moyen sur cette période de 8 milliards de m3. Au minimum 1971, la surface du lac n'est plus que de 19 000 km2 au lieu de 23 500 en période normale antérieure.

Après la crue déficitaire du CHARI en 1971, la baisse du plan d'eau s'amorce brutalement dès janvier 1972 et affecte plus particulièrement la cuvette sud. Dès l'étiage 1972, une bande côtière de 5 à 20 km de largeur, allant du Delta du CHARI vers l'ouest à BAGA KAWA se découvre. De même à l'Est du Delta du CHARI, les eaux qui étaient encore très proches des rochers d'HADJER EL HAMIS en 1971 se retirent maintenant à plusieurs km de ces derniers.

Après la crue de 1972 qui n'a apporté que 17,5 milliards de m3 au lac, et qui est do fréquence centennale sèche, un phénomène qui n'avait pas été observé jusqu'alors se produit: aucune remontée du niveau du lac. Ce décrochage est expliqué par l'inversion des vents début octobre (l'harmattan se substituant à la mousson) qui provoque un mouvement de bascule des eaux du nord-est vers le sud-ouest.

En avril–mai 1973, le lac est descendu au-delà de la cote critique qui correspond à l'exondation des zones élevées de la cuvette sud. Les caux se retirent de même, mais à un degré moindre aux extrémités des bras de l'archipel du sud-est et de l'Est.

L'exondation de la GRANDE-BARRIERE a lieu au niveau de BAGA KAWA en juin. La cuvette nord, coupée de son alimentation en eau a une surface qui diminue et la surface totale des eaux libres du lac descend à 8 000 km2 environ, soit le tiers de ce qu'elle était en 1964. Quant aux volumes stockés, ils ne sont plus que de 28 milliards de m3 au lieu de 105 en 1964.

Bien que la crue du CHARI présente en 1973 un maximum supérieur à celui de 1972 : 2 130 m3/s au lieu de 1 430 m3/s, le volume d'eau apporté au lac n'est que légèrement supérieur : 18,5 milliards de m3 contre 17,5. En décembre 1973, la cote du lac dans la cuvette nord est inférieure de 1 m à celle de l'année précédente.

Les niveaux mesurés en 1973 sont les plus bas jamais enregistrés; malgré celà, il semble que le lac ait connu des profondeurs et des surfaces moindres (d'après TILHO au début du siècle). Toutefois, les apports du CHARI ayant été remarquablement faibles, il est à craindre que l'assèchement de la cuvette nord, qui n'a pratiquement pas été alimentée par la cuvette sud, s'accentue encore et que l'on connaisse en 1974 un niveau encore plus sévère pour l'ensemble du lac.

En ce qui concerne les inondations le long du CHARI et du LOGONE, on peut noter les faits suivants:

  1. Les Yaérés - ou plaines inondables - du nord-CAMEROUN n'ont pas été en eau en 1972. Ni l'EL BEID, ni le BA-ILLI (effluent) n'ont coulé. Il n'y a eu aucun débordement entre CHARI et LOGONE.

  2. Bien que la crue du LOGONE en 1973 ait été un peu supérieure à celle de 1972, elle n'a pas donné lieu à débordement notable. L'EL BEID n'a pas coulé. Quelques pluies en août ont stagné dans les Yaérés du Nord-CAMEROUN. Le BA-ILLI a eu un faible écoulement d'origine pluvial sans apport dû aux débordements des fleuves.

5.3 Le bassin du SENEGAL(*):

Le SENEGAL est toujours déficitaire depuis 1968. Les zones d'inondation se trouvent à l'aval de BAKEL. On a cependant que peu de renseignements numériques précis sur l'importance des inondations le long de la vallée. Depuis 1971, il ne semble pas qu'il y ait eu de débordements notables du fleuve. L'année 1970 présente un déficit de 28 % pour le module; les statistiques des Services de l'Agriculture donnent une surface de culture de décrue de 31 000 ha environ; pour un déficit de 22% en 1971, la surface passe à 47 500 ha. En 1972, le déficit saute à 66 % et il n'y a plus de possibilité de cultures, donc pas de débordement; en 1973, où le déficit n'est presque pas différent, il n'y a pas eu, non plus, de débordement. Le fleuve est resté dans son lit mineur.

(*) (informations orales fournies par P. CHAPERON, Chef de la Section Hydrologique ORSTOM au SENEGAL) -

REFERENCES

ROCHE M. - 1973 - “Les incidences climatiques et hydrologiques de la sécheresse” in Techniques et Développement no 10, Nov. Déc. 1973, pp. 4–15 -

ROCHE M. - 1973 - “Note sur la sécheresse actuelle en AFRIQUE de l'Ouest” in “Report of the 1973 Symposium Drought in Africa” LONDON -

RODIER J.A., ROCHE M. - 1973 - “La sécheresse actuelle en AFRIQUE Tropicale - Quelques données hydrologiques” in Bulletin des Sciences Hydrologiques vol. XVIII, no 4, pp. 411–418 -

CHOURET A. et al. - 1974 - “Les effets de la sécheresse actuelle en AFRIQUE sur le niveau du lac TCHAD” - Cah. ORSTOM, sér. Hydrol., vol. XI, no 1, 1974, pp. 35–45 -

SIRCOULON J. - 1974 - “Les données climatiques et hydrologiques de la sécheresse en AFRIQUE de l'Ouest sahélienne” à publier par “Secretariat for International Ecology” SWEDEN (S.I.E.S.) -

Documentation ORSTOM extraite des banques de données hydrologiques et pluviométriques.

Fig 1

Fig 2

Fig 3

Fig 4

EVOLUTION HYDROLOGIQUE DU LAC TCHAD DURANT LA SECHERESSE (1972 à 1974)

par

A. Chouret
Hydrologue à l'ORSTOM, N'Djamena

J. Lemoalle
Hydrobiologiste à l'ORSTOM, N'Djamena

RESUME

Depuis le début du siècle, le lac Tchad, tributaire des crues du Chari, a connu des périodes de hautes eaux et des périodes de basses eaux, notamment vers 1906, 1914, 1944. Il a baissé à nouveau depuis 1964 pour atteindre un état particulièrement bas en 1973 et 1974 à la suite de crues exceptionnellement faibles du Chari. C'est cette dernière baisse de niveau qui est décrite, avec ses conséquences sur l'aspect du lac qui, du fait de sa faible profondeur, est très sensible à ces variations. La surface en eau du lac qui était de 18 000 km2 de 1967 à 1969, est passée à 9 000 km2 en juillet 1973 et 1974. Une nouvelle carte du lac a été esquissée, mettant en évidence l'isolement de la cuvette nord dont le niveau a décru de 1,9 m en une année, et l'apparition de 5 000 km2 de marécages dans la cuvette sud. Les prévisions sont faites pour début 1975.

ABSTRACT

Hydrological features of Lake Chad during the drought (1972–1974)

Since the beginning of the century, Lake Chad, which is fed by the Chari River, has had periods of high water level and periods of low water level such as during 1906, 1914 and 1944. The level has been decreasing once more since 1964, and reached a fairly low level during 1973 and 1974 as a result of extremely low floods of the Chari. This last period of level lowering is described, together with its consequences on the shape of the lake which, due to its shallowness, is highly sensitive to water level changes. The lake water area, which was 18 000 km2 during 1967–69, decreased to 9 000 km2 during July 1973 and 1974. A new map of the lake has been drawn, which shows the splitting of the lake into two parts: the northern basin in which the level has been decreasing by 1.9 m during one year, and the apparition of a 5 000 km2 marsh in the southern basin. Level forecasts have been made for early 1975.

Le déficit des apports du Chari au cours des deux dernières années, reflétant la sécheresse exceptionnelle qui sévit dans la région sahélienne de l'Afrique, a provoqué de 1972 à 1974 une baisse brutale du niveau et des modifications importantes de l'aspect du lac Tchad.

Nous tenons à remercier le Général Auffray et les pilotes des Forces Françaises de l'Escale d'Afrique Centrale pour les nombreux survols du lac ainsi que la Commission du Bassin du Lac Tchad et la National Aeronautics and Space Administration pour les documents photographiques aimablement communiqués. Une partie des crédits néessaires à cette étude a été accordée par la direction des Affaires culturelles du Ministère des Affaires étrangères.

1. DESCRIPTION DU MILIEU

Le lac Tchad est situé entre les parallèles 12°20' et 14°20' de latitude Nord, entre les méridiens 13° et 15°20' de longitude Est et subit un climat de type sahélien (fig. 1). C'est le reste du Paléotchad (Tilho, 1910) qui, à une époque où le climat de l'Afrique tropicale était beaucoup plus humide, s'étendait largement vers le Nord et était alimenté, entre autres, par des cours d'eau issus des massifs de l'Aïr, du Tibesti et de l'Ennedi maintenant désertiques.

Le lac Tchad s'étend dans une cuvette endoréïque faiblement déprimée. Ses rives sont le plus souvent plates et parfois indécises, ce qui rend son aspect et sa superficie très sensibles aux variations du niveau de l'eau. Son alimentation est principalement assurée par le Chari (83 pour cent); l'apport des autres tributaires: El Béïd, Yedseram et Komadougou-Yobé est de peu d'importance (7 pour cent), le complément étant fourni par les pluies tombant sur le lac lui-même (10 pour cent). La pluviométrie décroît du sud vers le nord-ouest, le lac étant situé entre les isohyètes 550 et 240 mm. Les pertes sont dues principalement à l'évaporation, de l'ordre de 2,2 m par an, les fuites marginales n'interviennent que pour 10 pour cent au maximum.

Loin d'être uniforme, le lac présente des caractères morphologiques variés sur toute son étendue. On peut d'abord distinguer une cuvette nord et une cuvette sud, séparées par un léger étranglement des rives et une zone de hauts fonds, souvent marécageux: la “Grande Barrière”.

Les deux cuvettes sont bordées au nord et à l'est par un erg fixé dont les sommets de dunes, orientés sud-est - nord-ouest, forment un vaste archipel. Celui-ci est prolongé vers l'intérieur du lac par des îles de végétation ou “îlots-bancs” correspondant à des hauts fonds dunaires colonisés par des phanérogames aquatiques. A la cote 281.8 m, altitude moyenne du plan d'eau de 1967 à 1969, la surface en eau du lac était de 18 000 km2 (Roche, 1971) ce qui correspond au stade “Tchad normal”. A l'étiage du lac en juillet 1973, les deux cuvette nord et sud étaient séparées par l'exondation de la Grande Barrière, les surfaces en eau étant estimées à 9 000 km2 au total.

Le lac était alors au stade “Petit Tchad” dans la classification proposée par Tilho (1928) qui distinguait en outre un état “Grand Tchad”, correspondant à une cote du plan d'eau de l'ordre de 284 m, qui a été décrit par les voyageurs du 19e siècle mais n'a plus été observé depuis. Le haut niveau du “Grand Tchad” entraîne la disparition des îlots-bancs, l'inondation de nombreuses dépressions dont le Bahr El Gazhal tchadien (fig. 1), ancien émissaire ordinairement desséché du lac vers les anciens lacs du Borkou, sur une longueur de 200 kilomètres d'après l'explorateur Nachtigal en 1980. La surface en eau estimée est alors de 20 à 25 000 km2, et la navigation est possible partout mais les tempêtes y sont dangereuses.

Le “Tchad normal” est celui que Tilho a observé de 1917 à 1919, et que nous avons connu de 1967 à 1969; la superficie en eau à ce stade est de l'ordre de 15 000 à 20 000 km2, la cote du plan d'eau de 282 m environ. Des îlots-bancs bordent les zones d'archipel, la navigation est possible sinon facile, notamment au niveau de la “Grande Barrière” pour passer de la cuvette sud dans la cuvette nord.

Enfin, le stade “Petit Tchad” est atteint lorsque le plan d'eau s'abaisse à la cote 280. La navigation devient pratiquement impossible dans la cuvette sud qui est séparée du nord par l'exondation de la Grande Barrière. Ce sont ces conditions de l'état du lac, observées par Tilho en 1905 qui sont apparues en 1972. Il faut noter que si ce bas niveau persiste plusieurs années, la cuvette nord, qui n'est alors pratiquement plus alimentée, peut s'assécher complètement.

2. LES CRUES DU CHARI EN 1972–1973 ET 1973–1974

Le régime des branches mères du Chari, en amont, est du type tropical de transition. Celui-ci est rapidement modifié par la nature dégradée du réseau et la sécheresse relative rencontrées dans la partie inférieure du bassin. Il en résulte que le régime du Chari à N'Djaména, et donc à son arrivée au lac, est du type tropical pur avec une distribution statistique des débits maximums de crue s'ajustant de façon à peu près satisfaisante à une loi de Gauss, comme c'est le cas assez général en Afrique occidentale. Il en est de même des modules annuels pour la période considérée, de 1932 à 1966 (Billon, B. et Oberlin, G., 1969), à partir de laquelle la crue médiane a été définie.

Dans le tableau 1 sont résumées les principales caractéristiques des crues de 1972–1973 et 1973–1974, comparées à la crue médiane et à la crue de 1961–1962, la plus forte de la série observée et dont la probabilité d'occurrence est de une fois en cinquante ans. Bien que la crue de 1973–1974 ait un débit maximum supérieur à celui de 1972–1973, les deux modules sont voisins et peuvent être considérés comme de fréquence centennale sèche. La figure 2 situe bien la place de ces deux crues dans la série d'observations. Il est à noter que depuis 1965, les modules du Chari à N'Djaména ont tous été inférieurs à la médiane, entraînant dès avant 1972 une baisse progressive du niveau du lac Tchad (fig. 3).

Tableau 1. Caractéristiques des crues du Chari à N'Djaména

AnnéeH. max.
m
Q. max.
m3/s
Module
m3/s
Volume annuel
109 m3
1972–19734,351 435   54317,5
1973–19745,552 130   57018,0
Médiane7,863 6901 28040   
1961–19629,105 1601 70053,7

3. EVOLUTION HYDROLOGIQUE DU LAC TCHAD

La masse des eaux du lac relativement peu importante amortit mal l'apport des crues et son niveau subit des variations saisonnières de niveau. L'année hydrologique lacustre commence le 1er juillet par l'étiage de juillet–août, suivi de la remontée du niveau de septembre à janvier dues à l'arrivée des eaux de la crue fluviale dont la progression dans le lac a été étudiée par Carmouze (1971) et Roche (1973). Les eaux redescendent ensuite sous l'effet de l'évaporation que les apports ne compensent plus.

3.1 Variation interannuelle du niveau du lac de 1900 à juillet 1972

Les variations du niveau sont connues à Bol depuis le début du siècle (Tilho, 1910) et suivies régulièrement par l'ORSTOM depuis 1953 (fig. 3). La station de Bol a cessé d'être représentative du niveau moyen du lac au cours de l'assèchement partiel de 1973. Les valeurs utilisées dans le graphique sont soit observées soit reconstituées par une corrélation entre les apports du Nil à Assouan, connus depuis 1870, et les débits maximums du Chari à N'Djaména, à partir desquels on peut prévoir les variations annuelles du niveau du lac. Cette corrélation primitivement établie par Bouchardeau (1957) sans être très étroite, (r = 0,72) est cependant nettement significative (Touchebeuf de Lussigny, 1969). Le tracé des variations observées a été fait à partir de cotes lissées pour éliminer les influences journalières et saisonnières des vents (Billon, 1965) qui peuvent provoquer des différences brusques de l'ordre d'une dizaine de centimètres. On constate que le lac Tchad a connu des périodes de basses eaux de 1906 à 1908, en 1914, 1945 et 1946, la première de ces périodes ayant été décrite en détail par Tilho (1910). Au cours des années 1963 et 1964, le niveau du lac a atteint la cote la plus élevée depuis le début du siècle, pour connaître ensuite une baisse constante et régulière, de l'ordre de 0,3 m par an, semblable à celle qui a précédé le minimum de 1906–1908. De 1964 à 1971, la différence entre un maximum et l'étiage suivant a été de 0,8 m environ.

3.2 Evolution géomorphologique du lac de 1972 à 1974

En juillet 1972, le lac est donc en régression mais reste encore au stade “Tchad normal” en ce qui concerne les surfaces en eau. Il est important de souligner que, à niveau égal, la géomorphologie du lac peut être très différente suivant que ce dernier se trouve en phase de régression ou en période de remontée des eaux. A l'étiage de 1972, le niveau moyen du lac baisse depuis plusieurs années, les surfaces en eau, souvent peu profondes, ne sont pas colonisées par la végétation: c'est le cas d'une grande partie de la cuvette sud où la circulation des bateaux est pratiquement interrompue bien que son aspect ait peu changé depuis l'année précédente. On observe cependant une modification générale de la côte méridionale, la plus sensible aux variations de niveau: une bande côtière de 5 à 20 km de larguer, allant du delta du Chari à Baga Kawa est exondée. Il en est de même à l'est du delta: les eaux qui étaient encore très proches des rochers d'Hadjer-el-Hamis en 1971 se sont maintenant retirées à plusieurs kilomètres de ces derniers. Dans la cuvette nord, de profondeur moyenne plus grande, les effets de la baisse se manifestent à un degré moindre avec toutefois une légère avancée de la côte ouest.

De juillet à décembre 1972, la crue du Chari n'a pas fait remonter le niveau du lac dont l'aspect général n'a pas varié. C'est à partir du début de l'année 1973 que sont apparues des modifications importantes dont nous présentons la chronologie.

Mai 1973

En avril et mai 1973, les zones les moins profondes que sont la Grande Barrière, la région des îlots-bancs de l'archipel du sud-est et la pointe sud du lac, ont été exondées. Des reconnaissances aériennes nous ont permis de suivre le retrait des eaux sur ces vastes régions, s'accompagnant de la formation de vasières et de mares en voie d'assèchement. Les eaux se sont retirées également des fonds de bras de l'archipel.

Par sa rapidité et son importance, la baisse du lac, dès 1971, a provoqué de profondes modifications sur la végétation lacustre, entraînant une raréfaction des macrophytes de bordure des anciens rivages. Au cours de cette période du début 1973 cette végétation a pratiquement disparu, sans être remplacée par une autre ceinture plus proche de l'eau.

Des développements d'“ambadjs” (Aeschynomene sp., Sesbania sp.) sont apparus épars et dispersés entre Baga Kawa et le delta, ainsi que des cypéracées (notamment Cyperus articulatus) sur des surfaces récemment exondées. Ce n'est qu'à partir de juillet qu'un développement considérable de la végétation s'est manifesté sur toutes les surfaces exondées de la cuvette sud, avec, en plus des espèces déjà citées, Cyperus papyrus, typha, ipomea et ludwigia.

Dans la cuvette nord, les effets de la décrue du lac sont moins spectaculaires: il y a exondation d'une bande côtière de Baga Kawa à Nguigmi, qui ne dépasse pas 5 km de large, excepté dans la région de Baga Kawa où elle atteint 10 km. Cette cuvette est isolée des apports du Chari et seul un bras très étroit la relie à une poche résiduelle au sud de Baga Kawa. Par ailleurs, les extrémités de quelques fonds de bras de l'archipel sont coupées, comme dans le sud. Par contre, la végétation est restée très limitée dans cette zone nord du lac, sans le développement spectaculaire constaté dans la cuvette sud.

Juillet 1973

La figure 4 représente l'état du lac à son étiage en juillet 1973. Le tireté du cadre “Tchad normal” met bien en évidence la situation particulière à cette époque. Dans la cuvette sud, les eaux libres sont réduites à une poche de faible profondeur en avant du delta du Chari et à quelques mares dans l'archipel du sud-est à la latitude de Bol. Ces mares sont isolées et se concentrent par évaporation. Tous les fond exondées de cette cuvette, aussi bien dans la région des eaux libres que dans l'archipel, sont recouverts d'une végétation très dense. Il n'y a pas à cette époque de végétation semi-immergée: les macrophytes ont poussé sur le sédiment exondé.

La cuvette nord, coupée de son alimentation, voit sa surface diminuer; de nombreuses îles sableuses sont apparues et le nouveau rivage se trouve environ à cinq kilomètres de son ancien tracé sur la côte ouest. La Grande Barrière est totalement exondée à cette époque et ne se distingue pas des autres parties asséchées de la cuvette sud.

Octobre 1973

De mai à fin septembre, le Chari s'est déversé dans la seule poche des eaux libres du sud. Une carte représentant l'état du lac début octobre 1973, au début de la remise en eau de la cuvette sud, a été établie après une reconnaissance aérienne effectuée le 3 octobre et grâce aux documents photographiques du satellite ERTS (photos du 22 septembre et du 10 octobre)1. La poche des eaux libres du sud s'agrandit, une partie de l'archipel du sud-est et des zones précédemment exondées, alors couvertes d'une végétation très abondante, sont remises en eau. Toutefois, les macrophytes ne sont pas entièrement recouverts sauf dans quelques bras d'eaux libres bien marqués dirigés vers l'est, vers l'ouest et dans l'archipel.

Lors d'une reconnaissance sur le terrain, début octobre, nous avons mesuré la vitesse des infiltrations à travers les marécages de la cuvette sud. Le 9 octobre, l'eau était à environ 5 km de Baga Kawa, et se déplaçait vers la Grande Barrière avec une vitesse comprise entre 5 et 10 cm/s.

Durant cette période, la Grande Barrière, isole toujours la cuvette nord; celle-ci n'est plus alimentée que par les pluies et les faibles apports de la Komadougou-Yobé qui a eu une crue très déficitaire, et n'a coulé que d'août à novembre.

Décembre 1973

Au cours de nouvelles reconnaissances aériennes, nous avons suivi l'évolution du lac jusqu'au maximum de la remise en eau de la cuvette sud qui a eu lieu en décembre. Les eaux libres de cette cuvette ont gardé sensiblement la même surface. Dans l'archipel du sud-est, des eaux libres sont apparues, correspondant à une immersion totale de macrophytes; tandis que les zones de marécages (végétation semi-immergée) ont progressé vers le sud et vers l'est.

Début décembre, des zones d'eaux de couleur foncée (humiques) sont apparues le long de la Grande Barrière dans la cuvette nord. Par des survols à basse altitude, ainsi que des missions sur le terrain, nous avons pu constater que le passage de l'eau vers le nord a été diffus et lent, la vitesse du courant n'étant pas mesurable. Dans l'ensemble, le volume d'eau qui a franchi la Grande Barrière parait n'avoir été que peu importance.

Dans la cuvette nord, le fait le plus marquant de cette période est l'exondation dans la région des eaux libres de nombreuses îles sableuses dépourvues de végétation.

Mars 1974

La baisse des eaux dans la cuvette sud n'a apporté que quelques modifications à l'aspect qu'avait le lac en décembre; en particulier, quelques îles réapparaissent mais, à la différence de l'année passée, elles sont déjà recouvertes de végétation avant même leur exondation. Dans l'archipel, en voie d'isolement, les surfaces en eau libre régressent lentement.

La cuvette nord est isolée depuis janvier et de nouvelles îles continuent d'apparaître en grand nombre. On note un développement très marqué des ambadjs (Aeschynomene elaphroxylon) au niveau de la Grande Barrière.

Juillet 1974

Le niveau du plan d'eau de la cuvette sud est sensiblement le même qu'à la même époque un an plus tôt, les surfaces en eau sont du même ordre, seulé la persistance d'une végétation très abondante, qui s'étend largement sur la Grande Barrière, crée une différence. Il semble cependant que les sédiments se soient tassés au cours de l'exondation de l'année précédente, et que, à niveau de l'eau égal, la profondeur soit légèrement supérieure.

Dans la cuvette nord, dont le niveau a beaucoup baissé (1,90 m environ) par rapport à l'année passée, la zone des eaux libres de 1973 dans laquelle sont apparues de très nombreuses îles, est presque devenue un nouvel archipel. Plus près de la côte, dans l'archipel traditionnel, de multiples seuils exondés relient les îles entre elles.

1 Ce document est archivé au Centre ORSTOM de N'Djaména.

3.3 Variations du niveau de 1972 à 1974

Afin de suivre avec plus de précision les variations du niveau dans les principales régions du lac, le réseau limnimétrique a été complété à partir de 1973 par des stations nouvelles.

En particulier, les deux grandes zones d'eaux libres nord et sud sont étudiées à l'île de Kindjéria et à l'île de Kalom au moyen de limnigraphes, de même que la région de Baga Kawa. Les cotes données dans le texte ne sont indicatives que des variations de niveau, les zéros des différentes échelles n'étant pas encore rattachés au nivellement général, sauf dans le cas de Bol, Malamfatori et Nguigmi qui sont des stations plus anciennes.

3.3.1 Les eaux libres du sud à Kalom

La station de l'île de Kalom a étémise en service en juillet 1973. Le maximum de la crue du Chari à N'Djaména a eu lieu les 14–15 octobre 1973, et est apparu à Kalom le 25 octobre (fig. 5). La propagation de la crue a donc été tout particulièrement rapide. De juillet à octobre 1973, le niveau est remonté de 1,26 m avant de baisser ensuite régulièrement pour retrouver très sensiblement la même cote d'étiage fin juin 1974.

3.3.2 La région de Baga Kawa

La station a été ouverte en octobre 1973 à 7 km au sud-est de l'agglomération de Baga Kawa. Cette échelle est donc située dans la cuvette sud du lac. D'après les renseignements recueillis sur place, l'eau est arrivée à la station au début octobre. Le niveau a ensuite monté régulièrement jusqu'au 30 novembre à une vitesse sensiblement égale à celle observée à Kalom. Durant tout le mois de décembre, on note un étale du plan d'eau à H = 0,96 m. La décrue amorcée début janvier 1974, est moins régulière, et un peu moins rapide qu'à Kalom.

Le maximum du niveau est donc plus prolongé qu'à Kalom et il n'est apparu qu'un mois plus tard comme à Bol alors que la décrue des eaux libres du sud était déjà en cours (fig. 5).

A partir du début juin 1974, la station est à nouveau à sec.

3.3.3 L'archipel du sud-est à Bol

La station de Bol Dune est la plus ancienne du lac, le zéro de l'échelle est à 277,87 m selon le nivellement IGN 1956.

De juillet à décembre 1972, la courbe (fig. 6) marque un décrochage en octobre (de 2,20 à 1,90 m), puis un palier de novembre à décembre (1,90 m à Bol). Le décrochage est expliqué par l'inversion du régime des vents début octobre: l'harmattan se substituant à la mousson repousse les eaux du nord-est vers le sud-ouest. De novembre à décembre 1972, les apports compensent à peine les pertes par évaporation et infiltration. Cet équilibre est représenté par le palier de la courbe. Dès la fin décembre 1972, les pertes l'exportent sur les apports.

A partir de la fin février 1973 (H = 1,60 m), ces relevés ne sont plus représentatifs du niveau général, la région de Bol étant, comme on l'a vu plus haut, isolée du reste du lac par l'exondation de la zone des îlots-bancs. Cet isolement est resté effectif jusqu'à la fin septembre 1973. Au cours du mois de juillet, le niveau est passé de H = 0,62 m à H = 0,44 m sous l'effet de l'évaporation. Pendant la première moitié du mois d'août, la remontée de la cote jusqu'à H = 0,54 m est à mettre en relation avec les précipitations. En effet, bien que la saison des pluies soit déficitaire à Bol en 1973, il faut noter que, de juin à fin août, 133,5 mm ont été enregistré, dont 93,0 mm au cours de la première quinzaine d'août. Les résultats des analyses chimiques de l'eau à Bol, effectuées chaque semaine, sont d'autre part en accord avec cette hypothèse. Cette brève remontée est immédiatement suivie d'un abaissement du niveau à une vitesse identique à celle observée en juillet. Au cours du mois de septembre, les caux libres du sud sont en charge par rapport à l'archipel, et lorsqu'elles franchissent le seuil des îlots-bancs, la remise en eau se fait brutalement. Le début de cette remise en eau est apparu le 23 septembre à Bol, le niveau s'est élevé en un jour de 0,15 m et la montée rapide s'est poursuivie jusqu'au 1er novembre. La remise en eau de la région de Bol s'est donc produite sensiblement à la même date qu'à Baga Kawa mais elle a été beaucoup plus rapide. Les maximums sont ensuite apparus à peu près à la même date avec un étale dans les deux cas.

En janvier et février 1974, la décrue se poursuit à des niveaux et avec une vitesse sensiblement semblable à ceux de janvier et février 1973. Les conditions sont cependant différentes: en 1974, le Chari a un débit légèrement plus faible et il ne se déverse que dans la cuvette sud qui est maintenant encombrée de végétation. En mars 1974, la baisse du niveau s'accélère comme en mars 1973 après la séparation entre l'archipel et les eaux libres du sud. Du 1er janvier au 1er juillet, la baisse a été plus importante (1,40 m) en 1974 que durant la même période l'année précédente (1,16 m).

3.3.4 La cuvette nord à Kindjéria

La station de l'île de Kindjéria, mise en service en juillet 1973, est représentative de la cuvette nord dans son ensemble. Jusqu'au début de décembre, celle-ci est restée isolée du reste du lac sans autre alimentation que les faibles apports de la Komadougou-Yobé et les précipitations. En 1973, la Komadougou-Yobé n'a commencé à couler qu'au mois d'août, c'est donc plutôt par la pluviométrie que l'on peut ici encore expliquer le palier enregistré pendant la premiêre partie de ce mois, à l'époque où l'on notait la remontée du niveau à Bol (fig. 7). Ensuite, le niveau dans la cuvette décroit régulièrement à une vitesse semblable à celle mesurée à Bol jusqu'au 1er décembre, date à laquelle les infiltrations venant du sud à travers la Grande Barrière ont été suffisantes pour interrompre la baisse pendant un mois (palier à H = 3,80 m). Dès le début janvier 1974, la baisse du niveau de la cuvette nord recommence. Elle est comparable à celle enregistrée dans l'archipel de l'est au cours de la même période, avec une accélération à partir du début mars. Au 1er juillet 1974, la variation de niveau enregistrée depuis un an est de 1,9 m. Compte tenu de la pente moyenne de la courbe représentative du niveau, on peut estimer que les précipitations du mois d'août 1973 et les apports en provenance de la cuvette sud en décembre correspondent à 9,3 m. Il en ressort que l'évaporation dans la cuvette nord au cours d'une année a été de 2,2 m, valeur qui confirme les estimations précédentes de l'évaporation sur le lac (Bouchardeau, Lefevre, 1957; Riou, 1964).

3.3.5 La cuvette nord à Baga Kiskra

La station a été ouverte en mai 1973 et jusqu'à décembre 1973 (fig. 7) on observe une décroissance du niveau à peu près identique à celle de Kindjéria, avec, également, un léger palier en août correspondant aux pluies de ce mois. Par contre, le palier enregistré en décembre à Kindjéria semble ici se traduire par un net ralentissement de la baisse en janvier et même par une légère remontée en février. Ensuite, la baisse reprend de façon continue jusqu'en juillet.

3.3.6 La cuvette nord à Malamfatori

Les observations ont repris en juillet 1973 sur la nouvelle échelle ORSTOM qui complète les éléments de la station nigériane du Federal Fisheries Service de Malamfatori. La configuration de la cote, les variations saisonnières des vents et les apports de la Komadougou-Yobé peuvent expliquer le fait que la courbe est moins régulière qu'à Kindjéria (fig. 7).

En effet, la côte face aux eaux libres est plate, rectiligne et perpendiculaire à la direction générale des vents dont l'influence est ainsi nettement plus marquée. La station est, de plus, située tout près de l'embouchure de la Komadougou-Yobé dont la crue a débuté en août et s'est poursuivie jusqu'en novembre, ce qui peut expliquer le palier de la courbe en septembre et la brève remontee du début octobre. D'autre part, les vents de saison sèche, soufflant du nord-est s'établissent en octobre, et créent une différence de niveau entre les côtes est et ouest de la cuvette ce qui se traduit sur la courbe par un écart plus faible à Malamfatori qu'à Kindjéria entre octobre 1973 et début janvier 1974. Par la suite, la fréquence des lectures d'échelle n'a pas permis de tracer une courbe avec suffisamment de précision pour la comparer à celle de Kindjéria.

Plus au nord, l'échelle de Nguigmi, représentative du lac jusqu'en 1968, est isolée de façon intermittente depuis cette date. Les niveau enregistrés en 1973 et 1974 représentent donc vraisemblablement les variations d'un bassin fermé et n'offrent plus d'intérêt pour l'étude de la cuvette nord.

3.4 Variation de la superficie du lac

Nous avons déjà vu que, du fait de sa faible profondeur et de la configuration de ses rives, le lac a une superficie très sensible aux variations du niveau. Les premières données, rassemblées dans la Monographie hydrologique du lac Tchad (Touchebeuf de Lussigny, 1969) ont permis d'établir la corrélation entre la surface S (km2) en eau et la cote absolue Z (m) du plan d'eau, valable pour Z compris entre 280 et 283:S = 4 300 (Z - 278). Plus récemment, M.A. Roche (1971, 1973) a fait une nouvelle estimation pour Z = 281,8, niveau moyen du lac de 1967 à 1969, en utilisant les cartes IGN (France) au 1/200 000, les fonds topographiques au 1/50 000 du Federal Survey Department (Nigeria) et ses observations personnelles. Pour ce fair, il a divisé le lac en treize zones (fig. 8) dont les surfaces en eau sont données dans le tableau 2. La superficie totale do ces treize zones (22 700 km2) constitue notre surface de référence.

Grâce à la couverture photographique aérienne du lac de juin–juillet 1973, réalisée par la Commission du Bassin du Lac Tchad, nous avons pu évaluer les nouvelles superficies en juillet 1973. Pour pouvoir établir des comparaisons avec les résultats antérieurs, le lac a été divisé en ces mêmes treize zones dans lesquelles les surfaces en eau et les îles ont été planimétrées. Les résultats sont reportés dans le tableau 2. Les surfaces en eau qui occupaient en 1967–1969 une superficie de 18 140 km2 soit 80 pour cent de la surface totale de référence du lac, n'occupaient plus que 8 940 km2 soit 40 pour cent de cette même surface. Cette diminution est principalement due à l'exondation de la Grande Barrière (zone II), de la pointe sud (zones XII et XIII) et de l'archipel de l'est (zones VIII, IX, X et XI). La cuvette sud était donc presque totalement exondée sauf la région péridelta¨que (eaux libres du sud) qui n'occupait que 1 650 km2.

Après la remise en eau, nous avons tenté, en décembre 1973, une évaluation grossière des surfaces en marécages. Au cours d'observations aériennes, nous nous sommes efforcés de déterminer, dans la mesure du possible, les surfaces on eau sous la végétation. A ce degré de précision, les eaux libres couvraient la même étendue qu'en juillet et les zones marécageuses ont été estimées à environ 5 000 km2, soit 22 pour cent de la surface de référence. Ces marécages occupaient principalement les zones II, VII, VIII, XI et XII. La surface totale en eau était donc d'environ 60 pour cent de la surface de référence, soit les trois quarts de ce qu'elle était en 1967–1969.

CONCLUSION

Nous avons décrit dans cette note, en utilisant quelques données numériques, l'évolution du lac Tchad au cours d'une phase de baisse exceptionnelle vraisemblablement comparable à celle constatée par Tilho en 1904 et 1905. Au début des années 1904 et 1973, la Grande Barrière était encore ouverte et la cuvette nord navigable. En 1905 et 1974, la Grande Barrière était fermée, avec un assèchement progressif de la partie nord. Celui-ci est devenu total dès 1906, à la suite de quoi une abondante végétation arbustive s'est développée gênant par la suite la remise en eau de 1908 (fig. 9).

Au moment de la rédaction de cet article, la crue du Chari de 1974–1975 est bien amorcée et l'on peut supposer qu'elle sera presque moyenne et voisine de celle de 1971–1972 (Q = 3 410 m3/s - V = 31,2. 109 m3). L'eau va donc traverser la Grande Barrière en direction du nord, le niveau dans la cuvette sud étant très en charge par rapport à la cuvette nord. La remontée dans chacune des cuvettes dépendra de la façon dont l'eau va franchir la végétation et les seuils de la Grande Barrière. Tenant compte de cette incertitude, il est néanmoins possible de prévoir une limite maximum de la remontée des eaux à Bol qui ne dépassera pas H = 2 m à l'échelle.

Dans ce cas limite, la remontée du niveau dans la cuvette nord sera faible, de l'ordre de 0,3 à 0,5 m. Si, pour diverses raisons, le passage à travers la Grande Barrière est relativement facile, le gain de niveau sera plus important dans la cuvette nord et donc plus faible dans la cuvette sud. Le lac ne retrouvera donc pas, début 1975, un état “Tchad normal”, qui ne pourra être atteint qu'après plusieurs crues moyennes.

Tableau 2. Estimation des surfaces en eau du lac Tchad en 1967–1969 (d'après Roche, 1971) et en 1973

ZoneSurface totale
km2
Surface en eau 1967–69
km2
Eau % 1967–69Surface en eau juillet 1973
km2
Eau % juillet 1973Surface en marécage décembre
km2
Marécages % décembre 1973
I1 8901 890100  1 4307645024
II2 6002 05579   150  61 020   39
III4 1804 160100  3 46083210  5
IV1 240   97078   83067    0  0
V2 2001 140521 04047    0  0
VI2 3202 000861 60069    0  0
VII1 6101 02064   2301445028
VIII1 360   76656     70  527020
IX   560   24042       0  0    0  0
X1 190   76064   130  11 53045
XI   334   12036       0  0    0  0
XII1 8801 880100         0  01 880  100  
XIII1 3401 14085       0  023017
Total22 700  18 140  808 940405 040   22

REFERENCES

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Roche, M.A., 1971 Géographie et éléments numériques sur la superficie et la bathymétrie du lac Tchad. ORSTOM, N'Djaména, 7 p. multigr.

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Figure 1Figure 4
Figure 1Figure 4
Figure 2Figure 3
Figure 2Figure 3

Figure 1 Régions naturelles du lac Tchad à la cote du plan d'eau 281,5 m Natural regions of Lake Chad at altitude of the water surface 281.5 m

Figure 2 Hydrogrammes caractéristiques du Chari à N'Djamena Typical flow rate hydrographs of the Chari River at N'Djamena

Figure 3 Variations interannuelles du niveau du lac Tchad de 1900 à 1972. En tireté, niveaux reconstitués, en trait plein, niveaux observés
Interannual variation of Lake Chad level from 1900 to 1972. (dotted line, reconstructed levels; black line, observed levels)

Figure 4 Carte schématique du lac Tchad en juillet 1973. Le tireté indique les limites du lac à la cote 281,8 m (Tchad normal)
Map of Lake Chad in July 1973. (dotted line shows the limits of the water surface of the Lake at altitude 281.8 m (normal Lake Chad)

Figure 5Figure 7
Figure 5Figure 7
Figure 6
Figure 6
Figure 8Figure 9
Figure 8Figure 9

Figure 5 Variations de niveau dans la cuvette sud à Kalom et Baga Kawa Level variations in the southern basin at Kalom and Baga Kawa

Figure 6 Variations du niveau à Bol Level variations at Bol

Figure 7 Variations de niveau dans la cuvette nord à Malamfatori, Kindjéria et Baga Kiskra
Level variations in the northern basin at Malamfatori, Kindjeria and Baga Kiskra

Figure 8 Découpage du lac en treize zones pour l'évaluation des surfaces (d'après M.A. Roche, 1971)
Division of the Lake in thirteen zones for evaluation of water areas (from A. Roche, 1971)

Figure 9 Le lac Tchad au début de 1908, d'après les documents de la mission Tilho (1910)
Lake Chad beginning of 1908, from Tilho's mission documents (1910)

L'EVOLUTION DES PECHES DU BASSIN FU FLEUVE SENEGAL AU COURS DES CINQ DERNIERES ANNEES

par

Abdoul Oumar Fall
Ingénieur Principal des Travaux des Eaux et Forêts
Direction des Eaux et Forêts
Ministère du Développement Rural et de l'Hydraulique
Dakar, République du Sénégal

1. INTRODUCTION

La baisse généralisée de la production, la prolifération des engins de pêche ont notamment caractérisé l'évolution des pêches dans le Bassin du Sénégal au cours des cinq dernières années.

2. BAISSE GENERALISEE DE LA PRODUCTION

La production piscicole intérieure du Sénégal débarquée dans la Vallée tout le long du fleuve et tributaires sur plus de 800 km est difficile, voire impossible, à enregistrer convenablement.

Elle a évolué d'année en année en tonnage et valeurs, d'après les estimations du Service des Eaux et Forêts, comme indiqué au tableau ci-après:

Campagne de pêche AnnéeTonnages pêchés au Lac de GuiersValeur monétaire au lieu de production (millions CFA)Estimation production totale (fleuve + L. Guiers)Valeur monétaire niveau marchés (Millions CFA)
19671 500 t 1    8,530 000 t750
19681 212 t 11225 000 t650
1969   532 t 1720 000 t500
1970pas de campagne
(freiner dépeuplement)
-18 000 t540
1971"-18 000 t540
1972"-15 000 t450
1973"-12 000 t420

1 campagnes de pêche organisées du 15 juillet au 31 août; y participaient surtout les pêcheurs marins saint-louisiens

2.1 Exploitation Anarchique des Ressources Piscicoles

Elle résulte de:

2.11 L'absence d'une approche intégrée de l'exploitation

Le fleuve Sénégal bien que faisant partie dans la totalité de son cours mineur du Sénégal est international quant à son exploitation. Les riverains de tous les Etats pêchent librement dans le plan d'eau. Cette application commune n'a malheureusement pas été soutenue jusqu'à maintenant par une réglementation commune également appliquée par toutes les parties.

Le Sénégal, en ce qui le concerne, dispose d'une réglementation compléte pour l'exploitation de l'ensemble du plan d'eau.

Il conviendra, au moment où des efforts seront entrepris pour l'exploitation commune du plan d'eau, de s'accorder sur une réglementation commune et de l'appliquer strictement sur la totalité du système.

2.12 Méthodes de pêche

La méthode destructrice du rabattage du poisson dans les filets traînants en faisant le plus de bruit (faire grincer des chaînes contre les flancs des pirogues, battre l'eau avec des bois façonnés à cet effet, etc) se généralise de plus en plus tout le long du fleuve Sénégal.

Les barrages en branchages ou paille tressée dressés sur les marigots permettent la capture des géniteurs qui tentent d'atteindre la zone d'inondation ou les alevins qui en viennent.

2.13 L'intensification de la pêche dans la zone d'inondation

Cette pêche dans les frayères avec des engins fixes (araignées), endommage le peuplement piscicole et accélère le dépeuplement des eaux.

2.14 L'emploi de filets à petites mailles (moins de 15 m/m de côté)

Les dimensions des mailles des divers filets sont réduites au fur et à mesure que le poisson se raréfie et permettent la capture, plutôt la destruction, des alevins.

Nous constatons que les pêches sahéliennes ont connu une évolution peu brillante au cours des cinq dernières années. Plusieurs obstacles sont responsables de cette situation.


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